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Full text of "Les Pays-Bas avant et durant la domination romaine, : ou, Tableau historique, géographique, physique, statistique et archéologique de la Belgique et de la Hollande, depuis les premiers temps historiques jusqu'au 6me siècle"

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in  2010  with  funding  from 

Boston  Public  Library 


http://www.archive.org/details/lespaysbasavante01scha 


LES  PAYS-BAS 


AVANT  ET  DURANT 


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LES  PAYS-BAS 


AVANT  ET  DURANT 


LA 


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TABLEAU  HISTORIQUE.  GÉOGRAPHIQUE,  PHYSIQUE,  STATISTIQUE  ET  ARCHÉOLO- 
CIQUE  DELA  BELGIQUE  ET  DE  LA  UOLLAtiDE,  DEPUIS  LES  PREMIERS  TE3IPS 
HISTORIQUES    JCSQUAU   6"°'   SIÈCLE; 


A.-G.-B.  SCHAYES, 

EMPLOYJÈ  US  PREMIÈRE  CLASSE  A.VX  ARCHIVES  G]Én£rALES  DE  LA.  BELCJQUg  . 
MEMBRE    DE    PLUSIlitlRS    SOCIÉTÉS    LITTÉRAIRES, 


Rei  ardua  ,  vetustis  novitatent  dare ,  novis 
autoritatem ,    obsoletis     nitorem ,     obscuri» 
lucem ,  fastidicis  gratiani,  duhiis  fidem. 
(.C  Plin.,  prœf,  hist.  mundi.) 


TOME  PREMIER. 


BRUXELLES  , 

ÉTABLISSEMENT    ENCTCLOGR  VPUIQUE ,    FAUBOURCi    DE    l'LANDRE,    ^"    14. 

1837. 


PRÉFACE. 


c(  S'il  y  a  quelque  chose  de  véritablement  instructif  et 
intéressant  dans  l'histoire  d'un  peuple  ou  d'une  province  , 
ainsi  s'exprime  le  savant  évéque  d'Anvers,  de  Nelis,  c'est 
de  savoir  depuis  quand  et  de  quelle  manière  le  pays  a 
commencé  à  être  cultivé;  comment  et  par  quels  degrés 
le  peuple  s'y  est  civilisé;  d'où  lui  viennent  ses  usages, 
ses  lois,  et  la  plupart  de  ses  institutions  sociales;  quel 
rapport  enfin  tout  cela  a  avec  son  état  actuel  (1).  » 
Si  cet  axiome  est  applicable  à  tous  les  pays  il  n'en  est 
certes  aucun  oii  il  puisse  être  moins  contesté  qu'en  Bel- 
gique. En  effet,  quoi  de  plus  intéressant  pour  l'ami  de 
la  civilisation ,  que  de  comparer  l'aspect  sauvage  et  inculte 
que  présentait  notre  patrie  il  y  a  dix  siècles,  avec  la  splen- 
deur et  l'éclat  qu'elle  étale  de  nos  jours  ;  de  chercher  à  con- 
naître de  quelle  manière  et  par  quels  moyens  les  Belges , 
placés  d'abord  au  dernier  degré  de  l'ordre  social  et  menant 
une  vie  semblable  à  celle  des  sauvages  de  l'Amérique,  sont 
sortis  de  cet  état  de  barbarie  pour  se  placer  au  premier 
rang  des  nations  les  plus  avancées  en  civilisation  ;  et  com- 
ment le  génie  et  l'admirable  industrie  de  ce  peuple  sont 
parvenus  à  métamorphoser  une  contrée  ,  couverte  primi- 
tivement de  marais  fétides  et  hérissée  de  sombres  forêls  , 


(I)  De  Nelis,  Vues  sur  différais  points  de  Vllisloire  Belg.  Méni.  de  l'Acad- 
le  Brnx.,  lom.  2.  p.  587, 


II  PREFACE. 

en  un  des  pays  les  plus  beaux  ,  les  plus  peuples  et  les  plus 
riches  de  l'univers;  pays  rempli  de  cite's  puissantes  et 
magnifiques,  de  bourgades  et  de  villages,  qui,  parleur 
nombreuse  population  et  leur  étendue,  passeraient  ail- 
leurs pour  des  villes  considérables  ;  pays  que  l'étonnante 
perfection  de  sa  culture  a  fait  surnommer  par  d'illustres 
e'trangers  le  Jardin  de  V Europe. 

Parmi  le  grand  nombre  de  savans  qu'a  produits  la  Bel- 
gique, plusieurs  ont  dirige  leurs  études  vers  l'histoire  et  la 
géographie  anciennes  de  leur  patrie ,  et  après  les  excellens 
travaux  qu'ont  publies  sur  cette  matière  Pontus  Heuterus  , 
Bucherus ,  Vredius ,  Desroches  ,  Ghesquière  ,  Wastelain 
et  Raepsaet ,  on  pourrait  croire  inutile  d'écrire  désormais 
sur  ce  sujet  et  taxer  même  de  présomption  ceux  qui  songe- 
raient encore  à  y  consacrer  leurs  veilles.  Telle  fut  aussi 
d'abord  notre  pensée  ;  mais  en  approfondissant  la  question, 
en  remontant  aux  sources  ou  ces  auteurs  avaient  puise ,  en 
méditant  les  historiens  et  géographes  grecs  et  romains , 
en  consultant  nos  chroniqueurs ,  nos  légendaires ,  nos 
chartes  du  moyen  âge,  les  canons  des  anciens  conciles,  enfin 
la  foule  d'écrits  anciens  et  modernes  relatifs  à  l'histoire  et 
a  la  topographie  anciennes  de  la  Belgique,  que  contiennent 
la  riche  bibliothèque  de  l'université  de  Louvain,  et  surtout 
la  magnifique  bibliothèque  royale  à  la  Haye,  nous  nous 
sommes  convaincu  que  les  écrivains  qui  se  sont  occupés 
de  nos  anciennes  annales  et  de  l'état  primitif  de  la  Belgique, 
étaient  loin  d'avoir  épuisé  la  matière,  et  qu'après  leurs  sa- 
vans et  consciencieux  travaux ,  il  restait  encore  bien  des 
points  a  éclaircir  et  beaucoup  d'erreurs  a  rectifier.  C'est  au 
lecteur  a  décider  si  nous  avons  réussi  a  indiquer  quelques- 
unes  de  ces  dernières  et  a  répandre  quelque  lumière  nou- 
velle sur  l'époque  de  notre  histoire  la  plus  obscure  et,  par 
conséquent,  la  plus  aride  et  la  plus  difficile  à  traiter.  Au 


PRÉFACE.  ni 

moins  ne  nous  accusera-t-on  pas  d'avoir  copié  servilement 
les  auteurs  qui  nous  ont  précédé ,  notre  ouvrage  différant 
des  leurs ,  tant  par  la  forme  que  par  le  fond  :  aucun  auteur 
moderne  n'a  tracé ,  nous  osons  le  dire ,  une  démarcation 
aussi  tranchée  entre  les  Celto-Belges  et  les  Germano-Belges, 
que  celle  que  nous  établissons  pour  ces  deux  races  ;  aucun 
n  a  marqué  d'une  manière  aussi  nette  la  différence  des 
limites  des  peuples  de  la  Belgique  à  l'époque  de  la  con- 
quête de  César ,  d'avec  celles  des  Belges  sous  la  domi- 
nation romaine;  celle  de  leurs  mœurs ,  de  leurs  usages 
€t  de  leur  population  à  ces  deux  époques.  Dans  aucun 
ouvrage  on  ne  trouvera  des  détails  aussi  amples  que  ceux 
que  nous  fournissons  sur  la  vie  privée  et  publique  des 
Belges.  Les  chapitres  ^qui  traitent  de  la  population  de  la 
Belgique ,  renferment  des  idées  et  des  résultats  entière- 
ment neufs.  Celui  dans  lequel  nous  décrivons  l'état  politi- 
que des  Belges  sous  la  domination  romaine  fournit  égale- 
ment des  vues  neuves  et  des  données  différentes  de  celles  de 
la  plupart  des  auteurs  qui  ont  traité  cette  question. 

Mais  c'est  surtoutdans  le  second  volume  de  notre  ouvrage 
qu  oh  reconnaîtra  toute  l'étendue  de  nos  recherches  et  com- 
bien nos  opinions  diffèrent  de  celles  émises  jusqu'à  ce  jour 
sur  tout  ce  qui  concerne  nos  antiquités  nationales  :  nous  en 
citerons  pour  preuve ,  le  chapitre  qui  traite  de  l'état  poli- 
tique de  l'Empire  Komain  ;  celui  dans  lequel  nous  décri- 
vons les  mœurs  des  Belges  sous  la  domination  romaine  ; 
celui  dans  lequel  nous  donnons  les  détails  les  plus  amples , 
puisés  dans  les  sources  anciennes,  sur  la  topographie,  l'état 
physique  et  l'aspect  de  la  Belgique ,  pendant  les  douze  pre- 
miers siècles  de  l'ère  vulgaire  ;  les  trois  chapitres  qui  con- 
cernent l'histoire  et  la  description  des  villes  de  la  Belgique 
sous  l'Empire  Romain ,  et  dans  lesquels  nous  émettons  des 
idées  nouvelles  sur  la  géographie  de  Ptolémée ,  la  carte 


PREFACE. 

romaine  dite  Table  de  Peutinger,  la  Notice  des  Gaules\ 
ritinëraire  d'Antonin  et  celui  de  Bordeaux  à  Jérusalem  ; 
enfin,  dans  le  livre  II,  les  chapitres  5,  6  et  7,  qui  traitent 
des  mœurs  et  des  usages  des  Bataves ,  des  Frisons,  etc.,  de 
la  topographie  et  de  l'archéologie  des  pays  occupe's  par  ces 
peuples. 

Des  trois  chapitres  composant  Tappendice  qui  termine 
notre  ouvrage,  nous  consacrons  le  premier  à  des  recherches 
sur  l'origine  de  toutes  les  villes  actuelles  de  la  Belgique  et 
de  la  Hollande  ;  le  second  à  des  recherches  semblables  sur 
les  causes  du  développement  de  notre  agriculture  et  de  la 
fondation  de  la  plupart  de  nos  villes ,  bourgs  et  villages. 
Dans  le  troisième  chapitre  nous  donnons  un  catalogue  sys- 
tématique et  raisonné  de  la  plupart  des  écrits  anciens  et 
modernes  relatifs  aux  Celtes,  aux  Germains,  aux  Belges, 
aux  Bataves ,  aux  Frisons  et  autres  peuples  anciens  des 
Pays-Bas. 

En  somme,  nous  nous  croyons  permis  d'avancer  que 
cet  ouvrage,  fruit  de  plusieurs  années  de  travail  et  de  re- 
cherches ,  et  qui  aurait  vu  le  jour  depuis  longtemps ,  si  les 
événemens  politiques  n'en  avaient  arrêté  momentanément 
la  publication  ;  que  cet  ouvrage ,  disons-nous,  diflférera  en- 
tièrement de  ceux  ayant  trait  à  la  même  matière  qui  ont 
été  publiés  jusqu'ici,  et  de  plus  qu'il  sera  celui  qui  donnera 
les  détails  les  plus  complets  sur  l'état  des  Pays-Bas  jusqu'à 
la  fin  de  la  domination  romaine.  Toutefois  nous  ne  sommes 
pas  assez  présomptueux  pour  nous  prétendre  exempt 
de  toute  erreur;  nous  mettrons  à  profit  les  observations 
que  les  savans  daigneront  faire  sur  ce  livre. 


AVANT  ET  DURANT 


LA 


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LIVRE  PREMIER. 


O^'v 


^^ 


PREMIERE  PARTIE. 

LA   BELGIQUE   AVANT   LA  DOMINATION   ROMAINE. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Recherches   sur   l'étendue  de  la  Celtique  ,   sur  l'origine  des  Celtes  et  des 
Celto-Selges  et  sur  leurs  émigrations. 

Cësar  nous  apprend  que  la  Belgique  fut  habitée  dans  le 
principe  par  des  Celtes  (1)  ;  c'est  là  un  fait  généralement 
connu  et  qui  ne  demande  point  d'éclaircissement.  Mais  il 
n'en  est  pas  de  même  du  temps  où  cette  contrée  commença 
à  être  habitée  et  de  l'origine  des  Celto-Belges  ,  ou  plutôt 
des  Celles  en  général  avec  l'histoire  desquels  se  confond 
celle  de  la  Belgique  jusqu'à  l'époque  de  la  conquête  des 
Gaules  par  César  :  car  ce  n'est  c[ue  d'alors  cjue  date  vérita- 
blement l'histoire  de  la  Belgique  ;  ce  qui  est  antérieur  à 
cet  événement  mémorable  se  borne  à  des  faits  détachés  sur 
lesquels  on  n'a  même  cjue  des  données  vagues  et  dou- 
teuses. 

Pour  trouver  l'origine  des  Celtes  nous  n'irons  pas,  comme 

(l)Cœs.  Bell  Gain  II,  c.  4. 

Tome  I.  1 


cjuelques  ailleurs  modernes,  remonter  à  la  cre'ation  cÎq 
monde ,  chercher  avec  Herdér  les  premiers  habitans  du 
globe  dans  la  partie  centrale  de  l'Asie  (1) ,  ni  examiner 
avec  d'autres  si  tous  les  hommes  descendent  d'un  père 
commun,  ou  si,  eu  égard  a  la  grande  variëlë  de  lespèce 
humaine  y  il  n  est  pas  plus  conforme  à  la  saine  raison  de 
croire  chaque  grande  race  d'hommes  originaire  du  pays 
quelle  occupa  dans  le  principe  (2).  L'histoire  primitive 
des  Celtes  est  déjà  enveloppée  de  tant  de  nuages  ,  c]u'il  ne 
faut  point  reculer  au-delà  des  temps  historiques  pour  la 
rendre  plus  obscure  encore  par  des  systèmes  qui ,  quelque 
spécieux  qu'ils  soient,   ne  sont  toujours  que  des  systèmes. 

On  peut  diviser  en  quatre  races  principales  les  nations 
qui  anciennement  ont  peuplé  le  nord  de  l'Europe,  savoir  :  les 
races  finnoise  et  slave  s'étendant  depuis  les  confins  de  l'Asie 
jusqu'à  la  Vistule  et  au  Danube;  la  race  teutonique  placée 
entre  la  Yistule,  la  mer  du  Nord  et  la  mer  Baltique,  le 
Danube  et  le  Rhin  ;  enfin  la  race  celtique  qui  occupait 
l'espace  compris  entre  le  Rhin  ,  l'Océan  ,  la  Méditerranée  , 
les  Alpes  et  les  Pyrénées  (3). 

Nombre  d'auteurs  modernes  ont  assigné  à  la  Celtique 
des  limites  beaucoup  plus  étendues;  quelques  uns  même 
ont  reculé  ses  bornes  jusqu'aux  extrémités  de  l'Europe. 
Trouvant,  plusieurs  siècles  avant  l'ère  vulgaire,  des  peupla- 
des celtiques  dans  le  centre  et  jusqu'à  l'extrémité  septen- 
trionale de  la  Germanie ,  dans  la  Thrace,  l'iilyrie,  la  Grèce, 
l'Espagne ,  l'Italie  et  la  Grande-Bretagne ,  ils  ont  cru  que 
ces  peuplades  étaient  indigènes  ou  originaires  de  ces  pays 
et  n'ont  pas  réfléchi  que  ce  n'étaient  là  que  des  colonies 

(1)  Herder.  Idées  sur  la 'philosophie  de  V histoire  de  Vhmnanité.  trad.  par 
Qninct,  tome  1 ,  p.  38. 

(2)  Rommel ,  Traife'  de  Vorigine  de  la  race  humaine. 

(3)  Mone,  Geschichie  des  hcidenihnms  im  nordlich.  Europa,  V  th. 


sorties  a  différentes  époques  de  la  mère  patrie,  la  véritable 
Celtique,  entre  le  Rhin  ,  les  Alpes  et  les  Pyrénées.  D'après 
ce  taux  système ,  ces  auteurs  n'ont  pas  craint  d'avancer  que 
TEurope  entière  avait  été  peuplée  par  des  Celtes.  Voici 
comme  s'exprime  sur  ce  sujet  l'illustre  Schœpflin  :  «  Les 
géographes,  dit-il ,  se  sont  long-temps  occupés,  mais  pres- 
que sans  succès,  a  découvrir  le  pays  oii  les  Celtes  ont  pris 
naissance.  Leurs  recherches  les  ont  conduits  à  des  opinions 
si  opposées,  que  la  question  n'en  est  devenue  que  plus  ob- 
scure. Cette  incertitude  n'a  d'autre  principe  que  la  celé-  . 
brité  de  ce  peuple  et  des  colonies  tjui  en  sont  sorties  dès 
l'antiquité  la  plus  réculée  pour  se  répandre  dans  les  di- 
verses contrées  de  l'Europe  et  de  l'Asie.  De  la  il  est  arrivé 
que  la  plupart  des  auteurs  ont  négligé  la  première  demeure 
de  ce  peuple  et  en  ont  cherché  l'origine  dans  des  colonies 
qui  étaient  sorties  d'un  pays  indigène;  ils  ont,  par  ce  moyen, 
confondu  les  filles  avec  la  mère.  Quelques  auteurs  font  sortir 
les  Celtes  des  Phrygiens ,  après  la  ruine  du  royaume  de 
Troye;  d'autres  les  disent  originaires  du  Pont-Euxin;  il  y 
en  a  même  qui  les  font  venir  de  la  Grèce  dans  les  Gaules  ; 
au  contraire,  ils  auraient  du  dire  que  des  colonies  celtes 
avaient  passé  des  Gaules  dans  toutes  ces  contrées  éloignées. 
Quelques-uns  voudraient  trouver  l'origine  des  Celtes  chez 
les  Hyperboréens  ;  ceux-ci  croient  qu'ils  habitaient  primi- 
tivement la  plus  grande  partie,  de  l'Europe  ;  ceux-fa  les 
placent  dans  la  Germanie  et  dans  les  Gaules  ;  d'autres  enfin 
otent  aux  Gaulois  jusqu'au  nom  de  Celtes  (1).  » 

Ce  qui  a  particulièrement  contribué  à  confirmer  les  au- 
teurs modernes  dans  leur  faux  système  sur  letendue  de  la 
Celtique,  ce  sont  les  notions  erronées  de  la  plupart  des  écri- 
vains grecs  et  de  quelques  auteurs  romains  sur  cette  vaste 

(1)  SchorpHinl  T'ItuUciœ  Celtlrœ .  trad.  par  de  Chiniac ,  préface. 


4 


contrée.  Voici  de  quoi  provient  l'erreur  de  ces  derniers  : 
Les  Phoce'ens  fondateurs  de  Marseille,  six  siècles  avant  l'ère 
vulgaire ,  ont  les  premiers  parmi  les  Grecs  connu  le  nom 
et  le  peuple  celtique.  Gomme  ce  ne  fut  que  des  Celtes 
voisins  de  Marseille  ,  que  les  Phocéens  eurent  quelque 
connaissance,  ils  supposèrent  dans  leur  ignorance  que 
tous  les  pays  de  l'Europe  au  nord  de  cette  ville  devaient 
être  également  habités  par  des  Celtes;  ils  n'hésitèrent 
donc  pas  a  attribuer  la  dénomination  de  Celtique  a  tous 
les  pays  connus  ou  inconnus  qui  ne  se  trouvaient  point 
au  midi  des  Alpes  (1),  Cette  dénomination  de  Celtique 
donnée  a  une  aussi  vaste  étendue  de  pays  n'a  donc  pour 
fondement  que  l'ignorance  des  Grecs  de  Marseille  qui 
donnèrent  un  nom  vague  et  incertain  à  des  contrées  qui 
leur  e'taient  absolument  inconnues,  et  qui,  ne  connaissant 
que  les  Celtes  de  leur  voisinage ,  ne  purent  savoir  quels 
étaient  les  justes  limites  de  la  Celtique.  Polybe  et  Strabon 
attestent  combien  les  notions  des  plus  anciens  géographes 
grecs  étaient  bornées ,  relativement  a  la  Celtique  (2). 

Le  premier  assure  que  de  son  temps ,  environ  un  siècle 
et  demi  avant  1  ère  vulgaire ,  les  Grecs  ni  les  Romains  ne 


(1)  Strabon  le  fait  entendre  clairement  lorsqu'il  dit  :  Hœc  diximus  de 
Gallis  qui  Narbonensem  provinciam  incolwnt,  qui  quondam  Celiœ  appella- 
banfur,  et  arbitror  ab  Jiis  esse  à  Grœcis  nomen  Celtarum  universis  Galatis  seii 
Gallis  indilum,  ob  (jentis  claritatem;  vel  Massiliensibus  ob  vicinitatem  ad  id 
aliquid  moment i  conferentibus.  (  Strab.,  1.  IV.) 

(2)  Hérodote,  qui  écrivait  420  ans  avant  l'ère  vulgaire,  est  le  plus  ancien 
auteur  {jrec  parvenu  jusqu'à  nous  qui  ait  fait  mention  des  Celtes.  Cet  écrivain 
dit  que  le  Danube  prend  sa  source  dans  la  Celtique  près  de  la  ville  de  Pyrène. 
Dans  ce  peu  de  mots  il  commet  deux  fautes  capitales ,  en  ce  qu'il  prend  les 
Pyrénées  pour  une  ville  et  qu'il  y  place  la  source  du  Danube,  laquelle  se 
trouve  dans  les  Alpes.  (  Herod.  liist  1  II.  )  Aristote  a  aussi  commis  la  der- 
nière erreur  {Meieorol.l.  I,  c.  13  ).  Ceci  démontre  évidemment  combien 
peu  la  Celtique  était  connue  des  plus  anciens  écrivains  grecs  qui  ont  parlé 
£Îe  cette  contrée. 


connaissaient  encore  aucune  partie  des  Gaules  au  nord  de 
la  Narbonnaise.  Strabon  observe  que  Timosthènes,  Era- 
tosthènes  et  tous  les  géographes  qui  les  ont  préce'dës 
n'avaient  que  des  notions  erronées  sur  les  pays  habités  par 
les  Espagnols  et  les  Celtes  et  qu'ils  ont  encore  moins  connu 
la  Germanie  et  la  Grande-Bretagne  (1).  Ces  anciens  écri- 
vains grecs  ont  fait  partager  leurs  erreurs  a  nombre  d'écri- 
vains vivant  a  une  époque  où  déjà  les  victoires  de  César  et 
de  Driisus  avaient  en  partie  dissipé  les  épaisses  ténèbres  qui 
couvraient  Fhistoire  des  Celtes;  en  voici  des  exemples  : 
«  Le  centre  de  la  Gaule ,  dit  Denys  d'Halicarnasse  ,  est  tra- 
versé par  le  Rhin.  On  appelle  Germanie  la  partie  de  la 
Gaule  adroite  de  ce  fleuve,  c'est-à-dire ,  celle  qui  s'étend 
depuis  la  foret  Hercynienne  jusqu'aux  monts  Rhyphées. 
Mais  la  partie  de  la  Gaule  cjui  est  au  midi  du  Rhin  et  s'é- 
tend jusqu'aux  Pyrénées ,  constitue  la  Gaule  proprement 
dite.  Le  tout  est  appelé  Celtique  par  les  écrivains  grecs  (2).  » 
Pausanias ,  Dion  Cassius  et  Suidas  comprennent  sous  la 
même  dénomination  les  Germains  et  les  Celtes. 

Ces  auteurs  plus  récens  cpiEratosthènes  et  Timosthènes 
induisirent  à  leur  tour  en  erreur  des  auteurs  modernes  qui 
ne  manquaient  ni  de  science  ni  de  jugement.  De  ce  nombre 
est  le  célèbre  Cluvier  qui,  dans  son  livre  sur  l'ancienne  Ger- 
manie, avance  que  les  anciens  ont  donné  aux  seuls  Germains 
la  dénomination  de  Celtes.  On  aurait  lieu  de  s'étonner 
qu'un  écrivain  du  mérite  de  Cluvier  soit  tombé  dans  une  er- 


(1)  Atque  in  prœsentià  id  à  nobis  sit  cUctum ,  et  Timosthenein  et  Eratos- 
ihenem,  et  qui  eos  œtate  antecesserunt,  plané  ignaros  fuisse  Hispanicarum, 
Gallicarumque  reriim  :  ac  multis  modis  niagis  Germanicarum  Britannica- 
rum,  Geticarum,  Bastarnicarnmque,  etc.  Eratosthènes  et  Ephore  ctendaienf: 
la  Celtique  jusqu'au  détroit  de  Gibraltar.  (Strab.,  1.  II.) 

(2)  Excerpta  ex  Dione  Ualicarn  1.  XIl-XXX  §  *27.  in  frajjm.  vatic.  ab  Ang. 
Maio,  edit.  tom.  2,  p.  486. 


—  6  — 

reur  aussi  grave,  si,  dans  un  autre  endroit  de  son  ouvrage,  cet 
auteur  n  avait  avance'  gravement  que  les  Germains  ado- 
raient la  trinité  !  Peloutier  pre'tend ,  dans  son  volumineux 
ouvrage  sur  les  Celtes,  que  l'Europe  presque  tout  entière  a 
cte  peuplée  par  des  Celtes.  Ce  système  erroné  lui  fait  sans 
cesse  confondre  les  Scythes ,  les  Germains  et  les  Gaulois , 
et  commettre  une  foule  de  bévues  qui  déparent  singulière- 
ment son  savant  ouvrage. 

Cependant  si  ces  écrivains  et  ceux  cpii  les  ont  copiés 
avaient  pesé  les  paroles  suivantes  du  plus  judicieux  des 
géographes  de  lantiquité,  ils  auraient  adopté  une  toute  au- 
tre opinion  :  «  Les  anciens  écrivains  grecs ,  dit  Strabon , 
comme  nous  le  voyons  dans  Homère,  donnaient  le  nom  gé- 
néral de  Scythes  à  tous  les  peuples  septentrionaux  qui 
leur  étaient  inconnus.  Lorsqu'ils  commencèrent  à  avoir 
quelques  notions  des  pays  occidentaux ,  leur  ignorance 
leur  fit  attribuer  aux  diflférentes  nations  de  ces  contrées  la 
dénomination  unique  de  Celtes  ou  d'Ibères ,  ou,  en  réunis- 
sant ces  deux  noms,  celui  de  Celtibères  et  de  Celto-Scythes. 
Par  la  même  raison  ils  comprirent  sous  le  nom  d'Ethiopie , 
toute  la  partie  méridionale  de  la  terre  (1).  » 

C'est  donc  à  tort  qu'on  a  voulu  étendre  la  Celtique  jus  - 
qu'au  nord  du  Rhin.  César,  Strabon,  Tacite,  Ptolemée  et 
autres  écrivains  anciens  les  mieux  instruits  distinguent  par- 
faitement les  Germains  des  Celtes;  ils  dépeignent  ces  deux 
nations  comme  différant  d'origine,  de  langue,  de  culte,  etc., 

(l)Strab.,l.  IL  •  ^ 

Les  plus  anciens  géographes,  tels  quEphore  et  Scylax,  font  habiter  la 
terre  par  quatre  races  différentes  :  le  nord  par  les  Scythes ,  le  midi  par  les 
Ethiopiens .  l'ouest  par  les  Celtes  et  l'est  par  les  Indiens.  De  même  que  les 
Grecs  donnaient  par  ignorance  le  nom  de  Celtique  h  l'occident  de  l'Europe , 
de  même  les  Turcs  appellent  aujourd'hui  du  nom  général  de  Francs  tous  les 
peuples  européens,  parce  que  les  Français  furent  la  première  nation  de 
l'occident  qu'ils  apprirent  plus  particulièrcmcnl:  h  connaître. 


\ 


-  7  -^ 

et  encore  davantage  par  la  haine  implacable  quelles  se 
vouaient  mutuellement.  Si  nous  leur  trouvons  sous  quel- 
ques rapports  une  certaine  conformité  de  mœurs  et  d'usa- 
ges, ce  n est  point  a  une  origine  commune  quon  doit  lat- 
tribuer  ,  mais  à  1  état  de  barbarie  où  vivaient  les  Germains 
et  les  Celtes ,  conformité  de  mœurs  qui  se  rencontrait  aussi 
dans  les  Scythes  et  cjui  se  retrouve  encore  de  nos  jours 
dans  les  nègres  de  VAfrique  et  les  sauvages  de  FA^meri- 
que  (1).  C'est  que  dans  letat  de  nature  tous  les  peuples 
ont  à  peu  près  les  mêmes  goûts ,  les  mêmes  passions ,  la 
même  manière  de  vivre.  Mais  comprendre  sous  une  même 
dénomination  les  Celtes  et  les  Germains,  ce  serait  commettre 
une  erreur  aussi  grave  c[ue  serait  celle  de  comprendre  sous 
le  nom  de  Français,  les  Espagnols,  les  Allemands ,  les  An- 
glais et  autres  peuples  de  l'Europe  moderne. 

La  Celtique  ne  s'étendait  donc  que  depuis  les  Alpes  et 
les  Pyrénées  jusqu'au  Rhin.  Ce  sont  les  limites  que  lui  as- 
signent César,  Strabon,  Pline,  Tacite,  Pomponius  Mêla, 
Ptolemée,  Denys  Periégète,  Athénée,  Etienne  de  Bysance 
et  Eustache.  La  Belgique  étant  comprise  dans  ces  limites  , 
il  est  inutile  d'observer  c|u'elle  faisait  partie  de  la  Cel- 
tique. 

Quand  et  comment  la  Celtique  et  la  Belgique  commen- 
cèrent-elles a  être  peuplées  et  quelle  fut  l'origine  des  Celtes? 
Ce  sont  la  des  cpestions  qui  ne  peuvent  être  résolues  que 
d'une  manière  vague  et  incertaine.  Les  fables  que  les  an- 
ciens ont  rapportées  sur  l'origine  des  Celtes  prouvent  qu'ils 
n'étaient  pas  mieux  instruits  que  nous  sur  ce  sujet.  Les 
Gaulois  qui  du  temps  de  César  ne  possédaient  encore  au- 
cun ouvrage  écrit  relatif  a  leur  histoire ,  étaient  aussi  peu 

(1)  Voir  Desroches,  Hist.  mic.  des  Pays-Bas  auiricîi.,  i^.  d^.  Guizot, 
Cours  d'hist  mod.  —  1829,  p.  205,  216. 


—  8  — 

en  ëtat  d'avoir  des  notions  concernant  leur  origine  que  les 
sauvages  de  nos  jours.  «  Parmi  les  Thraces,  dit  Élien,  il 
n'y  en  a  aucun  qui  connaisse  les  lettres  ;  en  général  tous 
les  barbares  établis  en  Europe  regardent  la  science  comme 
la  chose  la  plus  vile  et  la  plus  honteuse  à  posséder  (l).»Les 
druides,  les  seuls  parmi  les  Gaulois  qui  se  vouassent  a  Té- 
tude  des  sciences,  n'écrivaient  point  et  ne  permettaient 
pas  que  leurs  élèves  missent  par  écrit  quelque  chose  de  ce 
qu'ils  enseignaient  (2).  Aussi  Origène  rapporte  qu'au  troi- 
sième siècle  de  notre  ère  on  ne  connaissait  encore  aucun 
livre  écrit  par  ces  prêtres  gaulois  :  «  Je  ne  sache  point , 
dit -il ,  que  nous  ayons  aucun  ouvrage  composé  par  des 
druides  (3).  » 

Ce  n'était  donc  que  la  tradition  seule  qui  put  fournir 
aux  Gaulois  d€s  notions  sur  leur  histoire.  D'ailleurs  la 
manière  dont  les  événemens  historiques  étaient  transmis  à 
la  postérité  ,  quand  ils  eussent  été  mis  par  écrit ,  suffisait 
pour  en  dénaturer  la  vérité.  Conservés  dans  les  hymnes 
sacrés  et  les  chants  héroïques  des  bardes,  les  documens  de 
l'histoire  celtique  étaient  corrompus  par  les  fables  et  les 
mythes  les  plus  étranges.  Nous  en  avons  un  exemple  dans 
les  poésies  des  bardes  gallois  et  irlandais  qui  sont  parve- 
nues jusqu'à  nous,  et,  pour  l'histoire  primitive  de  la  Grèce , 
dans  celles  du  barde  grec  Homère  (4). 

(1)  ^liani  Var.  hist.,  1.  VIII,  c.  6. 

(2)  Cœs.,  1.  VI,  c.  4. 

(3)  Origen.  Contra.  Cels.  1.  I. 

(4)  «  A  l'égard  des  ouvrages  de  poésie  que  l'on  faisait  apprendre  aux 
Celtes,  il  yen  avait  dont  le  sujet  était  historique.  On  rapportait  en  abrégé 
l'origine  des  peuples,  leurs  migrations,  leurs  guerres,  et  tout  ce  qui  s'était 
passé  de  remarquable  au  milieu  d'une  nation.  Dès  lors  on  doit  cesser  d'être 
surpris  que  l'ancienne  histoi»'e  fût  mêlée  de  tant  de  fables.  Elle  était  entre 
les  mains  des  poètes  ;  c'est  tout  dire.  On  a  soutenu  que  Lucain  n'était  pas 
poète,  parce  qu'au  lieu  de  se  livrer  à  son  imagination,  non-seulement  pour 


^  9  — 

Aussi  toutes  les  fables  que  les  anciens  ont  débitées  sur 
l'origine  des  Celtes  n'ont  été  puisées  que  dans  des  sovirces 
aussi  corrompues  :  ce  sont  les  bardes  gaulois  et  les  druides 
qui  ont  appris  h  César  que  leur  nation  était  issue  du  dieu 
Dis  (1).  C'est  d'après  une  source  aussi  suspecte  que  Diodore 
de  Sicile  débite  gravement  cju Hercule,  dans  son  expédi- 
tion contre  Géryon  ,  prit  sa  route  par  les  Gaules ,  bâtit  la 
ville  d'Alise,  et  eut  commerce  avec  la  fille  d'un  roi  celte  , 
de  lacjuelle  naquit  un  fils  nommé  Galates;  que  celui-ci  ayant 
succédé  à  son  aïeul ,  donna  à  ses  sujets  le  nom  de  Galates 
dont  est  dérivé  celui  de  Galatie  ou  Gaule.  Ammien  Mar- 
cellin  tâche  de  faire  coordonner  le  récit  de  César  avec  celui 
de  Diodore ,  mais  il  ne  fait  c|ue  compliquer  la  fable  da- 
vantage encore.  «  Les  anciens  écrivains ,  dit-il ,  incertains 
sur  l'origine  des  Gaulois  ne  nous  ont  transmis  que  des  no- 
tions obscures  sur  ce  sujet  ;  mais  dans  la  suite  Timagènes  , 
écrivain  grec  fort  instruit ,  a  tiré  d'un  grand  nombre  d'ou- 
vrages des  faits  ignorés  juscju'alors.  Plein  de  confiance  dans 
la  bonne  foi  de  cet  auteur  ,  et  laissant  de  côté  tout  ce  cpi'il 
y  a  d'obscur  dans  son  récit ,  nous  décrirons  l'origine  des 
Gaulois  d'une  manière  simple  et  lucide.  Les  uns  assurent 
que  les  premiers  habitans  aborigènes  de  la  Celtique  furent 
appelés  Celtes  du  nom  d'un  roi  des  Gaules  qui  se  fit  chérir 
de  ses  sujets,  et  que  du  nom  de  la  mère  de  ce  prince  ils 
reçurent  celui  de  Galates  ;  car  c'est  ainsi  qu'on  désigne  dans 
la  langue  grecque  les  habitans  des  Gaules  D'autres  rap- 
portent que  les  Doriens  vinrent  a  la  suite  du  plus  ancien 
des  Hercules  habiter  les  bords  de  l'océan  dans  cette  con- 
trée. Les  druides  racontent  en  effet  que  les  Doriens  con- 
stituaient une  partie  du  peuple  indigène  des  Gaules,  mais 

le  tour,  mais  pour  Je  fond  même  des  choses,  il  s"était  attache  trop  scrupu- 
leusement h  l'histoire.»  (Peloutier.  Uist.  des  Celles,  tome  2.  p.  212.) 
(1)  Diod.  sicul..  Bihliotli.  hist.  l.  Y. 


—  lo- 
que d'aulres  peuplades,  qu«  des  guerres  fre'queatcs  et  ie  dé- 
bordement de  rocean  ehassèrent  de  leurs  foyers,  vinrent , 
des  lies  les  plus  éloignées  et  des  pays  situes  au-delà  du  Rhin, 
se  joindre  a  eux. 

«  Quelques-uns  disent  eneore  qu  un  petit  nombre  de 
Troyens  échappes  à  la  ruine  de  leur  patrie  se  réfugièrent 
dans  cette  contrée ,  alors  déserte  ,  pour  échapper  a  la  pour- 
suite des  Grecs.  Les  habitans  des  Gaules  eux-mêmes  assu- 
rent ^  et  c'est  ce  cjue  nous  trouvons  aussi  gravé  sur  leurs 
monumens ,  qu  Hercule  ,  fils  cVAmphitrion  ,  après  avoir 
exterminé  les  tyrans  Géryon  etTauriscus,  dont  l'un  infes- 
tait TEspagne  et  l'autre  les  Gaules ,  eut  de  quelc[ues  femmes 
des  familles  les  plus  distinguées  de  cette  dernière  contrée, 
plusieurs  enfans  qui  donnèrent  leur  nom  aux  diverses  par- 
ties des  Gaules  dont  ils  eurent  la  souveraineté  ;  cp'un  peu- 
ple asiatique  abandonnant  dans  la  suite  la  ville  de  Phoeée 
pour  se  dérober  à  la  tyrannie  d'Harpalus ,  préfet  du  roi 
Cyrus  ,  aborda  en  Italie  5  cju'une  partie  de  ces  fugitifs  fonda 
dans  la  Lucanie  la  ville  de  Vélia,  une  seconde  Marseille  dans 
la  Viennoise ,  et  que  lorsqu'ils  devinrent  plus  puissans  , 
ils  bâtirent  plusieurs  autres  villes.  Mais,  dit,  en  terminant, 
Ammien  Marcellin,  ne  poussons  pas  jusqu'au  dégoût  cette 
variété  d'opinions  (1).  » 

A  travers  cet  amas  indigeste  de  fables ,  on  découvre  ce- 
pendant un  certain  fonds  de  vérité;  l'arrivée  d'Hercule 
dans  les  Gaules  et  son  commerce  avec  des  femmes  gauloises 
indicjuent  évidemment  les  colonies  phéniciennes  fondées 
dans  le  midi  des  Gaules  et  leur  alliance  avec  les  Gaulois  : 
ce  Quiconc[ue  réfléchit  à  l'amour  de  l'antiquité  pour  les 
symboles ,  dit  Thierry  ,  cesse  de  voir  dans  l'Hercule  phéni- 
cien un  personnage  purement  fabuleux  ou  une  pure  ab- 

(l)  Amm.  Marccll.  Hist.  vom.,  I.  XV,  c.  9, 


--.  Il  - 

slraction  poeliquo.  Le  dieu  né  à  Tyr  ,  le  jour  même  de  sa 
fondalion;  protecteur  inséparable  de  cette  ville,  où  sa  statue 
est  enchaînée  dans  les  temps  de  périls  publics  ;  voyageur 
intrépide,  posant  les  bornes  du  monde,  fondateur  des 
villes  tyriennes ,  un  tel  dieu  n'est  autre  en  réalité  que  le 
peuple  qui  exécuta  ces  grandes  choses  ;  e  est  le  génie  tyrien 
personnitié  et  déifié.  Tel  les  faits  nous  montrent  le  peu- 
ple, tel  la  fiction  dépeint  le  héros;  et  Ton  pourrait  lire  dans 
la  légende  de  la  divinité  ,  l'histoire  de  ses  adorateurs.  Le 
détail  confirme  pleinement  ce  fait  général;  et  l'on  y  suit 
en  quelque  sorte  pas  à  pas  la  marche,  les  luttes,  le  triom- 
phe ,  puis  la  décadence  de  la  colonie  dont  il  est  le  symbole 
évident  (1).  » 

On  aura  pu  remarquer  que  dans  le  passage  d'Ammien 
Blarcellin  il  n'est  nuilement  question  des  habitans  abori- 
gènes des  Gaules  ;  mais  seulement  de  Phéniciens  ,  de 
Doriens  ,  de  Phocéens,  de  Germains  et  autres  peuples 
étrangers  qui  vinrent  fixer  leur  demeure  dans  cette  con- 
trée à  une  époque  fort  récente  en  comparaison  de  celle  oii 
les  Gaules  durent  recevoir  leurs  premiers  habitans.  L'ori- 
gine du  nom  des  Celles  et  des  Galates  qu'Ammien  Marcellin 
attribue  a  un  roi  gaulois  et  à  sa  mère  n'est  qu'une  version 
différente  ou  une  copie  tronquée  du  récit  de  Diodore  que 
nous  avons  rapporté  plus  haut. 

Flavius  Joseph  prétend  que  Gomer ,  fils  aîné  de  Japhet , 
fut  le  père  commun  et  la  souche  des  Gomarites  que  les 
grecs  appellent,  dit-il,  Galates  ou  Gaulois  (2).  Les  écri- 
vains ecclésiastiques,  tels  que  S^.  Jérôme,  Isidore  de  Sé- 
ville ,  l'auteur  de  la  chronique  pascale ,  Euslache ,  etc. , 
ont  tous  suivi  cette  tradition  biblique  qui  n'a  pas  la  même 

(1)  Thierry,  lîist.  des  Gaulois,  tome  I.  p.  22. 

(2)  Quos  cnim  mine  GaJatas  vocilant  Gomarenses  olim  diclos  Gomurus 
coiîdidiL  (  Flav.  Joseph.  Anliq.  jiidaic.  1.  1,  c.  7.  ) 


-^  12  — 

aiUoritë  auprès  d'un  critique  sage  et  sans  préjuge  de 
secte  (1). 

Telles  sont  les  opinions  émises  par  les  anciens  au  sujet 
de  l'origine  des  Celtes.  Si  tout  y  est  tellement  dénature 
par  la  fable  ,  qu'on  ne  puisse  en  tirer  le  moindre  éclair- 
cissement sur  l'époque  oii  les  Gaules  commencèrent  à  être 
peuplées  ,  comment  prétendrions  nous  être  mieux  instruits 
sur  celle  oii  la  Belgique ,  fraction  très-minime  de  cette 
vaste  région,  reçut  ses  premiers  habilans.  Si ,  comme  l'at- 
testerait la  géologie  delà  Belgique,  cette  contrée  fut  long- 
temps couverte  par  les  flots  de  la  mer  ,  il  paraît  hors  de 
doute  qu  elle  ne  dut  devenir  habitable  et  être  habitée  que 
postérieurement  a  la  majeure  partie  des  autres  contrées  de 
la  Celticjue,  et  que  même  long-temps  après  la  retraite  des 
eaux  de  l'océan,  elle  forma,  comme  la  Bâta  vie,  cette  extré- 
mité des  Gaules  que  Tacite  appelle  extrema  or  a  Galliœ 
cultorihns  vacua  ^  c'est-a-dire  une  terre  déserte  et  couverte 
de  marais  (2). 

Ce  que  les  anciens  ont  dit  sur  Torigine  et  Tétymologie 
du  nom  des  Celtes  ou  Gaulois  n'est  pas  moins  fabuleux  que 

.  (1)  Fila  autem.  Japhet  septem  numerantur:  Gomar  ex  quo  Galatœ,  id  est 
Gain,  etc.  (  Isidori  hispal.,  orig.,\.  IX.  j 

Voir  aussi  M.  de  Fortia  d'Urban .  Tableau  historique  et  géographique  du. 
monde,  depuis  son  origine  jusqu'au  siècle  (C Alexandre,  tome  2.  p.  36. 

«Parmi  les  peuples  qui  ont  adopté  l'histoire  de  Moïse,  dit  Gibbon,  l'arcbe 
de  Noë  est  devenue  ce  que  le  siège  de  Troye  avait  été  pour  les  Grecs  et  les 
Romains.  Sur  la  base  étroite  de  la  vérité,  l'imagination  a  placé  l'immense 
colosse  de  la  fable.  Ecoutez  l'orgueilleux  irlandais  :  il  peut ,  aussi  bien  que 
les  sauvages  des  déserts  de  la  Tartarie,  vous  montrer  dans  un  fils  de  Japhet 
la  tige  d'où  sont  sortis  ses  ancêtres  ;  le  dernier  siècle  a  produit  une  foule  de 
savans  d'une  érudition  peu  profonde  et  d'un  esprit  crédule,  qui.  guidés  par 
la  lueur  incertaine  des  légendes,  des  conjectures  et  des  étymologies,  ont 
conduit  les  enfans  et  les  petits  fils  de  Noë ,  depuis  la  tour  de  Babel  jusqu'aux 
extrémités  de  la  terre.  »  (  Gibbon,  Histoire  de  la  décad.  de  l'empire  romain, 
tome  2 ,  c.  9.  ) 

(2)  Des  Roches.  Ilist.  anc.  des  Pays-Bas  aulrich.,  p.  17. 


-   13  — 

ce  qu'ils  ont  avancé  sur  l'origine  de  la  nation  celtique 
même.  Parthenius  fait  dériver  le  nom  de  Celtes  de  Cel tus  fils 
d'Hercule ,  et  celui  de  Gaulois  de  Galates ,  autre  fils  de  ce 
demi-dieu  (1).  Diodore  de  Sicile  attribue  l'origine  de  ces 
deux  noms  a  Celtus  et  à  Gallus ,  fils  de  Polyphème  et  de 
Galathée.  On  retrouve  ici  cet  orgueil  des  Grecs  qui  rap- 
portaient l'origine  de  toutes  choses  a  leur  propre  mytholo- 
gie ou  histoire.  Au  reste  presque  tous  les  peuples  anciens 
se  sont  dits  descendus  d'un  dieu  ou  d'un  héros  et  en  ont 
dérivé  leur  nom;  si  les  Grecs  ont  trouvé  l'étymologie  du 
nom  des  Gaulois  ou  Celtes  dans  celui  d'un  Gallus ,  d'un 
Galates  et  d'un  Celtus  ;  les  Teutons  ont  dérivé  le  leur  d'un 
Tuisto  ou  Teutso;  les  Pannoniens  d'un  Pannonius;  les 
Dardaniens  d'un  Dardanus;  les  Francs  d'un  Francus  ou 
Francien  ;  les  Bataves  d'un  Bato  ;  les  Frisons  d'un  Friso,  etc. 

S*.  Jérôme  et  Isidore  de  Séville  font  venir  le  nom  des 
Gaulois  du  grec  ?(xa«  lait ,  a  cause  de  la  blancheur  de  la 
peau  des  Gaulois.  Pour  que  cette  étymologie  eut  quel- 
qu'ombre  de  vraisemblance ,  il  faudrait  non-seulement  que 
la  langue  grecque  existât  déjà  lorsque  la  dénomination  de 
Celtes  prit  son  origine  ,  mais  encore  qu'elle  fut  la  langue 
des  Celtes  eux-mêmes,  ou  du  moins  que  la  Celtique  fût 
alors  connue  des  Grecs. 

De  tous  les  auteurs  anciens,  Denys  d'Halicarnasse  est  le 
plus  prolixe  sur  ce  qui  concerne  le  nom  des  Celtes.  Voici  ce 
qu'on  trouve  sur  ce  sujet  dans  les  fragmens  des  ouvrages 

(1)  Suivant  Pausanias  et  César  le  nom  de  Gaulois  Gallus  est  d'une  ori- 
gine plus  récente  que  celui  de  Celte,  Cella.  César  en  attribue  même  lorigine 
aux  Romains  :  qui  ipsorum  liiigua  Cellœ ,  nostra  Galli  acipellanlur.  (Bell, 
gall-,  1.  I,  c.  1.)  Le  nom  de  Gaulois  aurait  donc  été  inconnu  aux  habitans  de 
la  Celtique  et  ce  que  Parthenius,  Diodore  de  Sicile,  etc..  disent  d'un  Galates 
et  d'un  Gallus  serait  une  fable  inventée  par  les  Grecs  ou  les  Romains ,  ou 
plutôt  par  les  Phéniciens ,  mais  non  par  les  druides  qui  d'ailleurs  n'avaient 
rien  de  commun  avec  la  mythologie  de  l'orient. 


—  14  - 

pei'dns  de  cet  auteur,  fragmens  publiés  par  Angelo  Maio  : 
«La  Celtique  a  reçu  son  nom  d'un  géant  nommé  Celtus  qui 
eut  la  souveraineté  de  cette  contrée.  D'autres  rapportent 
que  la  Celtique  fut  ainsi  nommée  par  deux  de  ses  rois 
Iberus  et  Celtus,  fils  d'Hercule  et  de  Sténope,  fille  d'Atlas. 
D'autres  encore  sont  d'avis  que  le  fleuve  Celta  qui  prend 
sa  source  dans  les  Pyrénées,  communiqua  son  nom,  d'abord 
aux  lieux  qu'il  parcourait  et  ensuite  a  toute  la  Celtique. 
11  en  est  enfin  qui  prétendent  que  les  Grecs  ayant  abordé 
avec  une  flotte  au  détroit  Gallican,  et  s'étant  rendus  maître 
du  territoire  voisin,  appelèrent  celui-ci  Celsique  en  mé- 
moire de  leur  victoire ,  et  que  dans  la  suite  on  changea  ce 
nom  en  celui  de  Celtique  (1).  » 

Toutes  ces  étymologies,  comme  on  le  voit ,  n'ont  pas  plus 
de  vraisemblance  que  celles  rapportées  par  les  auteurs 
précédens,  et  c'est  avec  justesse  qu'Ammien  Marcellin, 
considérant  toutes  ces  fables,  observe  que  les  anciens  écri- 
vains n'ont  avancé  que  des  faits  douteux  et  remplis  de  con- 
tre^ dictions  sur  Torigine  du  nom  et  de  la  nation  celtique. 
Nous  n'avons  fait  connaître  tous  ces  rapports  apocryphes 
et  contradictoires  que  pour  faire  sentir  au  lecteur  de  quelle 
impénétrable  obscurité  est  couverte  l'histoire  primitive 
des  Gaulois  et  des  Belges;  et  démontrer  que  les  anciens, 


[\)  Dicilur  Celtica,  ut  quidem  nonnuîli  aiunt,  à  giganthe  Cello  qui  ihi 
rcgnaverit  :  aîii  verà  ex  Hercule  et  à  Sterope  Atlantide  duos  genilos  fabu- 
luntur  liheros  Iherum  et  Celtum  qui  regionihns  uhi  imperitaverunt.  sua  no- 
7iiina  indiderint.  Deniqne  alii  aiunt  fiuvinm  esse  quemdam  Celtam  ù  Pyre- 
nœis  labentent  à  quo  primum  regio  pro.vima,  mox  reliquats  tractus  jjrocessii 
temporis  rocilatus  sit  celtica,  Aiunt  prœierea  quidam  grœcos  primiun  ad 
haiic  regionem  vectos  ajypulisse  naves  ad  sinum  gallicum  :  viros  anteni  terra 
potitos  eam  cclsicam  appellasss,  quod  nomen,  secundum  grœci  rerhi  etgmn- 
logiam,  casum  illum  significahat  :  quam  posteri  ima  liiicra  immutata  Cel- 
ticam  dixerunt.  (Exccrpta  ex  Dionc  in  fragm.  vatic.  ab  Anjv.  Maïo  edit, 
jtome  2,  p.  48G). 


lorsqu'ils  écrivaient  sur  une  époque  éloignée  et  peu  con- 
nue ,  n'aimaient  pas  moins  les  fables  et  le  merveilleux  que 
les  ignares  chroniqueurs  du  moyen  âge  (1). 

Bien  des  auteurs  modernes  n'ont  pas  donné  avec  moins 
d'assurance  dans  ces  travers;  et  si  les  anciens  ont  rapporté 
beaucoup  de  faits  ridicules  sur  notre  histoire  primitive  ,  il 
est  des  auteurs  modernes  qui  les  ont  encore  surpassés  sous 
ce  rapport.  En  effet,  quoi  de  plus  absurde  que  l'étymologie 
que  le  célèbre  philosophe  et  politique  Bodin  a  donnée  du 
nom  de  Celtes  qu'il  dérive  d'un  mot  grec  qui  signifie  ches>al 
de  selle,  et  celle  de  la  dénomination  de  Gaulois  qui  aurait 
signifié  où  allons  nous  F  Paroles  que,  suivant  cet  auteur, 
les  Gaulois  s'adressaient  les  uns  aux  autres  en  pirtant  pour 
quelqu'expédition  (2).  Goropius  Becanus,  cet  intrépide  et 
ridicule  étymologiste,  n'est  pas  moins  plaisant  lorsqu'il 
dérive  le  nom  des  Celtes  du  mot  prétendu  cimbrique  kelt 
(  tue  )  ;  parce  que  les  Celtes  en  marchant  au  combat  s'é- 
criaient,  suivant  le  bon  Goropius ,  Â:e/f ,  kelt  (3),  (tue, 
tue  )  ,  ou  du  mot  flamand  gelt ,  argent  monnayé ,  à  cause 
que  les  Celtes  se  mettaient  à  la  solde  des  puissances  étran- 
gères.  Quant  au  mot  Gaulois ,  il  le  déduit  de  gai-lie  ou 

(1)  Ceux  qui  aiment  a  connaître  les  fables  absurdes,  inventées  par  les  écri- 
vains du  moyen  âge,  sur  l'origine  et  Ihistoire  ancienne  de  la  Belgique  et 
de  la  Celtique  en  général,  trouveront  à  se  satisfaire  dans  le  Tableau  historique 
et  géographique  du  monde  depuis  son  origine  Jusqu'au  siècle  d' Alexandre, 
par  M.  de  Fortia  d'Urban,  et  dans  V Histoire  du  Ilainaut,  par  Jacques  de 
Guise,  moine  récollet  du  Î4®  siècle,  publiée  par  le  même  auteur.  Nous  avons 
donné  une  analyse  critique  de  la  plupart  de  ces  traditions  romanesques  dans 
notre  mémoire  sur  les  ressources  quon  trouve  dans  les  chroniqueurs  et  autres 
écrivains  du  moyen  âge,  pour  Vhistoire  de  la  Belgique  avant  et  pendant  la 
domination  romaine,  mémoire  couronné  par  Tacaclémie  royale  des  sciences 
et  belles-lettres  de  Bruxelles,  en  1835. 

(2)  Bodin,  Méthode  histor.,  c.  9. 

(3)  En  flamand  leelen  signifie  couper  la  gorge.  Pour  Goropius  Becanus. 
le  flamand  et  le  celtique  ne  sont  qu'une  seule  et  même  langue. 


—  16  - 

gai-lat,  peuple  gai ,  extérieur  gai.  On  trouvera  dans  Tliis- 
toire  des  Gaulois  par  Picot,  (tome  ,  1,  cliap.  1),  une  foule 
d'autres  ëtymologies  du  nom  des  Celtes  et  Gaulois  qui  ne 
prouvent  pas  plus  de  bons  sens  dans  leurs  auteurs. 

De  toutes  les  étymologies  modernes  du  nom  des  Gaulois , 
une  des  plus  raisonnables  est  celle  c[ui  dérive  ce  nom  du 
celtique  gœl  ou  gœll  (en  flamand  geel) ,  c[ui  signifie  jaune 
(  ou  roux)  ,  couleur  naturelle  de  la  chevelure  des  Celtes  , 
ou  plutôt  de  gicaltog  ou  gualtoch ,  chevelus ,  parce  c[ue  les 
Gaulois  portaient  les  cheveux  longs  et  pendants.  Cependant 
lopinion  c|ue  nous  adopterions  de  préférence,  est  celle  cjui 
dérive  le  mot  Gaulois  ducelticjue  galloud^  courage ,  gallou- 
dec ,  courageux.  Celte  étymologie  a  été  aussi  adoptée  par 
Strabonqui  dit  cjue  les  Gaulois  tiraient  leur  dénomination 
de  leur  courage  et  de  leurs  hauts  faits  d'armes  (1), 

Si  l'origine  des  Celtes  est  enveloppée  d'épais  nuages  ,  s'il 
nous  est  impossible  de  savoir  quand  et  comment  les  Gaules 
ont  commencé  a  être  habitées,  au  moins  pouvons  nous 
dire  avec  certitude  cju'elles  l'étaient  dès  la  plus  haute  anti- 
quité. Elles  l'auraient  même  été  avant  l'Italie  ,  s'il  est  vrai 
que  les  Ombriens  que  Florus  et  Plu taixjue  regardent  comme 
les  plus  anciens  habitans  de  cette  dernière  contrée  (2) , 
fussent  d'origine  gauloise  comme  l'avancent  Solin,  Servius, 
Isidore  de  vSéville,  Jornandes  etTzetzes  (3);  ce  qui  détrui- 
rait l'hypothèse  de  Durandi ,  qui  croit  que  les  premières 
peuplades  de  la  Celtique  sont  venues  de  l'Italie  ,  et  que  les 

(1)  Strabo,  1.  IV.  La  Tour  d'Auvergne,  Orùj.  gaul,  p.  210  et  suiv. 

(2)  Florus,  Epit  hist.  rom.^  1.  I,  c.  17,  Plutarch.,  1.  III,  c.  14. 

[^)  Bocchus  ahsolvit  Gallorum  veteruvi  propaginem  Umhros  esse,  (Solini 
polyhistor,  c.  8).  Saîie  umhros  Gallorum  veterum  propaginem  esse  M.  Antonius 
refert,  (Servius  in  iEneid.  ad  finem.  ).  Vmhri  Italiœ  genus  est  Gallorum 
veteruvi  propago.  (  Isidori  hispal.  orig.^  1.  IX,  c.  2).  cf^fipoi  yéuoç  yaXaTÛov 
(Tzetzes  schol.  Lycophr.)  Gallis  progenitoribus  Vmbroriim  (Jornandes,  de 
reb.  getic.) 


~  17  — 

Celtes ,  après  avoir  passe  de  l'Asie  dans  riUyrie,  traversèrent 
les  Alpes  de  la  Carniole  et  vinrent  se  fixer  dans  l'Italie  et 
delà  dans  l'Espagne  et  les  Gaules  (1). 

S'appuyant  de  l'autorité  d'Ammien  Marcellin  dans  le 
passage  de  cet  auteur  que  nous  avons  rapporté  ci-devant, 
sur  celle  de  Plularque  et  de  Florus,  et  sur  les  traditions  , 
fort  suspectes  ,  des  peuples  de  la  Grande-Bretagne , 
Thierry  prétend  qu'au  1^  siècle  avant  notre  ère  (  631  à 
785)  une  grande  partie  des  Ci mbr es  ou  Kymris,  chassés 
des  bords  du  Palus-Méotide  et  du  Pont-Euxin  ,  par  des 
hordes  scythiques ,  remontèrent  les  vallées  du  Danube  ; 
qu'une  horde  nombreuse  de  ce  peuple  errant ,  conduite 
par  Hu  ou  Hésus  le  puissant ,  chef  de  guerre  ,  prêtre  et  lé- 
gislateur ,  passa  le  Rhin  et  se  précipita  sur  le  nord  des 
Gaules  et  la  côte  de  l'Océan  ou  l'Armorique;  qu'elle  poussa 
les  Galls  ou  Gaulois  ,  habitant  ces  régions ,  vers  la  partie 
centrale  de  la  Celtique ,  entre  les  Vosges  et  les  montagnes 
de  l'Auvergne  ;  qu'une  partie  de  ces  Gaulois  envahit  à  son 
tour  l'Italie  sous  la  conduite  de  Bellovèse ,  dans  la  première 
moitié  du  quatrième  siècle  avant  J.-C.  ;  enfin ,  que  vers  la 
même  époque  une  autre  horde  de  Kymris ,  demeurée  a  la 
droite  du  Rhin  ,  passa  également  ce  fleuve  ;  mais  que  re- 
poussée par  les  Kymris  déjà  maîtres  de  la  Belgique  ,  elle 
traversa  les  Gaules ,  €t ,  sous  le  nom  d'iVrecomikes  et  de 
Tectosages,  s'empara  d'une  partie  du  pays  situé  entre  le 
Rhône  et  les  Pyrénées  orientales.  «  Séparées  l'une  de  l'au- 
tre par  la  seule  chaîne  des  Cévennes ,  dit  Thierry,  les  tri- 
bus Arecomike  et  Tectosage  formèrent  une  nation  unique , 


(  l )  Durandi,  saggio  sulla  storia  degli  antichipopoli  d'Italia. — Les  Ombri ens 
habitèrent  premièi^eraent  le  nord  de  Tltalie  et  chassèrent  des  plaines  cispa- 
danes  les  Sicules  qui,  vers  Van  1364  avant  l'ère  vulgaire,  furent  obligés 
d'émigrer  en  Sicile  (Thierry,  Hist.  des  GauL,  tome  1  ). 

Tome  I.  2 


—  18  — 

qui  continua  de  porter  le  nom  de  Belg  que  ses  voisins  les 
Galls  et  Ibères  prononçaient  Boig ,  Volg  ou  Volk  (1).  » 

Quelque  spécieux  que  paraisse  ce  système,  on  peut  y 
opposer  bien  des  objections  ;  car  d  abord  Hérodote  ,  le  plus 
ancien  des  historiens  grecs  et  presque  contemporain  de 
lemigration  des  Cimbres ,  dit  formellement  que  ceux-ci 
s  e'tablirent  dans  l'Asie  mineure  ,  mais  point  cju'après  leur 
expulsiondesbords  delà  mer  noire  ils  remontèrent  les  val- 
lées du  Danube  pour  se  jeter  sur  les  Gaules.  En  second 
lieu,  César,  Tite-Live,  Polybe,  Tacite  ni  aucun  autre  auteur 
ancien  n'ont  attribué  l'invasion  de  l'Italie  par  Sigovèse  à 
l'expulsion  de  ce  chef  celte  des  Gaules    par  les  Cimbres , 
mais  à  des  causes  toutes  différentes.  Comment  d'ailleurs  Bel- 
lovèse,  chef  d'un  autre  corps  de  Gaulois  émigrans,  eut-il  pu, 
à  la  même  époque,  passer  le  Rhin  et  s'établir  dans  le  cen- 
tre de  la  Germanie ,  lorsque  les  Cimbres  avaient  non- seu- 
lement envahi  cette  contrée ,  mais  refoulé  vers  le  centre 
des  Gaules ,  les  Celtes  qui  habitaient  les  provinces  de  la 
Celtique  voisines   du  Uhin  ?  En  troisième  lieu  ,  Thierry 
commet  une  erreur  manifeste  lorsqu'il  fait  passer  pour 
Cimbres  toutes  les  peuplades  qui  occupaient  la  Belgique 
actuelle ,  lors  des  conquêtes  de  César ,  à  l'exception  des 
Segniens ,  des  Pémaniens  ,  des    Condrusiens  et  des  Céré- 
siens;  tandis  que  suivant  César,  Tacite  et  Dion  Cassius, 
l^s  Nerviens,  les  Ménapiens,  les  Eburons  et  généralement 
tous  les  Belges  excepté  les  Atuatic[ues,   étaient  d'origine 
germanique  (2).  Enfin  les  preuves  sur  lesquelles  s'appuie 
Thierry  pour  faire   des  Arecomics  et  des  Tectosages  des 
peuples  belges  ,  n'ont  pas  plus  de  fondement;  ces  preuves 
sont  :  que  les  anciens  Irlandais  appelaient  les  Belges  Fir- 
bholgj  et  qu'Ausone  rapporte  que  les  Tectosages  portaient 

(1)  Thierry,  Ilist.  des  Gaul.,  t.  I. 

(2)  Dût.  de  la  conrers.  au  mot  Belgique. 


-  19  — 

originairement  le  nom  de  Bolges  (1).  Le  passage  du  dis- 
cours de  Cicëron  pour  Fonteius,  allègue  par  Thierry,  ne 
prouve  pas  davantage  (2) ,  de  même  cjue  les  paroles  de 
S^  Jérôme  qui  dit  que  de  son  temps  les  Tectosages  et  autres 
peuplades  de  la  Galatie,  originaires  des  Gaules,  parlaient 
la  même  langue  que  les  Trëviriens  ;  car  il  est  connu  que 
les  Trëviriens  étaient  d'origine  teutonique  et  non  cel- 
tique (3). 

Nous  ne  commençons  a  avoir  quelques  notions  certaines 
sur  les  Celtes  ou  Gaulois  qu'au  temps  de  la  fondation  de 
Marseille  par  les  Phocéens ,  vers  l'an  600  avant  l'ère  vul- 
gaire. A  cette  époque  les  Celtes ,  plus  puissans  et  plus  nom- 
breux que  les  peuples  voisins  ne  se  contentèrent  pas  de 
posséder  la  vaste  étendue  de  pays  comprise  entre  les  Pyré- 
nées, les  Alpes  et  le  Rhin;  ils  s'emparèrent  d'une  grande 
partie  de  l'Espagne,  de  Tltalie ,  de  la  Germanie,  de  la  Dal- 
matie  et  de  l'Asie  Mineure ,  où  ils  fondèrent  de  nombreuses 
colonies  (4)-  Une  des  plus  anciennes  de  ces  colonies  est  celle 
qui  occupa  une  portion  considérable  de  l'Espagne,  savoir, 
toute  la  côte  depuis  le  cap  Finisterre  jusque  vers  l'embou- 
chure du  Guadalquivir  et  une  grande  partie  de  TArragon  , 
de  la  Castille  et  la  Gallice  en  entier.  Les  Gaulois  établis  en 
Espagne  y  furent  connus  sous  le  nom  de  Celtibériens  et  de 
Carpetans.  Leur  émigration  doit  avoir  eu  lieu  avant  Tannée 
535  de  la  fondation  de  Rome ,  année  oii  commença  la  se--È^:^ 
conde  guerre  punique  dans  laquelle  on  voit  figurer  les 
Celtibériens  (5). 

(1)  Tectosages  primo  nomine  Bolgas,  (  Auson.  de  cîaris  urhih.  — Narbo.) 

(2)  Belgarum  Allohrogumque  testi?tio?iiis    credere  non  iimetis.  (  Cicéro , 
pro  Man.   Fonteio.  ) 

(3)  Taclt.  de  Morib.   Germ.,  c.  28. 

f4)  Il  s'entend  de  sol-même  que  ce  n'étaient  pas  là  des  colonies  telles  que 
nous  l'entendons  aujourd'hui ,  mais  des  occupations  armées. 
(5)  Sil.  ital.,  1.  lïl,  Tit.  Liv.,  1.  XXII,  c.  21. 


—  20  — 

On  ignore  si  des  peuples  de  la  Belgique  actuelle  j^artici- 
pèrentaux  expéditions  des  Celtes  en  Espagne;  il  paraît  au 
moins  probable  qu  a  la  même  époque  le  nom  de  Belgique 
e'tait  déjà  connu  et  que  des  peuplades  belges  fondèrent 
plusieurs  colonies  en  Angleterre  et  en  Irlande.  Les  anciens 
poèmes  des  bardes  bretons  et  gallois  rapportent  que  deux 
colonies  celtiques ,  la  tribu  des  Lloegrians  venue  de  la  Gas- 
cogne (Gwasgw/n),  et  les  Brythons  de  l'Armorique ,  se  fixè- 
rent dans  la  Grande-Bretagne.  Le  vénérable  Bede  parle 
aussi  des  Bretons  venus  de  l'Armorique  et  des  fugitifs  de 
la  Flandre  {Galedin) ,  qui ,  forcés  de  s'expatrier  à  cause 
d'une  grande  inondation  qui  avait  dévasté  leur  territoire, 
abordèrent  en  Angleterre  où  les  Cymry  leur  donnèrent 
asile  (1).  César  dit  positivement  que  les  cotes  de  l'Angle- 
terre étaient  habitées  par  des  peuples  d'origine  belge  qui 
avaient  donné  aux  districts  de  leur  nouvelle  patrie  des 
noms  analogues  à  ceux  que  portaient  les  différens  en- 
droits de  leur  patrie  primitive  (2).  Il  n'est  donc  pas  éton- 
nant de  voir  Ptolemée  placer  dans  la  Grande-Bretagne  un 

(1)  Beda,  Hist.  eccles.  Angliœ.,  1.  I,  c.  1,  Roberts ,  Sketch  of  the  early 
hisiory  of  the  cymry  or  ancients  Bretons  from  the  year  700  hefore  christo 
to  a.  d.  500. 

(2)  Britanniœ  pars  inlerior  ab  us  incolitvr,  quos  natos  in  insulâ  me- 
moriâ  proditum  dicunt.  Maritima  pars  ah  Us  qui  prœdœ  ac  helli  inj^erendi 
causa  ex  Belgio  transierant  ;  qui  omnes  ferè  Us  civitatum  nominibus  appel- 
lantur,  quibus  orti  ex  civitatibus  eô  pervenerunt,  et  belle  illato  ibi  reman- 
serunt,  atque  agros  colère  cœperunt.  (  Cœs.  bel.  gall.,  1.  V,  c.  13.  Tacit. 
vita  Agricolœ  .  c.  11.) 

Des  Anglais,  aussi  amis  du  merveilleux  que  De  Grave,  Lambiez  et  le 
marquis  de  Fortia,  prétendent  que  trois  siècles  avant  la  descente  de  César 
en  Angleterre,  cette  île  était  peuplée  de  plus  de  trois  millions  de  Belges! 
La  population  de  la  Grande-Bretagne  entière  ne  s'élevait  probablement  pas 
a  la  moitié  de  ce  nombre.  (Peignot,  Notice  sur  la  langue  anglaise,  à  la 
suite  du  Tableau  de  mœurs  au  dixième  siècle,  ou  la  cour  et  les  lois  de 
Howel-le-Bon.  Paris,  1832,  p.  86;  et  de  Reiffenberg,  JEssai  sur  la  statis- 
tique ancienne  de  la  Belgique,  2«  partie,  p.  5.) 


-^  21  — 

lieu  appelé  Venta  Belgarum  ,  et  un  autre  portant  le  nom 
de  Calleva  Atrebatinn  (1). 

Dans  les  poèmes  cFOssian  il  est  dit  que  les  Belges  (F«r- 
bolgs) ,  après  avoir  longtemps  habité  les  côtes  méridionales 
de  l'Angleterre  ,  allèrent  s'établir  en  Irlande  sous  la  con- 
duite d'un  de  leurs  chefs  nommé  Larton.  Si  Ton  pouvait 
ajouter  quelque  foi  au  récit  de  Blageoghean  ,  historien 
irlandais  un  peu  trop  crédule  ,  Fémigration  des  Belges  de 
l'Angleterre  dans  l'Irlande  ,  remonterait  a  une  époque  des 
plus  reculées.  Après  avoir  rapporté  de  quelle  manière  les 
Némédiens,  deuxième  colonie  d'étrangers  établie  en  Irlande 
quelques  siècles  après  le  déluge ,  furent  expulsés  de  cette 
île  par  les  Fomoriens  ou  Fomoraighs  que  l'auteur  croit 
aussi  d'origine  belge ,  Mageoghean  parle  de  l'émigration 
des  Belges  de  l'Angleterre  en  Irlande  dans  les  termes  sui- 
vans  :  «  quelque  temps  après  (l'expulsion  des  Némédiens), 
les  Firbolgs  ou  Belgiens,  autre  peuple  de  la  Grande-Bre- 
tagne ,  au  nombre  de  cinq  mille  personnes ,  commandés 
par  cinq  chefs ,  soit  par  la  défaite ,  soit  par  la  désertion  des 
Fomoriens,  prirent  possession  de  cette  isle.  Ces  cinq  chefs 
furent  Slaingey ,  Rug-Rhughe  ou  Bory  ,  Gann,  Geanan  et 
Sengan ,  tous  pères  et  enfans  delà  race  des  Némédiens.  Ils 
partagèrent  l'Isle  en  cinq  parties  et  provinces  et  donnèrent 
naissance  a  la  pentarchie ,  qui  a  duré  avec  peu  d'interrup- 
tion jusqu'au  douzième  siècle.  Slaingey ,  gouverneur  de  la 
Lagenie,  fut  le  chef  de  la  pentarchie  et  monarque  de  toute 
l'isle.  Ce  peuple  fut  connu  sous  trois  différens  noms,  sa- 
voir ,  de  Galieniens ,  de  Damnoniens  et  de  Belgiens  ;  mais 
ce  dernier  était  le  nom  générique  de  toute  la  colonie,  et  leur 
domination  subsista  environ  80  ans ,  sous  neuf  rois  qui  fu- 


(1)  On  croit  que  la  ville  de  Winchester  occupe  aujourd'hui  remplacement 
de  Venta  Belgarum  et  celle  de  llcnlei  la  place  de  Calleva  Atrehatum. 


—  22  — 

rent  Slaingey,  Rory  ,  Gann,  Gëanan,  Seugan  ,  Fiagïia , 
Rionall ,  Fiobgin  el  Eogha  qui  épousa  Tailte  ,  fille  d'un 
prince  d'Espagne  qui  donna  son  nom  au  lieu  de  sa  sépul^ 
ture,  qui  s'appelle  encore  Tailton  dans  la  Medie  (1).  » 

Quelque  fabuleuse  que  soit  lliistoire  primitive  de  l'Ir- 
lande, quelque  peu  de  croyance  que  méritent  les  faits^ 
rapportes  par  Mageoghean,  et  quoique  Ton  aitconeu  a  juste 
titre  des  doules  sur  Tauthenticitë  des  poèmes  d'Ossian  eux- 
mêmes,  il  est  croyable  qu  a  une  e'poque  inconnue,  des  colo- 
nies belges  furent  fondées  en  Irlande  comme  en  zVngleterre. 
Ptoleme'e  place  dans  la  première  de  ces  îles  un  endroit  ap- 
pelé Mena  fia  nom  qui  retrace  celui  des  Ménapiens  de  la. 
Flandre. 

Mais  Fémigration  gauloise  la  plus  célèbre  fut  celle  cjui 
eut  lieu  vers  Tan  589  ou  591  avant  Tère  vulgaire,  lorsque 
300,000  Celtes  passèrent  les  Alpes  et  le  Rhin  sous  la  con- 
duite de  Belîovèse  et  de  Sigovèse  ,  neveux  d'Ambigat,  roi 
des  Bituriges,  peuple  qui  était  alors  investi  de  la  supré- 
matie sur  presque  toute  l'étendue  de  la  Celtique. 

Les  Gaulois,  commandés  par  Belîovèse,  s'emparèrent  de 
l'Italie  supérieure  d'oii  ils  expulsèrent  les  Tusces.  Vers 
l'an  587  une  troupe  de  Cénomans  passa  également  les  Alpes 
et  vint  s'établir  sur  le  territoire  de  Brescia  et  de  Vérone. 
Ces  Cénomans  furent  suivis  par  les  Salluvieiis  cjui  se  fixè- 
rent dans  les  environs  du  Tésin.  Peu  de  temps  après  les 
Boiens  et  les  Lingons  passèrent  le  Po  et  chassèrent  de  la 
Cispadane  les  Tusces  et  les  Ombriens.  Enfin  les  Senons  vin 
rent  s'emparer  de  la  partie  de  l'Italie  qui  s'étendait  depuis 
la  rivière  d'Ubis  jusqu'à  celle  d'Osis.  Ce  furent  ces  derniers 
epi,  environ  deux  siècles  après,  assiégèrent  Clusium  et 
Rome  (2).  Diodore  de  Sicile  et  Strabon  comptent  aussi 

(1)  Mageoghean,  Histoire  de  l'Irlande,  tome  1,  p.  61. 

(2)  Tit.  Liv.,  1.  V,  Justin,  1.  XXIV,  c.  4,  Poljb.,  I.  IL 


—  23  — 

parmi  les  Gaulois  qui  envahirent  lllalie  supérieure  les 
Venetes ,  les  Insubriens  et  les  Liguriens.  Toute  la  partie  de 
l'Italie  occupée  par  des  colonies  celtiques  reçut  des  Romains 
le  nom  de  Gaule  Cisalpine. 

Les  Celtes  qui,  au  nombre  de  150,000,  passèrentle  Rhin 
sous  la  conduite  de  Sigovèse  devinrent  encore  plus  puis- 
sans  et  s'étendirent  beaucoup  plus  loin  que  ceux  qui  émi- 
grèrent  en  Italie  :  «  Il  fut  un  temps  ,  dit  César,  à  ce  sujet, 
où  les  Gaulois  surpassaient  les  Germains  en  valeur ,  leur 
faisaient  une  guerre  opiniâtre  et  envoyèrent  de  nombreu- 
ses colonies  dans  la  Germanie  pour  décharger  les  Gaules 
d'une  population  trop  nombreuse,  a  laquelle  le  sol  gaulois 
ne  pouvait  fournir  la  subsistance.  Ainsi  les  Volces-Tectosa- 
ges  s'emparèrent  des  contrées  les  plus  fertiles  autour  delà 
forêt  Hercynienne  (1).  »  Tacite  rappelant  ce  passage  des 
Commentaires  de  César  ,  dans  son  ouvrage  sur  la  Germanie, 
y  ajoute  l'observation  suivante  :  «  En  effet  un  fleuve  (le 
Rhin  ) ,  quel  faible  obstacle  a  la  prépondérance  de  la  plus 
capricieuse  des  deux  nations  qui  voulait  s  emparer  de  terres 
dont  ni  la  possession  ni  la  souveraineté  n'était  pas  encore 
circonscrite!  Ainsi  s'établirent  dans  le  pays  intermédiaire 
du  Rhin ,  du  Mein  et  de  la  foret  Hercynienne,  les  Helvé- 
tiens ,  plus  loin  les  Boiens ,  deux  peuples  gaulois  ;  le  nom 
de  Boiemum  subsiste  encore  et  rappelle  positivement  cette 
ancienne  transmigration  ,  malgré  le  changement  des  peu- 
ples (2).  » 

(1)  Ac  fuit  antea  temjnis  quum  germanos  Galli  virtute  superareni,  ult.ro 
hello  in  ferrent,  jjropter  hominum  multitudinem  agrique  inopiam  trans  Rhe- 
num  colonias  mitterent.  Itaque  ea  quai  fertilissima  sunt  Germaniœ  loca 
circum  Hercyyiiam  sylvam,  [qiiam  Eratostheni  et  quihusdam  Grœcis  fama 
notum  esse  video,  quam  illi  Orcyniam  adpellant)  Volcœ  Tectosages  occii- 
parunt  aique  ihi  consedenint  (  Caes. ,  1.  VI,  c.  24  ). 

(2)  Validiores  olim  Gallorum  res  fuisse  summus  auciorum  divus  Julius 
tradit  :  eoque  credibile  est  etiam  Gallos  in  Germaniam  iransgre.ssos ;  quan- 


-  24  — 

Les  Helvëtiens ,  d'après  le  témoignage  de  Tacite ,  occu- 
pèrent les  contrées  formant  aujourd'hui  la  Souabe  ,  la 
Franconie ,  le  Palatinat  et  une  grande  partie  du  territoire 
de  Mayence  et  de  Darmstadt.  Les  Boiens ,  au  rapport  de 
Strabon,  s'établirent  dans  la  foret  Hercynienne,  la  Bohème, 
la  Norique,  la  Rhétie  et  la  Pannonie. 

Les  Gothins  et  les  Estyens,  dont  les  premiers  habitaient 
vers  les  sources  de  TOder  et  de  la  Yistule ,  et  les  seconds 
dans  la  Prusse  ducale ,  parlaient,  suivant  Tacite,  la  langue 
des  Gaules  (1).  Ces  peuplades  étaient-elles  pour  celte  raison 
d  origine  celtique  et  était-ce  en  prenant  part  a  Texpédition 
de  Sigovèse,  qu  elles  avaient  choisi  pour  demeure  des  terres 
si  éloignées  de  la  mère  patrie  ?  Cette  question  ne  peut  être 
résolue. 

Sigovèse  ne  pénétra  pas  seulement  dans  le  centre  de  la 
Germanie,  mais  il  s'avança  jusque  dans Tlllyrie. Les  Carnes, 
les  Japodes,  les  Scordisques,  les  Taurisques,  peuplades  de 
cette  contrée ,  de  la  Pannonie  et  de  la  Norique ,  sont  re- 
gardés comme  ayant  fait  partie  de  Témigration  gauloise. 

Près  de  trois  siècles  après  cette  célèbre  expédition ,  un 
nouveau  corps  d'émigrans  gaulois ,  sorti  du  sein  de  celui 
dirigé  pas  Sigovèse  ,  pénétra  dans  la  Thrace  sous  la  con- 
duite d'un  chef  nommé  Cambaule  et  se  fixa  entre  l'IUyrie, 
la  Thrace  et  le  Danube  (2). 

L'an  de  Rome  474  ou  475 ,  et  279  avant  l'ère  vulgaire  , 
les  Celtes  répandus  depuis  la  Pannonie  jusqu'à  la  Thrace, 

tulum  enim  amnis  ohstahat,  quominus,  ut  quœque  gens  evalueraf,  occuparet 
permumtaretque  sedes  promiscuas  adhiic,  et  nulla  regionum  potentia  divisas! 
igitur  inter  Hercyniam  siham  Rhenum  et  Mœnum  amnes,  Helvetii,  ulie- 
riora  Boii,  Gallica  utraque  gens,  tenuere ;  manet  adhuc  Boiemi  nomen 
signiûcatque  loci  veterem  memoriam  quamvis  mutatis  cnltoribus.  (Tacit.  de 
morih.  Germ.  c.  28.  ) 

(1)  Mor.  Germ..  c.  43  et  45. 

(2)  Pausan.,  l.  X.  Scliœpflini  Vindiciœ  celt,  l  82  et  8G. 


—  25  — 

entreprirent  une  nouvelle  expédition  au  nombre  de  200,000 
hommes.  La  horde  fut  divisée  en  trois  corps.  Le  premier 
corps,  commandé  pas  Belgius  ou  Bolgius,  pénétra  dans  la 
Macédoine  et  défit  Ptolemée,  roi  des  Macédoniens,  qui 
périt  dans  le  combat.  Après  avoir  pillé  la  Macédoine  ces 
Gaulois  revinrent  sur  leurs  pas.  La  seconde  division ,  com- 
mandée par  Brennus ,  ravagea  la  Grèce  et  fut  taillée  en 
pièces  au  siège  de  Delphes.  Le  troisième  corps ,  fort  de 
20,000  hommes ,  sous  les  ordres  de  Cerethrius  ou  de  Lem- 
norius  et  de  Lutharius  (1) ,  passa  dans  la  Thrace  et  rendit 
tributaire  toute  la  Propontide  ;  puis  traversa  le  Bosphore 
au  nombre  de  10,000  hommes  ,  un  an  après  la  défaite  de 
Brennus,  et  se  mit  à  la  solde  de  Nicomède,  roi  de  Bilhynie. 
Ce  prince  pour  récompenser  les  Gaulois  des  services  qu'ils 
lui  rendirent  en  cette  occasion,  leur  céda  une  partie  de 
son  royaume  où  ils  fondèrent  la  Tétrarchie  de  Gallatie  ou 
Gallo- Grèce  (2).  Parmi  les  peuplades  gauloises  établies 
dans  cette  contrée  on  trouve  des  Tectosages,  des  Scordisques, 
des  Taurisques,  des  Boiens,  des  Trocmiens  et  une  peuplade 
teutonique,  les  Teutobodiaques.  Cette  émigration  gauloise 
eut  lieu  vers  l'an  277  avant  J.  C.  C'est  la  dernière  expé- 
dition celtique  dans  des  pays  étrangers  dont  il  soit  parlé 
dans  rhistoire  (3). 

Il  est  peu  probable  que  les  Belges  aient  fait  partie  de 
l'expédition  de  Bellovèse  en  Italie;  il  est  également  dou- 
teux qu  ils  aient  pris  part  a  celle  de  Sigovèse.  Suivant 
l'hypothèse  de  Thierry  les  Belges  se  seraient ,  il  est  vrai , 
rendus  maîtres  d'une  grande  partie  de  la  Germanie  ;  mais 

(1)  Noms  latinisés,  probablement  en  celtique  Céréther ,  Lemnor,  Luthar 

(2).Tite-Liv.,  1.  XXXVIII,  c.  16. 

(3)  Sur  les  émigrations  des  Celtes,  voyez  Scbœpflin,  Vmdiciœ  Celticœ  et 
M.  de  Fortia  dUrban  ,  Tableau  hist.  et  geogr.  du  monde,  tome  4,  p.  78 
et  suiv. 


-.  26  — 

les  preuves  sur  lesquelles  est  basé  ce  système  sont  peu  con- 
vaincantes ,  comme  nous  Tavons  démontre  plus  haut.  Le 
Belgius  ou  Bolgius  qui  envahit  la  Macédoine  pouvait  être 
tout  aussi  bien  un  chef  des  Tectosages ,  qui  portaient  le 
nom  de  Bolcœ^  quun  chef  des  Belges.  En  un  mot  il  n'existe 
aucune  preuve  authentique  et  positive  qui  constate  la  par- 
ticipation des  Belges  à  Tune  ou  l'autre  des  émigrations 
gauloises  du  6°™^  siècle  avant  notre  ère.  On  ne  peut  donc 
former  à  cet  e'gard  que  de  simples  conjectures. 

Nous  venons  de  voir  les  Celtes  a  l'apogée  de  leur  puis- 
sance; nous  la  verrons  décliner  avec  rapidité,  la  Belgique 
perdre  ses  habitans  primitifs  et  les  Celto  Belges  remplacés 
par  des  peuplades  d'origine  teutonique. 


-  27  — 


CHAPITRE  II. 

Expulsion  des  Ceîto-Belges  par  des  peuples  germaniques  et  établissement 
de  ces  derniers  dans  la  SSelgique. 

Les  Celles  ,  cette  nation  si  puissante  au  7^  siècle  avant 
I  ère  vulgaire ,  ne  conservèrent  pas  longtemps  la  prépon- 
dérance qu'ils  s'étaient  arrogée  sur  les  peuples  voisins.  lien 
est  ainsi  de  toute  nation  conquérante  qui  abuse  de  ses  forces 
pour  opprimer  des  peuples  plus  faibles.  Les  fers  cjue  por- 
tent les  esclaves  contribuent  moins  a  assurer  leur  asservisse- 
ment qu  à  leur  inspirer  le  dësir  de  s^en  affranchir  et  de  se 
venger  de  leurs  tyrans.  Tout  peuple,  tout  souverain  qui  tend 
à  une  domination  exclusive  tombe  tôt  au  tard  ,  et  moins  son 
ambition  et  son  omnipotence  auront  eu  de  bornes ,  plus 
grave  et  plus  rapide  sera  sa  chute.  Tout  conspire  contre 
lui  ;  du  moment  qu  il  chancelé ,  tous  ceux  que  la  victoire 
et  la  fortune  avaient  attache's  aux  roues  de  son  char,  se  re- 
lèvent et  se  réunissent  pour  Taccabler  et  Fanéantir. 

La  puissance  et  lesforcesdes  Celtes  affaiblies  par  des  guer- 
res longues  et  sanglantes  et  par  de  nombreuses  émigrations, 
déclinèrent  rapidement  et  de  conquérans  les  Celtes  devin- 
rent bientôt  une  nation  conquise  et  tributaire  (1). 

Les  Celtes  qui  avaient  parcouru  en  vainqueurs  une 
grande  partie  de  l'Europe,  et  dont  les  fiers  Carthaginois 
et  les  rois  de  l'Asie  avaient  plus  d'une  fois  invoqué  l'appui 
et  le  secours ,  tremblèrent  a  leur  tour  devant  les  peuplades 
sauvages  de  la  Germanie  et  les  habitans  d'une  petite  ville 

(1)    Gallos  quoquc  in   hellis  ftotuisse  acceiiimus ;  mox  seguUia  cuui  olio 
intravit,  ami&sà  viHale  imriter  ac  libertotc.  (Taclt.   T'ita  Àgric.  c.   11.) 


—  28-  - 

de  ritalie.  Les  Senons ,  qui ,  pendant  plusieurs  siècles  , 
avaient  domine  sur  l'Italie  presqu'entière,  furent  subjugues 
et  extermines  par  les  Romains  Fan  463  de  la  fondation  de 
Rome  et  101  ans  depuis  le  siège  fameux  qu'ils  avaient  mis 
devant  la  capitale  de  ce  peuple  nouveau  ,  à  peine  connu 
alors  de  nom  ,  mais  destine  a  changer  la  face  du  monde. 
Les  Boiens  de  l'Italie  ,  vaincus  plusieurs  fois  par  les  Ro- 
mains ,  furent  enfin  chasses  de  cette  contrée  dont  les  char- 
mes avaient  jadis  attiré  les  sauvages  et  pauvres  habitans 
des  Gaules.  Contraints  de  choisir  un  asile  parmi  leurs  com- 
patriotes les  Taurisques ,  sur  les  bords  du  Danube ,  ils  n'y 
jouirent  pas  d'une  meilleure  condition  et  essuyèrent  bientôt 
un  sort  pareil  à  celui  des  peuples  celtiques  établis  au  delà 
du  Rhin  dans  la  Germanie. 

Les  peuplades  teutoniques  du  nord  de  la  Germanie  ac- 
crues en  nombre  et  renforcées  ou  refoulées  par  de  nouvel- 
les hordes  sorties  de  TAsie  septentrionale ,  commencèrent 
à  descendre  et  à  refluer  vers  les  parties  méridionales  et  oc- 
cidentales des  Gaules,  deux  siècles  environ  avant  lere  vul- 
gaire. Dans  leurs  courses  vagabondes  et  incertaines  ces 
Teutons  tombèrent  sur  les  Gaulois  qui  avaient  fixé  leur 
demeure  sur  le  sol  de  la  Germanie ,  les  vainquirent  et  les 
écrasèrent.  Alors  les  colonies  celtiques  disparurent  de  ces 
contrées  avec  autant  de  promptitude  qu'elles  s'y  étaient 
établies.  Le  nom  de  désert  des  Helvétiens  et  des  Boiens 
{déserta  Helvetioruni^  déserta  Boioj^cm)  donné  à  la  partie 
de  la  Germanie  occupée  par  ces  peuples  celtiques  avant 
leur  expulsion  ,  conserva  seul  le  souvenir  de  leur  exis- 
tence dans  la  Germanie. 

Berebiste ,  prince  gète ,  ayant  passé  le  Danube ,  rava- 
gea toute  la  Thrace  ;  il  détruisit  les  Celtes  qui  s'étaient 
réunis  aux  Thraces  et  aux  Illyriens  et  ruina  les  Taurisques 
et  les  Boiens  qui   occupaient  la  Norique   et   la   Panno-, 


-^  29  — 

nie  (1);  ce  fut  après  cette  catastrophe  que  ces  deux  pays 
reçurent  le  nom  de  déserts  des  Boicns  (2).  Les  faibles  de'- 
bris  des  Eoiens  échappes  au  fer  de  l'ennemi  se  réfugièrent 
auprès  des  Helvë tiens  et  firent,  au  nombre  de  3,000,  partie 
de  la  grande  émigration  lielvétienne,  56  ans  avant  J.-C- 
La  fortune  leur  fut  encore  contraire  et  le  petit  nombre 
qui  suryécut  au  désastre  c[ui  accabla  les  HelYétiens  trouva 
un  asile  auprès  des  Eduens  (3);  cependant  les  Boiens  qui 
occupaient  la  Bohème  s'y  maintinrent  jusque  sous  le  règne 
d'Auguste  lorsqu'ils  en  furent  expulsés  par  les  Marco- 
mans  (4). 

De  toutes  les  colonies  celtiques,  celles  des  Tectosages 
seules  existaient  encore  sur  le  territoire  teutonique  ,  au 
temps  de  César;  mais,  mêlés  aux  peuplades  teuloniques,  les 
Tectosages  en  avaient  pris  les  mœurs  et  les  usages  (5). 

Les  Teutons ,  car  le  nom  de  Germains  n'était  pas  en- 
core  connu  alors  (6),  non  contents  d'avoir  expulsé   du 


(1)  Strabo   Geogr.,  1.  IV. 

(2)  Les  déserta  Boiorum  s'étendaient  depuis  Vienne  jusqu'à  Salzbourg  et 
•enfermaient  ainsi  une  grande  partie  de  TAutriche  et  de  la  Bavière.  (  Man- 
)ert,  Géographie  der  Grieclien  und  Romer.  ) 

(3)  Cœs.,  Bel.   GalL,  I.  I,  c.  25,  28. 

(4)  Strabo,  1.  VU.  Tacit.  Mor.  Gerra.  c.  28. 

(5)  Caesar.  Bel   Gall,  1.  VI,  c.  24. 

(6)  Tacit.  Mor.   Germ.,   c.  2. 

Tous  les  peuples  de  la  Germanie  se  donnaient  pour  nom  générique  celui 
de  Teutons  ou  Teutsons,  c'est-a-dire ,  fils  de  Teut  ou  Tuisco  enfant  de  la 
terre.  Mann  ou  Tbomme,  fils  de  Teut,  était  aussi  réputé  le  père  de  la  nation  : 
Célébrant  carminihus  antiquis  ....  Tuisconem  deitm  terra  edifum  et  fîlium 
Mannom,  originem  gentis  condiioresqiie  ;  Manno  très  flios  assignant,  e  quo- 
rum nominihus  proximi  oceano  Ingevones,  medii  Hermiones,  cœteri  istœvones 
vocantur,  (Tacit.  Mor.  Germ.,  c.  2.) 

Blann,  l'homme  par  excellence,  sorti  le  premier  du  sein  de  la  terre  sa 
mère.  Cette  origine  est  la  même  que  celle  que  s'attribuaient  les  Juifs,  les 
Égyptiens,  les  Phrygiens,  les  Indiens  et  autres  peuples  de  l'antiquité. 
C'est  ce  qui  aura  fait  dire  a  Tacite  qu'il  croyait  les  Germains  une  nation 


—  30  — 

territoire  teutonique  les  colonies  de  Celtes  qui  s'y  étaient 
fixe'es,  firent  a  l'e'gard  des  Celtes,  ce  que  ceux-ci,  dans 
le  temps  de  leur  prépondérance ,  avaient  fait  a  l'ëgard 
des  Teutons;  c'est-à-dire  ,  qu'ils  les  attaquèrent  sur  leur 
propre  territoire.  Ils  passèrent  le  Pdiin,  refoulèrent  dans 
Finte'rieur  de  la  Celtique  les  peuples  gaulois  de  la  rive 
gauche  du  Rhin  et  se  mirent  en  possession  des  bords  de 
ce  fleuve  et  de  toute  la  contrée  qui  correspond  à  la  Belgi- 
que actuelle  et  dune  partie  du  nord  de  la  France.  Ces 
conquêtes  ne  s'effectuèrent  pas  clans  une  seule  expédition, 
mais  par  des  invasions  continuelles  et  réitérées.  C'est  à 
cette  époque  seulement  c|ue  le  nom  de  Germains  fut  connu 
et  prit  son  origine.  En  effet  les  Celto-Belges  et  autres  peu- 
plades celtiques  limitrophes  du  Rhin,  frappées  de  terreur 
par  les  irruptions  fre'quentes  et  l'aspect  terrible  et  formi- 
dable de  ces  hordes  fe'roces  sorties  du  fond  du  nord ,  ne 
désignaient  ces  dernières  que  par  le  nom  de  German  cjui 
en  celtique  signifie  étranger  ou  guerrier  (1).  Ce  nom  de 

indigène  :  îpsns  Germanos  indigenas  crediderim,  uninimeque  aîiarum  gen- 
tium  adventihus  et  hospitiis  mixtos. 

On  a  formé  une  foule  de  conjectures  les  unes  plus  îiasardées  que  les 
autres  sur  Tuisto.  On  a  été  jusqu'à  le  prendre  pour  Askenas  petit  fils  de 
Noë,  ou  comme  le  fait  Eccard,  pour  Japhet  fils  de  Noë.  Celui  qui  se 
complaît  h  ces  questions  oiseuses,  pourra  se  satisfaire  a  satiété  dans  l'ou- 
vrage de  l'Allemand  Abel,  intitulé  :  Teutsclie  und  Sachsische  aîterthumer, 
Brunschw.,  1729,  tom.  ï,  c.  1. 

(l)  Ger  ou  giterra,  guerre  et  man  homme,  homme  guerrier  ou  belliqueux. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  étymologie ,  toujours  est  il  certain  que  la  déno- 
mination German  ou  Germain  est  dérivée  du  celtique  et  non  du  teuton, 
puisque  Tacite  déclare  positivement  que  les  Gaulois  vaincus  avaient  donne 
ce  nom  aux  Teutons  leurs  vainqueurs.  Grande  est  donc  Terreur  de  ceux  qui 
dérivent  le  nom  de  Germain  du  teuton ,  tels  que  Leibnitz  qui  prétend  qu'il  a 
Id  même  signification  que  Hermion,  nom  d'un  grand  peuple  teuton  (Leibnitz 
Orig.  Francor.)  Dom  Calmet  le  déduit,  avec  aussi  peu  de  raison,  du  nom 
de  Gomer  fils  de  Japhet  ;  Erasme  du  latin  Germanum,  bon  naturel.  Goropius 
Becanus    prétend  qu"il    signifie  désireux  de  butin.  Rudbeck   le   dérive   du 


—  31  — 

German  qui  n  avait  ëlë  qu'une  dénomination  vague  in- 
spirée par  la  terreur,  devint  bientôt  un  nom  générique  qui 
remplaça  celui  de  Tentons  dans  la  bouche  des  vainqueurs 
des  Gaulois  eux-mêmes  «de  sorte,  dit  Tacite,  que  tous  furent 
appelés  Germains^  d'abord  par  les  vaincus  frappes  de  ter- 
reur et  bientôt  par  les  vainqueurs  eux-mêmes.  »  Et  cette 
dénomination  ne  passa  pas  aux  seules  peuplades  teutoniques 
«lesquelles,  comme  s'exprime  Tacite,  ayant  passé  les  pre- 
mières le  Rhin ,  chassèrent  les  Gaulois,  et  qui,  appelées 
anciennement  Tongrois ,  reçurent  alors  le  nom  de  Ger- 
mains (1),  «  mais  les  Romains  retendirent  encore  à  tous  les 


suédois  german^  guerrier,  étymologie  conforme  à  Tétymologie  celtique. 
(Rudbeck:  Atlantica,  c.  13.)  Peringskiold  est  de  l'avis  de  Rudbcck.  [Annotât, 
in  vitam  Theodorici  Ostrog.  régis.,  p.  377.  )  Strabon  cherche  Tétymologie 
du  nom  des  Germains  dans  la  prétendue  consanguinité  de  cette  nation  avec 
les  Gaulois.  (Strabonis  Geogr.L.lY  )  Voir  encore  S^ener,  IV otiita  Germaniœ 
mitiquœ,   1.  III.  c.  6. 

(1)  Cœteràm  Germaniœ  vocahulum  recens  et  nuper  additum  ;  quoniam  qui 
primi  Rhenum  iratisgressi  GaUos  expulerint,  ac  nunc  Tungri,  tune  Germani 
vocati  sunt  :  ità  nationis  nomen,  in  nomen  gentis  evaluisse  pauîatim,  ut 
omnes  primum  à  victo  oh  metuin,  mox  à  seipsis  inventa  nomine  Germani 
vocarentur.  { Tacit.  Mor.  Germ.,  c.  2.  ) 

Nous  donnons  ce  passage  d'après  l'excellente  édition  de  Tacite  par  Ober- 
lin:  car  dans  des  éditions  moins  correctes  on  lit  au  lieu  de  in  nomen  gentis, 
non  gentis  et  au  lieu  de  victo,  victore.  Ce  te.\te  corrompu  rend  ce  passage  de 
Tacite  inintelligible  et  a  jeté  un  grand  nombre  de  savans  modernes  dans  un 
labyrinthe  de  conjectures  hasardées  :  c'est  parce  que  M.  Raepsaet  s'est  attaché 
à  ce  texte  fautif,  qu'il  a  prétendu  déduire  le  nom  des  Germains  du  teuton 
Jf  ermannen  et  qu'il  a  commis  d'autres  erreurs  que  nous  relèverons  plus 
loin.  C'est  pour  la  même  raison  que  Juncker  a  dérivé  ce  nom  de  celui  de  la 
rivière  de  Ger  ou  Géra  et  de  mann  ;  et  comme  cette  rivière  traverse  la  Thu- 
ringe,  il  conclut  que  les  Germains  dont  parle  Tacite  n'étaient  autres  qu'un 
peuple  demeurant  sur  les  bords  de  la  Géra,  dans  le  pays  des  Tongrois,  pays 
qui,  selon  lui,  fut  appelé  Thuringe.  Il  croit  que  les  Germains  qui  traversèrent 
le  Rhin  pour  envahir  les  Gaules  étaient  ce  même  peuple  de  la  Thuringe 
lequel  ne  fit  que  reprendre  alors  son  ancien  nom  en  se  donnant  celui  de 
Tongrois.  Toutes  ces  conjectures,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite,  sont 
dénuées  de  toute  vraisemblance.  (Raepsaet,  jlfcmoire  sur  l'origine  des  Belges. 


^-  32  - 

peuples  occupant  le  vaste  espace  de  pays  compris  entre  ie 
Rhin,  le  Danube  et  la  Vislule. 

Le  nom  de  Teutons  prévalut  cependant  de  nouveau 
après  la  chute  de  Fenipire  romain  et  se  conserve  encore 
aujourd'hui  dans  les  dénominations  allemandes  de  Teuts- 
chland^  Teutsche  (1). 

Il  est  impossible  d'indiquer  au  juste  Tépoque  précise  où 
le  nom  des  Germains  prit  naissance.  Il  serait  intéressant 
de  le  savoir  parce  c[u  alors  nous  connaîtrions  aussi  le  temps 
où  les  peuples  teutoniques  envahirent  la  Belgique  et  en 
expulsèrent  les  Celtes. 

C'est  à  Tan  551  de  la  fondation  de  Rome  que  le  nom 
des  Germains  paraît  pour  la  première  fois  dans  l'histoire 
romaine.  On  lit  dans  les  fastes  consulaires,  dits  fastes  capi- 
tolins,  que  cette  année  M.  Claudius  Marcellus  remporta 
une  victoire  éclatante  sur  les  Gaulois,  les  Insubriens  et  les 
Germains  ;  l'inscription  porte  :  M.  Claudius  M.  F.  M.  N. 
Marcellus.  Cos.  de  Galleis.  Insubribus.  Germaneis  et 
R.  Martique.  op.  retulit.  duce  hostlum.  vir.  Clastid  (2). 

pages  3  et  siiiv.  Juncker,  Einleitunfj  zuder  géographie  der  mitteleren  Zeiten, 
2^  th.  c.  1.)  Ce  qui  a  encore  confirmé  davantage  Juncker  dans  son  erreur, 
c'est  le  passage  suivant  de  l'Anonyme  de  Ravenne ,  géographe  barbare 
du  8^  siècle,  dont  l'ouvrage  fourmille  de  fautes  les  plus  grossières  : 
Thuringta ,  quœ  antiquitus  Germania  nun  cwpabatur.  Il  est  aisé  de  voir 
que  pour  écrire  cette  phrase  l'Anonyme  de  Ravenne  avait  lu  le  passage  en 
question  de  Tacite,  mais  qu'il  ne  l'avait  point  compris.  Le  seul  moyen  d'en- 
tendre ce  passage,  si  important  pour  constater  l'origine  des  Germano-Belges, 
c'est  de  le  lire  tel  que  nous  le  donnons  en  tête  de  cette  note  et  alors  il 
n'offre  aucune  difficulté. 

(1)  Voir  Mone,  Geschichte  des  heidenthums  im  nordlich.  Europa.  2*  eh. 
p.  6.  Spener,  Notiiia  Germaniœ  antiq.,  I.  III,  c.  4,  ^  9. 

(2)  Marcus.  Claudius.  Marci.  filius.  Marci.  nepos.  Marcellus.  consul,  de 
Gallis.  Insubribus.  et  Germaneis,  Roniœ.  Martique.  opima.  retulit.  duce, 
hostium.  viro.   Clastidio. 

Reichard,  Germanien  unter  den  Romern,  p.  1,  Grsevius,  Thés,  antiq.  rom. 
tom.  II,  p.  173.  Spener,  Notitia  Germ.  antiq-^  1.  III,  c.  4,  §  6,  nota. 


—  33  -^ 

S'il  faut  en  croire  Properce  et  si  le  texte  de  ce  poète  est 
correct,  les  Germains  dont  il  est  question  dans  les  Fastes 
Capitolins  furent  expulses  de  la  Belgique  par  Marcellus  : 

Claudius  ai  Rhenum  trajectos  arcuit  hostes 
Belgica  cui  vasti  parma  relata  ducis 
Firidumari,  genus  hic  Rheno  jactahat  ah  ipso 
rfohilis  erectis  fundere  gesa  rôtis  (1). 

Les  invasions  des  Germains  dans  la  Belgique  auraient 
donc  eu  lieu  plus  de  150  ans  avant  lere  vulgaire;  car  lors- 
que Marcellus  triompha  de  cette  nation ,  le  nom  des  Ger- 
mains ne  devait  déjà  plus  être  nouveau.  Il  est  même  pro- 
bable qu  a  1  époque  de  l'expëdition  de  ce  gênerai  plusieurs 
peuplades  germaniques  s'étaient  déjà  fixées  dans  la  Belgi- 
que, puisque  César  rapporte  cjue  trente-sept  ans  après, 
c'est-à-dire  vers  Tan  113  avant  lere  vulgaire,  les  Belges 
furent  le  seul  peuple  des  Gaules  qui  résista  avec  succès 
à  rirruption  des  Cimbres  et  des  Teutons  (2).  On  n'a  c]u'à 
lire  cet  auteur,  pour  se  convaincre  qu  il  y  est  question , 
relativement  à  cet  événement,  non  pas  des  Celto-Belges 
mais  des  Germano-Belges  ou  des  Germains  conquérans  de 
la  Belgique.  Il  nous  parait  donc  c[u  on  pourrait,  avec  assez 
de  probabilité,  fixer  l'expulsion  des  Celtes  de  la  Belgique 
et  le  repeuplement  de  cette  contrée  par  des  Germains 
entre  les  années  200  et  130  avant  l'ère  vulgaire.  C'est 
tout  ce  qu'on  peut  dire  de  cet  événement  important  (3). 

Lorsque  César  vint  conquérir  les  Gaules,  la  cinc[uante- 

(1)  Propert.,  1.  IV,  eleg.  10,  1.  40.  Adelung  ,  3-^  absch. ,  §  2.  Blascow  croit 
qu'au  lieu  de  Germaneis  il  faudrait  lire  Cenomaneis,  ce  qui  ne  paraît  guère 
probable.  (  Mascow,  Geschichte  der  Teutftchen,  V  th.  s.  6.  ) 

(2)  Soli  Belgœ  Teutones  istos  Cimbrosque ,  omni  Galliâ  vexalâ,  intrà 
unes  suas  ingredi prohibuerunt,  (  Cses.,  1.  II,  c.  1  ). 

(3)  Desroches  pense  que  l'expulsion  des  Celtes  de  la  Belgique  est  anté- 
rieure à  l'expédition  des  Gaulois  dans  l'Asie  mineure,  vers  l'an  280  avant 

Tome  I.  3 


-^  34  ^ 

huitième  année  avant  J.-C,  non  seulement  toute  la  Belgi- 
que actuelle ,  mais  encore  toute  la  partie  des  Gaules  voi- 
sine du  Rhin  étaient  au  pouvoir  des  Germains  et  occupe'es 
par  les  peuplades  germaniques  désignées  sous  le  nom  de 
Nemètes  ,  de  Tribocs  ,  de  Vangions  ,  de  Tréviriens ,  de 
Ménapiens,  de  Nerviens,  de  Centrons,  de  Grudiens,  de 
Lévaciens,  dePleumosiens,  de  Gorduniens,  d'Eburons,  de 
Céresiens ,  de  Condrusiens ,  de  Segniens ,  de  Pemaniens , 
d'Ambivarites ,  de  Bataves,  de  Caninefates  et  quelques 
autres  petites  peuplades  moins  connues. 

De  toutes  les  peuplades  que  nous  venons  de  nommer, 
il  n^  avait  que  les  trois  premières  et  les  deux  dernières  qui 
n  occupassent  pas  quelque  point  de  la  Belgique  actuelle.  On 
trouvait  en  outre  dans  cette  dernière  une  peuplade  cim- 


Tère  vulgaire  :  «Cette  conjecture,  dit-il,  se  fonde  sur  l'expression  de  César: 
Antiquitùs  iransductos;  sur  le  témoignage  de  Pline  qui  nomme  les  Teuto- 
hodiaques i^drmi  les  peuples  gaulois  qui  eurent  part  a  l'expédition  d'Asie:  or 
ce  nom  est  purement  belge  et  signifie  envoyés  par  les  Teutons.  On  sait  que 
les  Germains  se  désignaient  eux-mêmes  dans  leur  langue  sous  le  nom  de 
Teutons,  comme  les  Gaulois  s'appelaient  Celtes  dans  la  leur.  CesTeutobodia- 
ques,  ces  troupes  envoyées  par  les  Teutons,  semblent  donc  indiquer  assez 
visiblement  les  Belges  détachés  par  leurs  nations  respectives  pour  concourir 
à  l'expédition  projetée  par  les  Gaulois  en  commun,  dans  un  temps  oii  les 
Belges  déjà  établis  dans  la  troisième  partie  des  Gaules ,  par  le  droit  des 
armes ,  étaient  entrés  dans  la  confédération  générale.  »  (  Desroches ,  Hist. 
anc.  des  Pays-Bas  aiitrich.,  p.  4.  ) 

Ce  qu'avance  Desroches  dans  ce  passage  ne  prouve  absolument  rien. 
D'abord  l'expression  Antiquitùs  transductos  est  trop  vague ,  pour  pouvoir  en 
tirer  un  indice  de  l'époque  précise  où  les  Celtes  furent  expulsés  de  la  Belgi- 
que ;  en  second  lieu  le  nom  de  Teutohodiaques  ne  peut  désigner  les  Teutons 
établis  en  Belgique ,  parce  qu'après  l'invasion  de  cette  contrée  par  des  Teu- 
tons ceux-ci  prirent  le  nom  de  Germains.  Le  nom  de  Teutohodiaques  dési- 
gnerait donc  plutôt  les  Teutons  établis  a  la  droite  du  Rhin  et  dont  les 
Gaulois  émigrés  en  Asie  avaient  pu  recruter  quelques  peuplades  en  traversant 
la  Germanie,  ou,  (en  désignant  cette  région  par  son  ancien  nom),laTeutonie. 
Quant  à  Fétymologie  du  nom  des  Teutohodiaques  donnée  par  Desroches, 
«lie  est  tout-a-fait  arbitraire  et  incertaine. 


^  35  — 

brique,  lesMuatiques,  le  seul  des  difFérens  peuples  du  nord^ 
dont  rhistoire  nous  fasse  connaître  le  temps  précis  de  son 
arrivée  en  Belgique  et  la  manière  dont  il  s'y  fixa  avant  la 
conquête  romaine.  C'est  Cësar  qui  nous  apprend  c|ue  les 
Atua  tiques  descendaient  d  un  détachement  de  six  mille  Cim- 
bres  cjue  la  grande  horde  laissa  à  gauche  du  Rhin  a  la  garde 
du  gros  bagage  de  larmëe,  lorsqu'elle  envahit  les  Gaules. 
Après  l'entière  défaite  des  Cimbres  par  Marins ,  ce  faible 
corps  campé  sur  les  bords  du  Rhin ,  près  de  la  ville  actuelle 
de  Cologne  sans  doute ,  fut  attaqué  de  toutes  parts  par  les 
peuples  voisins.  Mais  après  une  lutte  de  plusieurs  années  , 
les  Atuatiques  parvinrent  à  rendre  les  Eburons  leurs 
tributaires  et  les  obligèrent  a  leur  céder  une  partie  con- 
sidérable de  leur  territoire  ,  dans  la  province  actuelle 
de    Namur  ,    où    ils  fixèrent   leur    demeure  (1).    Ainsi 

(1)  Ipsi  (  Atuatici  )  erant  ex  Cimhis  Teuionisque  procreaii  :  qui  cum  iter 
in  provinciam  nostram  Ilaliamque  facerent,  his  inpedimeniHs ,  quœ  secum 
agere,  ac portare  non potcrant,  citralià  flumen  Rhenumdepositis,  custodiœex 
suis  ac  prœsidio  sex  miîia  hominum  una  reliquerunt.  Hi,  post  eerum  ohitiim, 
multos  annos  à  finitimis  exagilati,  cum  aliàs  hélium  inferrent,  aliàs  inlatum 
defenderent  ;  consensu  eorum  omnium  pace  faclâ,  hune  sibi  domicilio  locum 
delegerunt.  (  Cœs.  1.  II,  c.  29.  ) 

II  est  intéressant  de  comparer  ce  passage  de  César  avec  ce  que  M.  Thierry 
rapporte  des  mêmes  faits.  Cet  auteur  contredit  formellement  César,  toujours 
par  suite  de  son  système  sur  la  prétendue  conquête  de  la  Belgique  par  les 
Cimb»'es,  sept  siècles  avant  l'ère  vulgaire  :  «Les  Belges,  dit-il,  en  parlant 
de  l'expédition  des  Cimbres  vers  l'année  1.10  avant  J.-C,  les  Belges  soutin- 
rent avec  fermeté  ce  choc  terrible  et  ne  laissèrent  point  entamer  leur  fron- 
tière. Il  paraît  d'ailleurs  qu'il  y  eut  des  pourparlers  entre  ces  descendans 
des  Kimris  et  les  Kirnris  de  la  horde  ;  et  que  la  conformité  de  langage,  le 
souvenir  d'une  commune  origine  et  par-dessus  tout  sans  doute  l'égalité  des 
forces  ayant  rapproché  ces  deux  peuples,  donnèrent  lieu  à  un  accommode- 
ment entre  les  Belaes  et  les  hordes  envahissantes.  Par  suite  de  ces  relations 
de  bonne  amitié,  les  coalisés  obtinrent  des  Belges-Eburons  la  cession  d'un 
lieu  de  dépôt  où  ils  placèrent  le  bagage  qui  les  gênait  dans  leur  marche. 
Ce  lieu  nommé  Aduat,  et  l'un  des  meilleurs  forts  de  la  Belgique,  servait  auv 
Eburons  à  déposer  le  butin  conquis  dans  les  guerres  extérieures  ou  a  mettre 


~  36  — 

^ix  mille  Cimbresefifectuèrentce  que  la  horde  innombrable 
vaincue  par  Marins  n  avait  pu  faire  ;  car,  comme  on  la  déjà 
dit,  César  nous  apprend  que  le  corps  entier  des  Cimbres 
fut  repoussé  par  les  Belges  et  ne  put  entamer  leur  pays. 

Il  n'est  pas  probable  que  les  différentes  tribus  de  Ger- 
mains qui  se  rendirent  maîtresses  de  la  Belgique  ,  se  soient 
entendues  pour  conquérir  et  occuper  ensemble ,  et  tout  à  la 
fois  cette  contrée  ;  leurs  invasions  ont  du  être  partielles  et 
ces  peuples  ne  se  fixèrent  sans  doute  en  Belgique  que  suc- 
cessivement et  les  uns  après  les  autres. 

Les  Germains  qui  occupèrent  le  centre  et  le  midi  de  la 
Belgique ,  tels  que  les  Nerviens  et  les  Eburons ,  furent  pro- 
bablement les  premiers  envahisseurs  et  conquérans.  Les 
Ménapiens  qui  s'établirent  dans  le  nord  de  la  Belgique  ,  et 
qui  occupaient,  même  encore  du  temps  de  César,  une  assez 
grande  étendue  de  pays  sur  le  sol  germanique ,  a  la  rive 

en  sûreté  leurs  biens  meubles  durant  les  guerres  défensives.  Les  hordes  en 
s'éloignant  y  laissèrent,  a  la  garde  de  leurs  bagages,  une  garnison  tout-à-fait 
insuilîsante,  malgré  la  force  naturelle  du  lieu  ,  si  les  coalisés  n'eussent 
compté  sur  l'amitié  des  nations  Belgiques. »  (Thierry,  Hist.  des  Gaulois, 
2«  partie ,  c.  3.  ) 

Il  y  a  bien  des  observations  a  iaire  sur  ce  passage  de  Y  Histoire  des  Gaulois. 
Quoiqu'en  dise  M.  Thierry,  les  Cimbres  furent  loin  de  trouver  un  accueil 
favorable  auprès  de  leurs  prétendus  frères  de  la  Belgique ,  et  loin  d'obtenir 
du  premier  abord  un  territoire  et  ce  fort  d'Aduat  où  les  Eburons ,  à  ce  que 
prétend  l'auteur,  renfermaient  leur  butin,  bien  qu'on  n'en  trouve  mot  dans 
aucun  auteur  ancien ,  le  détachement  resté  sur  les  bords  du  Rhin ,  fut  forcé 
de  guerroyer  pendant  plusieurs  années  et  de  vaincre  les  Eburons  avant  de 
pouvoir  se  fixer  en  Belgique. 

Au  reste,  ce  que  M.  Thierry  dit  de  l'accueil  favorable  que  les  Cimbres 
auraient  reçu  auprès  des  Belges,  n'est  pas  nouveau.  Pellerin  avait  déjà  anté- 
rieurement avancé  la  même  opinion  dans  ses  Essais  hist.  et  crit  sur  le  dé- 
jmrtement  de  la  Meuse  inférieure.  Pellerin  croit  aussi  que  les  Cimbres  furent 
reçus  en  amis  parles  Belges  et  qu'une  partie  de  ces  derniers  se  joignit  même 
à  eux  pour  envahir  les  Gaules  et  l'Italie  :  «sans  cela,  dit-il,  ils  (les  Cimbresj 
n'auraient  pas  osé  abandonner  leur  bagage  à  la  garde  de  six  mille  Cimbres, 
a  la  discrétion  d'un  peuple  puissant.»  (Pellerin,  Essais,  etc. ,  p.  34.) 


^  37  ^ 

droite  du  Rhin ,  peuvent  être  regardes  comme  les  derniers 
envahisseurs  (1).  Ce  fut  pendant  les  guerres  de  César 
qu'ils  furent  expulse's  de  la  rive  droite  du  Rhin,  et  qu'ils  se 
fixèrent  définitivement  a  la  gauche  du  fleuve  ,  pousse's  en 
avant  par  d'autres  peuplades  germaniques.  On  voit  par  là 
que  la  ne'cessité  fut  pour  quelque  chose  dans  la  conquête 
que  les  Germains  firent  de  la  Belgique,  et  que  la  plupart 
cédèrent  à  une  force  majeure  en  quittant  leur  patrie  pri- 
mitive, soit  à  cause  de  factions  et  de  guerres  intestines,  soit 
à  cause  d'hostilités  exercées  contre  eux  par  d'autres  peu- 
plades. 

C'est  là  tout  ce  que  les  recherches  les  plus  étendues  nous 
ont  appris  sur  l'origine  et  Fhistoire  des  Belges  avant  la  con- 
quête de  la  Belgique  par  les  Romains.  Nous  avons  distin- 
gué dans  la  Belgique  deux  nations  différentes  de  race  et  de 
mœurs;  les  Celtes  et  les  Germains.  Personne  n'avait  jus- 
qu'ici tracé  une  démarcation  exacte  entre  les  Celto-Belges 
et  les  Germano-Belges.  On  les  avait  confondus;  on  avait  cru 
que  les  Celtes  s'étaient  incorporés  et  agglomérés  avec  les 
Germains;  un  examen  plus  attentif  nous  a  convaincu  qu'a- 
près la  conquête  de  la  Belgique  par  les  Germains ,  les  Gaulois 
avaient  été  entièrement  expulsés  de  cette  région.  César 
avance  d'après  le  rapport  des  Remois  ,  que  la  plupart  des 
Belges  tiraient  leur  origine  des  Germains  ,  qui ,  ayant  an- 
ciennement passé  le  Rhin ,  s'étaient  fixés  dans  ces  contrées 
fertiles  d'où  ils  avaient  expulsé  les  Celtes  ou  Gaulois  (2)  ; 
il  dit  la  plupart  des  Belges  parce  qu'alors  on  comprenait 
sous  le  nom  de  Belgique  toute  l'étendue  de  pays  depuis  le 
Rhin  jusqu'à  la  Somme  et  la  Marne,  dans  lequel  on  trouvait 

(1)  Cœsar,  1.  II,  c.  4. 

(2)  Reperiebat  plerosque  Belgas  esse  ortos  à  Germants  Rhenumque  anii- 
quitùs  transductos,  propfer  loci  fertiliiatem  ibi  consedisse  ;  Gallosque  qui  ea 
loca  incolerent  expulisse,  (Cecs.,  1.  II,  c.  4.) 


—  38  — 

encore  un  grand  nombre  de  peuples  celtiques.  S'il  n'avait 
eu  à  parler  que  de  la  Belgique  contenue  dans  les  bornes  ac- 
tuelles, il  n'aurait  pas  manqué  d'écrire  que  tous  les  habi- 
tans  de  celte  contrée,  à  l'exception  peut-être  des  Atuati- 
ques ,  étaient ,  d'origine  germanique ,  comme  il  est  facile 
de  le  prouver  par  dififérens  passages  des  Commentaires. 
D'ailleurs  (]ésar  n'est  pas  le  seul  auteur  qui  déclare 
Germains  d'origine  tous  les  peuples  qui ,  de  son  temps  , 
habitaient  la  Belgique  actuelle;  plusieurs  autres  écrivains 
anciens ,  Strabon ,  Tacite ,  Dion ,  Cassius  et  Appien  les 
reconnaissent  pour  tels.  Les  Nerviens,  le  peuple  le  plus 
puissant  et  le  plus  nombreux  de  la  Belgique  actuelle, 
sont  qualifiés  du  nom  de  Germains  par  Slrabon  et 
par  Tacite  (1).  Appien  les  fait  descendre  des  Cimbres 
et  des  Teutons  ,  mais  il  est  évident  qu'il  confond  les 
Nerviens  avec  les  Atuatiques  (2).  Tacite  attribue  aux 
Treviriens  la  même  origine  qu'aux  Nerviens.  Quant 
aux  Eburons  ,  aux  Cérésiens  ,  Pémaniens  ,  Condrusiens 
et  Segniens,  cet  auteur  ne  les  a  pas  connus  et  n'a  pas 
parlé  d'eux  parce  que  déjà  de  son  temps  ces  peuples 
n'existaient  plus  en  Belgique  ;  mais  César  ne  les  appelle 
que  du  nom  de  Germains  (3).  Aucun  auteur  ancien  ne 
nous  indique  positivement  de  quelle  race  étaient  les 
Ménapiens  ,  mais  la  langue  de  ce  peuple,  ses  mœurs,  son 
séjour  sur  les  deux  rives  du  Rhin  a  une  époque  où  les  peu- 
plades gauloises  s'étaient  depuis  long-temps  éloignées  des 
bords  de  ce  fleuve  pour  se  retirer  dans  le  centre  des  Gaules; 


(1)  Strabo,  1.  IV.  Nervii  circa  ajfectaiionem  orighiis  Germanicœ  nltia 
amhifiosi  sunt  (Tac.  Mor.  Germ.,  c.  28.) 

(2)  Appianus.  De  Bello  Gallico. 

(3)  Condnisos,  Eburones  ^  Cœresos,  Pœmanos  qui  uno  nomme  Germarvî 
appellantitr.  (Caes..  1.  II,  c.  4.)  Segni  Condrusique  ex  génie  et  numéro  Germa- 
norum.  (  Idem..  1.  VI,  c.  32.) 


-  39  — 

tout  atteste  que  les  Ménapiens  étaient  d'origine  germa- 
nique (1).  Aussi  Pomp.  Mêla  appelle-t-il  les  Morins,  qui 
habitaient  au  midi  des  Mënapiens,  le  dernier  peuple  de  race 
gauloise;  et  Pline  place-t-il  les  limites  de  la  Germanie, 
non  au  Rhin  ,  mais  à  l'Escaut ,  parce  qu'au  delà  de  ce 
fleuve  il  n'y  avait  plus  que  des  Germains. 

Ce  sont  donc  tous  les  anciens  peuples  de  la  Belgique  que 
nous  venons  d'ënumërer,  cjue  César  prétend  désigner  lors- 
qu'il dit  que  la  plupart  des  Belges  descendaient  des  Ger- 
mains. Ainsi  M.  Thierry  nous  paraît  avoir  commis  une 
grave  erreur  en  avançant  que  «  malgré  leur  valeur  sauvage 
et  la  terreur  qu'ils  inspiraient ,  les  Germains  n'étaient  par- 
venus à  se  fixer  a  demeiu^e  de  l'autre  côté  du  Rhin  que 
difficilement  et  en  petit  nombre;  que  les  Segnes,  les  Con- 
druses ,  les  Psemans,  les  Cœreses,  débris  des  tribus  écra- 
sées et  chassées  par  une  autre  confédération  de  la  même 
race ,  avaient  passé  le  fleuve  et  occupé  une  partie  de  la 
foret  des  Ardennes,  moins  par  la  force  des  armes  que  du 
consentement  des  Trévires,  dont  ils  se  reconnaissaient  tri- 
butaires et  cliens  (2).  » 

Les  Nerviens ,  les  Tréviriens ,  les  Eburons  et  les  Ména- 
piens ,  peuples  principaux  de  la  Belgique  ,  ne  sont  pas  , 
comme  on  le  remarque ,  réputés  d'origine  germanique  par 
Thierry,  et  quand  l'auteur  fait  envahir  la  Belgique  par  des 

(1)  Desroches,  Hist.  anc.  des  Pays-Bas  aiitridi.,  p.  29. 

Alting  croit  que  les  Ménapiens  formaient  une  confédération  de  plusieurs 
peuplades  germaniques  :  de  là  il  fait  dériver  le  nom  des  Ménapiens  de  Talie- 
mand  OTieewa/'i,  communauté,  confédération.  (Alting,  Germ.  infer.  descript. 
pars  1^  in  voce  Menajyii.)  Il  y  a  des  auteurs  qui  font  dériver  le  nom  de  ce  peuple 
de  celui  du  Maine  qui  se  jette  dans  le  Rhin  à  Manheim  et  prétendent  que  les 
Ménapiens  bahitèrent  primitivement  près  de  cette  rivière  ;  ce  n'est  là  qu'une 
conjecture  sans  preuves  historiques.  {Antiquarius  des  Maynstroms,  p.  1F3.) 
Wastelain  a  adopté  l'opinion  d' Alting.  (Descript  de  la  Gaule  Belg.,  p.  185.) 

(2)  Thierry,  Hist.  des  Gaul,  2*  partie,  chap.  5.  Voir  aussi  T*  partie,  chap. 
1,  4.  2''  partie,  chap.  1,  3. 


-_  40  — 

Cimbres  et  seulement  par  deux  ou  trois  petites  peuplades 
germaniques ,  il  est  en  contradiction  manifeste  avec  les  au- 
teurs anciens ,  et  notamment  avec  Cësar  qui  atteste  que  les 
Cimbres  ne  purent  point  pe'ne'trer  dans  la  Belgique  et  que 
les  Belges-Germains  leur  résistèrent  avec  succès. 

Occupe'e  exclusivement  par  des  Germains ,  la  Belgique , 
au  temps  de  Cësar,  ne  conservait  pour  souvenir  des  Celtes, 
ses  premiers  habitans,  que  son  ancien  nom  gaulois  de 
Belgique ,  laisse  au  pays  par  ses  nouveaux  possesseurs  qui 
eux-mêmes  adoptèrent  pour  nom  génëricjue  la  dënomina- 
tion  de  Belges  ^  c'est  ainsi  que  du  temps  de  Tacite  le  nom 
de  Bohême  était  aussi  le  seul  vestige  qui  restât  du  sëjour 
des  Boiens  sur  les  bords  du  Danube  (1). 

Lorsque  Cësar  entreprit  la  concj[uête  des  Gaules ,  les  in- 
vasions des  Germains  n'y  avaient  point  cessé  et  étaient 
même  plus  fréquentes  que  jamais.  Elles  obligèrent  à  cette 
époque  les  Helvëtiens  à  abandonner  leur  pays  ,  comme  les 

(1)  Ou  lit  dans  la  géographie  de  Pomponius  Mêla  :  Tliule  Belcarum  littori 
opposita  est,  (  1.  III,  c.  6  ),  cette  conformité  de  nom  d'un  peuple  habitant  sur 
la  côte  en  face  de  la  Norwège ,  avec  celui  des  Belges  a  fait  conclure  à  Desro- 
ches que  les  Germano-Belges  tiraient  leur  origine  de  cette  peuplade  Scandi- 
nave et  que  leur  nom  dérivait  de  celui  des  Belcœ.  (Hist  anc.  des  Pays-Bas 
autrich.,  liv.  I,  chap.  2.)  M.  Raepsaet  a  adopté  cette  opinion  de  Desroches 
[Mém.  surVorigine  des  Belges  ci  Analyse  de  V hist.  des  droits  civ.,  polit,  etc., 
des  Belges  et  Gaulois^. 

M.  Raoux  a,  selon  nous,  complètement  refuté  ces  deux  auteurs.  Il  démontre 
qu'au  lieu  de  Belcœ  il  faut  lire  dans  P.  Mêla,  Sagœ;  et  il  prouve  que  la  déno- 
mination de  Belge  est  indubitablement  d'origine  celtique.  (Raoux,  Dissertât. 
histor.  sur  l'origine  du  nom  de  Belges,  nouv.  mém.  de  l'acad.  de  Brux.  t.  3  et  7.) 

Tout  en  accédant  au  sentiment  de  ce  savant ,  et  en  appréciant  l'exactitude 
et  la  sagacité  de  ses  observations,  nous  ne  pouvons  admettre  avec  lui  que 
les  Germains  qui  envahirent  la  Belgique  ne  portassent  point  le  nom  de  Belges 
avant  l'arrivée  des  Romains  et  que  les  peuples  voisins  ne  les  connussent 
toujours  que  sous  celui  de  Germains  ;  s'il  en  eut  été  ainsi,  les  Rémois  Iccius 
et  Antebrogius  n'auraient  certainement  pas  dit  à  César  que  la  plupart  des 
Belges  étaient  d'origine  germanique  :  plerosque  Belgas  ortos  esse  à  Ger- 
mants. Si  parfois  César  donne  à  quelques  peuplades  germaniques  de  la  Bel- 


_  41  — 

Celto-Belges  a^^aientëtë  contraints  antérieurement  a  quit- 
ter le  leur  (1).  D  un  autre  côté  ArioYiste,  chef  dune  ligue 
de  plusieurs  peuplades  germaniques ,  venait  de  passer  le 
Rhin  a  la  tête  de  12,000  hommes  ,  et  de  s'emparer  d'une 
grande  partie  de  la  Sequanoise.  Il  est  probable  que  ce  fut 
alors  que  les  Tribocs ,  les  Némètes  et  les  Vangions  qu'on 
voit  figurer  dans  l'armée  d'Ârioviste ,  s'établirent  sur  le  ter- 
ritoire gaulois^  dans  les  diocèses  de  Spire  et  de  Wonns  (2); 
et  cjue  si  César  n'était  venu  conquérir  les  Gaules  et  mettre  ob- 
stacle aux  envahissemens  des  Germains,  sous  peu  cette 
vaste  contrée  eut  tout  entière  subi  le  joug  de  ces  sauvages 
conquérans  .  comme  l'observa  a  César  Divitiacus,  chef  des 

gique  le  nom  de  Germains,  c'est  simplement  pour  les  distinguer  en  leur 
qualité  de  Germano-Belges  des  Celto-Belges  qui  continuèrent  à  habiter  le 
Belgium  proprement  dit ,  contrée  qui  comprenait  l'Amiénois,  l'Artois  et  le 
Vermandois  et  communiqua  probablement  son  nom  à  toute  l'étendue  de 
pays  que  les  anciens  connaissaient  sous  le  nom  de  Belgique. 

Nous  croyons  donc  qu'avant  comme  pendant  la  domination  romaine, 
l'espace  de  pays  compris  entre  la  Seine,  la  Marne  et  le  Rhin  porta  tout  entier 
le  nom  générique  de  Belgique;  que  les  Teutons  qui  envahirent  une  partie  de 
cette  contrée,  de  même  qu'ils  avaient  adopté  la  dénomination  de  Germains 
qui  leur  avait  été  donnée  par  les  Gaulois ,  prirent  aussi  le  nom  de  Belges  , 
du  peuple  qu'ils  avaient  expulsé,  et  conservèrent  celui  de  Belgique  au  pays 
dont  ils  étaient  devenus  les  maîtres. 

Si  le  nom  de  Belges  est  d'origine  celtique ,  on  ne  peut  pas  le  faire  dériver, 
comme  le  font  la  plupart ,  du  Teuton  Belgen,  quereller,  ni  de  BelchisJieim, 
Belkeslieim  ou  Belkisheim,  ancien  canton  ou  Pagus  de  la  vieille  Marche  de 
Briindenbourg,  entre  les  rivières  la  Bièse  et  l'Alaud.  (Abel ,  Teutsche  und 
Sachische  Altertliumer,  1*  th.,  2°  heft.,  c.  2,  §  5.) 

(1)  Strab.,  1.  IV. 

(2)  Caes.,  l.  T,  c.  51. 

César,  dans  la  description  du  cours  du  Rhin,  parle  déjà  des  Tribocs  comme 
habitant  sur  les  bords  de  ce  fleuve.  Mais  quoiqu'il  y  mentionne  aussi  les  Nan- 
tuates,  les  ïïelvétiens,  les  Séquanois,  les  Médiomatrices  et  les  Tréviriens,  tous 
peuples  dont  le  Rhin  traversait  le  territoire,  il  ne  nomme  ni  les  Vangions,  ni 
les  Nemètes.  (Cœs.,  I.IV,  c.  10.)  On  ne  pourrait  cependant  conclure  du  silence 
de  César  à  l'égard  de  ces  deux  derniers  peuples  qu'ils  n'habitassent  point 
encore  a  cette  époque  la  rive  gauche  du  Rhin  ;  puisque  cet  auteur  oublie  de 


—  42   ^ 

OEduens  envoyé  auprès  du  général  romain  pour  implorer 
son  secours  contre  Arioviste  (1). 

A  peine  César  eut-il  défait  et  chassé  Arioviste  du  terri- 
toire celtique,  que  déjà  une  nouvelle  horde  de  Germains, 
beaucoup  plus  nombreuse  que  la  première  ,  car  elle  comp- 
tait 430,000  hommes  ,  tenta  de  passer  le  Rhin  et  de  s'éta- 
blir dans  les  Gaules  (2). 

Rejetés  dans  la  Germanie  par  les  Romains,  les  Germains 
ne  renoncèrent  jamais  à  renouveler  leurs  tentatives  pour 
se  rendre  maîtres  des  Gaules;  malgré  les  échecs  que  leur 
fit  éprouver  un  ennemi  qui  leur  était  supérieur  par  la 
tactique  militaire,  ils  parvinrent  peu  à  peu  à  se  fixer  dans 
la  Belgique  et  les  provinces  voisines  du  Rhin ,  jusqu'à  ce 
qu'enfin ,  après  quatre  siècles  d'efforts  et  de  combats ,  ils 
expulsèrent  les  Romains  de  toutes  les  parties  des  Gaules 
et  y  commandèrent  en  maîtres  absolus. 

même,  dans  la  description  du  cours  de  ce  fleuve,  les  Éburons  qui  touchaient 
cependant  au  Rhin ,  comme  il  le  dit  lui-même  dans  un  autre  passage  de  ses 
Commentaires. 

(1)  Fulurum  esse  paucis  annis,  uti  omnes  ex  Galliœ  finxbus  (Galli)  pelle- 
rentur,  atque  omnes  Germani  Rhenum  transirent!  -..  Nisisi  quidin  Cœsare 
populoque  Romano  sit  auxilii,  omnibus  Gallis  idem  esse  faciendum,  quod 
Helvetiijecerint,  ut  domo  emigrent,  aliud  domiciliùm^  alias  sedes,  remotas 
à  Germanis  pétant.  (Cœs.,  1.  I,  c.  31.) 

(2)Cœs.  1.  IV,c.  14et  15. 


43  — 


CHAPITRE  III. 

Position  géographique   et  limites  des  peuples    de    la  Belgique ,  avant  la 

donunation  romaine. 

Comme  il  ne  nous  est  parvenu  aucun  document  ancien 
qui  puisse  nous  faire  connaître  quelle  était  la  position 
géographique  de  chaque  peuplade  Celto-Belge  de  la  Belgi- 
que actuelle,  ni  même  quel  était  le  nombre  et  le  nom  de 
ces  peuples,  ce  serait  un  travail  aussi  fastidieux  qu'inutile 
de  faire  des  recherches  sur  ce  sujet.  Nous  nous  contenterons 
de  dire  qu'il  est  indubitable  que  la  Belgique  ancienne  dans 
sa  plus  grande  extension  avait,  lorsqu'elle  était  encore  exclu- 
sivement occupée  par  les  Celtes ,  la  même  étendue  que  sous 
la  domination  i^omaine ,  c'est-a-dire  qu'elle  s'étendait  du 
Rhin  à  la  Marne  et  à  la  Seine.  Bien  que  îa  partie  septen- 
trionale de  la  Belgique  ancienne  correspondant  à  la  Belgique 
actuelleetà  une  partie  de  la  rive  gauche  du  Rhin,  fut  envahie 
et  occupée  par  les  Germains,  cette  contrée  conserva  avec  son 
nom  ses  anciennes  limites.  Le  midi  de  la  Celto-Belgique  que 
constituait  en  partie  le  Belgium  proprement  dit ,  ne  fut 
point  conquis  par  les  Germains  et  conservait  encore  sa  popu- 
lation celtique  a  l'époque  des  conquêtes  de  César.  César  et 
d'autres  écrivains  anciens  nous  ont  fait  connaître  la  position 
géographique  de  chaque  peuplade  de  cette  partie  de  la  Bel- 
gique ancienne,  mais  dans  un  ouvrage  où  l'on  n'a  pour  but 
que  de  décrire  l'état  ancien  de  la  Belgique  actuelle,  ce  serait 
sortir  du  cadre  que  nous  nous  sommes  tracé ,  que  de  nous 
occuper  particulièrement  des  peuples  qui  vivaient  en  de- 
hors des  limites  de  cette  dernière.  Nous  ne  dirons  donc  rien 
des  Morins ,  des  Atrebatcs  ,  des  Bellovaqucs  ,  des  Ambia- 


^  44  — 

nois ,  des  Vermandois  j^des"  Soissonais ,  des  Piemois  ,  des 
Caletes  et  des  Velocasses,  qui,  avec  les  peuplades  Germano- 
Belges  ci-dessus  mentionnées ,  formaient  les  vingt-quatre 
peuples  de  la  Belgique  ancienne  avant  la  domination  ro- 
maine. 

Puisque  nous  ignorons  complètement  quels  étaient  les 
difFérens  peuples  de  race  celtique  qui  occupaient  dans  le 
principe  la  partie  de  la  Celto-Belgique  correspondant  à  la 
Belgique  actuelle,  ne  cherchons  qu  à  connaître  le  plus  exac- 
tement possible  la  position  géographique  de  chacune  des 
peuplades  germaniques  qui  chassèrent  ces  Celto-Belges  et 
les  remplacèrent. 

Les  auteurs  modernes  qui  se  sont  occupés  de  l'histoire 
ou  de  la  géographie  ancienne  de  la  Belgique  actuelle ,  ont 
généralement  commis  Terreur  de  confondre  la  position  et 
les  limites  des  diiFérens  peuples  germains  de  la  Belgique 
avant  la  domination  romaine  avec  celles  qu'ils  eurent 
après  la  conquête  de  César.  La  différence  qui  existait  à  cet 
égard  à  ces  deux  époques  est  fort  grande  ;  car  la  conquête 
de  la  Belgique  par  César  ayant  déplacé  ou  fait  disparaître 
plusieurs  peuplades  germano-belges  ,  les  nouvelles  peu- 
plades germaniques  qui  les  remplacèrent  sous  le  règne 
d'Auguste ,  et  la  nouvelle  division  des  Gaules  fixée  par  cet 
empereur ,  effectuèrent  un  changement  total  dans  la  divi- 
sion topographique  de  la  Belgique ,  comme  on  aura  lieu  de 
s'en  convaincre  en  lisant  le  présent  chapitre  et  celui  de  la 
seconde  partie  de  ce  livre ,  qui  traite  de  la  position  géogra- 
phique des  peuples  Belges  sous  la  domination  romaine  (1). 

(l)  Par  la  conquête  de  César,  les  Eburons,  les  Atuatiqnes  et  plusieurs 
autres  peuplades  moins  considéi'ables  disparurent  du  sol  de  la  Belgique  et 
furent  remplacées  sous  le  règne  d'Auguste  par  les  Ubiens ,  les  Tongrois  et 
les  Toxandres.  Par  la  conquête  romaine  les  Ménapiens  perdirent  une  partie 
considérable  de  leur  territoire  qui  fut  cédée  aux  Gugernes,  peuplade  Suève. 


-  45  — 

C'est  une  question  difficile  à  re'soudre  que  de  designer 
îa  position  précise  et  les  limites  de  chaque  peuplade  ger- 
mano-belge avant  la  nouvelle  division  ge'ograpliique  de  la 
I  Belgique  sous  l'empire  romain.  Nous  n'avons  pour  guide 
1  ici  que  Cësar  ,  qui,  dans  ses  Commentaires,  s'occupe  plus 
!  de  ses  campagnes  que  de  la  description  des  pays  qu'il  sub- 
i  jugua.  Il  ne  nous  indique  que  d'une  manière  fort  vague 
les  limites  des  différentes  peuplades  Germano- Belges. 
D'ailleurs,  ainsi  que  l'observe  M.  Raepsaet,  avant  l'orga- 
nisation romaine  une  grande  partie  de  la  Belgique  était , 
comme  la  Germanie,  sans  limites  ni  divisions  certaines  (1). 
«  La  topographie  de  la  Belgique  sous  là  domination  germa- 
nique ,  dit  ce  savant ,  avait  été  purement  personnelle  ;  les 
divisions  de  la  surface  de  la  Belgique  avaient  été  indiquées 
par  k  nom  de  chaque  nation  qui  les  occupait;  il  n'était  pas 
possible  de  distinguer  ces  divisions  autrement  ;  car  toutes 
ces  nations  étaient  indépendantes  l'une  de  l'autre  ,  et  ne  se 
sont  donné  un  chef  commun  avec  le  titre  de  roi  que  sous 
la  période  franque  ;  elles  n'avaient  pas  d'ailleurs  une  cir- 
conscription territoriale  stable  ,  nullâ  regnorum  potentiâ 
divisas  ;  elles  étendaient  leurs  limites  au  fur  et  à  mesure 
qu  elles  chassaient  d'autres  peuplades  germaniques  ou  gau- 
loises, ut  quœque  gens  évaluerai^  et  venaient  occuper 
leur  pays  ,  comme  furent  chassés  les  Usipètes  et  les  Sicam- 
bres  par  les  Suèves  ,  et  les  Ménapiens  par  les  Tongres  ;  tous 
ces  pays  ,  même  suivant  la  remarque  de  Tacite ,  ne  for- 
maient qu'une  masse  que  ces  peuplades  couvraient  irrégu- 
lièrement et  comme  des  armées  en  campagne  (2).  » 

Nous  parlerons  de  tous  ces  changemens  avec  plus  de  détail  dans  la  2°  partie 
du  livre  I  de  cet  ouvrage. 

(1)  Sedes  promiscuas  adhuc  et  niilla  regnorum  potentiâ  divisas.   (Tac, 
Mor.  Germ.) 

(2)  Raepsaet,  Analyse  hist  etcrit.  de  l'origine  et  des  progrès  des  droits  civ., 


—  46  — 

Ce  n'est  que  d'après  des  conjectures  dénuées  de  preuves 
historiques,  ou  en  se  servant  de  doc umens,  telle  que  la  di- 
vision par  diocèses  qui  se  rapporte  à  une  époque  posté- 
rieure a  la  conquête  de  la  Belgique  ,  que  les  auteurs  mo- 
dernes ont  tenté  de  tracer  les  limites  des  peuples  Belges 
avant  la  domination  romaine.  Par  là  ces  auteurs  sont  tom- 
bés dans  de  graves  erreurs;  car  ils  ont  donné  la  position 
géographique  et  les  limites  des  Belges,  telles  qu'elles  étaient 
après  la  circonscription  territoriale  fixée  par  Auguste, 
lorsqu'ils  ont  cru  tracer  celles  que  ce  peuple  occupait  un 
demi-siècle  avant  l'ère  vulgaire.  Le  seul  moyen  d'éviter  ces 
erreurs  et  de  parvenir  à  la  vérité ,  autant  qu'il  est  possible 
dans  une  matière  aussi  obscure,  c'est  de  prendre  César 
pour  unique  guide,  et  de  ne  s  aider  dedocumens  postérieurs 
que  pour  autant  qu'ils  s'accordent  avec  cet  auteur  ou  qu'ils 
servent  à  expliquer  et  éclaircir  ses  termes  trop  concis  ou 
trop  vagues. 

polit,  et  relig.  des  Belges  et  des  Gaulois ,  tom.  1  ,  p.  56.  Voir  aussi  Desro- 
ches, Hist.  anc.  des  Pays-Bas  autrich.,  p.  17. 

Personne  n"a  répandu  plus  de  jour  sur  l'état  ancien  de  la  Belgique  que  le 
savant  et  respectable  Raepsaet  que  la  mort  vient  de  ravir  aux  lettres  ;  cepen- 
dant le  passage  que  nous  venons  de  transcrire  renferme  quelques  assertions 
que  nous  comliattrons  plus  loin  ,  telle  que  cette  prétendue  expulsion  des 
Ménapiens  par  les  Tongrois. 

Peloutier  a  fait  sur  la  division  géographique  de  la  Germanie  les  mêmes 
observations  que  M.  Raepsaet  sur  celle  de  la  Belgique  avant  la  domination 
romaine  :  «  Les  géographes ,  dit  cet  auteur,  se  donnent  assurément  une  peine 
inutile  en  voulant  déterminer  au  juste  Tancienne  demeure  des  Suèves ,  des 
Vandales,  des  Alains  et  des  autres  nations  qui  menaient  une  vie  ambulante 
sans  se  fixer  dans  aucun  pays.  On  peut  dire ,  par  exemple ,  que  les  Vandales 
étaient  autour  de  l'Elbe  du  temps  de  Dion  qui  fait  descendre  ce  fleuve  de 
la  Vandalie.  On  peut  marquer  les  vastes  contrées  au  milieu  desquelles  ils 
avaient  coutume  de  se  promener,  les  fleuves,  les  montagnes  où  ils  étaient 
obligés  de  borner  leurs  courses  ;  mais  il  faut  en  demeurer  là.  Ce  serait  tomber 
en  contradiction  que  d'assigner  des  villes  et  une  demeure  fixe  à  des  peuples 
dont  le  nom  même  avertit  qu'ils  n'en  avaient  point.  »  (Peloutier,  Hist.  des 
Celtes,  tora.  2,  p.  97.) 


—  47  - 

Dans  le  système  germanique ,  les  divisions  territoriales 
«e  faisaient  par  cantons,  {gauwen,  pagus)  divises  en  grands 
et  en  petits  cantons  {pctgi  majores  et  minores).  Les 
cinq  peuplades  principales  de  la  Belgique  au  moment  de 
la  conquête  romaine ,  les  Eburons  ,  les  Treviriens ,  les 
Nerviens,  les  Atuatiques  et  les  Menapiens  peuvent  être 
considérées  comme  constituant  les  pctgi  majores  de  cette  ' 
contrée;  en  traçant  autant  cjue  les  documens  parvenus 
jusqu'à  nous  le  permettent ,  les  limites  de  chacune  de  ces 
divisions  principales,  nous  y  rattacherons  les  petites  peu- 
plades comme  subdivisions  ou  pagi  minores  de  leur  de'- 
pendance. 

Suivant  Ce'sar,  la  majeure  partie  des  Eburons  demeu- 
raient dans  l'espace  compris  entre  le  Rhin  et  la  Meuse  (1). 
Ils  y  e'taient  borne's  au  nord  par  les  Menapiens  c[ui  occu- 
paient de  ce  côté  la  Gueldre  et  le  Brabant  septentrional , 
sans  cju'on  puisse  dire  quelle  était  la  juste  limite  entre  ces 
deux  peuples  (2).  Au  midi  et  à  l'orient  ils  étaient  séparés 
des  Treviriens  par  les  Segniens ,  et  les  Condrusiens  (3)  ; 
une  partie  des  Eburons ,  quoique  la  moins  nombreuse , 
habitait  aussi  à  gauche  de  la  Meuse  et  y  confinait  au  midi 
avec  les  Atuatiques  (4).  Les  limites  septentrionales  des 
Nerviens  par  lesc|uelles  ils  touchaient  aux  Eburons  furent , 
sous  l'époque  romaine,  tracées  par  la  Dyle.  Nous  n'osons 
assurer  que  les  Eburons  dont  les  Tongrois  occupèrent  dans 

(1)  Ehurones  quorum  pars  maxima  est  inter  Mosam  et  Rhenum.  (  Cses., 
1.  V,  c.  34.)  Sicambri  qui  suntproximi  Rheno  ....  transeuntes  Rhenum  .... 
primos  Eburotium  fines  adeunt.  (Id.  1.  VI,  c.  35.) 

(2)  Erant  Menupii  propinqui  Eburonum  ftnibus.  (Id.  1.  VI,  c.  5.) 

(3)  Segni  Condrusique  ex  gente  Germanoriim ,  qui  siint  inter  Eburones 
Trevirosque ,  (  Caes. ,  I.  V.  c.  38.  ) 

(4)  C.  Trebonium  cumpari  le gionum,  numéro  ad  eamregio7iem  (EhuTonum) 
quœ  Atuaticis  adjacet  depopulandum  mittit  (  Id.  1.  VI,c.  33.  )  Ambiorix 
statim  cum  equitatu  in  Aduatucos  qui  erant  ejus  regni  finilimi,  proficiscitur, 
(l.V,  c.  38.) 


—  48  — 

la  suite  une  partie  du  territoire ,  s'étendissent  jusque  la. 
Leurs  limites  du  côte  des  Atuatiques  sont  aussi  inconnues 
que  celles  qui ,  à  l'ouest  et  au  nord  ,  les  séparaient  des  Mé- 
napiens. 

Au  reste  il  est  probable  que  tout  Fespace  renfermé  entre 
le  Demer ,  la  Meuse  et  l'Escaut  était  alors  en  grande  partie 
un  désert ,  sans  délimitation  intérieure ,  et  «  dans  lequel, 
comme  s'exprime  M.  Raepsaet ,  les  peuples  de  la  Belgique 
venaient  s'établir  et  circulaient ,  le  plus  puissant  y  pre- 
nant ce  qui  était  à  sa  convenance,  changeant,  abandon- 
nant et  occupant  des  contrées  au  gré  de  sa  convoitise  et  de 
ses  besoins.  »  Nous  verrons  ailleurs  que  plus  d'un  siècle 
après  la  conquête  de  la  Belgique  par  César ,  ces  lieux  se 
présentaient  encore  sous  un  pareil  aspect. 

Un  passage  des  Commentaires  semble  prouver  que  vers 
l'ouest  les  Eburons  s'étendaient  jusqu'à  l'Escaut.  César 
dit  au  moins  qu'il  les  poursuivit  jusque  là  (1).  Ceux  qui 
ont  assigné  pour  limite  septentrionale  des  Eburons ,  du 
côté  des  Ménapiens ,  le  territoire  de  Ruremonde ,  se  sont 
crus  fondés  dans  cette  opinion  en  ce  qu'ils  ont  regardé  le 
village  de  Kessel ,  entre  Ruremonde  et  Venloo ,  comme 
étant  le  castellum  Menapiorum ,  capitale  des  Ménapiens  à 
l'époque  romaine  ;  mais  nous  ferons  voir  ailleurs  que  c'est 
là  une  erreur ,  et  que  le  Castellum  Menapiorum  doit  être 
cherché  à  Cassel  dans  la  Flandre  française. 

S'il  est  impossible  de  désigner  au  juste  les  limites  du 
pagus  des  Eburons ,  au  moins  pouvons-nous  reconnaître 
en  gros  la  position  géographique  de  ce  pays.  D'après  ce 
que  nous  venons  de  voir ,  les  Eburons  occupaient  les  con- 
trées correspondant  au  duché  de  Juliers  ,  au  Limbourg,  à 
une  partie  de  la  province  de  Liège  jusqu'au  Condros ,  et 

(1)  Ipse  cum  reliquis  tribus  (  legionibus)  ad  flumen  scaldim  quod  influit 
in  Mosam  extremasque  Arduennœ  partes  ire  constituit.  (ïbid.) 


—  49  — 

probablement  la  partie  septentrionale  du  Brabant  qui  se 
termine  a  la  Dyle. 

Il  nous  est  possible  de  désigner  avec  plus  d'exactitude  les 
limites  des  Tre^ù^iens,  parcequ outre  l'autorité  de  César, 
nous  pouvons  encore  nous  servir  ici  de  documens  posté- 
rieurs, ce  peuple  ayant  gardé  ,  après  la  conquête  romaine , 
les  limites  qu'il  avait,  antérieurement  à  cet  événement. 

A  l'orient ,  les  Tréviriens  étaient  donc  bornés ,  avant 
comme  pendant  la  domination  romaine ,  par  le  Rhin  (1) , 
à  l'occident  ils  touchaient  aux  Ner viens  dont  ils  étaient 
séparés  par  la  Meuse  (2).  Au  midi  ils  avaient  pour  limitro-- 
plies  les  Bîédiomatriques  (  peuple  de  la  Lorraine  )  (3).  Au 
nord  ils  étaient  séparés  des  Eburons  par  deux  petites  peu- 
plades qui  étaient  sous  leur  dépendance ,  les  Condrusiens 
et  les  Ségniens  (4).  Les  Tréviriens  habitaient  aussi  l'ancien 
électorat  de  Trêves  et  le  Luxembourg, 

Près  des  Tréviriens  on  trouvait  quatre  petites  peuplades 
que  César  désigne  sous  le  nom  commun  de  Germains  ;  ce 
sont  les  Condrusiens ,  les  Ségniens ,  les  Pémaniens  et  les 
Cérésiens.  Suivant  le  même  auteur  les  deux  premières  de 
ces  peuplades  étaient  vassales  des  Tréviriens.  Eu  égard  à 
la  position  géographique  des  deux  autres  peuplades ,  on 
peut  les  regarder  comme  formant  avec  les  Condrusiens  et  les 
îScgniens  des  pagi  minores  du  grand  pagus  des  Tréviriens. 

Les  Condrusiens  habitaient ,  à  ne  pas  en  douter ,  le  can- 
ton appelé  Condros,  entre  la  Meuse,  l'Ourthe  et  l'Homme, 
et  renfermant  aujourd'hui  les  villes  de  îiui ,  Dinant  et 
Ciney.  Une  charte  de  Louis-le-Débonnaire ,  de  l'an  879, 

(1)  Hœc  civitas  Rlienum  tangit.  (Caes.,  1.  5,  c.  3.j 

(2)  Trevirù  cohabitmit  IVervii.  (Strabo,  1.  4.) 

(3)  Post  Mediomatrices Treviri  juxia  Rhenum  habitaiit.  (Id.  ibid.) 

f4)  Segni  Condrusîque  ex  gente  et  numéro  Germanorum  qui  tnter  Ebu- 

rones  Trevirosque.  (Cses.,  lib.  6.  c.  32.) 

Tome  I.  4 


—  50  — 

appelle  le  Condros  pagus  Condrus'ii  (1).  Dans  le  partage 
du  royaume  de  Lothaire ,  en  870 ,  il  est  désigné  sous  le 
nom  de  Condrast. 

On  ignore  la  demeure  des  iS'6'^72/e?i.y;  seulement  on  trouve 
dans  les  environs  de  Spa  les  villages  de  Sègne  et  Sougnez, 
qui  semblent  rappeler  le  nom  de  cette  petite  peuplade. 

Le  territoire  qu'occupaient  les  Pénianiens  n'est  guère 
moins  incertain ,  quoique  des  auteurs  aient  prétendu  le 
retrouver  dans  la  Famenne  ,  contrée  du  Luxembourg,  dont 
Marche  était  le  chef-lieu.  Le  nom  de  Famenne,  au  moyen- 
âge  pagiis  Falminiensis,  est  la  seule  preuve  qu'ils  citent 
alappui  de  cette  opinion.  D'autres  ont,  avec  encore  moins 
de  certitude,  assigné  pour  demeure  aux  Pémaniens,  le  can- 
ton de  la  Campine  appelé  Peeland, 

(]ésar  est  le  seul  auteur  ancien c[ui  parle  des  Pémaniens; 
après  lui  il  n'est  plus  fait  mention  de  cette  peuplade  c[ui 
partagea  le  sort  des  Eburons  et  fut  exterminée  par  ce  con- 
quérant. Il  en  fut  de  même  des  Cœresiens  dont  le  pagus 
Caros  ou  le  Cœrasgoiv  du  moyen  âge  (2)  paraît  rappeler  le 
nom.  Le  P.  Wiltheim  ,  Papenbroeck,  Desroches,  Dewez 
et  d'autres  y  placent  les  Cœresiens. 

Les  Nerviens  occupaient  le  centre  et  le  midi  de  la  Bel- 
gique actuelle.  Il  est  probable  cju'ils  eurent  les  mêmes  li- 
mites pendant  comme  avant  la  domination  romaine  ;  car 
César  dit  lui-même  cju'après  avoir  défait  ce  peuple,  il  lui 
conserva  la  possession  intégrale  de  son  territoire  (3).  Il 
n'en  fut  pas  de  même  des  Ménapiens,  des  Eburons,  des 
Atuatiques  et  de  quelques  peuplades  moins  considérables 

(1)  Inpago   Condrusii  (Galliot  Ilist.  de  la  prov.  et  de  la  ville  de  Namvr, 
tom.  5,  p.  274  ). 

(2)  Le  pagus  Caros  s'étendait  entre  Bouillon.  Kerpen  et  Pruim.  (Wastelain, 
Descript.  de  la  Gaule  Bclg.) 

(3)  Suisque  fînihus  uti  Jiissii 


^  51  -^ 

iju'on  voit  disparaître  du  sol  de  la  Belgique  pour  faire  place 
à  de  nouvelles  peuplades  germaniques. 

Pendant  la  domination  romaine,  les  Nerviens  eurent 
pour  limites,  à  1  occident ,  lEscaut  jusqu'à  sa  jonction 
avec  le  Rupel.  Ils  avaient  de  ce  côté  pour  voisins  les 
Mënapiens  et  les  Atrebales. 

Au  nord  le  Rupel  et  la  Dyle  se'paraient  aussi  les  Nerviens 
des  Me'napiens, 

La  Dyle  jusqua  sa  source,  et  une  lignée  tirée  de  ce  point 
par  Charleroi  et  Cliimai  étaient  leurs  limites  vers  Test  (1). 

Au  midi  les  Nerviens  confinaient  aux  Vex'mandois,  aux 
Ambianois  et  aux  Remois. 

Telles  étaient  les  liaiites  des  Nerviens  pendant  la  domi- 
nation romaine.  Ils  habitaient  ainsi  les  parties  de  la  Bel- 
gique actuelle  qui  comprennent  le  Hainaut,  le  Brabant 
méridional  a  gauche  de  la  Dyle ,  la  Flandre  orientale  à 
droite  de  l'Escaut  et  une  petite  portion  de  la  province 
d'Anvers  formant  un  angle  entre  l'Escaut ,  le  Rupel  et  la 
Dyle,  et  hors  de  la  Belgique  actuelle,  le  ci-devant  Cambre- 
sis  et  le  Hainaut  français. 

Nous  n'osons  toutefois  assurer  que  telles  fussent  déjà  les 
bornes  du  pays  des  Nerviens  avant  la  conquête  romaine; 
il  est  possible,  et  même  probable,  que,  comme  les  peuples 
principaux  de  la  Germanie  ,  les  Nerviens  étaient  séparés 
des  peuples  voisins  par  des  déserts  (2).  Ce  sont  peut-être 


(1)  Desroches  étend  les  frontières  des  Nerviens  jusqu'à  la  Meuse  et  les  y 
fait  confiner  avec  les  Tréviriens.  En  effet  Strabon  dit  de  ces  derniers  qu'ils 
étaient  limitrophes  des  Nerviens  :  Treviris  contlgui  sunt  Nervii.  (  Strab., 
1.  IV.)  César  ne  connaît  pas  ces  limites  qui  ne  paraissent  pas  non  plus  avoir 
été  celles  du  diocèse  des  Tréviriens  pendant  la  domination  romaine. 

(2)  Civitatibus  (Germanise)  viaxima  laus  est  quam  lalissimas  circum  se 

vasiatis  finibiis  solitudines    habere Simul  ïioc  se  fore  iutiores   arhi- 

trantur,  repentinœ  incursionis  timoré  suhlato.  (Cœs..  1.  VI.  c.  23.) 


—  52  ~~ 

ces  déserts  que  Tacite  appelle  du  nom  de  déserta  Ner- 
viorum. 

Les  Ner\iens  n'occupaient  pas  seuls  toute  l'étendue  de 
pays  dont  nous  venons  de  tracer  les  limites.  Ce  pagus 
major  comprenait  encore  les  pagi  minores  ou  petites  peu- 
plades des  Centrons,  des  Grudiens  ,  des  Levaciens ^  des 
Pleumosîens  et  des  Gorduniens .  Il  serait  pre'somptueux, 
au  reste ,  de  vouloir  désigner  la  position  précise  de  ces 
peuples  que  César  n'a  fait  qu'indiquer  par  leur  nom  dans 
un  seul  endroit  de  ses  Commentaires ,  sans  y  aj  outer  au- 
cune particularité  qui  pourrait  nous  faire  connaître  leur 
position  géographique ,  si  ce  n'est  qu'ils  étaient  sous  la  dé- 
pendance des  Nerviens  (IV  Ils  ne  constituaient  probable- 
ment qu'une  subdivision  de  ce  peuple  puissant. 

Après  César,  aucun  auteur  ancien  ne  parle  plus  de  ces 
petites  peuplades  (gentes  minores)  qu'on  aura  confondues 
sous  le  nom  du  peuple  principal  (gens  major)  des  Ner- 
viens (2). 

Les  Atuatiques ^  Cimbres  ou  Teutons  d'origine,  laissés 

(1)  CentroneSy  Grudios,  Levacos,  Pleumosios,  Gordunos,  qui  omîtes  sub 
eorum  (Nervioruiii)  imperio  sunt  (Cses.,  1.  V,  c.  39.) 

(2)  Sur  la  plupart  des  cartes  de  la  Belgique  ancienne ,  publiées  au  16°  et 
au  17*  siècle,  entr'autres  sur  celle  du  célèbre  géographe  Samson,  les  Cen- 
trons, les  Grudiens,  les  Lévaciens  ,  les  Pleumosiens  et  les  Gorduniens  se 
trouvent  placés  à  gauche  de  TEscaut ,  dans  la  Flandre  ;  c'est  là  une  erreur 
palpable;  car  en  fixant  ces  peuples  dans  cette  position  qui  était  celle  des 
Ménapiens,  on  les  fait  dépendre  de  ces  derniers,  tandis  qu'ils  étaient  sous  la 
dépendance  des  Nerviens  qui  habitaient  a  droite  de  TEscaut. 

Il  y  a  des  auteurs  qui  ont  assigné  aux  Grudiens  le  territoire  de  Bruges, 
aux  Centrons  celui  de  S'-Trond  (qui  dépendait  des  Tongrois) ,  et  aux  Léva- 
ciens celui  de  Louvain.  Ces  deux  derniers  peuples  n'occupent  ces  positions 
qaà  cause  d'une  légère  ressemblance  entre  les  noms  anciens  et  modernes: 
et  quelle  étymologie  encore  que  celle  qu'on  donne  au  nom  d'un  saint, 
S'-ïrond,  corruption  du  latin  sanctus  Trudo  qu'oT»  prétend  faire  dériver  de 
celui  des  Centrons?  Le  célèbre  Bergier  est  tombé  dans  la  même  erreur.  (Voir 
5on  Histoire  de  Reims,   c.  7,  §  3.) 


—  53  — 

par  leurs  compatriotes  a  la  garde  des  bagages  de  la  horde 
sur  la  rive  gauche  du  Rhin ,  comme  nous  Favons  déjà  dit , 
contraignirent  les  Eburons ,  après  plusieurs  années  de 
guerre ,  à  leur  céder  une  partie  de  leur  territoire  et  même 
à  devenir  leurs  tributaires.  Le  sort  leur  fut  moins  propice 
lors  de  la  conquête  de  la  Belgique  par  César  ;  car  alors  la 
peuplade  entière  fut  exterminée  ou  vendue  à  Tencan. 

Aussi  César  est-il  le  seul  auteur  ancien  qui  parle  des 
Atuatiques ,  et  personne  ne  les  connaît  après  lui ,  si  ce  n'est 
comme  un  peuple  qui  avait  cessé  d'exister.  Ici  donc,  comme 
chez  les  Eburons,  César  peut  être  le  seul  guide  pour  con- 
naître la  position  géographique  des  Atuatiques. 

Poutrain ,  auteur  d'une  histoire  de  Tournai ,  en  adoptant  Terreur  com- 
mune de  placer  les  cinq  peuplades  dépendantes  des  Nerviens,  à  gauche  de 
l'Escaut,  est  tombé  dans  une  nouvelle  erreur,  non  moins  grave  que  la  pre- 
mière ,  en  plaçant  ces  peuples  dans  la  Flandre.  Il  les  considère  comme  ne 
constituant  qu'un  seul  et  même  peuple  avec  les  Ménapiens.  De  cette  conjecture 
erronée,  il  conclut  que  Tournai  et  non  Bavai  était  la  capitale  des  Nerviens.- 

L'auteur  anonyme  d'un  mémoire  sur  les  campagnes  de  César  dans  la 
Belgique,  publié  récemment,  fixe  la  position  des  Centrons  a  Thorembais 
S'-Troûd,  celle  des  Grudiens  à  Tirlemont,  celle  des  Levaciens  a  Leau,  celle 
des  Pleumosiens  à  Lumay ,  sur  une  ligne  d'environ  six  lieues  d'étendue  du 
midi  au  nord  et  celle  des  Gorduniens  à  Gorduines,  au-delà  de  la  Sambre 
au  midi  de  Charleroi.  On  pourra  juger  de  la  valeur  des  preuves  sur  lesquelles 
«'appuyé  cet  auteur  par  celles  qu'il  donne  de  la  position  assignée  par  lui 
aux  Grudiens;  il  place  ce  peuple  près  de  Tirlemont  parce  que  près  de  cette 
Tille  se  trouve  un  village  nommé  Giimpde  et  anciennement  Grunde  ;  puis 
il  ajoute  comme  seconde  preuve  qu'il  existait  à  Tirlemont,  avant  la  révolu- 
tion française,  une  corporation  laïque  coniiue  sous  le  nom  de  Hinne  priesierSf 
qui  veut  dire  prêtres  de  poulets  ,  «  c'est  bien  la  ,  ajoute  gravement  l'auteur, 
les  gardiens  des  poulets  sacrés  attachés  aux  augures  du  temps  des  Romains.» 
(J.  P.  B.  Mémoire  sur  les  campagnes  de  César  dans  la  Belgique,  p.  22 
et  63.)  Sur  la  véritable  origine  du  sobriquet  Hinne  priesters,  voir  nos  Essais 
histor.  sur  les  usages,  les  croyances,  les  traditions,  etc.,  des  Belges  anciens 
et  modernes,  1"  partie  ,  p.  236. 

Un  auteur  hollandais,  Bruining,  fait  dériver  le  nom  de  Courtrai,  Corturia- 
cum,  de  celui  des  Gorduniens.  C'est  toujours  la  même  erreur  que  celle  de  placer 
ce  peuple  sur  le  territoire  de  Bruges.  (Bruining  ,  Res  Belgicœ,  etc.,  p.  15.) 


Suivant  cet  auteur,  les  Atuatiques  touchaient  vers  le  nord 
aux  Eburons  (1).  A  Toccident  et  au  midi  ils  devaient  con- 
finer aux  Nerviens  (2),  et  a  Forient  aux  Tre'viriens.  Quelles 
étaient  de  ce  côte  les  limites  des  Atuatiques  ?  C'est  ce  qu  il 
est  impossible  d'indiquer  sans  se  livrer  a  des  conjectures, 
au  moins  douteuses. 

Tout  ce  qu'on  peut  dire  de  plus  probable ,  c'est  que  les 
Atuatiques  devaient  occuper  la  province  ou  une  partie  de 
la  province  actuelle  de  Namur.  Pellerin  e'tend  leurs  fron- 
tières jusque  dans  la  Hesbaye  et  le  Brabant  (3). 

Les  Ménapiens  occupèrent  d'abord,  en  majeure  partie, 
les  deux  rives  du  Rhin  (4).  Ce  devait  être  dans  le  duché  de 
Clèves  à  droite  du  Rhin,  et  dans  la  Gueldre,  à  gauche  du 


M.  Raepsaet  a  beaucoup  mieux  compris  la  question  que  nous  traitons  ici . 
mais  il  assigne  ensuite  aux  cinq  peuples  susdits  une  position  géographi- 
que sur  la  réalité  de  laquelle  il  finit  cependant  par  douter  lui-même  : 
«Comme  les  Nerviens,  dit-il,  n'ont  jamais  eu  d'empire  sur  la  gauche  de 
1  Escaut  où  demeuraient  les  Ménapiens,  il  est  impossible  de  placer  ces  peu- 
plades ailleurs  qu'entre  les  Eburons  et  les  Nerviens  que  séparaient  la  Senne 
et  l'Escaut.  (  Ces  limites  sont  incertaines  ).  Ce  qui  vient  à  l'appui  de  cette 
situation,  c'est  que  dans  le  partage  des  états  de  Lothaire,  de  l'année  870, 
il  se  trouve  un  lot  qui  comprend  quatre  comtés  dans  le  Brachantum  [in 
Brachanfo  comitatus  quatuor).  (Raepsaet,  Analyse,  etc..  tom.  1%  p.  15.)  On 
voit  que  l'argument  de  M.  Raepsaet  est  très-faibîe  ;  car  d'abord,  il  faudrait 
cinq  comtés  au  lieu  de  quatre;  et  ensuite  il  faudrait  encore  connaître  les 
noms  de  ces  comtés.  Aussi  quelques  lignes  plus  loin,  l'auteur  semble  être 
revenu  de  son  opinion  lorsqu'il  dit  que  «la  situation  de  ces  cinq  peuplades 
demeure  encore  un  problême.  » 

(1)  Caes.,  1.  y,  c.  27, 1.  VL  c.  33,  1.  V,  c.  38. 

(2)  Idem.,  1.  V,  c.  38. 

(3)  Nous  ne  pouvons  adopter  l'opinion  du  Savant  Bollandiste  Ghesquière 
qui  étend  les  limites  des  Atuatiques  jusqu'à  Diest  et  Aerschot,  dans  la  sup- 
position que  le  château  ou  César  vainquit  les  Atuatiques  était  placé  à 
Tongres  :  chose  qui  ne  semble  nullement  probable  comme  nous  le  démon- 
trerons plus  loin.  (  Ghesquière,  Dissert,  fféogr.  histor.  de  majorih.  populis 
ante  Augustum  Belgii  Jiodierni  incolis.  Anciens  mém.  de  l'acad.,  t.  5.) 

{4)  Ad  utramque  ripam  ftuminis  agros,  œdificia  vicosque  hahehant,  (Cses.. 
1.  IV,  c.  4.) 


—  55  — 

fleuve  jusqu'à  sa  séparation  en  deux  bras;  car  à  partir  de 
ce  point ,  vers  Touest ,  habitaient  les  Bataves ,  et  c  est  uno 
erreur  de  placer,  comme  font  quelques  auteurs,  les  Mena- 
piens  des  deux  côtes  du  Wahal  (1).  C'est  leur  faire  occu- 
per File  des  Bataves,  et  pour  les  y  atteindre ,  les  Tenchtres 
et  les  Usipètes  qui,  du  temps  de  Gësar^  envahirent  le  terri- 
toire des  Menapiens ,  auraient  du  aussi  traverser  celui  des 
Bataves;  c'est  ce  que  César  ne  dit  pas,  et  c'est  ce  qu'il 
aurait,  comme  il  semble,  du  dire  s'il  en  avait  été  ainsi  (2). 
Le  séjour  des  Menapiens  dans  la  Gueldre  actuelle ,  avant 
leur  expulsion  de  cetle  contrée  et  des  bords  du  Rhin,  par 
les  Tenchtres  et  les  Usipètes,  fait  que  Strabon  a  confondu 
cette  première  position  géographique  des  Menapiens  avec 
celle  qu'ils  occupèrent  ensuite  à  gauche  de  l'Escaut.  Il 
place  encore  de  son  temps ,  plus  de  60  ans  après  l'invasion 
des  Tenchtres  et  des  Usipètes ,  les  Menapiens  sur  les  deux 
rives  du  Rhin  ;  mais  pour  concilier  l'ancienne  position  de 

(1)  Desrocbes,  Hlst.  anc.  des  Pays-Bas  Autrich.,  p.  84. 

(2)  César  rapporte  (  liv.  II,  c.  4),  que  pour  venir  attaquer  le  territoire 
ménapien  a  gauche  du  Rîiin,  les  Tenchtres  et  les  Usipètes,  n'ayant  pas  de 
barques  pour  passer  ce  fleuve,  s'emparèrent  par  ruse  de  celles  des  Menapiens. 
Si  les  Menapiens  avaient  occupé  les  deux  rives  du  Wahal,  les  Tenclitres  et 
les  Usipètes  auraient  dû  passer  d'abord  le  bras  droit  du  Rhin  et  1  île  des 
Bataves,  avant  de  parvenir  h  eux:  c'est  ce  qui  non-seulement  paraît  invrai- 
semblable, mais  semble  même  positivement  contredit  par  César.  En  effet, 
cet  auteur  dit  que  les  ennemis  nayant  pas  d'abord  réussi  dans  leur  tenta- 
tive pour  s'emparer  des  barques  des  Menapiens,  feignirent  d'abandonner 
leur  entreprise  et  de  retourner  sur  leurs  pas;  qu'ils  reculèrent  en  consé- 
quence d'une  espace  de  trois  journées  de  chemin,  puis  revinrent  et  firent,  par 
une  marche  forcée  et  dans  une  seule  nuit,  cette  même  route,  et  s'emparèrent, 
à  l'improviste,  des  barques  des  Menapiens  au  moyen  desquelles  ils  passèrent 
de  la  droite  à  la  gauche  du  Rhin. 

Dans  tout  le  récit  de  César  il  n'est  point  question  d'un  second  bras  du 
Rhin  passé  par  les  Tenchtres  et  les  Usipètes  avant  de  parvenir  aux  Mena- 
piens. Comment  d'ailleurs  ces  peuples  auraient  ils  pu,  sans  navires,  passer  le 
bras  droit  du  Rhin  lorsqu'ils  feignirent  de  se  retirer  en  arrière  etparcourij: 
en  outre  un  espace  de  trois  journées  de  route,  etc.,  etc  ? 


~-  56  — 

ce  peuple  avec  celle  qu'il  prit  du  temps  de  César  ,  il  le  re- 
cule vers  l'embouchure  du  Rhin ,  et  le  place  ainsi  à  l'extré- 
mité de  l'île  des  Bataves,  sur  le  territoire  des  Caninefates  (1). 
Par  une  erreur  plus  grave  encore ,  Ptolemée,  qui  écrivait 
un  siècle  après  Strabon ,  place  les  Ménapiens  dans  leur 
ancienne  position  entre  la  Meuse  et  le  Rhin  {post  Mosam 
en  partant  d'occident  en  orient  )  ,  contrée  abandonnée 
depuis  un  siècle  et  demi  par  les  Ménapiens  et  occupée 
alors  par  les  Gugernes,  peuplade  germanique  transférée 
de  la  droite  du  Rhin  sous  le  règne  d'Auguste. 

Quoique  la  majeure  partie  des  Ménapiens  habitât  les 
deux  rives  du  Rhin  avant  l'invasion  des  Teuchtres  et  des 
Usipètes,  ils  paraissent  s'être  déjà  étendus  alors  jusque  sur 
les  côtes  delà  Flandre;  car  on  lit,  au  livre  III,  chap.  9  des 
Commentaires  de  César,  qu  avant  leur  expulsion  des  bords 
du  Rhin,  les  Ménapiens  étaient  entrés  dans  la  confédéra- 
tion armoricaine  formée  par  les  Vénetes ,  les  Cale  tes ,  les 
Morins  et  autres  peuples  maritimes  des  Gaules. 

Si ,  à  cette  époque  ,  les  Ménapiens  étaient  établis  dans  la 
Flandre  ,  ils  devaient  aussi  occuper  une  lisière ,  si  ce  n'est 
la  totalité  du  Brabant  septentrional ,  par  laquelle  ils  com- 
muniquaient a  la  Gueldre. 

Au  reste  ,  a  cause  de  la  faiblesse  de  la  population  ména- 
pienne  ,  la  Flandre  et  tout  l'espace  compris  entre  l'Escaut, 
le  Wahal ,  la  Meuse  et  le  Demer  ne  devaient  offrir  qu'un 
vaste  désert  et  pouvaient,  nous  l'avons  déjà  observé,  être 
appelés  à  juste  titre ,  comme  le  territoire  entre  la  Meuse , 


(I)  Sur  cette  erreur  de  Strabon,  voyez  Montanus,  Beschryv.  der  eerste 
inwooners  van  Amstelandt,  p.  24  et  suiv.,  une  dissertation  de  nous  sur  la 
vraie  position  du  Castelliim  Menapiorum  dans  les  nouv.  archives  de  M.  de 
Reiffenberg,  (juillet  1830) ,  et  notre  mémoire  couronné  sur  le  Castellum 
Morinorum.  dans  les  Mémoires  de  la  société  des  Antiquaires  de  Morinie  , 
tome  2. 


—  57  — 

le  Wahal  et  le  bras  droit  du  Rhin  avant  son  occupation 
par  les  Bataves ,  les  frontières  désertes  de  la  Gaule  (1). 

En  efifet  la  totalité  de  la  population  ménapienne,  ne 
s'élevait  guère  a  plus  de  36,000  âmes,  comme  nous  le  ferons 
voir  plus  loin.  La  majeure  partie  de  cette  faible  popula- 
tion occupait  la  Gueldre  et  le  duché  de  Clèves;  le  reste 
éparpillé  sur  la  vaste  étendue  de  pays  que  comprend  au- 
jourd'hui les  deux  Flandres ,  le  Brabant  septentrional ,  le 
département  du  nord  en  France,  et  peut-être  la  Zélande, 
devait  se  perdre  dans  ce  vaste  espace  et  y  être  impercepti- 
ble ,  puisque  lors  me  aie  que  la  peuplade  des  Ménapiens  se 
fut  retirée  tout  entière  a  la  gauche  de  l'Escaut  dans  la 
Flandre,  celle-ci  ressembla  encore,  pendant  des  siècles,  plu- 
tôt à  un  désert  qu'à  une  région  habitée.  Comme  ce  ne  fut 
que  vers  l'an  55  avant  l'ère  vulgaire  ,  que  le  peuple  ména- 
pien  chassé  des  bords  du  Rhin  ,  se  retira  en  entier  dans  la 
Flandre ,  nous  ne  parlerons  de  cette  nouvelle  délimitation 
que  lorsque  nous  tracerons  la  position  géographique  des 
Belges  sous  la  domination  romaine. 

Nous  ne  devons  nous  occuper  ici  que  de  la  position 
géographique  des  Ménapiens  avant  l'invasion  des  Tcnchties 
et  des  Usipètes. 

César  n'indiquant  point  les  limites  du  territoire  ména- 
pien  à  droite  du  Rhin ,  nous  les  ignorons  complètement. 
A  la  gauche  du  Rhin ,  ils  étaient  borpés  au  midi,  du  côté 
de  la  Gueldre ,  par  les  Eburons  ,  et  dans  la  Flandre  par 
les  Atrebates.  Au  nord  ils  avaient  pour  bornes  le  pays  des 
Bataves  et  la  mer  du  nord.  A  l'ouest  ils  étaient  limités 
par  la  mer  et  les  Morins  (2) ,  et  a  l'orient  encore  par  les 
Eburons  (3)  et  par  les  Nerviens. 

(1)  Tac.  hist,  I.  IV. 

(2)  Menapiis  conttrmim  sunt  ad  mare  Morini.  (Strab..  I.  IV.) 

(3)  Cœs.,  1.  VI,  c.  5. 


—  SS- 
II est  douteux  que  des  limites  trace'es  séparassent  déjà , 
à  Tépoque  dont  nous  traitons ,  les  Ménapiens  des  peuples 
voisins,  puisque,  même  sous  la  domination  romaine,  ces  li- 
mites n'étaient  pas  encore  fixées  du  côté  du  nord.  Perdus, 
à  cause  de  leur  population  si  peu  considérable,  dans  la 
vaste  étendue  de  leur  territoire,  dont  une  partie  était  in- 
habitable à  cause  des  débordemens  de  la  mer,  des  fleuves, 
des  rivières  et  des  marais  fangeux  qui  couvraient  les 
bords  de  l'Escaut  du  côté  des  Eburons,,  bornés  par  les  con- 
trées désertes  entre  le  Demer,  la  Meuse  et  l'Escaut,  les 
Ménapiens  ne  devaient  avoir  pour  limites  ,  comme  la  plu- 
part des  peuples  germaniques,  que  des  déserts,  bornes 
naturelles  qui  n'avaient  point  besoin  d'une  délimitation 
plus  précise  chez  un  peuple  pasteur  et  à  moitié  nomade. 
Sans  assigner  aux  Ménapiens  avant  la  conquête  romaine 
de  justes  limites,  on  peut  dire  qu'ils  habitaient  le  pays 
correspondant  au  duché  de  Clèves,  à  la  partie  de  la  Gueldre , 
à  la  gauche  du  Rhin ,  à  une  partie  du  Brabant  septentrional , 
aux  deux  Flandres  et  a  une  partie  du  département  du 
nord  en  France  (1). 

La  dernière  peuplade  de  la  Belgique  dont  il  nous  reste 
à  chercher  la  position  géographique  sont  les  Ambivarites. 
César  est  le  seul  des  anciens  qui  ait  fait  mention  de  ce  peu- 
ple; il  le  place  en  deçà  de  la  Meuse  (2).  Les  Ambivarites 
habitaient  donc  entre  le  Demer,  la  Meuse  et  l'Escaut,  sans 
qu'on  sache  quelle  y  était  leur  position  précise.  Goro- 
pius  Becanus  ,  Gramaye,  Desroches  (3)  et  d'autres  les  pla- 
cent à  Anvers  sans  autre  fondement  que  la  légère  ressem- 
blance entre  le  nom  des  Ambivariti  et  des  Andverpienses . 

(1)  Van  Heurn  place  les  Ménapiens  clans  les  anciens  quartiers  de  Louvain 
et  d'Anvers,  {Historié  der  stadt  en  meyerye  van  s'Hertogenbosch,  l^dcel, 
1"  boek),  c'est  là  une  erreur  qui  n'a  pas  besoin  d'être  relevée. 

(2)  Cœs.,  I.  IV,  c.  9. 

(3)  Desrothes,  p.  83. 


—  59  — 

Raepsaet  croit  que  lorsque,  sous  le  règne  d'Auguste ,  les 
Toxandres  occupèrent  la  Campine,  le  nom  des  Ambivarites 
fut  confondu  avec  celui  de  ce  peuple  (1), 

Nous  ne  comptons  point  parmi  les  peuples  anciens  de  la 
Belgique  actuelle,  les  Morins  dont  on  fixe  généralement 
les  limites  yers  la  ville  actuelle  de  Nieuport ,  parce  que 
nous  sommes  persuade's  quils  n'ont  jamais  habite  cette 
contrée  ,  et  cjue  vers  le  nord  ils  ne  s'étendaient  pas  au  delà 
de  la  Deule,  de  la  Scarpe  et  de  la  Lys,  où  commençait  le 
pagus  Menapiscus  ou  le  pays  des  Ménapiens  (2).  Nous 
examinerons  plus  amplement  cette  question  dans  la  seconde 
partie  du  livre  l^*"  de  cet  ouvrage. 

Comme  il  est  parlé  dans  le  liv.  V  des  Commentaires  de 
César,  d'un  peuple  appelé  Meldi^  chez  lequel  quarante 
vaisseaux  de  la  flotte  romaine  destinée  contre  la  Grande- 
Bretagne  ,  avaient  été  retenus  par  les  vents  contraires , 
Banville  a  conclu  que  ce  peuple  ne  pouvait  être  le  même 
cjue  les  Meldi  du  diocèse  de  Meaux  fort  éloigné  de  la  mer  , 
comme  chacun  le  sait.  Croyant  trouver  quelque  conformité 
entre  le  nom  de  Meldi  et  celui  de  Maldeghem ,  village  dans 
les  environs  de  Bruges,  il  y  a  fixé  la  position  de  ces  Meldi  (3). 
Quand  la  ressemblance  entre  le  nom  de  Meldi  et  celui  de 
Maldeghem  serait  moins  chimérique  c[u'elle  ne  l'est,  ce 
ne  serait  pas  encore  une  raison  de  conclure  qu'un  village , 
dont  l'existence  ne  date  que  du  moyen  âge,  ait  pris  son  nom 

(î)  Raepsaet,  Analyse  de  Vhist.  des  droits  civ.  pol.  et  relig.  des  Belges  et 
des  Gaul.,  tom.  1,  p.  25. 

(2)  Raepsaet  trouve  l'étymologie  du  nom  des  Morins  dans  le  mot  flamand 
moer-hinnen ,  poules  de  marais  a  de  même,  dit-il,  qu'on  appelle  Avatcr- 
hinnen  les  poules  deau,  »  (Analyse,  etc.,  tom.  1,  p.  31). 

Cette  étvmologie  est  de  la  force  de  celle  que  cet  auteur  donne  du  nom 
des  Belges  qu'il  fait  dériver  de  celui  do  la  ville  de  Bielgorod  située  dans  le 
centre  de  la  Russie  !  !  ! 

(3)  Banville;  Notice  des  Gaules,  p.  452,  édit.  in-4°." 


—  60  — 

de  celui  d'une  peuplade  dont  César  seul  a  fait  mention. 
Comme  rien  n'autorise  la  supposition  de  Danvilleet  qu'au- 
cun e'crivain  ancien  ne  parle  d'un  peuple  de  la  Belgique 
actuelle ,  nommé  Meldi^  nous  pouvons  rejeter  une  conjec- 
ture aussi  vague  et  aussi  dénuée  de  preuves  que  celle  de 
ce  géographe  français. 


61 


CHAPITRE  IV. 

Qualités   physiques    et    morales,    mœurs,   usages,    culte  et  industrie   des 

Celto-Belges. 

«  On  a  remarqué  avec  raison ,  observe  le  judicieux 
Picot ,  que  les  détails  de  la  vie  privée  d  un  homme  fai- 
saient mieux  connaître  son  caractère  que  les  grands  événe- 
mens  qui  le  concernent;  la  même  observation  peut  se 
faire  sur  les  nations  ;  on  les  juge  plus  sainement  sur  leurs 
usages  et  leurs  coutumes  journalières  que  sur  Thistoire  de 
leurs  guerres  et  de  leur  vie  politique,  cette  histoire  en 
effet  apprend  davantage  a  connaître  le  caractère  des  chefs 
et  des  rois  que  celui  des  individus ,  c'esl-a-dire  ,  que  celui 
de  la  masse  de  la  nation  (1).  » 

L'histoire  des  mœurs  et  des  usages  de  nos  premiers  ayeux 
est  non-seulement  pour  nous  du  plus  haut  intérêt,  parce 
qu  elle  nous  fait  connaître  Tétat  de  notre  société  dans  son 
enfance,  et  qu  elle  nous  découvre  l'origine  d'un  grand  nom- 
bre de  coutumes  encore  en  vigueur  de  nos  jours,  mais  en  ce 
qu'elle  nous  donne  lieu  de  faire  un  parallèle  entre  la  civi- 
lisation de  nos  ancêtres  et  la  notre,  comparaison  qui  tourne 
entièrement  à  l'avantage  des  temps  modernes  et  nous  laisse 
encore  mieux  apprécier  les  immenses  progrès  que  nous 
avons  fait  dans  toutes  les  branches  des  connaissances  et  de 
l'industrie  humaine  pendant  une  longue  suite  de  siècles. 
La  où  l'on  ne  voyait  jadis  que  des  forets  peuplées  d'ani- 
maux féroces ,  des  bruyères  stériles  et  de  vastes  marécages , 
nous  observons  de  superbes  plaines  d'une  culture  qui  fait 

(I)  Picot.  Rist  des  Celtes,  tom.  1,  p.  285. 


-  62  — 

l  admiration  des  peuples  de  TEurope  les  plus  avances  en 
civilisation  ;  la  oii  Ton  trouvait  ëpars  quelques  pauvres 
chaumières,  s'élèvent  aujourd'hui  de  superbes  cites  orne'es 
d'une  foule  de  monumens  pompeux ,  des  bourgs  et  des 
villages  c|ui ,  dans  d'autres  contrées,  passeraient  pour  des 
villes  remarquables.  La  enfin  oii  végétaient  quelques 
faibles  peuplades,  pauvres,  barbares  et  ne  vivant  que  de 
la  chasse  ou  du  pillage ,  se  presse  une  population  nom- 
breuse ,  riche  et  industrieuse. 

Les  auteurs  modernes  qui  se  sont  occupés  de  l'histoire  ou 
de  la  vie  privée  des  Belges  avant  et  durant  la  domination 
romaine  ,  ont  généralement  confondu  les  peuples  de  races 
difFérenles  qui  occupèrent  successivement  la  Belgique,  les 
Celto-Belges  et  les  Germano-Belges ,  parce  qu'ils  n'ont  pas 
fait  une  distinction  assez  marquée  de  ces  deux  races  ;  cju'ils 
ont  considéré  ,  comme  nous  l'avons  déjà  observé ,  les  peu- 
ples qui  habitaient  cette  contrée  a  l'époque  de  la  conquête 
romaine ,  comme  n'étant  qu'un  mélange  de  Celtes  ou  Gau- 
lois et  de  Germains  et  Cjue  par-là  ils  ont  cru  que  la  manière 
de  vivre  des  Belges  devait  tenir  de  celle  de  c^s  deux  nations 
ensemble.  Nous  avons  suffisament  démontré ,  dans  le  pré- 
cédent chapitre ,  que  la  Belgique  peuplée  dans  le  principe 
par  des  peuples  de  race  celtique,  le  fut  exclusivement  de- 
puis l'expulsion  de  ces  derniers ,  par  des  Germains  qui  se 
firent  toujours  un  litre  de  gloire  de  conserver  intacts  et 
purs  le  sang  et  les  mœurs  de  la  mère  patrie. 

Nous  décrirons  donc  séparément ,  d'abord  la  vie  privée 
des  Celto-Belges,  ensuite  celle  des  Germano-Belges.  Mais 
manquant  de  documens  particuliers  sur  les  peuplades 
celtiques  de  la  Belgique,  nous  ne  pourrons  puiser  que 
dans  ceux  que  les  anciens  nous  ont  laissés  sur  les  Celtes 
en  général ,  en  distinguant  toutefois  ce  cjui  se  rapportait 
plus  particulièrement  aux  Celtes  du  nord  des  Gaules ,  de 


—  63  — 

ce  qui  ne  pouvait  convenir  qu'aux  Celtes  méridionaux. 
Gomme  ce  chapitre  est  plus  e' tendu  que   les  autres  , 
nous  le  diviserons  en  paragraphes  afin  de  ne  pas  trop 
fatiguer  Tattention  du  lecteur. 

MOEURS  ET  USAGES  DES  CELTO-BELGES. 

§1. 

Qualités  physiques  et  morales  des  Celto-Belges. 

Tous  les  auteurs  anciens  qui  ont  parle  des  Celtes  ou 
Gaulois,  les  dépeignent  comme  des  hommes  d'une  stature 
presque  gigantesque ,  robustes  et  de  beaucoup  d  embon- 
point, ayant  la  peau  blanche,  les  yeux  vifs  et  bleus,  le 
regard  farouche  et  menaçant ,  les  cheveux  longs  et  de  cou- 
leur rousse  ou  blonde,  la  voix  rude  et  forte.  Quant  a 
leur  stature  prodigieuse ,  elle  est  constatée ,  non-seule- 
ment par  le  témoignage  unanime  des  auteurs  anciens  (1), 
mais  par  la  découverte  d'un  grand  nombre  de  tombeaux 
gaulois  trouve's  dans  différentes  contre'es  de  la  France.  La 
grandeur  des  ossemens  que  renfermaient  ces  se'pul turcs 
fait  inférer  cjue  la  taille  ordinaire  des  Celtes  était  de  six 
et  même  de  sept  pieds  (:2). 

César  attribue  la  haute  taille  et  les  forces  des  Gaulois  a 
la  simplicité  de  leur  nourriture  c[ui  consistait  principale- 

(1)  JVamque  plerumgue  omnibus  Gallis  pro  magnitudine  corporum  hrevitas 
nosfra  coniemptui  est.  (Cses.,  Bell.  Gall.  et  Bell.  African.).  \ .  Diod.  sicul., 
Hist,  1.  V.  Tit.  Liv.  1.  XXXVIII,  c.  17  et  21.  Suéton,  in  Calig.,  c.  47. 
Strab.,  1.  IV.  Appian,  m  Celt  Floius.  Épit.  hist.  rom.,  \.  I,  c.  13,  I.  II,  c.  4. 
Amm.  Marcell.,  I.  XV.  c.  12.  Peloutier,  Hist.  des  Celtes,  t.  2,  p.  9  et  suiv. 

(2)  Picot,  Hist.  des  Ganl,  t.  2,  p.  211. 


—  64  - 

ment  en  viandes  et  en  laitage,  a  l'exercice  continuel  auquel 
ils  se  livraient ,  à  la  grande  liberté  dans  laquelle  ils  vi- 
vaient dès  leur  enfance  et  à  leur  modération  dans  les  plai- 
sirs de  l'amour.  Les  femmes  gauloises  étaient  d'une  taille 
aussi  avantageuse  que  les  hommes  (1).  Elles  les  surpassaient 
même ,  selon  Ammien  Marcellin ,  par  les  forces  du  corps  : 
u  Elles  sont  encore  plus  fortes  qu'eux,  dit  cet  auteur,  leurs 
bras  blancs  comme  la  neige  sont  énormes  et  elles  lancent 
leurs  poings  avec  vigueur  comme  des  Catapultes  (2).  w  La 
chose  paraît  moins  étrange  lorsqu'on  réfléchit  que  les  fem- 
mes gauloises  menaient  une  vie  encore  plus  rude  et  plus 
dure  que  leurs  maris  ;  non-seulement  elles  les  accompa 
gnaient  à  la  guerre  et  à  la  chasse  et  supportaient  les  mêmes 
privations  qu'eux  ,  mais  c'étaient  encore  elles  qui  étaient 
chargées  de  la  culture  de  la  terre  et  de  tous  les  ouvrages 
manuels  les  plus  pénibles ,  qu'elles  interrompaient  à  peine 
un  instant  dans  les  douleurs  cruelles  de  l'enfantement  (3) , 
Malgré  un  genre  de  vie  si  peu  conforme  a  leur  sexe ,  elles 
ne  laissaient  pas  de  passer  pour  les  plus  belles  d'entre  les 
femmes  des  peuples  barbares  (4). 

Pline  attribue  la  blancheur  éclatante  de  la  peau  des 
Gaulois ,  blancheur  que  les  anciens  comparaient  h  celle 
du  lait  (5),  a  la  rigeur  du  climat  des  Gaules  qui  les  empê- 
chait d'être  hâlés  et  brûlés  par  les  ardeurs  du  soleil  (6). 
Aristote  attribue  à  la  même  cause ,  la  couleur  claire  de  leur 


(1)  Diod.  Sicul,  1.  IV  et  1.  V. 

(2)  Amm.  Marcell.,  1.  XV,  c.  12. 

(3)  Diod.  Sicul.,  1.  IV. 

(4)  Athen.,  1.  Xlli.  Diod.  Sicul,  1.  V. 

(5)  Lactea  Colla,  (Virg.  Mneid.)  Sil.  Ital.,  1.  IV,  c.  X. 

C'est  a  cause  de  îa  blancheur  de  la  peau  des  Gaulois,  que  les  Grecs  pré- 
tendaient dériver  leur  nom  de  celui  du  mot  yaXa.i  lait, 
(G)  Plin.,  Hist  nat ,  1.  IL  c.  78. 


—  65  -^ 

yeux  (1).  Les  enfans  naissaient  avec  les  cheveux  blancs , 
mais  ils  devenaient  blonds  ou  roux  a  mesure  qu  ils  gran- 
dissaient (2).  Les  Gaulois  augmentaient  la  couleur  ar- 
dente de  leur  chevelure  par  une  lessive  de  chaux,  ou, 
selon  d'autres ,  par  un  savon  composé  de  suif  et  de  cen- 
dres ;  suivant  Sextus  Pomponius  Festus ,  la  pre'fërence 
pour  les  cheveux  roux  était  générale  chez  les  femmes 
gauloises  (3). 

Les  Celtes  portaient  les  cheveux  longs  et  dans  un  grand 
désordre,  de  sorte  qu'ils  ressemblaient  à  des  crinières  de 
chevaux.  Ils  les  rejetaient  aussi  sur  le  sommet  de  la  tête 
et  sur  le  cou ,  de  manière  à  ressembler  à  des  satyres.  Ils 
portaient  tantôt  la  barbe  longue  et  tantôt  se  la  rasaient, 
mais  alors  ils  laissaient  croître  leurs  moustaches. 

Les  Gaulois  avaient  le  regard  farouche  et  menaçant,  la 
voix  forte  et  rude.  Dans  les  combats  ils  jetaient  des  cris  si 
horribles  qu'ils  suffisaient  parfois  pour  mettre  les  ennemis 
en  fuite  (4). 

Voilà  pour  le  physique  des  Celtes  ou  Celto-Belges  ;  pas- 
sons à  leur  moral. 

Beaucoup  d'auteurs  français  et  belges,  aveuglés  parle 
préjugé  national  et  entraînes  par  l'amour  de  la  patrie,  ont 
cru  devoir,  pour  la  gloire  de  leurs  premiers  ancêtres,  faire 
l'éloge  le  plus  pompeux  de  leurs  qualités  morales ,  et  par 
là  ils  ont  étrangement  dénaturé  la  vérité  historique.  A 
les  en  croire,  aucun  peuple  ancien  ne  pouvait  être  comparé 
aux  Celtes,  sous  le  rapport  de  la  pureté  des  mœurs ,  de  la 
civilisation  et  de  l'industrie  ;  les  Druides  auraient  été  des 

(1)  Aristot.,  Problem,  Sect.  14,  n"  14. 

(2)  Virg^.,  Mneid.,  1.  VIII.  v.  659.  Claudian.,  in  Rufinum,  1.  II,  v.  110. 
In  Laud.  Stilic,  1.  II,  v.  239.  Amm.  Marcell.,  I.  XV,  c.  12.  Diod.  Sic,  I.  V. 
Tit.  Liv.,  1.  XXXVIII,  c.  17. 

(3)  De  verb.  Sîgnif.,  1.  XVI. 

(4)  Tit.  Liv.,  Polyb.,  Justin,  etc.;  Picot,  t.  2,  p.  223. 

Tome  I.  5 


—  66  — 

philosophes  supérieurs  à  Socrate  ou  a  Platon  ;  la  religion  des 
Gelt€s,  le  déisme  le  plus  pur  ;  les  Gaules ,  un  des  pays  les 
plus  peuplés ,  les  mieux  cultivés  et  les  plus  industrieux  de 
l'Europe.  Tout  cela  n'est  que  roman  et  fiction. 

Les  Celtes,  avant  l'affermissement  de  la  domination  ro- 
maine dans  les  Gaules ,  et  surtout  avant  la  fondation  de 
Marseille,  étaient  une  nation  barbare  et  privée  de  toute 
culture  intellectuelle,  possédant  tous  les  vices  et  les  défauts 
de  l'homme  brut  et  sauvage  et  le  petit  nombre  de  vertus 
dont  l'homme,  dans  l'état  de  nature  ,  n'en  déplaise  à 
J.-J.  Rousseau,  est  susceptible  (1).  Les  défauts  que  leur 
imputent  les  écrivains  grecs  et  romains  sont  la  fainéantise 
et  la  mollesse,  l'ivrognerie ,  la  plus  profonde  ignorance,  la 
superstition ,  l'inconstance ,  l'orgueil,  la  cruauté,  la  colère 
-et  l'emportement ,  le  penchant  au  découragement  et  l'avi- 
dité. A  ces  nombreux  défauts  des  Gaulois  ils  opposent  leur 
frugalité  ,  leur  hospitalité  ,  leur  générosité  ,  leur  fidélité, 
leur  franchise ,  leur  adresse  et  une  valeur  à  toute  épreuve, 
tant  chez  les  hommes  que  parmi  les  femmes.  Examinons 
chacun  de  ces  points  en  particulier  et  voyons  quelles  sont 
les  preuves  sur  lesquelles  s'appuyent  les  écrivains  anciens 
pour  soutenir  ces  accusations  et  ces  éloges. 

Quant  à  la  fainéantise  et  à  la  mollesse  des  Gaulois ,  on 
les  attribue  a  leur  dédain  pour  toute  espèce  d'occupation 
autre  que  la  guerre  et  la  chasse ,  et  a  leur  embonpoint  qui 
les  rendait  peu  propres  a  de  longues  fatigues  (2).  L'humi- 
dité du  climat  des  Gaules  peut  aussi  avoir  contribué  à  pro- 
duire un  relâchement  général  des  nerfs  etdes  fibres  du  corps; 

(1)  Hœc  natio  quœ  nunc  Celtica  et  Gallatica  et  Gallica  appellaiur,  hel- 
licosa  est  et  ferox.  (Strab.,  1.  IV.) 

(2)  Diod.  Sicul.,  1.  V.  Cses.,  1.  III,  c.  19.  Tit.  Liv.,  1.  V,  c.  44  et  48, 1.  X, 
c.  28, 1.  XXVII,  c.  48,  1.  XXXIV,  c.  47, 1.  XXXVIII,  c.  17,  Appiani  Excerpta 
.vales.,  Flor.,  1.  II,  c.  4.  Plutarch.,  Fita  Crassi.  Oros.,  1.  V,  c.  16. 


—  67   ^ 

de  la  le  dëcouragement  auquel  se  livraient  les  Celtes 
moindre  obstacle  qu'ils  éprouvaient.  Quoique  robustes,  ils 
ne  pouvaient  supporter  ni  le  cliaud  ni  le  froid  ;  la  pous- 
sière même  les  incommodait.  Florus  les  compare  aux 
neiges  des  Alpes  :  «  Dès  qu'ils  ont  été  réchauffes  par  le  com- 
bat, dit-il,  ils  fondent  en  sueur  et  se  relâclient  par  de 
légers  mouvemens ,  comme  ces  neiges  qui  fondent  par  le 
soleil  (!).«  «Leur  premier  choc  dans  le  combat,  dit  Polybe, 
est  plus  terrible  que  celui  d'un  homme  ordinaire  ,  mais  le 
second  est  plus  faible  que  celui  d'une  femme  (2).  » 

L'ivrognerie  des  Celtes  résultait  del'oisivetë  où  ils  végé- 
taient hors  des  temps  de  guerre  et  de  chasse.  Ils  étaient  si 
fort  enclins  à  ce  vice  que  du  temps  de  Diodore  de  Sicile , 
ils  offraient  souvent  un  esclave  pour  une  cruche  de  vin  (3). 
On  disait  que  Brennus  ayant  résolu  de  se  donner  la  mort, 
ne  put  la  choisir  plus  douce  qu'en  se  tuant  par  les  excès 
de  la  boisson.  Tite  Live  et  Plutarque  rapportent  que  les 
Gaulois  établis  entre  les  Alpes  et  les  Pyrénées,  lorsqu'ils 
burent  pour  la  première  fois  du  vin  d'Italie ,  furent  telle- 
ment épris  de  cette  liqueur,  qu'aussitôt  ils  entreprirent 
l'expédition  qui  les  rendit  maîtres  d'une  partie  considé- 
rable de  ce  beau  pays  (4).  Cette  funeste  passion  des  Celtes 
pour  l'ivrognerie  causa  souvent  la  défaite  et  la  destruc- 
tion de  leurs  armées;  s'étaient-ils  emparés  de  quelque 

(1)  Gallis,  Insubribus  et  his  accoîis  Alpîum,  animi  ferarum,  corpora  pîus- 
quam  humana  erant.  Sed  eœperimento  deprehensum  est,  quod  sicut  primus 
impetus  eis  major  quam  virorum  est,  ità  sequens  minor  quam  feminarum. 
Alpina  corpora,  humenti  cœlo  educata,  habent  quiddam  simile  cum  nivibus 
suis,  quœ  mox  ut  caluêre  pugnâ,  statim  in  sudorem  eunt,  et  levi  moiu  quasi 
sole  laxantur.  (Fiorus,  Epit  hist.  rom.,  1.  II,  c.  4.) 

(2)  Polyb.,  1.  m.  Tit.  Liv.,  1.  X,  c.  28, 1.  XXXVIlî,  c.  17, 1.  XXXIV,  c.  46. 
L  XXII,  c.  2.  Cœs.,  1.  III  c.  19. 

(3)  Diod.  Sicul.,  1.  V. 

(4)  Tit.  Liv.,  1.  V,  c.  S3.  Plutarch.,  in  Camilo. 


-  68  — 

place  ou  étaient-ils  entres  dans  un  pays  ennemi ,  ils  se 
débandaient  d  abord  pour  aller  vider  tous  les  tonneaux  ; 
et  il  arriva  plus  d'une  fois  que  les  ennemis  n'eurent  que  la 
peine  d'assommer  ces  ivrognes  ensevelis  dans  le  sommeil 
au  milieu  des  brocs  et  des  futailles. Les  Gaulois  qui  prirent 
Rome  et  ceux  qui  envahirent  l'Italie ,  périrent  la  plupart 
de  cette  manière  (1). 

Par  suite  de  l'intempérance  des  Gaulois ,  il  s'élevait  sou- 
vent parmi  eux  des  querelles  sanglantes  lorsqu'ils  se  trou- 
vaient plusieurs  a  table  ;  il  se  passait  rarement  une  fête  qui 
ne  fut  souillée  par  le  meurtre  de  plusieurs  des  convives. 

L'ignorance  et  la  superstition  des  Gaulois  doivent  être  at- 
tribuées à  l'état  de  barbarie  dans  lequel  ils  vivaient  et  qui 
les  portait,  comme  les  nobles  du  moyen  âge,  à  témoigner  le 
plus  profond  mépris  pour  les  sciences  et  les  arts ,  et  à  ne 
priser  que  la  gloire  qui  s'acquiert  par  les  armes  et  la  force 
brutale.  De  cette  ignorance  résultait  encore  leur  légèreté 
et  leur  inconstance.  César  rapporte  que  dès  cju'un  voya- 
geur arrivait  dans  quelque  bourgade  gauloise ,  aussitôt  la 
foule  s'assemblait  autour  de  lui  pour  le  questionner  sur  ce 
qu'il  avait  vu,  ou  entendu  dire.  Comme  leur  ignorance  les 
mettait  dans  l'impossibilité  de  distinguer  le  vrai  du  faux  , 
ces  hommes,  crédules,  sur  un  simple  ouï  dire  ou  sur  le  sbruits 
les  plus  vagues ,  prenaient  souvent  les  résolutions  les  plus 
importantes  et  s'engageaient  dans  de  mauvaises  entre- 
prises dont  ils  avaient  bientôt  lieu  de  se  repentir  (2). 

Comme  tous  les  barbares  qui  ne  connaissent  et  ne  mesu- 
rent point  les  forces  de  leurs  ennemis ,  les  Celtes  étaient 
orgueilleux  et  fanfarons  ;  en  marchant  au  combat  ils  pro- 
voquaient l'ennemi  par  les  injures  les  plus  grossières  et  les 

(1)  Appian.,  Celtic.  Plut.,  Camill  Tit.  Liv..  1.  V.  Justini,  Histor.,  I.  XXIV 
c.  7  et  8. 
(2^  Cœs.,  1.  IV,  c.  5. 


-~  69  — 

bravades  les  plus  ridicules  ;  mais  eprouvaient-ils  quelque 
revers ,  ils  tombaient  dans  le  plus  grand  abattement  et  se 
croyaient  perdus  sans  ressource  (1). 

Leur  cruauté  à  1  égard  d\m  ennemi  vaincu  n'avait  point 
de  bornes.  L  âge  ni  le  sexe  ne  leur  inspiraient  aucune  pitié  ; 
ils  faisaient  périr  les  hommes  faits ,  les  vieillards,  les  fem- 
mes et  les  enfans  dans  d'affreux  supplices  ou  les  immo- 
laient en  holocauste  a  leurs  dieux  barbares  (2)  :  a  La  féro- 
cité des  Gaulois,  dit  Diodore  de  Sicile,  se  remarque  surtout 
dans  leur  religion  ;  il  n'y  a  rien  de  plus  impie  que  les 
victimes  qu'ils  présentent  à  leurs  divinités ,  rien  de  plus 
barbare  que  la  manière  de  les  offrir  (3).  » 

Les  Gaulois  étaient  colères,  emportés  et  se  livraient  avec 
violence  à  leurs  premiers  mouvemens  ;  pour  une  chose  de 
nulle  importance ,  ils  se  provoquaient  et  se  battaient  à  la 
mort  (4). 

Ils  étaient  d'une  avidité  extrême  ;  de  la  les  brigandages 
auxquels  ils  se  livraient  continuellement  contre  leurs  voi- 
sins ;  dans  leurs  courses  ils  ne  respectaient  ni  les  tombeaux 
des  morts  illustres  ,  ni  les  temples  des  dieux.  Leur  insatia- 
ble cupidité  et  le  désir  de  butiner  les  portaient  à  se  mettre 
aux  gages  de  toute  puissance  qui  voulait  acheter  leurs  ser- 
vices. 

Aussi  les  anciens  leur  donnaient-ils  avec  assez  de  justesse 
lepithète  à' âmes  vénales.  11  arriva  plus  d'une  fois  que  les 

(1)  Caes.,  I.  m,  c.  20.  DIo.  Cass.,  Hist.  rom.,  1.  XXXIX.  Strab.,1.  IV. 

(2)  Silius  Italicus  dépeint  la  légèreté  et  la  férocité  des  Gaulois  dans  les 
vers  suivans  : 

Quin  etiain  ingénia  fuxi ,  scd  primo  ferocet 
yaniloquum  Celtœ  genns  ac  mutahilc  mentis 
Bespectare  domus  ;  mœrebant  cœde  sine  ullû 
{.  Insolitum  sihi  )  hella  geri ,  siccasque  cruoro 
Inter  tula  siti  Mavortis  hebescere  dextras. 

(Sil.  Ital.,  Bell,  punie,  1.  VIH ,  v.  16  et  feq,) 

(a)  Diod.  Sicul.,  1.  V. 
(4)  ïit.  Liv.,  1.  V,  c.  37. 


^  70  — 

peuples  contre  lesquelles  Gaulois  de  TAsie  mineure  étaient 
en  guerre,  connaissant  leur  avidité',  leur  abandonnaient 
au  pillage  un  camp  ou  une  bourgade ,  et  que ,  tandis  que 
ces  barbares  se  débandaient  pour  piller ,  ils  tombaient  a 
rimproviste  sur  eux  et  les  exterminaient. 

Voyons  maintenant  si  les  vertus  attribuées  aux  Celtes 
ou  Gaulois  pouvaient  balancer  leurs  vices  et  leurs  dé- 
fauts. 

D'abord ,  la  prétendue  frugalité  des  Celtes  n'était  que 
TefFetde  leur  pauvreté  ,  de  leur  paresse  et  de  leur  complète 
ignorance  des  jouissances  de  la  vie  dansl'état  de  civilisation. 
Si  leur  nourriture  était  simple  et  grossière ,  c  est  que  le  peu 
d'industrie  qui  régnait  dans  le  pays  ne  leur  permettait 
pas  d'en  avoir  d'autre.  Lorsque ,  par  le  vol  et  le  pillage,  ils 
pouvaient  se  procurer  le  superflu,  ils  ne  manquaient  pas 
de  se  gorger  de  tous  les  mets  qu'ils  avaient  sous  la  main. 
D'ailleurs  l'ivrognerie,  le  vice  le  plus  général  parmi  les 
Gaulois  ,  prouve  assez  combien  peu  ils  observaient  les  pré- 
ceptes de  la  sobriété. 

Les  lois  de  l'hospitalité,  il  faut  le  dire,  les  Gaulois  les 
observaient  religieusement.  Comme  tous  les  peuples  bar- 
bares, comme  les  Arabes  du  désert  et  les  sauvages  de  l'Amé- 
rique, les  Celtes  se  dépouillaient  de  toute  leur  férocité 
devant  un  étranger  ou  un  fugitif;  on  le  logeait ,  on  le  nour- 
rissait (1)  ,  et  ce  n'est  qu'après  avoir  pourvu  à  tous  ses 
besoins ,  qu'on  s'enquerrait  de  sa  qualité ,  du  lieu  d'où  il 
était  parti,  du  motif  de  son  voyage ,  etc.  Ils  n'attendaient 
même  pas  qu'un  voyageur  vint  leur  demander  lui  même 
l'hospitalité  ;  ils  couraient  au  devant  de  lui ,  et  se  dispu- 
taient entre  eux  le  plaisir  de  l'héberger.  «  Ils  louent,  dit 

(1)  La  première  chose  qu'un  Gaulois  faisait, lorsqu'il  rencontrait  un  voya- 
geur, était  de  l'inviter  a  manger,  et  s'il  n'avait  pas  le  loisir  de  dîner, 
1«  Celte  devait  au  moins  l'engager  à  boire  un  coup. 


-.  71  ~ 

Diodore,  ceux  que  les  étrangers  préfèrent  et  les  croyent 
bien  aimés  des  dieux.  »  Quand  un  Gaulois  n'était  pas,  par 
sa  pauvreté,  en  élat  de  loger  l'étranger  qui  s'était  adressé  à 
lui ,  il  ne  le  renvoyait  pas  ,  mais  il  lui  ménageait  un  autre 
logement.  Aristote  rapporte  que  lorsqu'un  voyageur  tra- 
versait les  Gaules  ,  leshabitans  l'accompagnaient  pour  qu'il 
ne  lui  arrivât  aucun  mal  dans  la  route,  et  qu'ils  étaient 
responsables  des  dommages  qu'il  aurait  pu  essuyer.  Sui- 
vant Nicolas  de  Damas ,  il  existait  une  loi  qui  condamnait 
à  mort  un  Gaulois  coupable  du  meurtre  d'un  étranger , 
tandis  que  le  meurtrier  d'un  Gaulois  n'était  puni  que  de 
l'exil  (1). 

La  nature  avait  doué  les  Gaulois  d'un  cœur  bon  et  gé- 
néreux ;  la  férocité  et  la  cruauté  qu  ils  montraient  à  l'égard 
de  leurs  ennemis ,  et  qui  n'étaient  que  l'effet  de  leur  mau- 
vaise éducation  et  de  leur  peu  de  lumières  ,  disparaissaient 
à  la  vue  d'un  malheureux  ou  d'un  ami  dans  le  besoin  ;  ils 
faisaient  alors  preuve  d'un  rare  désintéressement  et  se  prê- 
taient aux  plus  grands  sacrij&ces.  Quand  un  de  leurs  parens 
ou  de  leurs  amis  avait  reçu  une  injure,  ils  la  regardaient 
comme  une  injure  personnelle ,  et  ils  auraient  été  désho- 
norés auprès  de  leurs  concitoyens  s'ils  n'en  avaient  tiré  une 
vengeance  éclatante  (2).  On  cite  plusieurs  exemples  qui 
prouvent  que  parfois  les  Celtes  savaient  respecter  la  valeur 
malheureuse ,  même  dans  leurs  plus  grands  ennemis  (3). 

Les  Gaulois  se  piquaient  d'être  fidèles  observateurs  de 
leur  parole  et  de  la  justice.  Bien  qu'ils  ne  se  fissent  aucun 
scrupule  de  piller  et  de  ravager  sans  motif  les  terres  des 

(1)  Diod.  Sicul.,  1.  V.  Nicol.  Damas,  Apud  Stobaeum.,  serm.  145.  Pelou- 
tier,  t.  2,  p.  463.  Picot,  Hist.  des  Gaul,  t.  2,  p.  249.  Le  Grand  d'Aussy, 
Vie  privée  des  Français,  t.  3,  p.  319. 

(2)  Strab.,  1.  IV. 

(3)  Tit.  Liv.,  1.  V,  c.  46, 


—  72  — 

peuples  e'trangers ,  ils  se  seraient  garde's  d'enlever  la  moin- 
dre chose  de  ce  qui  était  la  propriété  de  leurs  compatriotes, 
jusque-là,  quau  rapport  de  Nicolas  de  Damas  ,  les  Celtes 
ne  se  donnaient  pas  la  peine  de  clore  les  portes  de  leurs 
demeures-  On  cite  cependant  plusieurs  traits  qui  prouvent 
que  les  Gaulois  ne  furent  pas  toujours  fidèles  à  leur  ser- 
ment ;  mais  lorsque  Polybe  avance  cju'il  n  y  avait  rien  de 
plus  ordinaire  que  de  les  voir  violer  la  foi  des  traites,  il  ne 
mérite  guère  d'être  cru  (1). 

Comme  tous  les  peuples  dont  le  naturel  n'a  pas  fléchi 
sous  les  lois  d'une  civilisation  rafinée ,  les  Gaulois  igno- 
raient l'art  dangereux  de  feindre  et  de  flatter;  ils  étaient 
simples  dans  leurs  manières;  francs  et  sincères  dans  leurs 
discours.  On  cite  sur  ce  sujet  la  réponse  qu'ils  firent  à 
Alexandre ,  lorsqu'il  demanda  aux  ambassadeurs  gaulois 
ce  qu'ils  craignaient  le  plus  :  «  Ce  que  nous  craignons  le 
plus,  répondirent-ils,  c'est  la  chute  du  ciel;  cependant 
nous  faisons  grand  cas  de  l'amitié  d'un  homme  aussi  grand 
et  aussi  puissant  que  vous.  »  D'autres  néanmoins  pourront 
considérer  celte  réponse  comme  une  bravade. 

Les  stratagèmes  dont  les  Celtes  usèrent  dans  plusieurs 
de  leurs  guerres ,  attestent  que  tout  barbare  qu'était  cette 
nation ,  elle  ne  manquait  naturellement  ni  d  esprit  ni  de 
sagacité  (2). 

Mais  la  vertu  première  des  Gaulois,  celle  que  les  Romains 

(l)Polyb.,l.II. 

(2)  Poîyaen.,  Smtag.,  1.  VII.,  c.  42.  Théopomp.  Apud  Athenaeum ,  I.  X , 
c.  12.  Tit.  Liv.,  1.  XXIII,  c.  24.  Front.  Stratag.,  1. 1,  c.  6. 

Le  moyen  dont  les  Gaulois  se  servaient  pour  communiquer  promptement 
les  nouvelles  importantes  à  une  distance  considérable  rappelle  la  découverte 
moderne  des  télégraphes  :  IVam,  ubl  major  atque  illustrior  incidit  res  ^ 
clamore  per  agros  regionesque  signifcatit.  Hune  alii  deinceps  excipiunt,  et 
proximis  tradunt,  ut  tum  accidit;  nam,  quœ  Genabi  oriente  sole  gesta 
cssent,  antè  primam  confectam  vigiliam  in  finibus  Arvernorum  audita  sunt; 
quod  spatium  est  millium  circiter  CLX.  (Cœs.j  I.  VH,  c.  3.) 


—  73  — 

et  les  Grecs  ont  le  plus  admire'e  en  eux,  c'est  le  courage  qu'il 
poussaient  même  jusqu'à  la  témérité.  Dans  un  premier 
choc,  aucun  obstacle  ne  pouvait  les  faire  reculer;  la  Yue 
d'une  mort  inévitable  loin  de  les  arrêter,  semblait  enflam- 
mer davantage  leur  ardeur.  Femmes,  vieillards,  enfans, 
tous  possédaient  la  même  valeur  (1). 

L'amour  de  la  liberté  et  l'horreur  pour  l'esclavage  (2) , 
les  principes  d'une  éducation  toute  militaire  et  les  dogmes 
d'une  religion  qui  promettait  l'immortalité  à  ceux  qui  pé- 
rissaient dans  les  combats,  étaient  les  premiers  mobiles  de 
cette  bravom^e.  Lorsque  les  Gaulois  se  mettaient  en  cam- 
pagne ,  ils  faisaient  le  serment  de  ne  se  raser  ni  la  tête  ni  la 
barbe ,  ou  de  ne  point  quitter  des  anneaux  de  fer  qui  étaient 
parmi  eux  des  marques  de  servitude ,  de  ne  point  poser 
leur  baudrier ,  de  n'entrer  sous  aucun  toit ,  de  ne  revoir  ni 
père,  ni  mère,  ni  femme,  ni  enfans,  qu'ils  n'eussent  vaincu 
leurs  ennemis.  Leur  devise  était  vaincre  ou  mourir,  et  en 
marchant  à  l'attaque  tous  juraient  d'y  être  fidèles  (3).  Il 
n'est  donc  pas  étonnant  qu'avec  ce  courage  bouillant  que 
les  anciens  ont  comparé  à  un  torrent  dont  on  ne  peut  sou- 
tenir l'impétuosité  ,  et  à  la  foudre  qui  se  précipite  du  haut 
des  nuages,  les  Celles  se  soient  rendus  maîtres  d'une  partie 
de  l'Europe  et  de  l'Asie ,  et  qu'Annibal ,  Alexandre ,  César, 
les  rois  de  la  Thrace  et  de  la  Bithynie  se  soient  enorgueillis 
de  les  compter  parmi  leurs  auxiliaires  (4). 

Dans  les  temps  de  la  puissance  des  Celtes  et  lorsqu'ils 
étaient  maîtres  des  plus  belles  contrées  de  lltalie ,  les  Ro- 
mains tremblaient  a  leur  seul  nom  et  les  regardaient  comme 
leurs  ennemis  les  plus  formidables  :  «  Avec  les  autres  na- 

(1)  Nicol.  Damas,  Apud  Slobœum. 

(2)  Voir  Peloutier,  Hist.  des  Celtes,  tom.  2,  p.  423  et  siiiv.  Picot,  tom.  2. 
p.  272. 

(3)  Id,,  t  2,  p.  449.  Picot ,  t.  2,  p.  264.  Ca?s.,  1.  VII,  c.  66.  Florus .  1.  II,  c.  4. 

(4)  Justini,^î>^.,  1.  XXV,  c.  2. 


—  74  — 

lions  ,  dit  Salluste ,  les  Romains  se  battaient  pour  la  gloire , 
mais  avec  les  Gaulois ,  il  s'agissait  du  saiut  de  la  répu- 
blique (1).  » 

Chaque  fois  qu'il  fallait  repousser  les  Gaulois ,  la  ville 
de  Rome  était  plongée  dans  la  plus  grande  consterna- 
tion, on  mettait  sur  pied  toutes  les  forces  delà  république, 
on  faisait  des  sacrifices  expiatoires  aux  dieux ,  on  consultait 
les  livres  des  Sybilles ,  et  on  créait  un  dictateur ,  comme  si 
la  république  eut  été   menacée  d'une  ruine  entière  (2). 

Dans  les  guerres  contre  les  Gaulois ,  la  loi  qui  exemptait 
du  service  militaire  les  prêtres  et  les  vieillards,  cessait  d'être 
en  vigueur  (3),  et  dans  cette  seule  occasion,  il  était  permis 
d'ouvrir  le  trésor  particulier  appelé  trésor  sacré  ;  hors  de 
ce  temps,  il  était  défendu  d'y  toucher  sous  peine  de  l'exécra- 
tion publique  (4).  C'est  dans  une  de  ces  guerres  que  les 
Romains  firent  l'armement  le  plus  formidable  qu'ils  eus- 
sent jamais  préparé  avant  de  porter  leurs  armes  hors  de 
l'Italie.  L'empereur  Julien  reconnaît  que  les  Celtes  et  les 
Germains  passaient  jadis  pour  invincibles,  et  que  c'était 
un  fait  presqu'incroyable  qu'on  eut  vu  un  soldat  celte  fuir 
devant  l'ennemi  (5). 

Les  Grecs  ne  redoutaient  pas  moins  que  les  Romains  la 
valeur  des  Gaulois  :  «  La  crainte  des  Gaulois,  disait  Polybe, 

(1)  Illique,  et  usque  ad  nostram  memoriam,  Romani  sic  habuêre  ;  alia 
omnia  virtuti  sui  prona  esse  ;  cum  Gallis  pro  saluie,  non  pro  gloriâ  certari. 
(  Sallust.,  Bell.  Jugurth.,  c.  90.)  V.  Cicer.,  de  Prov.  consul. 

(2)  Jul.  Obseqiiens.  de  prodig.,  c.  19. 

(3)  Immunitas  militiœ  conceditur  sacerdotihus  et  natu  grandihus,  excepta 
sint  Bella  Gallica.  (Appian,,  Bell.  Civ.,  1.  II.  Plutarch.,  in  MarcelL,  et  in 
Camill.  ) 

(4)  Appian.,  de  Bello  Civ.^  I.  II. 

Après  la  conquête  des  Gaules,  César  s'empara  de  ce  trésor,  sous  prétexte 
que  Rome  n'en  avait  plus  besoin,  depuis  qu  il  avait  mis  les  Gaulois  hors  d'état 
de  lui  nuire  désormais. 

(5)  Juliani  Orat  I. 


—  75  -^ 

a  causé  de  terribles  inquie'tudes  aux  Grecs ,  non-seulement 
dans  des  temps  plus  anciens,  mais  même  de  nos  jours  (1)». 

Justin  en  parlant  des  Gaulois  qui  envahirent  la  Grèce 
et  l'Asie  mineure,  fait  observer  qu'ils  inspiraient  un  tel 
effroi ,  que  les  princes  s'empressaient  de  leur  acheter  la  paix 
par  de  fortes  sommes  d'argent  (2). 

Enfin ,  Plutarque  rapporte  qu'au  milieu  de  ses  nom- 
breuses victoires,  Pyrrhus  estimait  au-dessus  de  tout,  d'avoir 
vaincu  les  Gaulois. 

Cependant  cette  valeur  des  Gaulois  qui  faisait  l'admira- 
tion des  anciens,  ne  mérite  pas  toujours  la  nôtre;  car  elle 
eut  la  plupart  du  temps  les  suites  les  plus  déplorables  ;  elle 
fut  la  cause  de  toutes  ces  guerres  injustes  que  les  Gaulois 
entreprirent  sans  motif  plausible  ;  elle  dégénérait  souvent 
en  témérité  et  causait  la  perte  d'une  infinité  d'hommes  c|ui 
périssaient  sans  qu'il  en  résultât  aucune  utilité  pour  la 
nation.  D'ailleurs,  comme  nous  l'avons  déjà  observé,  les 
Celtes  manquaient  de  prudence;  leur  légèreté  et  leur  in- 
constance faisaient  qu'ils  atteignaient  rarement  le  but  qu'ils 
s'étaient  proposé;  si  du  premier  abord  ils  ne  pouvaient 
parvenir  à  leurs  fins ,  ils  se  décourageaient  ;  le  moindre  re- 
vers suffisait  pour  leur  faire  renoncer  aux  plans  les  plus 
vastes,  et  leur  faire  abandonner  des  entreprises  c[u'avec  de 
la  persévérance,  ils  auraient  conduites  a  une  fin  heureuse. 

§11. 

Économie  rurale  et  nourriture  des  Celtes. 

Justin  rapporte  cjue  les  Gaulois  n'avaient  aucune  con- 

(1)  Polyb.,1.  II. 

(2)  Tantus  terror  Gallici  nominis  et  armorum  invicta  félicitas  erat,  vt 
aliter  neque  majestatem  suam  tuiari,  neque  amissam  recipere  se  posse  sine 
Gallicâ  virtute  arhitrarentur.  (Justin.,  1,  5! XV,  c.  2.)  Tit.  Liv.,  1.  XXXVHI, 
c.  16. 


—  76  — 

naissance  de  l'agriculture ,  avant  l'arrivée  des  Phocéens  sur 
la  côte  de  Provence  (1).  «  On  peut  conjecturer  avec  vrai- 
semblance, dit  Le  Grand  d'Aussy,  qu'habitant  un  pays 
couvert  d'immenses  forêts,  ils  se  nourrirent  long-temps  de 
graines,  de  fruits  sauvages  de  leurs  arbres,  et  surtout  du 
fruit  de  ces  différentes  espèces  de  chênes  qui  s'étaient  si  fort 
multipliés  chez  eux.  Le  respect  particulier  qu  ils  portaient 
à  ce  dernier  arbre  (respect  auquel  il  n'est  pas  possible  au- 
trement d'assigner  une  raison  vraisemblable),  la  cérémonie 
pompeuse  avec  laquelle  le  grand  prêtre  venait  tous  les  ans 
couper  la  plante  parasite  qui  s'y  attache  et  s'y  nourrit ,  le 
nom  même  de  ces  druides ,  dérivé  du  celtique  deru  ou  dru 
(chêne),  tout  semble  indiquer  ce  qui  servit  de  première 
nourriture  à  nos  aïeux.  Ce  fut  celle  de  la  plupart  des  peu- 
ples barbares ,  etc.  (2).  »  Quoiqu'il  en  soit ,  à  l'époque  oii 
les  Romains  commencèrent  à  connaître  les  Gaules ,  ils  trou- 
vèrent que  les  peuples  de  cette  région  ne  laissaient  pas, 
malgré  leur  barbarie ,  leur  paresse  et  leur  penchant  pour 
la  guerre,  de  cultiver  leurs  champs  avec  assez  d'activité  et 
d'intelligence  (3). 

Lorsqu'Annibal  traversa  les  Gaules ,  les  Volsques ,  les 
Boiens  et  les  x41lobroges  récoltaient  déjà  assez  de  blé  pour 
en  approvisionner  son  armée.  La  première  culture  du  fro- 
ment, en  grand,  eut  lieu  chez  les  AUobroges,  quoique 
certains  écrivains  en  fassent  honneur  aux  Belges  (4). 

César  et  Cicéron  parlent  du  commerce  considérable  de 
grains,  que  les  Gaulois  faisaient  avec  les  Romains.  Le  pre- 
mier n'eut  aucune  peine  à  pourvoir  aux  besoins  de  son  ar- 

{IjJustin.,  I.  XLIILc.  4. 

(2)  Le  Grand  d'Aussy,  Hist.  de  la  vie  -privée  des  Français,  tom.  1  p.  21, 
20  cdit. 
(3j  Strah.,  1.  IV.  Pomp.  Mêla.,  1.  III.  Solinus ,  c.  34.  Polyb.,  I.  IL 
(4)  Rougier  de  la  Bergerie,  Hist.  de  VAgricult.  des  Gaulois,  p.  269 


—  77  — 

mee ,  bien  que  les  Gaulois  eussent  à  difFerentes  reprises 
détruit  leurs  moissons  pour  le  priver  de  vivres. 

La  farine  gauloise  était  fort  estimée  à  cause  de  sa  blan- 
cheur ,  et  parce  qu'à  poids  égal,  elle  donnait  plus  de  pain 
qu'aucune  autre.  «  Cette  légèreté  du  blé  des  Gaules  prouve, 
observe Reynier,  qu'on  y  cultivait  alors  comme  de  nos  jours, 
des  blés  tendres  ,  plutôt  que  des  blés  durs ,  dont  l'usage  est 
plus  répandu  dans  les  pays  méridionaux  (1).  »  Strabon 
dit  que  dans  toute  la  Gaule  on  cultivait  du  froment  et  du 
millet  ;  on  y  semait  aussi  l'avoine ,  le  sarrasin ,  l'orge  et 
l'épeautre  (2). 

Pline  cite  de  ce  dernier  céréale  deux  espèces  variées 
dont  les  Romains  introduisirent  la  culture  en  Italie  ;  l'une 
était  appelée  arinca;  l'autre  nommée  hrace,  était  préfd 
rable  ,  parce  qu'elle  donnait  une  plus  grande  quantité  de 
farine  (3). 

Une  preuve  que  les  Gaulois  avaient  atteint  une  cer- 
taine perfection  dans  l'agriculture ,  c'est  qu'ils  savaient 
faire  un  usage  réfléchi  de  plusieurs  sortes  d'engrais  pour 
fertiliser  leurs  champs.  Telle  est  entr^autres  la  marne  in- 
connue aux  Romains. 

Pline  dit  que  cet  engrais  était  d'un  usage  fort  ancien 
dans  les  Gaules ,  et  qu'il  faisait  même  la  richesse  des  Gau- 
lois (4).  La  marne  était  particulièrement  employée  dans 

(1)  Reynier,  de  V Économie  puhl.  et  rurale  des  Celles,  etc.,  p.  417. 

(2)  Reynier,  p.  421. 

(3)  Galliœ  quoque  suum  genus  farts  dedere  quod  illi  hracen  vocant.  .  .  . 
et  alla  differentia  est  quod  fere  qiiaternis  lihris  "plus  reddit  imnis  quam  far 
aliud  (Plin.,  1.  XVIII,  c.  7.  et  1.  XVIII,  c.  2.) 

L'orge  à  deux  rangs  était  appelée  par  les  Romains  orge  gauloise,  parce 
qu'ils  n'apprirent  h  la  connaître  que  par  leurs  relations  avec  les  Gaulois.  On 
trouvait  aussi  dans  les  Gaules  l'orge  a  quatre  et  à  six  rangs. 

(4)  Plin.,  1.  XVII,  c.  6-8. 

Pline  connaissait  si  peu  la  nature  de  la  marne  qu'il  l'a  regardée  comme  une 


—  78  — 

les  champs  de  la  Belgique,  et  les  Germains,  après  Texpulsion 
des  Celto  -  Belges ,  continuèrent  de  s'en  servir ,  comme 
l'atteste  Varron,  et  l'inscription  de  l'autel  érige  à  la 
déesse  Nehalennia  dans  l'île  de  Walcheren ,  par  un  mar- 
chand breton  faisant  négoce  en  marne  (^mercator  creta- 
rius  )  (1).  Les  autres  engrais  connus ,  dont  les  Gaulois  se 
servaient  comme  amendemens ,  sont  la  chaux  et  la  cendre 
pour  les  terres  fortes  et  humides.  Ils  n'ignoraient  pas  non 
plus  l'utilité  de  lécobuage  ou  la  coutume  de  brûler  les 
gazons  avant  de  labourer  la  terre.  Ce  sont  eux  qui  ont  fait 
connaître  aux  Italiens  ce  mode  d'engraisser  la  terre  (2). 

Les  Gaulois  connaissaient  la  clôture  des  champs.  La 
pierre  angulaire  qui  servait  de  limite  aux  propriétés, 
s'appelait  termin.  On  la  remplaçait  quelquefois  par  des 
arbres  (3), 

Une  autre  preuve  des  progrès  des  Celtes  dans  la  culture 
est  l'invention  de  la  charrue  à  train,  dont  ils  introduisirent 
l'usage  en  Italie.  Le  contre ,  fer  tranchant  placé  un  peu  en 
avant  du  soc  dont  il  facilite  l'opération ,  paraît  aussi  une 
découverte  des  Celtes ,  auxquels  les  Romains  ont  en  outre 
attribué  celle  de  la  herse.  Cet  instrument  fut  également 
introduit  par  eux  dans  le  nord  de  l'Italie  (4).  Pour  faire  la 
moisson ,  ils  se  servaient  de  la  faucille  et  d'une  sorte  de  van 

graisse  de  la  terre,  coagulée  en  certains  lieux.  Il  dit  qu'il  y  en  avait  de  dif- 
férentes qualités;  que  les  unes  servaient  au  développement  des  pâturages  et 
d'autres  a  la  fertilité  des  champs.  Il  ajoute  que  quelques-unes  étaient  tirées 
d'excavations  faites  à  cent  pieds  de  profondeur. 

(1)  Varro  de  re  rust,  1.  I,  c.  7. 

(2)  Reynier,  p.  413.  Plin.,  l.  XVII,  c.  4. 

(3)  La  Tour  d'Auvergne,  Orig.  Gaul,  p.  172.  Reynier,  p.  393.  Virg. , 
Georg.,  1.  II,  v.  370. 

Varron  dit  que  la  clôture  des  champs  dans  les  Gaules  était  construite 
en  briques  ;  mais  Reynier  croit  que  cet  auteur  aura  pris  une  coutume  locale 
pour  un  usage  général. 

(4)  Reynier,  p.  414. 


—  79  ^- 

monté  sur  des  roues.  Cet  instrument  e'tait,  suivant  Pline 
et  Palladius ,  armé  de  dents  de  fer  à  sa  partie  antérieure,  et 
portait  à  l'autre  bout  un  timon  auquel  on  attachait  un 
cheval  ou  un  boeuf.  Au  lieu  de  tirer  à  la  manière  ordinaire, 
l'animal  poussait  la  machine  devant  lui  ;  le  conducteur  en 
même  temps ,  la  haussait  ou  la  baissait  a  la  hauteur  des 
épis,  et  ces  épis  se  trouvaient  coupés  par  les  dents  sans 
que  la  paille  fut  endommagée;  elle  restait  sur  pied  sur 
toute  sa  hauteur  (1).  Régnier  prétend  que  pour  séparer  le 
grain  de  la  paille,  les  Celtes  se  servaient  du  battage;  mais 
la  manière  dont  ils  faisaient  la  moisson ,  semble  prouver 
le  contraire.  Pour  nettoyer  le  blé  ils  employaient  un  crible 
fait  de  crin  de  cheval ,  instrument  dont  Pline  leur  attribue 
la  découverte  (2). 

Cet  auteur  remarque  que  les  Gaulois  moissonnaient  l'orge 
et  le  millet  avec  des  ciseaux  et  un  peigne.  Le  procédé  dont 
on  use  encore  à  cet  égard,  en  Belgique,  semble  un  reste  du 
mode  inventé  par  les  Celtes.  On  employait  principalement 
Forge  à  la  fabrication  de  la  bière  et  des  gruaux ,  et  dans  les 
cantons  les  plus  pauvres  on  en  faisait  du  pain.  Nous  ajou- 
terons encore  ,  cjue  quelques  auteurs  prétendent  que  les 
Gaulois  mirent  les  premiers  le  seigle  en  culture ,  et  que 
c'est  dans  le  territoire  de  Valence ,  en  Provence ,  que  cetlc 
culture  aurait  pris  son  origine  (3). 

Les  Gaulois  transportaient  dans  des  chariots  leurs  ré- 
coltes, et  les  gardaient  dans  des  fosses  souterraines,  creu- 
sées dans  un  terrain  sec ,  et  parfaitement  couvertes  et 
garanties  contre  les  impressions  de  l'air.  Le  grain  s'y  con- 
servait jusqu'à  cinquante  et  même  jusqu'à  cent  ans  (4). 

(1)  Le  Grand  d'Aussy,  tom.  1,  p.  26.  Reynier,  p.  427. 

(2)Piin.,l.  XVllI,  c.  11. 

(3)  Strab.,  1.  IV.  Diod.  Sic,  1.  V. 

(4)Picot,t,  2,  p.  289. 


^  80  — 

«  L'usage  du  pain ,  dit  Reynier ,  est  rëelienient  ancien 
chez  les  (]eltes,  tandis  qu'il  ne  Fêtait  pas  chez  les  Romains  : 
le  soin  que  les  prêtres  ont  de  ne  rien  innover  dans  leurs  cé- 
rémonies, même  dans  celles  qui  paraissent  les  plus  insi- 
gnifiantes ,  prouve  le  fait  chez  l'un  et  l'autre  peuple  ;  tandis 
qu'à  Rome  des  pâtes  ou  des  gruaux  étaient  constamment 
employés  dans  les  cérémonies  du  culte  connues  pour  les 
plus  anciennement  établies,  c'est  le  pain  que  les  druides 
employaient  pour  la  cérémonie ,  où  ils  coupaient  chaque 
année  le  gui  d'un  chêne  avec  une  serpe  d'or.  L'usage  de  la 
bière  ,  aussi  ancien  que  celui  du  pain ,  servait  encore  à  sa 
préparation  ;  la  levure  de  l'un ,  aidait  à  la  fermentation  de 
l'autre  (1).  » 

Les  anciens  ne  nous  ont  pas  fait  connaître  le  moyen 
qu'employaient  les  Celtes  pour  moudre  le  grain  ;  sans  doute 
qu'ils  le  broyaient  entre  deux  pierres,  ou  par  les  moulins 
à  bras,  comme  les  Romains  eux-mêmes.  Quoi  qu'il  en  soit , 
il  est  certain  qu'au  quatrième  siècle  de  l'ère  vulgaire ,  les 
''    moulins  a  eau  étaient  déjà  connus  dans  les  Gaules. 

Quant  aux  arbres  fruitiers  cultivés  par  les  Celtes ,  s'il 
faut  ajouter  foi  à  Justin ,  il  n'y  aurait  eu,  dans  le  midi  des 
Gaules  avant  la  fondation  de  Marseille  ,  que  des  fruits  sau- 
vages et  qui  croisent  spontanément  dans  les  bois.  Varron , 
cjui  accompagna  César  dans  son  expédition  des  Gaules ,  va 
même  jusqu'à  dire  que  de  son  temps  il  n'y  avait  aucun 
arbre  fruitier,  ni  greffé,  ni  sauvage ,  dans  les  parties  de  cette 
région  voisines  du  Rhin ,  et  par  conséquent  dans  la  Belgi- 
que actuelle  (2).  Ce  rapport  est  sans  doute  inexact.  Pline 

(l)Reynier,  p.  431. 

(2)  In  Gallia  transalpinâ  ad  Rhenum  cum  exercitum  ducerenif  aliquot 
regiones  accessi  uhi  nec  vitis,  nec  olea,  nec  poma  rtasceretur  (Varro,  de  rc 
rust,  1.  I,  c.  7). 

Tacite  dit  la  même  chose  de  la  Germanie  :  Terra  frvgiferarum  arhorum 
inijmiiens  (  Mar.  Germ.,  c.  5j. 


n 


dit  que,  cliez  les  Belges,  on  Ircavaii  une  espèce  de  pomaie  ap- 
pelée spadonia,  et  une  espèce  de  cerise  a  laquelle  ils  donnaient 
le  nom  de  lusiianica,  portugaise,  nom  que  porte  encore 
aujourd'hui  à  Bruxelles  une  grosse  cerise  rouge  a  courte 
queue  (1).  Il  est  probable  que  l'arbre  qui  produisait  ce 
fruit  ne  fut  cultivé  dans  la  Belgique  qu'après  la  conquête  de 
Cësar;  aumoinslade'nomination  de  cerise  lusitanique  paraît 
elle  être  d'origine  romaine.  Strabon  rapporte  aussi  cju'on 
voyait  en  Belgique  un  arbre  semblable  au  figuier,  et  dont  le 
fruit,  qui  avait  la  forme  d'un  chapiteau  corinthien ,  renfer- 
mait un  poison  mortel  (2).  On  ignore  si  l'on  trouvait  déjà 
dans  le  nord  des  Gaules,  avant  la  conquête  romaine,  cette 
espèce  de  nèfle  et  de  pêche  que  Pline  appelle  gauloises, 
parce  que  les  Romains  avaient  introduit  ces  fruits  de  la 
Gaule  en  Italie  (3) ,  ou  ces  pommes  sans  pépins  que  Pline 
dit  aussi  originaires  des  Gaules. 

Strabon  rapporte  que  les  Gaulois  apprirent  des  Phocéens 
à  cultiver  l'olivier,  et  que  ce  furent  ces  derniers  qui  trans- 
plantèrent cet  arbre  fruitier  dans  les  Gaules.  Suivant  Pline, 
un  Gaulois  qui  avait  assisté  au  sac  de  Rome  par  Brennus , 
fit,  le  premier,  connaître  les  figues  a  ses  compatriotes.  Il 
est  certain  que  dès  le  temps  de  Strabon,  l'olivier  et  le  figuier 
étaient  cultivés  dans  le  midi  de  la  Gaule;  mais  les  fruits 
de  ces  arbres  ne  pouvaient  alors  mûrir  dans  la  partie 
des  Gaules  au  nord  des  Cévennes.  Il  en  était  de  même  de 


(i)  Pline,  I.  XV.  c.  14  et  25.  Durondeau,  Mémoire  sur  la  question:  Quel 
était  l'habillement,  le  langage,  l'état  de  V agriculture,  etc.,  chez  les  peuples 
de  la  Belgique  avant  le  7""*  siècle.  Mtm.  cour,  de  l'Acad.  de  Bruxelles 
1774,  p.  68. 

(2)  Strab.,  1.  IV. 

(3)  Ce  fut  probablement  à  César  que  lîtaîie  fut  redevable  de  ce  présent  ; 
au  moins  Pline  assure-t-il  que,  du  temps  de  Caton-FAncien,  ces  fruits  étaient 
inconnus  en  Italie.  Coiuraelle  remarque  que,  de  toutes  les  espèces  de  pèches     ')( 
connues  de  son  temps .  la  pêche  gauloise  était  la  plus  grosse. 

ToîîE  î.  6 


^-  82  — 

la  vigne  dont ,  d'après  Justin ,  les  Gaulois  durent  aussi  Tin- 
Iroduction  aux  Phocéens.  Suivant  d'autres,  ce  ne  fut  que 
peu  de  temps  avant  lexpëdition  de  Bellovèse,  c|ue  les  Gau- 
lois commencèrent  à  connaître  Fusage  du  vin.  Du  temps 
deStrabon  et  de  Diodore  de  Sicile,  on  faisait  déia,enltalie, 
un  ne'goce  considérable  des  vins  des  Gaules.  Cependant , 
<]uoîcjue  Pline  fasse  grand  cas  de  quelques  espèces  de  ces 
vins,  Dioscoride  dit  qu'il  fallait  y  infuser  de  la  poix,  le 
climat  des  Gaules  étant  trop  froid  pour  faire  mûrir  la 
grappe  (1).  Les  Gaulois  connaissaient  le  secret  de  sécher  les 
raisins,  mais  ils  les  desséchaient  a  la  fumée,  probablement 
par  suite  de  l'usage  qu'ils  avaient  de  fumer  leurs  vins  (2). 
En  Belgique,  on  ne  commença  à  cultiver  la  vigne  que  vers 
le  cinquième  siècle.  Cette  culture  fut  longtemps  bornée 
aux  rives  de  la  ]\ioselle  et  de  la  Meuse  ;  ce  n'est  guère  qu'au 
12®  siècle  qu'on  la  voit  introduite  dans  le  Brabant,  la 
Flandre,  le  Tournaisis  et  la  province  d'Anvers  (3). 

Les  arbres  non  fruitiers  les  plus  communs  dans  les  forets 
de  i'ancienn€  Gaule,  étaient  le  cliéne  ,  l'if  (4),  une  espèce 
d'érable  d'une  grande  beauté ,  l'ormeau,  le  liétre  dont  les 
cendres  servaient,  comme  nous  l'avons  dit,  à  faire  du 
savon,  des  bouleaux  d'une  délicatesse  et  d'une  blancheur 

(1)  Pline  dit  qu'on  y  mêlait  aussi  de  l'aloès  (  I,  XIY,  c.  6). 

(2)  Le  Grand  d'Aussy.  tom.  1,  p.  295,  tom.  2  et  3,  et  Reynier,  p.  472. 

(3)  Schayes,  Sur  la  culture  de  la  Vifjne  en  Belgique.  Tflessager  des  Sciences 
et  des  Arts  de  la  Belgique ,  2^  série,  tom.  1  ,  p.  285-294.  Marshall  et  Bo- 
gaerts  ,  Biblioih.  des  Aîitiq.  belg.,  tom.  1. 

Dans  un  article  variétés,  anecdotes,  etc..  inàérc  dans  ]a  Biblioth.  des  Antiq. 
helg.  (tom.  2,  Ç^"  livr.),  nous  avons  rapporté  qu'on  attribue  aux  maisons  de 
commerce  de  Moucheron  et  Hooftman  à  Anvers,  l'amélioration  de  la  culture 
de  la  vigne  en  France,  de  la  préparation  du  vin  et  de  la  confection  des 
tonneaux. 

(4)  Au  rapport  de  Pline,  les  tonneaux  a  vin  qu  on  faisait  du  bols  de  cet 
arbre,  empoisonnaient  le  liquide  qu'on  y  déposait  (1.  XVI.  c.  14).  Ce  fut  avec  les 
feuilles  de  llf  que  s'empoisonna  Catlvnlus,  roi  dcsEburons(C3es.,  1.  YI ,  c.30). 


—  83  — 

admirables ,  des  saules  de  la  plus  fine  espèce,  le  mahaleb 
ou  bois  de  Sainte-Lucie ,  dont  on  se  servait  pour  teindre 
les  habits  des  esclaves  ,  etc.  (1). 

Il  n  y  avait  pas  beaucoup  plus  de  variété  dans  les  plantes 
légumineuses  propres  a  la  Gaule,  que  dans  les  arbres  frui- 
tiers. Les  anciens  n'ont  cité  comme  telles  qu'une  sorte 
d'oignon  et  une  espèce  de  panais  que  les  Romains  appe- 
laient panais  gaulois  ;  une  espèce  de  grosses  raves  qui  ser- 
vait de  nourriture  aux  Gaulois  et  à  leurs  bestiaux  pen- 
dant les  mois  d'hiver;  les  carottes,  que  les  Romains  nom- 
maient carottes  gauloises,  et  les  Grecs  daucon,  et  qu'on  sup- 
pose être  la  carotte  rouge,  fort  commune  dans  le  nord  de  la 
Belgique  ;  la  tor telle  et  Tasperge  gauloise  qu'on  croit  être 
la  perce-pierre  de  nos  jardins  Reynier  y  ajoute  le  houblon, 
l'arroche,  Tastragon  et  le  chervis  (2). 

Il  y  à  peu  de  chose  à  dire  sur  les  cultures  des  Gaulois 
pour  les  bestiaux.  Les  Gaules  nourrissaient  une  grande 
cjuantité  de  bétail,  principalement  des  porcs,  des  vaches 
et  des  moutons,  dont  on  employait  la  laine  (3).  Pline 
assure  que,  de  son  temps,  les  Celtes  avaient  une  si  grande 
quantité  de  prairies ,  qu'ils  en  négligeaient  une  bonne 
partie  (4).  «  Cette  assertion,  dit  Reynier,  est  difficile  a 
concilier  avec  le  témoignage  de  César  ,  qui  a  parlé  de  sé- 
cheresses qui  nuisaient  souvent  aux  récoltes  (5).  Comment 
concevoir  en  même  temps  un  pays  assez  humide  pour  avoir 
des  prairies  au  delà  de  ses  besoins ,  et  assez  découvert  pour 
que  des  sécheresses  y  nuisent  aux  céréales?  Enfin,  si  les 
Celtes  avaient  un  excédant  de  foin  qu'ils  pouvaient  négliger, 

(1)  Durondean.  p.  68. 

(2)  Idem.,  p.  69.  Reynier,  p.  460.  : 

[Z)...iyecpivguia  Gaîlicis  crescunt  reliera  pascvis.  (Koraâ.,  LUI,  od.   2>) 
f4)  Plin.,  1.  XYIII,  c.  67. 

(5)  Ca-s.,  1.  V,  c.  U, 


~-  84  - 

pourquoi  cultivaient-ils  des  racines  et  dautres  plantes 
pour  nourrir  leur  bétail?  Avant  de  se  livrer  à  de  pareilles 
cultures,  ils  auraient  commence  parfaire  usage  de  tout  ce 
qu'ils  i^ecevaient  de  la  nature.  Cësar  a  parlé  d'un  fait  qui  a 
influé  sur  ses  opérations;  dès  lors  il  est  croyable  :  Pline  au 
contraire  ,  compilateur  le  plus  souvent  sans  critique , 
aura  étendu  a  toute  la  contrée  un  fait  qui  convenait  a 
cjuelques  cantons  seulement  (1).  «  Si,  suivant  l'opinion  de 
Reynier ,  l'assertion  de  Pline  ne  convenait  pas  a  toute  la 
Gaule ,  au  moins  devait-elle  se  rapporter  a  la  Belgique , 
pays  alors  très-humide,  couvert  de  forets,  de  marais,  et 
traversé  par  un  grand  nombre  de  rivières  et  par  des  fleuves 
considérables. 

Pline  rapporte  (jue  la  faux  dont  se  servaient  les  Gaulois 
pour  couper  l'herbe,  était  plus  grande  que  celle  qu'on 
employait  en  Italie ,  mais  qu'elle  avait  linconvénient  de 
ne  couper  que  les  herbes  les  plus  longues  ,  et  de  laisser  sur 
pied  les  plus  courtes  (2). 

Terminons  ces  détails  sur  l'économie  rurale  des  Celles , 
par  une  observation  déjà  faite  précédemment ,  que,  suivant 
la  remarque  de  Strabon  et  d'autres  auteurs  anciens ,  les 
Gaulois  ,  comme  tous  les  peuples  barbares ,  auraient  aban- 
donné la  culture  des  champs  aux  femmes  et  aux  personnes 
hors  d'état  de  porter  les  armes.  Cependant ,  en  parlant 
des  Gaulois,  César  les  dépeint  souvent  dispersés  dans  les 
champs ,  et  occupés  de  la  culture  qu'ils  quittaient  pour 
voler  aux  armes  (3). 

Après  avoir  parlé  de  l'agriculture  des  Celtes ,  il  est  à 
propos  de  décrire  la  manière  dont  ils  se  nourrissaient. 

Nous  avons  dit  que  la  nourriture  des  Celtes  était  simple 

(l)Rejnier,  p.  434. 

(2)Plin.,  1.  XVIIl,  C.28. 

(3)  Cas.,  1.  IV,  c.  30:  1.  AI,  c.  29.  Reynier,  p.  402. 


--^  85  — 

et  gi'^ssière.  Elle  consistait  principalement  en  viandes , 
en  laitage ,  en  poisson  et  en  miel.  Leurs  troupeaux  leur 
donnaient  en  abondance  du  lait.  Les  nombreux  essaims 
d  abeilles  ,  qui  de'posaient  leurs  rayons  dans  les  troncs  ver- 
moulus des  arbres  séculaires  des  forets  des  Gaules  ,  leur 
fournissaient  le  miel.  Le  bétail,  la  chasse  et  la  pêche,  leur 
procuraient  le  poisson  et  la  viande.  Ils  aimaient  particu- 
lièrement la  chair  de  porc;  ils  entretenaient  d'immenses 
troupeaux  de  ces  animaux  qu  ils  laissaient  vaguer  en  pleine 
liberté  dans  les  forets  et  les  paccages.  Diodore  de  Sicile 
rapporte  que  la  rencontre  d'un  de  ces  troupeaux  de  porcs, 
devenus  presque  sauvages,  était  très-dangereuse  :  «  Les 
Gaulois,  dit  Strabon,  laissent  en  plein  champ,  même  la 
nuit,  ces  animaux,  qui  sont  d'une  taille,  d'une  force,  et 
d'une  légèreté  à  la  course  peu  communes.  Aussi  leur  ren- 
contre est-elle  aussi  dangereuse  que  celle  d'un  loup.  » 
Pour  les  rassembler,  les  Gaulois,  se  servaient  du  son  du 
cor.  Chaque  canton  avait  ses  communs  ou  parcours  pour  le 
pâturage  du  bétail,  et  il  y  avait  peine  de  mort  contre  ceux 
qui  en  auraient  défriché  quelque  portion  (1), 

La  manière  dont  les  Gaulois  assaisonnaient  leurs  mets 
était  aussi  simple  et  aussi  grossière  que  leur  nourriture 
elle-même;  ils  mangeaient  beaucoup  de  porc  salé.  Ils  pré- 
paraient ,  suivant  Posidonius ,  le  poisson  avec  du  sel ,  du 
vinaigre  et  du  cumin  ,  mais  sans  huile  ,  parce  qu'elle  était 
trop  rare  et  trop  chère.  Ils  fabriquaient  du  fromage  dont 
la  qualité  ne  devait  pas  être  mauvaise,  puisquà  Rome 
on  faisait  grand  cas  de  celui  des  Alpes  et  des  Cévennes  (2), 

(l)Diod.  Sic,  1.  V. 

(2)  Pline  dit  que,  de  son  temps,  on  recherchait  à  Rome  les  fromages  de 
Nîmes,  du  mont  Losère,  du  Gévaudan  et  des  pays  circonvoisins  ;  mais  ces 
fromages,  ajoute-t-il ,  ne  se  conservent  pas  et  doivent  être  mangés  frais. 
Martial  fait  mention  du  fromage  de  Toulouse, 


—  86  — 

On  ignore  si  les  Gaulois  fabriquaient  le  beurre ,  car  au- 
cun auteur  ancien  n'en  a  fait  mention.  Leur  boisson  ordi- 
naire était  la  bière  qui  se  préparait  a  peu  près  comme 
de  nos  jours  (1).  Pline  dit  cju'ils  donnaient  à  la  bière  le 
nom  de  cerevïsia  (cervoise),  et  au  grain  cjuon  y  employait 
celui  de  brance,  d'où  a  pu  provenir  le  mot  brasseur ,  en 
flamand  hrouwer.  On  ignore  si  les  Gaulois  connaissaient 
l'usage  du  cidre  et  de  l'hydromel;  il  paraît  au  moins  cjue 
la  première  de  ces  boissons  n'a  jamais  élé  d'usage  en  Bel- 
gique. 

Athénée  nous  a  laissé ,  d'après  Posidonius ,  des  détails 
curieux  sur  la  manière  dont  les  Celtes  prenaient  leurs  re- 
pas :  (c  Les  Celtes,  dit-il,  mangent  assis  à  terre  sur  du  foin  , 
ayant  devant  eux  des  tables  de  bois  fort  basses  (2).  Leur 
nourriture  est  du  pain ,  en  Irès-petite  quantité  ,  avec  beau- 
coup de  viande ,  soit  bouillie ,  soit  rôtie  ou  grillée.  Ces  mets 
sont  servis  d'une  manière  propre  et  ragoûtante  ;  mais  ils  les 
mangent  fort  malproprement ,  saisissant  avec  les  mains , 
comme  les  bétes  féroces,  des  membres  entiers,  et  les  dé- 
chirant a  belles  dents.  S'il  se  trouve  un  morceau  cjui  ré- 
siste davantage ,  ils  le  coupent  avec  un  petit  couteau  à  gaine, 
qu'ils  portent  toujours  au  côté.  Leurs  rivières  et  les  deux 
mers  qui  les  environnent  leur  fournissent  aussi  du  pois- 
son qu'ils  assaisonnent  avec  du  cumin  et  du  vinaigre;  car 
ils  usent  peu  d  huile  ,  parce  cju'elle  est  rare  chez  eux ,  et 


(1)  Peloutier,  Hist.  des  Celtes,  t.  2,  p.  38.  Galli  ad  vini  similitudinem 
potus  mulliplices.  (Amm.  Marcell.,  I.  XV.)  Galli  jtotum  ex  ordeo  confcimit 
(Diod.  Sic,  I.  V.) 

Re;ynier  prétend  que  les  Celtes  et  les  Germains  cultivaient  déjà  le  hou- 
blon et  s'en  servaient  dans  la  fabrication  de  la  bière.  [Economie  publ.  ef 
rurale  des  Celtes,  etc.,  p.  433.) 

(2)  C'est  de  la  même  manière  que  prennent  encore  aujourd'hui  leurs  repas 
les  peuples  de  Torient.  tels  que  les  Turcs  et  les  Persans. 


--  87  — 

quon  n'aime  guères  ce  qu'on  ne  peut  avoir  aisément  (1). 
(pliant  au  cumin ,  ils  le  mêlent  a  toutes  leurs  boissons. 

»  Lorsqu'ils  sont  un  certain  nombre  à  table  ,  la  coutume 
est  de  s'asseoir  en  demi-cercle.  Au  milieu ,  comme  a  la 
place  d honneur,  se  met  le  personnage  le  plus  distingué 
par  sa  valeur  ,  par  sa  naissance  et  ses  richesses.  Auprès  de 
lui  se  place  le  maître  du  logis;  puis  successivement  les  au- 
tres convives,  selon  leur  rang  et  leur  dignité.  Par  derrière , 
sont  des  guerriers  attachés  à  leur  personne,  et  qui,  pen- 
dant tout  le  repas,  tiennent  leur  bouclier.  Par  devant  il  en 
est  d'autres,  assis  comme  eux,  et  armés  de  lances.  Les  uns 
et  les  autres,  au  reste,  sont  traités  ainsi  que  leurs  maîtres. 

»  La  boisson  des  riches  est  du  vin  qu'ils  tirent  d'Italie 
ou  des  environs  de  Marseille  (2),  et  qu'on  leur  sert  de 
la  manière  suivante.  Le  domestique  ,  chargé  de  cette 
fonction,  apporte  dans  chaque  main  un  vase  de  terre  ou 
d'argent,  semblable  à  une  marmite,  et  rempli  de  vin. 
Chacun  y  puise.  On  boit  peu  a  la  fois,  mais  on  boit  sou- 
vent, et  presque  toujours  pur.  Les  plats  sur  lesquels  on 
apporte  les  viandes  sont  de  la  même  matière  que  les  vases. 
Quelques  Gaulois  cependant  en  ont  de  cuivre,  et  d'autre?, 
au  lieu  de  plats ,  se  servent  de  corbeilles  tressées  en  osier... 

»  Il  existe  chez  eux  une  coutume  fort  ancienne,  qui  quel- 
quefois ensanglante  leurs  repas.  Celui  qui  prétend  à  l'hon- 
neur d'être  le  plus  brave  de  la  troupe  saisit  un  quartier 
de  viande.  Si  dans  la  compagnie  il  «e  trouve  quelqu'un  qui 
ait  la  même  prétention ,  il  se  lève  ,  et  alors  les  deux  rivaux 
se  battent  jusqu'à  ce  que  l'un  des  deux  tombe  mort  (3).  » 

(1)  Néanmoins  Reynier  prétend  que  les  Gaulois  cultivaient  le  pavot  pour  en 
fabriquer  de  Ihuile.  Il  croit  qu'ils  cultivaient  aussi  la  navette  et  le  colza  (p.447). 

(2)  Il  est  probable  que  l'usage  de  cette  liqueur  n'était  pas  connu  en  Bel- 
gique lorsque  cette  contrée  était  encore  occupée  par  les  Celtes. 

(3)  Athsen.,  1.  V.  Le  Grand  d'Aussy,  t.  3,  p.  271. 


—  m  ~- 

Selon  Diodore  de  Sicile,  les  Gaulois  se  faisaient  servir  par 
leurs  enfans  et  par  des  jeunes  gens  des  deux  sexes.  Ils  po- 
saient leur  table  près  d'un  brasier,  garni  de  broches  et  de 
chaudières  dans  lesquelles  ils  cuisaient  leurs  viandes  (1). 
Il  ajoute ,  comme  Athënëe ,  que  le  meilleur  morceau  était 
toujours  offert  au  plus  brave  de  la  troupe. 

Aux  repas  les  plus  solennels ,  les  convives  buvaient  dans 
les  crânes  des  ennemis  cju'ils  avaient  tue's  dans  les  com- 
bats (2),  et  même  dans  ceux  de  leurs  pères  ou  de  leurs  plus 
intimes  amis;  dans  ce  dernier  cas,  c'était  une  marque  de 
souvenir  et  de  respect  pour  les  défunts.  Les  grands  ornaient 
ces  crânes,  dor,  d'argent  ou  d'autres  matières  précieuses. 
Au  commencement  du  repas,  ils  les  remplissaient  de  vin 
et  les  présentaient  a  tous  les  convives.  Dans  les  repas  moins 
solennels  ,  on  buvait  dans  des  cornes  d'urus  et  d'autres  ani- 
maux sauvages. 

C'est  dans  ces  festins  que  les  Celtes  donnaient  un  libre 
cours  à  leur  passion  pour  l'ivrognerie  ;  cette  funeste  passion 
y  produisait  souvent  des  malheurs  déplorables.  Elle  excitait 
des  cjuerelles,  toujours  sanglantes  chez  un  peuple  barbare 
et  guerrier.  Les  convives,  c|ue  la  boisson  rendait  furieux, 
se  provocjuaient  pour  la  moindre  insulte ,  et  mettaient  aus- 
sitôt l'épée  a  la  main;  souvent  ils  se  battaient,  après  le 
repas,  d'abord  par  manière  de  jeu;  mais  peu  a  peu  ils  s'a- 
nimaient ,  et  finissaient  par  se  donner  de  grands  coups 
d'épée,  jusqu'à  s'entre-tuer,  si  les  assistans  ne  se  hâtaient 
de  les  séparer.   Cette  fureur  était  parfois  poussée  jusqu'à 

(1)  Ce  qui  prouve,  selon  Le  Grand  d'Aussy,  que  les'Gaulois,  faute  de  salles 
à  manger,  dînaient  h  l'office.  {Hist.  de  la  vie  privée  des  Français,  tom.  3, 
p.  311.) 

(2)  La  coutume  de  boire  dans  les  crânes  des  ennemis  existe  encore  chez 
quelques  peuples  sauvages  de  l'Amérique.  (Frezier,  Relat.  du  voyage  de  la 
mer  du  Sud,  tom.  1,  p.  110.) 


la  démence  (i).  Si  les  festins  ne  se  terminaient  pas  par  des 
scènes  tragiques ,  ils  étaient  suivis  par  des  chants  et  des 
danses  oii  Ton  marquait  la  mesure  en  frappant  de  l'ëpëe  et 
de  la  lance  sur  les  boucliers. 

§111. 

Habitations  et  Oppida  des  Celtes. 

La  même  simplicité  qui  régnait  dans  tous  les  usages  de 
la  vie  prive'e  des  Gaulois  se  retrouvait  aussi  dans  leurs  de- 
meures (2).  Les  Gaulois,  tant  riches  que  pauvres,  n'habi- 
taient,  à  l'ëpoque  dont  nous  traitons ,  que  des  chaumières 
construites  en  bois ,  en  chaume  et  en  roseaux,  de  forme  circu- 
laire, et  terminées  par  un  toit  pointu,  couvert  en  paille  (3). 
Ces  chaumières ,  qui  paraissent  avoir  ëtë  en  tout  confor- 
mes à  celles  des  nègres  actuels  de  l'Afrique ,  n  étaient  pro- 
bablement composées  que  d'un  rez-de-chaussée  et  n'avaient 
ni  fenêtres  ni  cheminées;  la  lumière  y  pénétrait  par 
une  porte  fort  élevée   (4).   Ces  demeures   devaient   être 

(5)  Diod.  Sic,  1.  Y.  Athen.,  î.  V,  c.  13. 

(2)  Les  pl«s  anciens  écrivains  rapjsortent  que  les  Hyperboréens  vivaient 
dispersés  dans  les  forêts  ei,  les  cavernes  ;  on  sait  que,  par  Hyperboréens,  ces 
auteurs  entendent  tous  les  peuples  au  nord  des  Alpes  et  des  Pyrénées. 
Denys  d'Halicarnasse  dit  que  les  Aborigènes  de  l'Italie  et  les  Celtes  étaient 
anciennement  des  bergers  qui  demeuraient  dans  les  forêts  et  les  montagnes, 
où  ils  vivaient  en  grande  partie  de  pillage. 

(3)  Strab..  1.  IV.  En  parlant  du  siège  du  camp  de  Labienus,  par  les  Ner- 
viens,  César  dit  :  Jacula  in  casas,  quœ  bigre  gallico  slramentis  erant  tectoSf 
jacere  cœpenint.  (  Cses.,  1.  VI,  c.  43.) 

Ad  hune  usque  diem,  dit  Vitruve,  nationibus  exteris  ex  hts  rehiis  {îvonde ^ 
arundine  ,  luto),  œdifcia  constituunt,  ut  in  Gallia,  Hispaniâ,  Lusiianiâ 
yiquitaniâ  scandulis  rohnsieis  avt  stramentis.  (Vitruv.,  Architect.,  1.  I.) 

A  Marseille  même  les  maisons  n'étaient  couvertes  qu'en  chaume. 

(4)  «Le  bas-breton,  dit  Dulaure,  que  Ton  croit  être  un  dialecte  de  l'an- 
cien celtique,  n'a  point  de  mots  pour  exprimer  étage,  cheminée,  fenêtre,  et 


—  90  -~~ 

peu  spacieuses ,  puisque  la  cuisine  y  servait  en  même  temps 
de  salle  à  manger,  comme  nous  l'avons  observé  plus  haut. 
Ce  qui  prouve  d'ailleurs  leur  exiguite' ,  et  combien  leur 
bâtisse  était  cliétive ,  c'est  cjue  Strabon  remarque  qu'il  ne 
fallait  cju'un  jour  ou  deux  pour  terminer  la  construction 
d'une  maison  gauloise  ou  belge. 

Les  armes  des  maîtres,  pendues  en  trophées  aux  murs,  fai- 
saient l'unique  décoration  de  ces  chétives  demeures.  Pour 
tout  meuble  on  n'y  trouvait  que  quelques  vases  de  terre  , 
des  escabelles  et  de  petites  tables  en  bois  grossièrement 
travaillées.  Quelcjues  bottes  de  paille  ou  des  peaux  d'ani- 
maux y  tenaient  lieu  de  lits.  Strabon  rapporte  mémo  que, 
de  son  temps,  la  plupart  des  Gaulois  n'avaient  d'autre  couche 
que  le  sol  nu. 

Les  Gaulois,  comme  les  Germains  ,  aimaient  a  construire 
leurs  cabanes  dans  des  lieux  écartés ,  au  centre  des  bois  et 
près  de  quelque  source  (1).  Aussi  ne  trouvait-on,  avant  la 
domination  romaine ,  aucune  ville  proprement  dite  dans 
les  parties  des  Gaules  exclusivement  habitées  par  des  Celtes, 
et  dans  lesquelles  il  n'existait  pas  de  colonies  grecques. 
«  Les  Gaulois  a  cette  époque,  dit  Dulaure  en  parlant 
des  concjuétes  de  César,  n'avaient  point  de  villes;  ils 
habitaient  des  chaumières  éparses  dans  les  campagnes  ,  et 
lorsqu'ils  craignaient  une  attaque,  ils  se  retiraient  avec  leurs 
denrées ,  leurs  ménages  et  leurs  bestiaux  dans  leurs  forte- 
resses; là  ils  construisaient  à  la  hâte  des  cabanes  où  ils 


ce  défaut  de  mots  prouve  Tabsence  de  la  chose  qu'ils  signifient.»  (  Dulaure, 
Des  cités,  des  lieux  d'habitation,  des  forteresses  des  Gaulois,  etc.  Me'm.  de 
la  société  des  antiq.  de  France,  tom.  2.) 

(1)  En  parlant  de  la  fuite  d'Ambiorix,  roi  des  Éburons,  dont  la  demeure 
était  au  milieu  d'un  bois  (ce  qui  le  déroba  aux  perquisitions  de  ses  enne- 
mis) :  Hoc  factum  est,  dit  César,  quod  <Edifîcio  circumdato  sylva  (  n  sunt 
tehè  DOMiciuA.  Gallorum).  (Caes.,  1.  VI.  c.  30.) 


-  91  -^ 

abritaient  leurs  familles  et  leurs  proYÎsions  (1).  »  Justin 
écrit ,  il  est  vrai ,  que  les  Phocéens  apprirent  aux  Gaulois 
a  construire  des  villes  et  h  cultiver  leurs  champs  (2)  ; 
mais  s'il  y  a  quelque  vérité  dans  l'assertion  de  cet  auteur, 
ce  ne  peut  être  qu'aux  Celtes  voisins  de  Marseille  que 
les  Phocéens  communiquèrent  ces  instructions ,  et  non  au 
reste  des  Gaulois  qui  leur  étaient  inconnus  ,  puisque  , 
du  temps  même  de  Polybe  ,  500  ans  après  la  fonda- 
tion de  Marseille,  les  Grecs  et  les  Romains  ne  connais- 
saient encore  aucune  contrée  des  Gaules  au  nord  de  la 
Narbonnaise.  Par  conséquent,  du  temps  de  cet  auteur,  il 
ne  pouvait  exister  de  villes  dans  les  parties  centrales  et 
occidentales  des  Gaules,  et,  à  plus  forte  raison,  dans  la 
Belgique  actuelle ,  si  c'est  en  communiquant  avec  les  Pho- 
céens de  Marseille  que  les  Celtes  en  avaient  premièrement 
connu  la  construction.  En  effet,  Polybe  assure  que  les 
Gaulois  qui  s'emparèrent  du  nord  de  l'Italie  (la  Gaule  cisal- 
pine), trois  siècles  avant  l'ère  vulgaire  ,  et  dont  l'armée 
était  composée  des  Bituriges,  d'Auvergnats,  de  Senonois, 
d'Eduens ,  d'A.mbares ,  d'Aulerces  ,  de  Cénomans ,  de  Sal- 
luviens,  de  Boïens,  de  Lingonois  ou  Langrois ,  d'Insu- 
briens,  de  Venetes  et  de  plusieurs  autres  peuples  du  centre 
et  du  nord  des  Gaules  (3),  n'habitaient  que  des  chaumières 
éparses  et  n'avaient  point  de  villes  (4).  Milan,  quoique  ca- 
pitale des  ïnsubriens  émigrés ,  n'était  qu'un  simple  village 
avant  que  les  Romains  n'en  eussent  f^it  une  de  leurs  colo- 
nies (5).  Strabon  assure  que  les  Gaulois  qui  habitaient  le 

(1)  Dulaure,  Hist.  de  Paris,  tom.  1. 

(2)  Urbes  mœnibus  cingere  didicerunt.  [Juslini  IlisL,  1.  XLIII,  c.  4.) 
(3  ïifc.  Liv.,  l  V,  c.  34.  Polyb.,  1.  IL 

(4)  ViCATiM.  swè  mûris:  neque  supelleclilis  illis  vircndimodus,  ut  quihus 
somnus  in  Jierhâ  aul  stramenfis  luto  erat  (Polyb.,  I.  II.) 

(5)  însnhres,  dit  Strabon,  eiiamnum  exiant  quorum  fuit    melropolis  Me- 
diolanum,  jmcfus  oîim ,  nam   vicati    \7roif/.vf<^Qv)    hahilahant    eà    tcmpcslaf^ 


—  92  ^ 

territoire  de  Lucques,  vivaient  encore  de  son  temps  dans 
de  simples  villages  etdes  chamiiières  ëparses  (1).  Il  ne  donne 
e'galement  que  des  villages  (fpovpta)  pour  chefs-lieux  aux  Ga- 
lates  ou  Gaulois  de  TAsie  mineure.  Tite-Live  fait  aussi  en- 
tendre que  les  Boïens  et  les  Ce'nomans  établis  en  Italie 
n'habitaient  que  de  simples  bourgades  (2).  Strabon  et  Dio- 
dore  de  Sicile  attestent  que  les  Liguriens,  Celtes  d'origine, 
ne  possédaient  point  de  villes  ,  et  habitaient  dans  des  vil- 
lages. Diodore  va  même  jusqu'à  dire  (3) ,  qu'il  n'y  avait 
que  fort  peu  de  Liguriens  qui  possédassent  des  chaumiè- 
res, mais  que  la  plupart  n'avaient  pour  demeure  que  des 
cavernes.  Nous  voyons  encore ,  par  Tite-Live,  c|ue,  dans  les 
parties  delà  Gaule  que  traversa  Annibal  pour  pénétrer  en 
Italie ,  on  ne  trouvait  que  des  villages ,  et  cjue  la  capitale 
même  de  ces  contrées,  Briançon,  n'était  qu'un  simple  châ- 
teau ou  bourg  (4). 

Si  toutes  les  peuplades  gauloises  que  nous  venons  d'énu- 
mérer  ne  demeuraient  encore  que  dans  des  villages  et  des 
chaumières  isolées ,  et  ne  bâtissaient  point  de  villes  plu- 
sieurs siècles  après  la  fondation  de  Marseille,  et  si ,  cjuoique 
vivant  au  centre  de  populations  civilisées  c[ui  possédaient 
un  grand  nombre  de  cités  remarquables,  les  Gaulois  de 
l'Italie  supérieure  continuaient  a  conserver  leurs  mœurs 
et  leur  genre  de  vie  barbare  et  grossier,  ne  pouvons- 
nous  pas  conclure  de  la  que  l'influence  de  Marseille  sur  la 

universi.  (  Strabo,  1.  V.)  Pol^be  appelle  Milan  le  bourg  ou   village  [xcopcti;) 
principal  des  Insubriens, 

(1)  kvot  Tccf4.vjc^cv  oixcvaiu. 

(2)  Inde  mittenilo  in  vicos  Cenomanorum  Brixiamque  quod  caput  gentis 
erat.  (Tit.  Liv,,  1.  XXIl,  c.  30.)  Boii,  ut  est  gens  minime  ad  morœ  tœdium, 
patiens,  in  castella  sua  vicosque  dilapsi  sunt.  (L.  XXIII,  c  36.) 

(3)  Liguria  nikil  relatu  digninn  habet,  nisi  quod  \icatim  dissipait  vivunt 
Ligures. 

(4)  Casiellum  indè,  quod  caput  ejus  regionis  erat,  vicosque  circumjectos 
capii.  (  Tit.  Liv.,  1.  XXI,  c.  33.) 


_  93  — 

civilisation  gauloise  ,  ne  fut  point  aussi  grande  que  le  sup- 
pose Justin  ,  et  que  ce  ne  fut  guère  qu'après  la  conquête 
des  Gaules  par  les  Romains  que  îes  Gaulois  commencèrent  à 
renoncer  a  leur  ancienne  manière  de  vivre  et  a  construire 
des  villes.  Nous  citerons  un  dernier  fait  a  Tappui  de  cette 
probabilité  :  Strabon  dit  que  les  Allobroges ,  qui  occu- 
paient l'ancien  Dauphinë,  et  étaient  par  conséquent  a  peu 
de  distance  de  Marseille,  ne  possédaient  cjue  des  bourgades 
ouvertes ,  et  que  Vienne  ,  leur  capitale  ,  n'était  elle-même 
qu'un  simple  village  (1). 

Si ,  dans  une  contrée  aussi  proche  de  Marseille  ,  on  ne 
trouvait  point  de  villes,  à  plus  forte  raison  en  devait-il 
être  de  même  dans  le  centre ,  l'ouest  et  le  nord  des  Gaules 
avant  l'époque  de  la  domination  romaine  dans  ces  lieux. 
Il  est  vrai  que  César  compte  douze  oppida  chez  les  Hel- 
vé tiens  (2)  ;  mais  on  serait  dans  l'erreur  si  l'on  entendait  ici , 
par  le  mot  oppidum  ,  une  ville  proprement  dite  ;  ces  op- 
pida de  (]ésar  n'étaient  qu'un  assemblage  informe  de  chau- 
mières éparses  et  disposées  sans  aucune  régularité  ,  ou , 
comme  chez  les  habitans  de  la  cote  de  la  Grande-Bretagne, 
peuplée  de  Gaulois  et  de  Belges  émigrés  dont  la  manière 
de  bâtir  était ,  suivant  César  lui-même ,  absolument  con- 
forme à  celle  des  habitans  des  Gaules  (3) ,  des  retranche- 
mens  au  milieu  des  bois,  formés  par  des  palissades  et  des 
abatis  ,  dans  lesquels  les  habitans  se  renfermaient  en 
temps  de  guerre  avec  leurs  troupeaux  et  leurs  effets  (4). 


3Iagno  nalu  principes  Casteilorum  oraîores  ad  Pœnum  veniuni.  (L.  XXÏ, 
c.  34.) 

(1)  Per  vicos  liahiiani.  Vienna  et  ipsa  viens,  tamen  metropolis  gentis  dice- 
hatur.  (Strabo.,  1.  IV.) 

(2)  Cses.,  1.  I. 

(3)  Gallicis  consimilia.  (CaES..  1.  V,  c.  12.  Tacit.  Vifa  Jgric.,  c.  II.) 

(4)  Oppidum  autem  Brifanni  rocant,  citm   silvas  iwpedilas,   vallo  alque 


Q4   — 

Ce  qui  prouve  encore  que,  par  le  terme  oppidum ,  il  ne 
faut  pas  nécessairement  entendre  une  ville  comme  nous 
le  faisons  généralement  aujourd'hui  ,  quoiqu  a  tort  (1) , 
c'est  que  César  place  des  oppida  chez  les  Suèves  et  les 
Ubiens  ,  peuples  de  la  Germanie,  lesquels,  comme  tous  les 
Germains,  avaient  le  séjour  des  villes  en  horreur,  et  ne  souf- 
fraient même  pas  un  assemblage  cjuelconque  de  maisons  (2V 

Ce  n'est  pas  dans  les  Commentaires  de  César  seuls  cjue 
le  titre  d'oppidum  est  donné  à  de  simples  villages ,  mais 
aussi  dans  plusieurs  autres  ouvrages  anciens.  Ainsi 
Tite-Live  donne  la  qualification  de  ville  (  urbs  )  a  Milan , 
à  une  époque  oii  ce  lieu  n'était  encore  qu'un  simple  vil- 
lage gaulois  :  il  dit  que  les  Insubriens  bâtirent  une  ville 
à  laquelle  ils  donnèrent  le  nom  de  Milan  (3) ,  tandis  que 

fossâ  mimierunt ,  quo  mcursionis  hostium  vitandœ  causa  convetiire  consue- 
veriinf.  (Caes.,  I.  V.  c.  21.) 

Urhium  loco  ipsis  (  Britannis  )  sunt  nemora.  Arhorihus  eniin  dcjectis,  vbi 
amphini  circuluni  sepieriintj  ij^si  casas  ibidem  sihi ponunt  et  pecori  stahula, 
condunt,  adusum  quidemnon  longi  temporis.  (Strabo.,  1.  IV.) 

Nous  verrons  plus  loin  que  les  Celtes  avaient  un  autre  genre  de  fortifica- 
tions beaucoup  plus  solides. 

(1)  Oppidum,  dit  Festus,  ah  opihns  conferendis.  C'est  dans  cette  signifi- 
cation que  César  paraît  avoir  employé  le  mot  oppidum.  \oir  aussi  M  de 
Fortia ,  Tableau  du  monde,  tom.  4,  p.  287. 

(2)  Ubiis  imperat  ut  pecora  deducatît,  suaque  omnia  ex  agris  in  oppida 
conférant.  (Coes.  1.  \I,  c.  10.) 

Sîievos ,  poslquam  per  eaploraiores  ponlem  fleri  comperissent ,  more  sua 
consilio  habito,  nuncios  in  omnes  partes  dimisisse,  uliin  Oppidis  demigrarent 
Itberos,  uxores,  suaque  omnia  in  siltas  deponerent,  atque  omnes  qui  arma 
ferre  possent  vnum  in  Jocum  convenireni.  (Id.,  1.  IV,  c.  19.) 

u  Ces  Suèves,  écrit  M.  Raepsaet,  consistaient  en  plusieurs  nations.  Toutes 
ces  nations  sont  appelées  en  commun  Suevi,  dit  Tacite  5  or,  comme  il  n'as- 
signe à  aucune  de  toutes  ces  peuplades  suèves  des  demeures  fixes,  je  pense 
que  ces  nations  suèves  étaient  encore  nomades  (c'est-a  dire  qu'elles  n'avaient 
point  encore  de  pays  fixe  ou  limité),  et  qu'on  les  désignait  par  Swevers,  que 
Tacite,  selon  sa  coutume  aura  latinisé.  «  (Raepsaet,  Analyse  de  VHist.  polit, 
et  civ.  des  anc.  Belges  et  Gaulois  ,  t.  1.) 

(3)  Condidere  (Insiibrcs)  urbem  :  Mediolanum  appclJarunt.  (Tit.  Liv.  1.  V.) 


—  95  — 

nous  avons  vu  plus  liaut,  par  le  témoignage  de  Polybe  et 
de  Strabon,  que  les  Gaulois  cisalpins  n'habitaient  que  des 
chaumières  ëparses.  Ptoléméeet  Hërodien  placent  un  grand 
nombre  de  villes  dans  la  Germanie  et  la  Sarmatie,  oii 
nous  savons  positivement  qu'il  n'en  existait  point  encore 
une  seule  de  leur  temps  ni  même  long-temps  après.  Tout 
cela  prouve  que,  comme  tant  d'autres  termes,  les  mots  op- 
pidum^ urhs ,  TToXiq,  ne  doivent  pas  toujours  être  pris  chez 
les  anciens  dans  leur  signification  première ,  et  que  rien 
n'atteste  que  les  oppicla  des  Gaules  aient  ëtë  plus  des  villes 
proprement  dites,  que  les  urbes  ^  civitates  ^  TroXiq^  que  Pto- 
lëmëe  et  Hërodien  placent  mal-a-propos  chez  des  peuples 
oîi  il  n'y  avait  pas  ombre  d'une  ville. 

Nous  nous  sommes  cru  permis  ces  dëtails  sur  les  habi- 
tations des  anciens  Gaulois,  parce  que  cette  question  est  fort 
controversëe,  et  que  la  plupart  des  auteurs  modernes,  faute 
d'avoir  ëtudië  assez  attentivement  le  texte  de  Cësar ,  ont 
avance  c[u' avant  l'ëpoque  de  la  domination  romaine  dans 
les  Gaules ,  cette  vaste  région  renfermait  déjà  un  grand 
nombre  de  villes  remarquables,  tandis  qu'un  examen  plus 
attentif  aurait  du  les  convaincre  qu'il  n'y  existait  pas  plus 
de  villes  a  cette  ëpoque  que  dans  la  Germanie ,  au  moins 
dans  les  parties  des  Gaules  au  nord  de  la  Narbonnaise.  Ce 
n'est  que  depuis  raffermissement  de  la  domination  romaine 
dans  les  Gaules,  que  les  chefs-lieux  des  différentes  peuplades 
gauloises  s'élevèrent  successivement  au  rang  de  villes ,  qui 
étaient  déjà  au  nombre  de  120  a  125  vers  la  fin  du  4e  siè- 
cle (1). 

(1)  Voir  le  chap.  9  de  la  2=  partie  de  cet  ouvrage  et  mon  mémoire  sur  la 
question  :  Les  Gaulois  avaient-ils  des  villes  avant  la  conquête  des  Gaules 
par  les  Romains.  (Bulletin  des  Sciences  Histor.,  Paris,  novemb.  1830.) 

Lorsque  j'écrivai  cette  Dissertation,  je  n'avais  point  lu  le  savant  Mé- 
moire  de  M.   Dulaure,   intitulé  :  Des  cités,    des   lieux  d'habitation ,    des 


—  98  — 
§  IV. 

Costumes  des  CeStess 

Les  Gaulois  ne  se  couvraient  d'abord  que  de  peaux  d'ani- 
maux sauvages  tues  a  la  chasse.  Dans  la  suite,  le  commerce 
avec  les  Grecs  de  Marseille ,  et  les  progrès,  quoique  lents, 
quils  firent  dans  les  arts,  introduisirent  quelque  change- 
ment dans  leur  manière  de  se  vêtir  ;  car  chez  tout  peuple 
barbare,  c'est  ordinairement  dans  les  vétemens  qu'on  ren- 
contre les  premiers  germes  du  luxe.  Les  Celtes  apprirent  a 
cultiver  le  chanvre  et  le  lin  (1) ,  a  en  faire  des  toiles  et  à 
les  teindre  ;  par  là  leurs  vétemens  devinrent  plus  com- 
modes et  plus  varie's.  Le  costume  le  plus  ordinaire  du  peu- 
ple fut  alors  la  saye  {sagum)^  espèce  de  petit  manteau 
de  forme  carrée  avec  ou  sans  manches,  qui  s'attachait  sur 
Tëpaule  avec  une  agraffe.  La  saye  était  garnie  de  poils,  et 
quelquefois  ornée  débandes  de  pourpre  étroites,  en  forme 
de  verges;  elle  portait  alors  le  nom  de  saje  à  verges  (sagiim 
virgatum)  (2).  Les  nobles  teignaient  leurs  sayes  de  diverses 
couleurs  et  y  attachaient  des  ornemens  d'or  et  d'argent. 
En  hiver  la  saye  était  épaisse, et  légère  en  été.  Elle  fut  long- 
temps le  seul  vêtement  des  Celtes  (3). 

Par  dessous  la  saye ,  les  Gaulois  portaient  des  espèces  de 
tuniques  ouvertes  ou  de  chemises  qui  leur  descendaient 

forteresses  des  Gaulois,  de  letir  architecture  civile  et  militaire  avant  la 
conquête  des  Romains ,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  roy.  des  Antiquaires 
de  France ,  tom.  2,  p.  82. 

J'ai  vu  avec  plaisir  que  je  me  suis  rencontré  en  beaucoup  de  points  avec 
ce  célèbre  écrivain. 

(1)  Cadurci,    Caleti,  Ruteni,  Bituriges ,  uUimique  liominuîn  existimati 
Morini,  imo  vero  Galliœ  universœ  vêla  texunt.  (Plin.  1.  XIX,  c.  1.) 

(2)  Virgatis  lucent  sagnlis ,  dit  Virgile  en  pai-lant  des  Gaulois.  [Mtieid. 
1.  VIII,  V.  660.) 

(3)  Picot,  tom.  2,  p.  306.  Pelontier,  t.  2,  125  et  suiv. 


—  97  — 

jusqu'aux  hanches ,  et  qui  avaient  des  manches  courtes  (1). 
De  larges  culottes  appelées  brayes  (  hraccœ,  en  flamand 
broeken)  ^  complëlaient  Thabillement  des  Gaulois  et  du 
Belge  en  particulier  (2).  De  là  le  nom  de  Gallia  hraccaia^ 
cjue  les  Romains  donnèrent  a  la  Gaule  transalpine,  pour 
la  distinguer  de  îa  Gaule  cisalpine,  où  les  Celtes  paraissent 
avoir  renoncé  de  bonne  heure  a  Tusage  de  ce  vêtement.  Les 
brayes  des  Gaulois  étaient  quelquefois  de  couleurs  variées 
et  ornées  de  broderie  d'or  et  d'argent  (3). 

Les  Celtes  marchaient  la  plupart  du  temps  nu-pieds;  mais 
pendant  l'hiver  et  lorsqu'il  pleuvait,  ils  se  couvraient  les 
pieds  de  sandales  de  bois  ou  de  liège  attachées  avec  des  laniè- 
res de  cuir.  On  appelait  ces  sandales  gallicœ  (galoches).  Les 
dames  romaines  adoptèrent  elles-mêmes  cette  chaussure, 
qui  aujourd'hui  est  abandonnée  aux  gens  du  peuple. 

Les  Gaulois,  hommes  et  femmes,  se  couvraientla  tête  d'un 
bonnet  ;  celui  des  hommes  était  pointu  ou  en  pain  de  sucre  (4). 

Les  hommes  se  rasaient  ordinairement  la  barbe;  les 
nobles  laissaient  croître  leurs  moustaches,  l'ous  portaient 
les  cheveux  longs  et  se  les  teignaient  en  jamie,  comme  nous 
lavons  observé  au  commencement  de  ce  chapitre (5). 

Les  anciens  n'ont  rien  dit  de  particulier  sur  l'habille- 

(1)  Pelontier.  t.  2,  p.  154. 

(2)  Gain  Scytharnrn  7nore  braccis  induti  sunt  (Plin.,  I.  III, c.  3:  et  Strab.. 
1.  IV). 

(3)  Festns  Pompeins  rapporte  que  les  Belges  se  servaient  de  poches  de 
cuir  qu'ils  appelaient  hulga  ,  doi^i  Durondeau  .prétend  que  s'est  formé  le  mot 
flamand  heiigel-fassche,  en  allemand  beiitel,  qui  signifie  poche. 

(4)  C  est  ainsi  qu'est  représenté  Comius  ,  roi  des  Atrébates,  sur  ime  mé- 
daille dont  Bergerns  a  donné  nne  gravure  {Thesaur.  Bravdenh.,  p.  305.  Clefel. 
Antiq.  septent.,  p.  265). 

(5)  NonnuUiraduntharhas;  quidam  tnodicè  aluni;  nobiliores  tonstirâ gênas 
îevigant,  wyataces  vero  demiUuni  vtora  ipsorum  obteganinr  (D\oà.  Sic,  I.  V*. 

César  dit  des  peuples  de  la  Grande-Bretagne:  Capillo sunt  promisso  aique 
omni  corporis  parte  raso,  prœfer  caput  et  labrum  superivs  (1.  V).  Voir  Cleirel, 
vintiq.  sept.  c.  9. 

Tome  1  7 


—  98  — 

ment  des  femmes  gauloises  ;  il  ne  paraît  pas  avoir  beau- 
coup diffère  de  celui  des  hommes,  sinon  quelles  portaient 
des  tuniques  plus  longues.  On  a  trouvé  ,  dans  difFe'rens 
tombeaux  celtiques,  des  coiffures  de  femme  d'une  forme 
triangulaire  et  assez  bizarre. 

Les  Gaulois  ,  hommes  et  femmes,  aimaient  beaucoup  a 
relever  leur  parure  par  des  bracelets ,  des  anneaux  et  des 
colliers  dor;  mais  ce  genre  dornemens  parait  avoir  été  ré- 
servé aux  nobles  (1). 

Les  armes  que  les  Celtes  ne  quittaient  jamais  étaient 
également  tenus  par  eux  pour  un  des  principaux  objets  de 
leur  parure.  «Un  Celte,  dit  Peloutier,  ne  paraissait  ja- 
mais sans  armes  ;  il  les  épousait  en  quelque  manière.  Après 
les  avoir  portées  depuis  l'âge  viril  jusqua  la  vieillesse  dé- 
crépite, il  fallait  encore  c]u'on  les  brûlât,  ou  quon  les  en- 
terrât avec  lui.  Cet  attachement  des  Celtes  pour  leurs 
armes  allait  si  loin  qu'ils  préféraient  perdre  la  vie  plu- 
tôt que  de  les  abandonner  a  l'ennemi  (2).  m 

Ce  qui  distinguait  les  Celtes  des  autres  peuples  barbares, 
c'était  le  soin  extrême  qu'ils  prenaient  de  la  propreté  de 
leurs  habits  :  «  Tous  les  Gaulois ,  rapporte  Ammien-Marcel 
lin ,  sont  fort  soigneux  pour  ce  cjui  regarde  la  propreté  du 
corps  et  des  habits.  Vous  ne  trouverez  dans  ces  contrées  ni 
hommes  ni  femmes,  fussent-ils  même  des  plus  pauvres, 

(1)  Strab.,  IV.  Virg.,  Mneid.,  1.  VIII,  v.  660. 

....     Tum  flava  repexo 

Galîia  crine  ferox ,  evinctaque  torque  decoro 

(Claudian.,  de  Laudih.,  stilic.  1,  II.  v.  aio.) 
Collo  viri  fulvo  radiahant  lactea  torque, 
Aura  virgatœ  vestes,  manicœque  rigehant. 
Ex  aura  et  simili  vihràbant  crista  -inetallo. 

(,Sil.  liât.,  1.  IV,  V.  i54.) 

Lorsque  Tite-Live  parle  de  quelque  victoire  remportée  par  les  Romains 
sur  les  Gaulois,  il  ne  manque  pas  de  désigner  le  nombre  des  colliers  et  des 
bracelets  pris  sur  l'ennemi  (Titc  Liv.,  1.  XXIV,  c.  42.  I.  XXXIII,  c.  36 
1.  XXXVI,  c.  40}. 

(2)  Hist.  (les  Celtes,  t.  2,  p.  164. 


—  99  -- 

qui  aient  les  habils  déchires  (1).  w  Ils  se  baignaient  fré- 
quemment, tant  par  propreté  que  par  principe  de  santé 
et  pour  s'endurcir  contre  le  froid  et  rendre  plus  souples 
les  membres  du  corps  ;  pour  cette  raison ,  ils  se  bai" 
gnaient  ordinairement  dans  les  eaux  courantes  et  les  lacs^ 
en  hiver  comme  en  été.  Pour  avoir  le  teint  luisant,  ils 
se  frottaient  le  visage  avec  du  beurre  et  de  la  levure  ou 
écume  de  bière  (2)  ;  cependant ,  ce  cjui  ne  s'accorde  guère 
avec  la  propreté  gauloise  tant  vantée  par  Ammi en-Marcel- 
lin,  c'est  que,  suivant  Strabon  et  Diodore  de  Sicile,  les 
Gaulois  avaient  la  vilaine  coutume  de  se  laver  le  corps  avec 
de  l'urine  et  de  s'en  frotter  les  dents.  Pour  que  l'urine  eût 
plus  de  force,  on  la  laissait  vieillir  dans  des  citernes  (3). 

§  V. 

BSariage ,    condition  des   femmes . 

Le  célibat  n'était  pas  en  honneur  chez  les  Celtes;  mais 
il  ne  paraît  pas  cjue  la  polygamie  y  fut  en  usage ,  au  moins 
parmi  le  commun  du  peuple.  Les  femmes  jouissaient  d'une 
grande  liberté  dans  le  choix  d'un  époux  :  le  père  rassem- 
blait dans  un  repas  tous  les  prétendans  de  sa  fille,  et  le  pre- 
mier auquel  elle  présentait  une  coupe  remplie  d'eau  était 
celui  cpi'elle  préférait  pour  époux  ;  un  tel  mariage ,  fondé 
sur  les  seuls  rapports  d'un  amour  réciproque,  devait  être 
rarement  malheureux.  Il  ne  paraît  pas  cju'on  observât  aux 
fiançailles  d'autres  formalités  que  de  faire  boire  l'époux 
et  réponse  dans  une  même  coupe.  La  femme  recevait 
une  dot  en  se  mariant  (4).  Les  maris  prenaient  alors  sur 
leurs  biens  une  somme  équivalente  a  cette  dot ,  et  réunis- 

(1)  Amm.-Marcell.,  L  XV,  c.  12. 

(2)  Plin.,  1.  II,  c.  12.  L  XXII,  c.  25.  Athen.,  I.  X,  c.  13. 

(3)  Diod.  Sic,  1.  V.  Strab.,  I.  III.  Catiill.  Epigr.  96. 

(4)  Caes.,I.  VI,  c.  19. 


-^  100  -^ 

saient  ces  deux  sommes  ;  le  dernier  survivant  des  époux 
héritait  cet  argent  mis  en  commun,  avec  les  accroissemens 
qui)  avait  reçus  depuis  le  mariage.  Les  femmes  ne  man- 
geaient jamais  avec  leurs  maris  ou  d'autres  hommes,  usage 
dont  on  ne  peut  pas  aisément  rendre  compte,  puisqu'on 
sait  que  les  Gaulois  te'moignaient  le  plus  grand  respect 
pour  les  personnes  du  sexe. 

§  VI. 

Tactique  militaire  àes  Ceites. 

La  grande  passion ,  et,  avec  la  chasse  ,  presque  l'unique 
occupation  ,  on  pourrait  dire  Tunique  amusement  ,  du 
Gaulois  était  la  guerre.  César  dit  qu'il  ne  se  passait  pas  d'an- 
née que  chaque  peuple  gaulois  ne  fut  engagée  dans  quel- 
qu'entreprisc  militaire.  La  grande  assemblée  nationale  qui 
se  tenait  au  printemps  n'avait  pour  but  principal  que  de  se 
concerter  sur  la  manière  dont  on  tenterait  quelque  nouvel 
exploit.  Tout  Gaulois  indistinctement  était  obligé  d'y  as- 
sister armé  de  toutes  pièces  et  prêt  à  entrer  en  campagne  (1) 
«  Lorsqu'un  des  chefs  gaulois  ,  dit  César,  a  résolu  d'entre- 
prendre une  expédition,  il  le  déclare  dans  rassemblée  géné- 
rale, afin  que  ceux  qui  veulent  le  suivre  s'enrôlent.  Ceux 
qui  approuvent  l'expédition  et  qui  agréent  le  général,  se 
lèvent  et  promettent  leur  assistance;  ils  reçoivent  là-dessus 
de  grands  applaudissemens  delà  part  de  toute  l'assemblée. 
Si ,  parmi  les  enrôlés  il  s'en  trouvait  quelqu'un  qui  ne  vou- 
lût point  suivre  son  chef,  on  le  regarderait  comme  un 
déserteur  et  un  traître;  personne  ne  se  fierait  plus  à 
lui  (2).  «  Les  plus  braves  d'entre  les  chefs  gaulois  avaient 
toujours  à  leur  solde  un  certain  nombre  de  compa- 
gnons appelés  amhacti^  soldiirii^  qui  faisaient  serment 
de  vivre   et   de  mourir   avec  leur  général.    Si  leur  pa- 

(1)  Cîcs.,  1.  II.  c.  4  1.  VII,  c.  75. 

(2)  Cœs.,  1.  VI,  c.  23. 


--.  101  — 

tron  périssait  clans  le  combat ,  c'eut  élé  une  honte  pour 
eux  que  de  lui  survivre  (1).  Lorsqu'un  peuple  ëlaiten 
paix  avec  ses  voisins,  ces  erufans perdus  ne  laissaient  pas  de 
faire  des  incursions  et  une  guerre  de  partisans,  ou  allaient 
servir  chez  un  peuple  étranger.  Si  les  Gaulois  ne  trou- 
vaient pas  loccasion  de  guerroyer  hors  de  leur  patrie,  ils 
désolaient  cette  dernière  même  par  des  guerres  civiles,  et 
s  entretuaient  les  uns  les  autres  (2).  Polybc  rapporte  qu'au 
retour  d'une  expédition,  il  s'élevait  souvent  parmi  les  vain- 
queurs ,  pour  le  partage  du  butin ,  des  dissensions  c[ui  fai- 
saient parfois  périr  la  fleur  de  Tarmée  (3).  L'exemple  sui- 
vant est  encore  bien  propre  a  prouver  que,  chez  les  Gaulois, 
la  guerre  n'était  considérée  que  comme  un  amusement  : 
Annibal  avait  fait  plusieurs  Gaulois  prisonniers  de  guerre; 
il  leur  proposa  de  se  battre  entre  eux,  promettant  la  liberté, 
désarmes,  et  un  cheval  a  celui  qui  aurait  terrassé  et  tué 
son  adversaire.  Les  Gauloisacceptèrentavec  joie  une  propo- 
sition qui  nous  parait  a  nous  si  contraire  à  Thonneur  natio- 
nal (4).  Â.insi  pour  avoir  le  plaisir  de  se  battre,  ces  Gaulois 
ne  firent  aucune  difficulté  d  égorger  leurs  frères  et  leurs 
compatriotes  sous  les  yeux  d'un  général  ennemi  (5). 

L 'éducation  entière  d'un  Celte  ne  tendait  qu'à  faire  de  lui 
un  guerrier  valeureux  (6).  Le  premier  vœu  d'une  femme 
gauloise,  en  donnant  le  jour  à  un  enfant  màîe,  était  qu'il  plut 
aux  dieux  de  le  faire  mourir  les  armes  a  la  main  (7).  Pour 

(1)  Cses.,  î.  IIL  c.  22.  1.  YL  c.  40.  Diod.  Sic,  I.  V.  Athen.,  I.  VII,  c.  13. 
Voir  aussi  Reynier   p.  128, 

(2)  Cœs.,  1.  VI,  c.  2. 

(3)  Polyb.,  I.  II. 

(4)  Tite  Liv.,  I.  XXI,  c.  42. 

(5)  Voir  Peloutier,  tom.  2,  p.  328. 

(6)  Gallos  inter  ferrum  et  arma  natos  (Tit.  Liv.,  1.  X,  c.  16). 

(7)  Pnerpera  si  quandô  marem  edidit ,  gentUihus  votis  optât  non  aliter 
quam  in  hello  et  inter  arma  mortem  appetat  (Solini  Polyhistor.,  c.  25). 


—  102  — 

rendre  les  enfans  vigoureux  et  souples ,  on  les  baignait  dès 
le  moment  de  leur  naissance  dans  l'eau  froide;  on  les  lais- 
sait courir  presque  nus;  on  les  exerçait  a  la  nage  et  au 
maniement  des  armes;  ils  étaient  obligés  de  servir  leurs  pa- 
rens  à  table  et  ne  pouvaient  paraître  en  public  avec  eux 
avant  d'avoir  atteint  Tâge  de  quinze  ans  ,  lorsqu'ils  rece- 
vaient de  leurs  mains  uneépée  et  un  bouclier  (1).  Ces  armes 
ne  les  quittaient  plus  jusqu'à  la  décrépitude  (2).  La  reli- 
gion ,  l'honneur,  le  sentiment  de  la  patrie  et  de  la  liberté 
donnaient  aux  Gaulois  une  valeur  a  toute  épreuve.  Ils  se 
persuadaient  de  jouir  d'une  félicité  éternelle  en  mourant 
les  armes  à  la  main  (3).  Le  plus  grand  des  malheurs  pour 
un  Celte  ,  et  généralement  pour  tous  les  barbares,  était  de 
mourir  d'une  mort  naturelle.  Aussi  les  plus  braves  d'en- 
tre eux ,  lorsque  la  vieillesse  les  empêchait  de  chercher  la 
iiiort  dans  les  combats,  se  la  donnaient  de  leur  propre 
main  ou  la  recevaient ,  comme  un  gage  d'attachement,  de 
celle  de  leurs  proches  ou  de  leurs  amis. 

Les  chants  des  Bardes  composés  en  honneur  des  héros , 
et  les  encouragemens  qu'ils  recevaient  de  leurs  femmes 
qui  n'étaient  pas  animées  d'un  égard  moins  guerrier  que 
leurs  époux  ou  leurs  fils ,  tout  contribuait  a  animer  les 
Gaulois  dans  les  combats.  Pour  montrer  l'assurance  avec 
laquelle  ils  marchaient  à  Tattaque  et  le  mépris  qu'ils  fai- 


(1)  Caes.,  1.  VI,  c.  18. 

(2)  Qui  quiun  vix  equopropter  œtatem  posset  uii,  dit  César  en  parlant  de 
Vertisqne,  chef  des  Rémois,  tomew  consuefudine  Gallonim ,  neque  œtatis 
excusatione  in  suscipienda  prœfectura  usus  erat ,  nequc  dimicari  sine  se  vo~ 
hterat  (  Cœs.,  1.  VllL  c.  12). 

^5^ Cejtè  popuJi  qnos  rîespicit  ^rcios  , 

Felices  errore  suo ,  quos  ille  timorum 
Maximus  liaud  urget  letlii  vietus ;  indc  vuendi 
In  fetrum  tnens  prona  viris,  animœque  capaces 
Alortia  f  et  ignavutn  est  rediturœ  parcere  vitœ. 

(.Lucan.,  rhar$.,  1.   L> 


—  103  — 

salent  de  la  mort,  ils  ne  portaient,  dit  JElien,  pour  tout 
casque,  qu  une  couronne  de  fleurs  (1).  En  allant  combattre, 
ils  se  découvraient  toute  la  partie  supérieure  du  corps  (2). 
11  y  en  avait  néanmoins  cjui  se  revêtaient  d'un  poitrail  de 
fer  et  se  couvraient  la  tête  d'un  casque. 

La  cavalerie  formée  de  la  noblesse  gauloise ,  composait 
la  principale  force  des  armées  (3).  Chaque  cavalier  avait 
à  sa  suite  deux  esclaves  également  armés  et  montés  sur  des 
coursiers.  Si  une  blessure  le  mettait  hors  de  combat,  un 
des  esclaves  prenait  sa  place  pendant  que  lautre  pansait 
ses  blessures. 

Les  Gaulois  avaient  des  chars  de  guerre,  appelés  esseda 
et  covinus^  attelés  chacun  de  deux  chevaux  et  conduits  par 
un  écuyer.  Le  guerrier  qui  montait  le  char ,  lançait  un 
trait  à  Fennemi;  puis,  dès  qu'un  corps  ennemi  était  en- 
foncé ,  il  descendait  du  char  pour  combattre  à  pied  avec 
Tépée.  Ces  chars  réunis  ensemble  servaient  aussi  a  fortifier 
les  camps  (4). 

Dans  les  combats  ,  l'armée  gauloise  présentait  un  front 
double  ;  ce  qui  ne  permettait  pas  de  s'enfuir  aux  soldats 
du  premier  rang ,  destinés  a  soutenir  le  premier  choc  (5). 

(1)  «  De  cet  usage,  dit  Le  Grand  d'Aussy,  naquit  probablement,  chez  leurs 
descendans,  celui  de  porter  un  ornement  pareil  aux  jours  de  fête  et  de  ré- 
jouissance. »  {Hist.  de  la  vie  privée  des  Finançais,  t.  2,  p.  245.) 

(2)  Ex  adverso  robusta  Galîorum  corpora  et  nuda  petehaniur;  quœ  res  eos 
maxime  extulit  (Appian.,  de  Bello  parth.).  Strab.,  l.  IV. 

(3)  Voir  cependant  César,  1.  VU,  c.  76.  Robgier  de  la  Bergerie,  Hist  de 
Vagricult.  des  Gaulois,  p.  331. 

Les  Gaulois  tenaient  pour  honteux  de  se  servir  de  harnais  d'équipement 
pour  le  cheval. 

^lien  dit  que  les  Celtes  nourrissaient  leurs  chevaux  et  leurs  bœufs  avec 
du  poisson  (  1.  XV,  c.  25). 

(4)  Cœs.,  l.  I,  c.  51.  Hirtius,  de  Bello  gall,  1.  VIII,  c.  14.  Diod.  Sic,  I.  V. 
Tit.  Liv.,  1.  X,  c.  28. 

(5)  Polyb.,  1.  II.  Diod.  Sic,  1.  V.  Tit.  Liv.,  1.  V  et  XXXVIII.  Appian., 
Bell,  civ.,  1.  I. 


—  104  — 

Les  Gaulois  se  ballaient  aussi  ranges  en  forme  de  coin  (eu- 
neatini  )  (1). 

Ils  s  animaient  les  uns  les  autres ,  en  marchanl  a  l'at- 
laque,  par  des  cris  de  guerre,  par  le  son  d'une  espèce 
de  trompette  grossière,  par  des  chants  guerriers  et  des 
invectives  contre  lennemi.  Les  plus  vaillans  sortaient  en 
avant  du  corps  d'armée,  et  provoquaient  à  un  combat  sin- 
gulier celui  des  ennemis  qui  oserait  se  mesurer  contre  eux. 
Lliistoirc  romaine  offre  plusieurs  exemples  de  ces  combats 
singuliers  livres  par  des  Romains  a  des  Gaulois. 

Les  Celtes  ne  paraissent  avoir  eu  aucune  connaissance 
de  la  tactique ,  et  ils  n'observaient  nulle  discipline ,  s'il  faut 
en  croate  ce  qui  est  dit  dans  le  fragment  d'un  discours  que 
iite-Live  fait  tenir  à  Camille,  pour  engager  les  Ardëates  à 
combatlrelesGauloisqui  venaient  assie'ger  la  ville  d'Ardëe  : 
«Cette  nation,  dit  Camille  aux  Ardëates,  inspire  plus  de 
terreur  quelle  na  de  véritable  force;  la  défaite  des  Ro- 
mams  en  est  un  exemple  ;  les  Gaulois  se  sont  emparés 
d'une  ville  ouverte,  et  maintenant  un  petit  corps  de  troupes 
leur  résiste  depuis  le  siège  du  Capitole.  Vaincus  par  l'en- 
nui ,  ils  se  retirent ,  ils  errent  ça  et  la  dans  les  campagnes  ; 
ils  se  gorgent  du  vin  et  des  provisions  qu  ils  ont  pillés. 
Quand  la  nuit  est  arrivée  ,  ils  s'étendent  péle-méle  sur  la 
terre  au  bord  des  ruisseaux,  comme  des  bétes  sauvages; 
ils  n'établissent  point  de  remparts,  point  de  gardes,  point 
de  patrouilles  autour  d'eux  pour  leur  sûreté  ;  la  prospérité 
les  a  rendus  encore  plus  insouciant  qu'à  l'ordinaire.  Si 
vous  voulez  défendre  vos  murailles  ,  et  empêcher  que 
votre  pays  ne  devienne  la  proie  de  ces  barbares,  prenez 
tous  les  armes  à  la  preniière  veille,  et  suivez  moi ,  non  pas 
à  un  combat,  mais  a  un  massacre.  Si  je  ne  vous  les  livre 

(1)  Cœs.,  I.VIL  c.  28. 


—  105  -- 

pas  plonges  dans  le  sommeil,  et  faciles  à  égorger  comme 
un  troupeau  Je  brebis,  je  ne  refuse  point  detre  traite  par 
vous  comme  je  Fai  été  par  les  Romains  (1).  w 

César  rapporte  que  les  Gaulois ,  n'avaient  aucune  idée 
des  macliines  de  gueri-e  nécessaires  aux  sièges,  tels  que  tours 
mouvantes,  béliers,  etc.,  (2).  Lorsqu'ils  voulaient  s'empa- 
rer d'une  place  forte,  ils  l'investissaient  avec  toute  leur  ar- 
mée ;  ils  attaquaient  les  murs  à  coups  de  pierres  et  de 
traits,  et  quand  ils  avaient  chassé  ceux  qui  les  défendaient, 
ils  formaient  la  tortue,  brûlaient  les  portes  et  renversaient 
les  remparts  (3).  Les  murs  de  leurs  oppida  n'étaient  pas 
tous  construits  d'une  manière  aussi  fragile  que  ceux  dont 
nous  avons  parlé  dans  le  §  3.  Ils  avaient  une  autre  espèce 
de  fortifications  construite  avec  assez  d'art  et  beaucoup  de 
solidité;  voici  la  manière  dont  ils  les  élevaient  suivant 
César  :  «  Ils  se  servent ,  dit-il,  de  longues  pièces  de  bois, 
droites  dans  toute  leur  longueur,  les  couchent  a  terre 
parallèlement ,  les  placent  a  une  distance  de  deux  pieds 
l'une  de  l'autre,  les  fixent  intérieurement  par  des  traverses , 
et  remplissent  l'intervalle  qui  les  sépare ,  de  beaucoup  de 
terre.  Sur  cette  première  assise ,  ils  posent  de  front  un  rang 
de  grosses  pierres  ou  fragmens  de  rochers ,  et  après  avoir 

(1)  Tit.  Liv.,  1.  V,  c.  44  et  45.  Picot,  t.  2,  p.  340. 

(2)  Celeriiervineis  ad  oppidum  (Novlo  diimim)  actis,  aggerejacto,  iarri- 
busqut  constitulis ,  wagnitiidine  operum ,  quœ  neque  viderant  untè  Gain, 
neque  audierant,  et  cehritate  Romanorum  permoti,  îegatos  ad  Cœsarem  de 
deditione  mittunl.  (Caes.,  1.  Il,  c.  12.) 

Il  ne  s'écoula  pas  un  long  espace  de  temps ,  que  les  Gaulois  n  eussent 
déjà  appris  des  Roumains  à  attaquer  ou  défendre  les  villes  de  la  même  ma- 
nière que  leurs  maîtres.  Voir  César,  1.  VII,  c.  22. 

(3)  Gallorum  eadeni,  atque  Belgarum,   ohpugnalio  est  lœc.  Lhi  circum- 

jecla  muUUudine  Lommum  lotis  mœnihus,  undiquè  lapides  in   murum  j'aci 

cœpli  sunl,  murusqne  dvfeusorihus  nudatus  esl:  tesludine  ftutà,  parias  suc- 

ccdunl,  marumqve  subnni.U.  (Cœs.,  I.  11,  c.  6.)  Voir  aussi  1.  V,  c.  43,  et  sur 

la  manicre  dont  les  Celtes  faisaient  une  sortie.  1.  ^  III,  c.  15. 


-  106  — 

place  et  assemblé  ces  pierres,  ils  établissent  dessus  un 
nouveau  rang  de  pièces  de  bois ,  disposées  comme  les  pre- 
mières^ en  conservant  entre  elles  un  semblable  intervalle; 
de  telle  manière  que  les  rangs  de  pièces  de  bois  ne  se  tou- 
chent point,  et  ne  portent  absolument  que  sur  les  fragmens 
de  rochers  interposés.  L'ouvrage  est  ainsi  continué  jusqu  k 
la  hauteur  convenable.  Cette  construction ,  la  variété  de 
ses  matériaux ,  ces  rangs  alternatifs  de  pièces  de  bois  et  de 
rochers,  dont  l'alignement  est  observé,  n'offrent  rien  de  dé- 
sagréable pour  le  service  et  la  défense  des  places  ;  car  les 
pierres  qui  la  composent  résistent  aux  incendies ,  et  les 
pièces  de  bois  étant  liées  entre  elles  dans  l'intérieur  de  la 
muraille  et  ayant  pour  la  plupart  quarante  pieds  de  lon- 
gueur ,  il  est  aussi  difficile  de  les  détacher  que  de  les  rom- 
pre (!)•  5)  Ces  murs  ne  devaient  avoir  que  six  ou  sept  pieds 
de  hauteur,  et  non  quarante,  comme  l'ont  avancé  quelques 
traducteurs  (2).  Ils  n'avaient  pas,  comme  on  voit,  de  fonde- 
mens,  et  les  pierres  dont  ils  étaient  construits  étaient  brutes, 
et  posées  sans  ciment  ni  mortier.  Suivant  Dulaure  ,  cette 
espèce  de  fortification  se  construisait  d'ordinaire  au-dehors 
des  oppida^  lorsque  ceux-ci  n'étaient  pas  assez  spacieux  pour 
renfermer  la  multitude ,  et  c[u  une  partie  de  l'armée  était 
obligée  d'établir  hors  de  leur  enceinte  des  camps  retran- 
chés (3). 

Les  armes  ordinaires  des  Gaulois  étaient  l'épée  et  le 
bouclier.  L'épée  (spatha),  qui  leur  pendait  au  côté  droit 
par  une  chaîne  de  fer  ou  d'airain,  était  longue,  sans  pointe, 


(1)  Cœs.,  1.  VII,  c.  23. 

(2)  Dulaure,  Mémoire  précité. 

(3)  Dulaure  prétend  que  c'est  de  César  que  les  Gaulois  apprirent  à  en- 
tourer leurs  camps  de  fossés  (Cses.,  I.  V,  c.  30).  Cependant,  lorsque  ce 
conquérant  entra  en  Belgique,  il  trouva  déjà  \  Oppidum  de  Noviodunum 
fortifié  d'un  mur  fort  élevé  et  d'un  large  fossé  (Cses.,  1.  IL  c.  12). 


—  107  — 

et  ne  pouvait  frapper  que  de  taille;  la  lame  (spams)  ,  très- 
mince  ,  et  d'une  mauvaise  trempe ,  s'e'moussait ,  et  se  cour- 
bait facilement  (1).  Ils  avaient  en  outre  une  espèce  de 
glaive  garni  de  pointes  recourbées ,  de  manière  qu'après 
avoir  blesse  son  ennemi  avec  cette  arme ,  on  déchirait  les 
chairs  en  voulant  la  retirer  de  la  blessure  qui  par  la  deve- 
nait dangereuse  et  difficile  a  guérir.  Les  boucliers  faits 
d'osier  ou  d'une  planche  fort  mince,  et  peints  de  diverses 
couleurs  ,  formaient  un  carré  long  à  surface  plane  ;  ils 
étaient  beaucoup  trop  étroits  pour  pouvoir  couvrir  le  corps; 
aussi ,  souvent ,  dans  le  combat  ,  les  Gaulois  les  jetaient 
au  loin ,  et  se  précipitaient  sur  l'ennemi  à  corps  décou- 
verts. Ils  se  servaient  encore  d'une  lance ,  dont  le  bois  était 
fort  long,  de  Tare,  de  la  fronde,  dune  hache  de  pierre 
fichée  dans  un  manche  de  corne  de  bois  de  cerf,  de  traits 
que  César  appelle  materis ,  mataris  ou  matara  (2) ,  enfin , 
d'une  massue  de  fer,  courte  et  grosse,  suspendue  à  leur 
côté  par  une  chaîne.  Toutes  ces  armes  étaient  d'ordinaire 
embellies  par  des  figures  représentant  des  quadrupèdes 
et  des  oiseaux  ,  travaillés  en  airain  ,  en  corail  ou  en  d'au- 
tres matières  (3).  Le  casque  des  Gaulois  était  surmonté  de 

(1)  Tit.  Liv..  I.  XXII,  c-  46.  Nonnius,  I.  IV.  Spariim  vel  spams  est  telum 
gallicum  instar  lancea  (Festus). 

(2)  Ces  traits  ou  javelots  étaient  comme  ceux  des  sauvages  de  l  Amé- 
rique, armés  d'os  pointus  :  missilibiis  telis,  acutis  ossibus  pro  speculorum 
acumine  arte  mira  ccagmentatis  (Amm.  Marcell.,1.  XXXÎ,  c.  2).  Durondeau, 
p.  130. 

(3)  Diod.  Sic,  1.  V.  Cic.  Rhetor.,  I.  IV.  Tit.  Liv„  1.  VIL  c.  24.  Stiah!  J.  IV. 
Non.  Marcel),  e.  18,  col.  798.  Servius  ad  jEneicL,  1.  II,  v,  G82.  Montfaucon, 
Jntiq  expliq.,  t.  4,  part.  1,  1.  I,  c.  13.  Suj)plém.  t.  4,  i.  II,  c.  5.  Picot,  tom.  2. 
p.  332. 

Virgile,  en  décrivant,  dans  le  8*=  livre  de  lEnéide.  le  bouclier  d'Encc, 
trace  ce  portrait  exact  dun  guerrier  Celte  : 

Aurea  cœsarics  ollis  atquo  aurea  vestis 
P^irgalis  Iticent  saguUs  ;  iurn  lactea  colla 
Aura  innectuntur  :  duo  quisque  alpina  coruscant 
Gœsa  manu,  scutis  prutecii  corjjora  lotigis. 


—  108  — 

cornes  d'animaux  ou  de  la  figure  d  un  oiseau;  le  plus  ;^ou 
vent  de  celle  d'un  coq  qui  ornait  aussi  leurs  drapeaux. 

§YI. 

Chasse  et  pêche  des  Celtes. 

Après  les  exercices  militaires ,  la  chasse  était  ce  cjui  re- 
créait et  occupait  le  plus  les  Gaulois,  parce  quelle  leur 
présentait  une  image  de  la  guerre  :  «  Les  jeunes  gens ,  dit 
Peloutier,  commençaient  par  faire  la  guerre  aux  bétes, 
pour  la  faire  ensuite  aux  hommes ,  aussi  longtemps  qu'ils 
étaient  en  armes.  De  là  vient  cpie  ces  peuples  se  plaisaient 
principalement  aux  chasses  dangereuses ,  comme  à  celle 
de  l'élan  et  du  bœuf  sauvage.  »  L'élan,  le  bisons  des  Grecs 
et  des  Romains  et  le  wisen  des  Allemands,   était  un  ani- 
mal qui,  par  sa  grosseur  et  sa  force,  ressemblait  au  bœuf, 
et  par  la  grandeur  de  ses  cornes  au  cerf  (1).  On  trouvait 
jadis  cet  animal  dans  les  vastes  forets  de  la  Germanie  et 
des  Gaules ,  en  Italie ,  en  Pannonie ,  en  Pœonie ,  et  dans 
plusieurs  autres  contrées  de  l'Europe  (2).  Pour  prendre 
l'élan,  les  Gaulois  creusaient,  dans  le  bas  d'un  vallon,  une 
fosse  qu'ils  entouraient  de  fortes  palissades  ;  sur  la  pente  du 
vallon,  autour  de  la  fosse,  ils  étendaient  des  peaux  de 
bœufs  fraîches  et  mouillées.  Les  chasseurs  ,  tous  à  cheval, 
chassaient  devant  eux  l'élan,  cjui,  ne  pouvant  assurer  ses 
pas  sur  les  peaux  mouillées ,  glissait  dans  le  fossé  ou  on  le 
laissait  plusieurs  jours  pour  le  dompter  par  la  faim  ;  on 
l'atlachait  ensuite,  et  on  parvenait  a  l'apprivoiser  de  ma- 
liière  a  pouvoir  l'atteler  a  un  chariot  (3). 

(1)  Plin.,  Uist  naL,  1.  VIII.  c   15.  Solin.,  c.  32.  Cœs.,  1.  VI,  c.  26. 

(2)  Pausan.  Plioc.  c.   13.  Caes.,  l.  VI,  c.  26.  Paul.  Diac,  Hist.  Longoh., 
1.  II,  c.  7.  Greg.  Ttir.,  HiU.  Franc,  1.  X,  c    18. 

(3)  Pausan.,  1.  c.  Martial.  Epiyr.,  1.  I,  é|).  105.  Peloutler,  t.  2,  p.  246. 

La  nu'thoclc   de  trac|ucr  était  connue  tics  Gaulois.  Pausanias  dit,  qu'ils 


—  109  — 

La  chasse  du  taureau  sauvage,  Vnrus  des  anciens,  et 
Vaurochs  des  Allemands,  ëlait  eneore  plus  périlleuse  que 
celle  de  l'ëlan  :  «  L'urus^  dit  Cësar,  est  une  sorte  de  tau- 
reau sauvage,  moins  grand  que  l'ëléphant ,  mais  d'une 
force  et  d'une  agilité  prodigieuses  ;  il  n'épargne  ni  les 
hommes  ni  les  bétes  qui  se  présentent  devant  lui  ;  aussi 
exerce  ton  les  jeunes  gens  a  cette  chasse.  Ceux  qui  en  ont 
tué  le  plus  grand  nombre  en  étalent  avec  orgueil  les  cor- 
nes, comme  un  monument  de  leur  victoire  ,  et  acquièrent 
dans  la  nation  une  considération  particulière  (1).>5  Alhenée 
avance,  que  les  cornes  de  l'urus  étaient  si  grandes  qu'elles 
pouvaient  contenir  jusqu'à  quatre  pintes  de  liquide.  L'urus 
était  paisible  lorsqu'on  ne  l'attaquait  pas  ;  mais  si  on  l'irri- 
tait il  devenait  terrible.  La  manière  de  le  prendre  était  a 
peu  près  la  même  que  celle  qu'on  employait  à  la  chasse  de 
Félan  (2).  L'élan  et  l'urus  qu'on  trouvait  encore  au  6°  siè- 
cle de  l'ère  vulgaire  dans  les  Ardennes  et  les  Vosges,  ne 
se  rencontrent  plus  de  nos  jours  que  dans  la  LitKuanie ,  et 
les  parties  les  plus  septentrionales  de  l'Europe, 

Pour  la  chasse  des  autres  animaux  sauvages  des  forets 
de  la  Gaule  ,  tels  que  les  ours,  les  loups,  les  renards  et  les 
chevaux  sauvages  (3)^  les  Gaulois  se  servaient  de  pieux,  de 

entouraient  un  espace  de  mille  stades,  et  qu'ils  s'avançaient  tous  ensemble 
en  s'approchant  peu  a  peu  jusqu'à  ce  qu'ils  se  trouvassent  en  état  d'atteindre 
I  animal  à  coups  de  flèclies. 

(1)  Cses.,  1.  VI.  c.  28. 

(2)  Cœs.,  1.  IL  c.  28.  Cependant  une  manière  aussi  peu  périlleuse  de 
dompter  le  taureau  sauvage,  semble  peu  justifier  le  titre  de  èrare  que  les 
Gaulois  donnaient  au  vainqueur  de  cet  animal  redoutable.  Il  est  donc  pro- 
bable qu'on  attaquait  aussi  1  urus  h  force  ouverte. 

(3)  César  parle  dnn  animal  nommé  Alce  qui  nous  est  aujourd'hui  tota- 
lement inconnu,  et  que  plusieurs  auteurs  modernes  regardent  avec  assez  de 
raison  comme  un  être  fabuleux.  Suivant  César,  X Alce  ressemblait  a  la  chèvre, 
mais  était  un  peu  plus  grand  que  cette  dernière.  Il  avait  les  cornes  tron- 
quées  et  les  genoux  sans  noeuds  ni  articulations;  quand  il  tombait,  il  ne 


—  110  — 

dards  et  de  flèches  trempés  dans  une  espèce  de  poison 
que  Pline  appelle  de  Vélébore  ,  et  qu  ils  tiraient  d'une 
plante  nommée  lineum  (1).  Les  animaux  tués  avec  des 
armes  empoisonnées  avaient  la  chair  plus  délicate  que  si 
on  les  avait  abattus  d'une  autre  façon  ;  mais  on  devait  cou- 
per  promptement  la  partie  des  chairs  où  la  flèche  avait 
pénétré,  de  peur  c[ue  le  poison  n'eût  le  temps  de  se  ré- 
pandre par  tout  le  corps  de  l'animal ,  et  de  corrompre  sa 
chair. 

Les  Gaulois  avaient  d'excellens  chiens  de  chasse  (2). 
Il  y  en  avait  de  deux  espèces  différentes.  Suivant  Arrien, 
on  estimait  particulièrement  les  chiens  de  chasse  de  la  Bel- 
gique, surtout  pour  la  chasse  du  sanglier  (3).  Les  Gaulois, 

pouvait  plus  se  relever;  c'est  pourquoi,  quand  il  voulait  se  reposer,  il  s'ap- 
puyait contre  un  arbre.  Lorsque  les  chasseurs  avaient  découvert  Tarbre  qui 
servait  de  gîte  ordinaire  a  l'animal,  ils  le  déracinaient  ou  le  coupaient  par 
le  pied,  de  manière  à  ce  qu'il  restât  encore  debout.  L'Alcey  retournant  sans 
défiance,  faisait  tomber  l'arbre  par  le  poids  de  son  corps  ;  il  était  entraîné 
lui-même  dans  sa  chute  et  devenait  ainsi  la  proie  du  chasseur  (Caes.,  1.  VI, 
c.  27). 

Solin  dit  des  Alces  qu'ils  avaient  la  lèvre  supérieure  si  proéminente  qu'ils 
ne  pouvaient  paître  à  moins  de  marcher  h  reculons  (Solin.,  PolyJiist.  c.  32 , 
et  Pausanias,iw  Bœoticis.) 

(1)  Strabon  dit  que  ce  poison  se  tirait  d'un  arbre  dont  le  fruit  avait  h 
peu  près  la  forme  d'un  chapiteau  corinthien.  Cet  arbre  croissait  particu- 
lièrement en  Belgique,  comme  nous  l'avons  dit  au  §  2. 

(s)   ut  canis  in  vacuo  leporem  cum  Gallicus  arvo 
yidit ,  et  hic  prœdam,  pedihus  petit  illa  salutem. 

(.Ovid.,  Métainorph.,  1.  I,  v.  535. > 

Voir  aussi  Strabon,  1.  IV.  Arrian.  de  Venat.  Pollien.,  I.  V,  c.  5. 

Leporemque  lœsum  gallici  canis  dente 

(Martial.,  Épigr.  1.  III,  épig.  4;.) 
(3)   Ut  canis  occultas  agitât  cum  belgicus  apros 
(Sil.  Ital.,  1.  X,  V.  77.) 

Il  y  a  cependant  des  éditions  qui  portent  hellicus  au  lieu  de  belgicus.  Les 
chiens  nommés  vertagi  étaient  particulièrement  recherchés  par  les  Romains  , 
parce  qu'ils  conservaient  le  gibier  intact  et  le  défendaient  même  contre  les 
autres  chiens  (Martial.  Épigr.,  1.  XîV,  ép.  198.  Reynier,  p.  359). 


—  111  -^ 

faisaient  aussi  venir  de  la  Grande-Bretagne  des  dogues 
dont  ils  ne  se  servaient  pas  seulement  pour  la  chasse ,  mais 
encore  pour  la  guerre  (1).  Bituitus,  roi  des  Auvergnats ,  se 
vantait  de  défaire  une  armée  romaine  avec  les  chiens  seuls 
qui  se  trouvaient  dans  la  sienne. 

Arrien  parle  d'un  usage  singulier ,  relatif  à  la  chasse 
des  Gaulois  :  chaque  fois  qu  ils  avaient  tué  une  bête  fauve  , 
ils  mettaient  en  réserve  quelques  pièces  de  monnaie ,  sa- 
voir :  deux  oboles  pour  un  lièvre ,  quatre  dragmes  pour 
une  biche  ,  etc.  (2).  Le  jour  de  la  naissance  de  Diane  ,  ils 
se  procuraient ,  avec  cet  argent ,  une  brebis ,  une  chèvre , 
ou  un  veau  qu'ils  immolaient  à  cette  déesse.  Us  terminaient 
le  sacrifice  par  un  festin  auquel  assistaient  leurs  chiens  cou- 
ronnés de  fleurs  (3). 

Comme  nous  lavons  déjà  observé ,  la  pêche  fournissait 
après  la  chasse  une  des  principales  ressources  'a  la  subsis- 
tance des  Celles.  Les  anciens  sont  entrés  dans  peu  de  dé- 
tails sur  la  pêche  des  Gaulois.  On  sait  seulement  que  dans 
le  midi  des  Gaules ,  on  s'appliquait  a  la  pêche  du  ton  et  de 
la  baleine. 


(1)  Efferuntur  ex  insulci....  Canes  ad  venationem  naiurali  facultate  prœs- 
Icintes.  Gain  cum  liis  et  suis  canibus,  in  hello  utuntur.  (Strab.,  l.  IV.) 

(2)  Il  n'est  pas  besoin  de  dire  qu'Arrien  a  fait  la  supputation  en  monnaie 
romaine;  car  les  oboles,  les  dragmes  etc.,  étaient  inconnus  aux  Celtes  avant 
la  domination  romaine. 

(3)  Arrian.,  de  Venatione.  c.  3.  Le  Grand  d'Aussy.  t.  1,  p.  370. 

En  Belgique,  la  vénération  pour  St-Hubert  a  succédé  au  culte  rendu  à 
Ardoinne,  la  Diane  ou  déesse  de  la  cbasse  dans  les  Ardennes.  La  manière 
dont  on  célèbre  annuellement  la  fête  de  ce  saint  a  beaucoup  de  ressemblance 
avec  la  fête  décrite  par  Arrien.  Voir  notre  Essai  Hist.  sur  les  usages,  les 
croyances,  etc.,  des  Belges,  anc.  et  mod.,  1"  partie,  p.  211. 

(4)  Le  Grand  d'Aussy,  tom.  2,  p.  85,  93,  258. 


'-     112  — 
§  VII. 

Condition  politique ,    gouvernement  et  législation  des  Celtes. 

Le  gouverncmenl  de  la  plupart  des  peuples  de  la  Gaule 
était  theocratico-arislocratiquc.  L'autorité  souveraine  était 
entre  les  mains  des  prêtres  et  des  nobles  (1).  Le  peuple 
n'avait  aucune  part  au  gouvernement,  et  ne  jouissait  pas 
d'une  condition  politique  meilleure  que  celle  de  l'esclave. 
La  plupart  des  prolétaires  accablés  par  les  impôts  oné- 
reux qui  pesaient  sur  eux  ,  étaient  obligés  de  vendre  leur 
liberté ,  et  de  se  mettre  dans  la  dépendance  des  grands  (2). 
Plusieurs  peuplades  gauloises  avaient  à  lem^  tète  un  roi  ou 
chef  élu  annuellement,  et  dont  le  pouvoir  était  fort  limité. 
Les  Eduens,  par  exemple,  élisaient  tous  les  ans  un  magis- 
trat suprême  appelé  vergobret.  11  lui  était  défendu  de  sor- 
tir du  pays  pendant  la  durée  de  ses  fonctions;  mais  il  avait 
droit  de  vie  et  de  mort  sur  le  peuple.  Les  druides  concou- 
raient à  son  élection  (3).  Deux  personnes  de  la  même  fa- 
mille ne  pouvaient  pas  occuper  cette  place  lorsque  l'une  et 
l'autre  étaient  encore  en  vie  (4).  Au  reste ,  nous  ignorons 
entièrement  cjuelle  était  la  constitution  politique  des  peu- 
plades celtiques  de  la  Belgique  actuelle,  si  elles  formaient 
des  monarchies  ou  des  républiques 

Chaque  état,  chaque  canton  des  Gaules,  chaque  village, 
chaque  famille  même,  était  divisé  et  souvent  déchiré  par 

(l)  Dio  Clirysost  Serm.,  49.  Cses..  1.  VI,  c.  13. 

(2)CîES.,  1.  VI,  c.  13. 

Chez  les  Eduens  les  impôts  étalent  m':s  h  ferino  (Cacs.,  1.  I,  c.  18).  On 
i^jnore  s'il  en  étiiit  de  même  chez  les  autres  peuples  des  Gaules  et  de  quelle 
nature  étaient  ces  impôts.  Voir  Reynier,  de  l'Economie  publ.  et  rurale  des 
Celtes,  des  Gernmivs,  etc.,  c.  IV. 

(3)  Caes.,  1.  VII.  c.  33. 

(4)  Caes.,  I.  I,  c.  16.  1.  VII,  c.  32  et  33. 


—  113  -^ 

des  factions  (1).  Les  chefs  de  ces  partis  politiques  jouis- 
saient d'un  grand  crédit,  décidaient  de  toutes  les  affaires 
importantes  et  veillaient  a  ce  que  leurs  partisans  ne  souf- 
frissent aucune  injustice.  Ces  factions  dont  l'origine  remon- 
tait a  une  e'poque  très-reculëe ,  avaient  été  constituées, 
suivant  Ce'sar  ,  afin  que  le  peuple  ne  manquât  pas  de  se- 
cours et  d'appui  contre  les  grands. 

Les  différentes  peuplades  de  la  Gaule,  surtout  celles  de 
la  Belgique  formaient  des  confédérations  pour  pouvoir,  en 
cas  de  danger,  résister  à  un  ennemi  puissant  (2).  Lorsqu'une 
guerre  importante  était  sur  le  point  d'éclater,  chaque 
ligue  convoquait  une  assemblée  générale ,  oii  le  con- 
tingent que  chaque  peuplade  devait  fournir  suivant  ses 
forces,  pour  la  défense  commune,  était  fixé  (3).  Il  y  avait 
en  outre  des  assemblées  annuelles  qui  se  tenaient  au  mois 
de  mars  ;  on  ne  peut  se  former  une  idée  plus  exacte  de  ces 
dernières  que  par  les  diètes  des  Polonais  et  des  Hongrois, 
dans  les  temps  modernes  (4). 

Les  peuples  les  plus  puissans  se  disputaient  le  droit  de 
primauté,  c'est-à-dire,  le  droit  de  commander  dans  les 
affaires  importantes  qui  concernaient  la  ligue  (5).  Ces  dis- 
sentions furent  la  cause  de  la  ruine  des  Gaules  ,  et  de  la 
facilité  avec  lacpelle  les  Romains  parvinrent  à  se  rendre 
les  maîtres  de  cette  contrée.  Pour  soutenir  leurs  préten- 
tions, plusieurs  des  peuples  rivaux  ne  craignirent  pas 
d'anéantir  l'indépendance  de  leur  patrie ,  en  intéressant  à 
leur  parti  et  en  provoquant  l'intercession  des  Romains  et 
des  Germains.  Ces  nouveaux  alliés,  comme  il  arrive  toujours 

(1)  Caes.,  1.  VI,  c.  12. 

(2)  Cses.,  1.  II  et  passim,  et  Reynier,  p.  42. 

(3)  Cœs.,  I.  II,  c.  4.  1.  VU,  cl. 

(4)  Tit.  Liv.,  1.  XXI.  c.  20. 

(5)  Cœs.,1.  I,  c.  Sl.Strab.,  1.  IV. 

Tome  I.  8 


—  114  — 

lorsqu'un  peuple  n'a  pas  assez  d'énergie  et  de  forces  pour 
soutenir  sa  propre  cause,  ne  tardèrent  pas  a  agir  et  à  com- 
mander en  maître  (1). 

Les  femmes  jouaient  un  rôle  important  dans  le  gouver- 
nement; les  Gaulois  les  consultaient  comme  des  oracles, 
lorsqu'ils  projetaient  de  faire  la  guerre  ou  la  paix.  Quand 
Annibal  traversa  les  Gaules  ,  pour  pénétrer  en  Italie  , 
il  fut  statué  dans  le  traité  qu'il  conclut  avec  les  Gaulois , 
que  si  un  Gaulois  avait  à  se  plaindre  d'un  Carthaginois , 
l'affaire  serait  décidée  par  des  magistrats  carthaginois ,  et 
que  si  c'était  ïin  Carthaginois ,  qui  formait  la  partie  plai- 
gnante ,  le  jugement  de  la  cause  appartiendrait  à  un  conseil 
de  femmes  gauloises  (2). 

On  a  peu  de  documens  sur  la  législation  des  Celtes  ; 
comme  chez  tous  les  peuples  barbares  ,  qui  se  gouvernent 
par  le  droit  coutumier ,  elle  paraît  avoir  été  simple  ,  et  les 
lois  peu  nombreuses.  Les  druides  étaient  juges  dans  toutes 
les  causes  criminelles  ou  civiles  (3).  Si  le  coupable  n'ob- 
tempérait pas  a  leurs  décisions,  ils  l'excommuniaient  ;  ce 


(1)  A  l'époque  de  la  conquête  des  Gaules,  la  majeure  partie  de  cette  con- 
trée était  divisée  en  deux  factions  à  la  tête  desquelles  étaient  les  Arvernes 
et  les  Eduens.  Ces  derniers  ayant  obtenu  la  suprématie .  et  abusant  de  leur  pré- 
pondérance, les  Sequanois  qui  étaient  du  parti  des  Arvernes,  appelèrent  a  leur 
secours  les  Germains  qui  opprimèrent  à  leur  tour  les  Eduens  et  les  peuples 
de  leur  ligue.  Les  Eduens  invoquèrent  l'appui  des  Romains  qui ,  après  avoir  ex- 
pulsé les  Germains,  agirent  comme  le  lion  de  la  fable.  Sans  les  dissentions 
civiles  des  Gaulois,  César  n'eût  jamais  songé  à  la  conquête  des  Gaules. 

(2)  Plut.,  de  Virtut.  mulier.  Polyœni  Stratag.  1.  VIL  c.  50.  Caes.,  1.  VIIjC.  26. 

(3)  Nam  ferè  de  omnibus  controversiis  privatis  puhlicisque  constituunt; 
et  si  quod  estadmissum  facinus,  si  cœdes  facta,  si  de  hœreditate,  si  de  fini- 
hus  controversia  est,  iidem  decernunt ;  prœmia pœnasque  c onstituu7it  {CsdS.f 
1.  VI,  c.  13.) 

Parfois  l'assemblée  nationale  prononçait  aussi  sur  certains  crimes  graves, 
tels  que  celui  de  baute  trabison.  Voir  Reynier.  de  l'Economie  publ.  et  rurale 
des  Celtes,  etc.,   p.   145;  et   Cses.  1.  I ,  c.  5. 


—  115  — 

qui  était  réputé  la  peine  la  plus  infamante  ;  chacun  fuyait 
Texcommunië  comme  un  impie  et  un  scélérat,  (1).  Les 
voleurs  et  les  brigands  étaient  condamnés  au  supplice  du 
feu  ;    mais  les  meurtriers  ne  subissaient  que    Texil  ,    a 
moins  qu  ils  ne  fussent  coupables  du  meurtre  d'un  étran- 
ger.  Ceux  qui  avaient  été  condamnés  a  la  peine  capitale 
servaient  ordinairement  de   victimes  dans  les  sacrifices, 
après  avoir  été  détenus  un  certain  temps  en  prison,  jusqu'à 
ce  qu'il  se  présentât  une  occasion  d'offrir  avec  solennité 
des  holocaustes  humains  aux  Dieux.  Les  pères  avaient  droit 
de  vie  et  de  mort  sur  leurs  enfans  en  bas  âge ,  et  les  maris 
sur  leurs  femmes.  Les  parens  d'un  homme  dont  la  mort  ne 
paraissait  pas  avoir  été  occasionnée  par  une  cause  naturelle, 
pouvaient  applicjuer  à  la  torture  la  femme  du  défunt  si  on 
concevait  contre  elle  des  soupçons;  et  si  la  force  des  tour- 
mens  l'obligeait  a  s'avouer  coupable,  elle  périssait  par  le  plus 
cruel  supplice  (2).  Tout  cela  semble  peu  d'accord  avec  le  res- 
pect, on  pourrait  dire  le  culte  presque  divin ,  qu'en  d'autres 
occasions ,  les  Celtes  rendaient  aux  femmes  ;  à  moins  qu'on 
voulut  punir  plus  sévèrement  un  crime  aussi  atroce  commis 
par  un  être  qu'on  supposait  doué  de  plus  de  vertus  et  d'une 
plus  grande  sensibilité  que  les  personnes  du  sexe  contraire. 
Il  y  avait  une  loi  fort  sage  qui  ordonnait  que  tout  Celte 
qui  aurait  appris  une  nouvelle  importante  eut  a  la  taire,  et 
à  ne  la  divulguer  qu'aux  magistrats  ;  ceux-ci  en  délibéraient 
ensuite  et  en  cachaient  ou  en  découvraient  à  la  multi- 
tude ,  ce  qu'ils  jugeaient  à  propos  (3).  L'action  des  lois 

(1)  Si  qui  aut  privatus  aiit  puhlicus  eorum  décréta  von  steferit,  sacriûciis 
interdicunt.  Hœc  pœna  est  gravissima.  Quihus  iia  est  interdictum  ii  numéro 
impiorum  ac  sceleratorum  hahentur  ;  iis  omnes  decedunt ,  aditum  eorum  ser 
monemquedefugiunt,  ne  quid  ex  contagione  incommodi  accipiant  :  neque  iis 
petentibus  jus  redditur,  neque  honos  ullus  communicatur.  (Cses.,  l.VI,  c.  13.). 

(2)  Cœs.,  1.  VI,  c.  19. 
(3;  Cœs.,  1.  VI,  c.  20. 


~  116  — 

devait  probablement  être  fort  lente ,  et  perdre  beaucoup 
de  sa  force  par  ces  factions  qui  divisaient  chaque  peuplade 
gauloise ,  et  dont  les  chefs  rendaient  parfois  les  lois  illu- 
soires contre  les  crimes  de  leurs  cliens  (1). 

Quant  au  droit  public  d'une  race  d'hommes  qui  ap- 
prouvaient toute  aggression  injuste  et  arbitraire  contre  des 
peuples  étrangers ,  il  ne  paraît  avoir  été'  que  le  droit  du 
plus  fort.  Un  seul  exemple  le  prouvera  :  lorsque  des  am- 
bassadeurs romains  vinrent  représenter  aux  Gaulois,  qui  as- 
siégeaient la  ville  de  Clusium,  cju'ils  n'avaient  aucun  droit 
sur  les  terres  d'un  peuple  qui  les  possédait  légitime- 
ment ,  ils  répondirent  qu'ils  portaient  leur  droit  à  la  pointe 
de  leur  épée^  et  que  tout  appartenait  aux  plus  vaillans  (2). 

Le  peu  que  nous  venons  de  dire  sur  la  législation  des 
Celtes  est  tout  ce  quelesanciens  nous  ont  appris  sur  ce  sujet 
intéressant.  Nous  sommes  plus  heureux  dans  ce  qui  con- 
cerne la  connaissance  de  la  législation  des  anciens  Germains. 

§  vin. 

Culte  des   Celtesa 

La  religion  des  Celtes  est  un  des  sujets  sur  lesquels  on  a 
le  plus  écrit,  mais  sur  lequel  aussi  les  anciens  et  les  modernes 
ont  débité  le  plus  de  fables  et  d'erreurs.  Les  écrivains  grecs 
et  romains  ne  voyaient  partout  chez  les  Gaulois  que  leurs 
propres  dieux,  parce  qu'ils  ont  cru  reconnaître  dans  ])lu- 
sieurs  divinités  gauloises ,  des  conformités  avec  les  leurs. 
C'est  ainsi  que  César  avance  que  les  Gaulois  adoraient 
Mercure,  Apollon,  Mars,  Jupiter  et  Minerve  (3).  Parmi 

(1)  Nicolas  de  Damas  parle  d'un  chef  gaulois  qui  avait  auprès  de  lui 
iusqua  600  cliens.  Orgetorix,  noble  Helvétien,  en  put  réunir  jusqu'à  10,000, 
pour  se  soustraire  a  la  sentence  de  mort  prononcée  contre  lui  par  ses  con- 
citoyens. (  Athen ,  1.  VI,  c.  13.  Caes.,  1.  I,  c.  4.  ) 

(2)  Tit.  Liv.,  1.  V.  c.  35.  Pelontier,  t.  2.  p.  296  et  suiv. 

(3)  Os.,  1.  Vl,c.  J7. 


—  117  -- 

les  modernes,  ceux  qui  ont  étendu  les  bornes  de  la  Celtique 
jusqu'aux  extrémités  de  l'Europe,  attribuent  aux  Gaulois, 
avec  tout  aussi  peu  de  fondement,  le  culte  des  Scythes, 
des  Thraces,  des  Grecs,  etc.  ;  de  ce  nombre  est  Peloutier. 
Dom  Martin  ,  a  attribué  aux  Celtes  la  religion  et  toutes  les  /^ 
superstitions  des  anciens  Juifs,  des  Grecsetdes  Romains  (1). 
D'un  autre  côté,  Chiniac  a  prétendu  sou  tenir  que  les  Celtes 
vénéraient  un  dieu  unique  avec  plusieurs  puissances  subal- 
ternes (2).  Mais  la  plus  singulière  et  la  plus  ridicule  de 
toutes  les  opinions  émises  sur  ce  sujet,  est  celle  du  père 
Lescalopier ,  qui,  dans  son  Traité  de  la  religion  des  anciens 
Gaulois^  a  la  fin  de  son  commentaire  sur  l'ouvrage  de 
Cicéron  ,  de  Naturel  deorum ,  assure  gravement  que  dans 
le  territoire  de  Chartres ,  les  Gaulois  rendaient  un  culte 
à  la  Vierge  qui  doit  enfanter  (carnutum  dea,  Virgo  pa- 
rltura).  Un  moine  carme ,  le  père  Louis  de  Sainte-Thérèse, 
a  soutenu  le  même  paradoxe  :  «  Les  druides,  selon  Diogèna 
Laè'rce  ,  commençant  son  livre  de  la  vie  des  Philosophes  , 
étaient,  dit  ce  moine,  nommés  ^f^vo^^o/,  non  pas  tant  à  cause  de 
la  religion  qu'ils  rendaient  aux  dieux,  qu'à  cause  du  culte 
qu'ils  rendaient  à  Marie.  Ces  gens  demeuraient  en  notre 
France ,  et  poussèrent  Priscus ,  roi  des  Chartrains ,  à  lui 
dédier  son  royaume^  et ,  pour  en  rendre  témoignage  à  la 
postérité  ,  il  en  fit  faire  l'image  qui  fut  posée  dans  mie  cha- 
pelle avec  cette  inscription  :  Virgini  pariturœ ,  Cette  cha- 
pelle se  nommait  aussi  semnœuni  ;  et  à  cause  qu'elle  était 
desservie  par  les  druides  ,  ils  furent  appelés  Semnothei.  » 
Dans  un  autre  endroit  de  son  singulier  ouvrage  le  même 
auteur  rapporte  que  le  temple  de  Chartres ,  fut  construit 

(1)  Dom  WdiVim  ^  Pteligion  des  Gaulois.  Suivant  cet  auteur,  les  Gaulois 
reçurent  leur  culte  de  Gomer,  fils  aîné  de  Japliet  et  prétendue  souche  de  la 
nation  celtique. 

(2)  Cbiniac  de  la  Bastide,  Discours  sur  la  nature  elles  dogmes  de  la  reli- 
gion gauloise. 


^  118  — 

sur  le  modèle  de  celui  du  Mont  Carmel  (1).  Le  premier 
écrivain  moderne  qui  ait  débrouille  tout  ce  cahos  et  donné 
une  idée  exacte  de  la  religion  des  anciens  Gaulois  est  Picot, 
dans  son  excellente  histoire  des  Gaulois ,  et ,  après  lui , 
Am.  Thierry  ,  dans  le  savant  ouvrage  qui  porte  le  même 
titre  (2).  Aidé  de  leurs  lumières,  nous  allons  donner  une 
idée  succincte ,  mais  aussi  complète  que  possible ,  du  culte 
de  nos  premiers  ancêtres  de  race  celtique. 

Les  Celtes  étaient  une  nation  idolâtre  et  qui  avait  un 
culte  propre  à  elle,  quoique  ressemblant  en  certains  points 
à  celui  de  plusieurs  autres  peuples  de  l'antiquité  (1),  Les 
dieux  gaulois  étaient  divisés  en  puissances  supérieures  et 
en  divinités  subalternes.  Les  divinités  du  premier  ordre 
étaient  Tentâtes ,  Esus  ,  Belenus ,  Taranis ,  Minerve  ou  du 
moins  une  déesse  dont  les  attributs  étaient  analogues  à  ceux 
delà  Minerve  des  Grecs  et  des  Romains,  Dis  ou  Dit  et 
Hercule  Ogmius  (4). 


(1)  Succession  du  saint  prophète  Elie.  en  V ordre  des  carmes,  de  la  reforme 
de  Sainte-Thérèse ,  par  le  R.  P.  Louis  de  Sainte-Thérèse,  premier  défini- 
teur  des  carmes  déchaussés  en  France.  Paris,  1662,  ch.  3,  p.  75  et  76. 

Voir  aussi  Dupuis,  Abrégé  de  l'origine  de  tous  les  cultes,  t.  2,  p.  43.  (  édit. 
deBrux.  ,  1829,2  vol.  in-18.) 

(2)  L'ouvrage  le  plus  complet  et  le  plus  savant  sur  cette  matière  est  sans 
contredit,  le  livre  de  M.  Mone,  intitulé:  Geschichte  des  heidenthums  im 
nordlichen  Europa.  Leips. ,  1823,  2  vol.  in-8%  ouvrage  d'une  immense  éru- 
dition jointe  à  la  plus  haute  critique.  Pauvres  gens  que  nous  sommes,  la 
plupart  de  nos  hommes  lettrés  ignorent  jusqu'au  titre  de  cet  excellent  ou- 
vrage et  de  tant  d'autres  productions  admirables  delà  littérature  allemande, 
tandis  qu'il  ne  leur  échappe  aucune  de  ces  insipides  bluettes  dont  la  presse 
parisienne  inonde  sans  cesse  la  Belgique. 

(3)  Picot  croit  que  les  Gaulois  reçurent  leur  culte  des  Phéniciens.  Cette 
opinion  est  vraisemblable  sous  quelques  rapports. 

(4)  Schedius  prétend  que  sous  le  nom  de  Esus,  Belenus  et  Tharanis,  les 
Gaulois  ont  adoré  la  trinité!  (  Schedius  ,  de  Biis  Germanis ,  p.  220.  )  Barth 
croit  que  ces  trois  dénominations  ne  se  rapportent  qu'à  une  seule  divinité. 
(  Veher  die  druidcn  des  Kelicn ,  p.  67^. 


—  119  — 

Teutatès  était  le  dieu  suprême  des  Gaulois ,  qui  le  regar- 
daient comme  Finventeur  de  tous  les  arts ,  le  protecteur 
du  commerce  et  des  voyageurs  (1).  De  la  les  Romains  ont 
conclu  que  ce  dieu  était  le  même  que  leur  Mercure  (2). 
Dans  les  monumens  consacrés  à  cette  divinité ,  mais  élevés 
pendant  la  domination  des  Romains  dans  les  Gaules ,  Teu- 
tatès est  représenté  avec  les  attributs  de  Mercure  et  porte 
souvent  le  nom  de  Mercure  sans  sexe  (3).  Peloutier  a 
cru  que  Teutatès  et  Dis,  n'étaient  qu'une  même  divinité. 
Picot  est  d'avis  que  le  Teutatès  gaulois  était  le  Teut  et  le 
Wodan  des  Germains ,  le  Tautès  des  Phéniciens  ,  le 
Teutat  des  Carthaginois ,  et  le  Tau  des  Egyptiens. 

Esus  ou  ïlesus  était  le  dieu  de  la  guerre ,  et  est  pour 
cette  raison  désigné  par  César  sous  le  nom  de  Mars.  Dans 
plusieurs  inscriptions  il  porte  aussi  celui  de  Camulus  et 
de  Yincius.  Les  Gaulois  vouaient  à  ce  dieu  une  partie  du 
butin  fait  sur  l'ennemi,  et  lui  immolaient  les  animaux 
pris  dans  le  combat  ,  et  même  des  victimes  humai- 
nes (4).  Thierry  croit  cjue ,  sous  le  nom  d'Hesus ,  les  Celtes 
vénéraient  un  ancien  chef  des  Kimrys  appelé  Hesus 
le  puissant ,  qui  aurait  introduit  le  druidisme  dans  les 
Gaules. 

Bel  ou  Belen  (le  soleil  et  T Apollon  des  Romains) ,  faisait 
croître  les  plantes  salutaires  et  présidait  à  la  médecine. 


(l)Cœs.,I.  VI,  c.  17. 

(2)  Idem.,  Ibid.,  Tit.  Liv.,  1.  XXVI,  c.  44. 

(3)  Voir  M.  de  Fortia.  Tableau  hist.  et  géogr.  du  monde ,  t.  4 ,  p.  235^. 

(4)  Huic ,  quum  prœlio  dimicare  constitiienmt ,  ea ,  quœ  hello  ceperint, 
plerumque  devovent.  Quœ  superaverint  ^  animalia  capta  imnolant  ;  reliquas 
res  in  unum  tocum  conferunt.  Mnltis  in  civitatihus  harum  rerum  exstructos 
tumiilos  locis  consecrafis  conspicari  licet.  ISeque  sœpe  accidit,  ut  neglecta 
quispiam  religione ,  aut  capta  apud  se  occultare,  autposita  tollere  auderet: 
gravis  s  imumque  ci  rei  suhpliciiim  ctim  cruciatii  constitutum  est  (Cœs.,  î.  VI, 
c.  17. 


—  120  ^ 

On  célébrait  sa  fête  le  25  décembre  de  chaque  année.  Ce 
dieu  avait  de  nombreux  oracles  dans  les  Gaules.  La  ver- 
veine qui  reçut  en  son  honneur  le  nom  de  Belinantia  et 
ôiApolUnicus  lui  était  consacrée.  Les  Gaulois  frottaient  du 
suc  de  cette  plante  la  pointe  de  leurs  flèches  et  de  leurs 
javelots ,  pour  donner  une  mort  prompte  et  assurée  aux 
animaux  qu'ils  poursuivaient  à  la  chasse  (1). 

Taranis,  Taranus  et  Theranim,  le  Jupiter  des  Romains, 
était  le  dieu  du  ciel  et  le  maître  de  la  foudre  (2). 

La  divinité  gauloise  qui  présidait  aux  arts  et  métiers , 
est  désignée  par  César ,  sous  le  nom  de  Minerve.  On  ignore 
la  dénomination  celtique  de  cette  déesse ,  qui  était  aussi 
vénérée  ,  suivant  Polybe ,  par  les  Insubrès  de  l'Italie.  Dans 
la  Grande-Bretagne,  ses  sanctuaires  se  trouvaient ,  au  rap- 
port de  Solin ,  près  des  sources  minérales  où  l'on  entre- 
tenait en  son  honneur ,  un  feu  perpétuel  (3). 

Dis  ou  Dit  était  le  dieu  de  la  terre  et  des  enfers  ou  de  la 
nuit.  Les  Gaulois  prétendaient  être  issus  de  ce  dieu  ;  pour 
cette  raison  ils  supputaient  le  temps  non  par  jours  à  notre 
manière,  mais  par  nuits  (4).  Il  serait  inutile  de  rapporter 


(1)  Dans  des  inscriptions  gallo-romaines,  Belen  porte  parfois  le  nom 
d'Apollon  Grannus,  du  celtique  Grannawer  ou  Granwyn  (à  la  belle  cheve- 
lure), ou  de  l'irlandais  Greannach  (aux  longs  cheveux).  Dans  quelques 
inscriptions  au  nom  de  ce  dieu  est  ajoutée  Vépithète  Tuitorix  et  celle  de  3Ia- 
youno  (  Mone,  2«  th. ,  p.  345  ). 

(2)  Taran  en  gallois  et  en  bas-breton  signifie  tonnerre.  Barlh  croit  que 
Taranis  était  une  déesse  et  Lukans  la  compare  a  la  Diane  des  Scythes:  mais 
ce  ne  sont  là  que  des  conjectures  invraisemblables. 

(3)  Solini, PoZî/Aûfor,  c.  22.  Barth  prétend  que  la  Minerve  gauloise  est 
risis  égyptienne. 

(4)  Gain  se  omnes  ah  dite  pâtre  prognaios  prœdicant;  idque  ah  druidibus 
prodiium  dicunt  Oh  eam  causam  spatia  omnis  temporis,  non  numéro  dierum^ 
sednoctium,  -finiunt;  dies  natales  .  et  mensium,  et  unnorum  initia  sic  obser- 
vant f  uinociem  dies  suhseqiiatur  [C?es.,  1.  ^Jl,  c.  18). 

En  celtique  dyth  signifie  éternel.  En  langue  armorique  dis  désigne  la 


^  121  - 

toutes  les  vaines  conjectures  que  les  modernes  ont  forme'es 
sur  le  dieu  Dis  qu'ils  ont  confondu  avec  Teut ,  Taranis  , 
Samothès,  quatrième  fils  de  Japhet ,  etc.  (1). 

Hercule  Ogmius  était  probablement  une  divinité  dont 
le  culte  avait  été  introduit  dans  les  Gaules ,  par  les  Phéni- 
ciens qui  s'établirent  dans  le  midi  de  celte  contrée ,  et  dont 
Hercule,  comme  on  sait,  était  le  dieu  tutélaire.  L'Hercule 
Ogmius  était  vénéré  par  les  Gaulois  comme  le  dieu  de 
l'éloquence.  La  manière  dont  ils  le  représentaient  est 
assez  singulière ,  au  moins  si  ce  qu'en  dit  Lucien  est  con- 
forme à  la  vérité;  cet  auteur  rapporte  que  THercule 
Gaulois  avait  la  forme  d'un  vieillard  décrépit,  ridé  et 
presque  chauve;  qu'il  était  revêtu  d'une  peau  de  lion, 
armé  d'une  massue ,  de  l'arc  et  du  carquois  ;  que  de  sa 
bouche  sortait  une  faible  chaîne  à  laquelle  était  attaché 
un  peuple  nombreux ,  qui ,  loin  de  chercher  a  rompre  ses 
liens,  suivait  gaiment  son  conducteur.  C'était  la  un  em- 
blème ingénieux  du  pouvoir  de  l'éloquence  (2).  Pelou- 
tier,  sur  de  faibles  raisons  ,  confond  l'Hercule  gaulois  avec 
Teut  et  Odin.  L'opinion  de  Dickinson ,  qui  a  cru  qu'Og- 
mius,  n'était  autre  cpe  le  Josué  des  Juifs,  qui  aurait  reçu 
ce  nom  après  avoir  défait  Og,  roi  de  Basan ,  est  des  plus 
absurdes  (3). 

Denis  Periegéle,  Slrabon  et  Pomponius  Mêla,  parlent 
d'un  oracle  célèbre,  qu'on  allait  consulter  dans  une  ile 
voisine  des  Gaules  (4).  Suivant  les  deux  premiers  de  ces 


terre.  En  vieux  flamand  diet   est  synonyme  de  peuple,  mais  ici  ce  mot  est 
dérivé  du  Teuton  teut ,  qui  a  la  même  signification. 

(1)  Voir  Picot ,  Hist.  des  Gaul,  1.  III,  p.  39-42. 

(2)  Lucain.  in  Hercule  gallico. 

(3)  Dickinson,  Delplii pliœniciantes ,  e.  4.  Peloutier,  I.  VI,  p.  24. 

(4)  Pomp  Mêla  lui  donne  le  nom  de  Sena.  On  croit  que  c'est  l'île   de 
Sain  près  des  côtes  de  la  Bretagne. 


—  122  — 

auteurs ,  la  divinité  qui  y  était  honorée  n'était  autre  que 
Bacchus.  Le  temple  de  ce  lieu  était  desservi  par  neuf  pré- 
tresses, qui  devaient  vivre  dans  la  continence ,  excepté  à 
des  époques  désignées ,  oii  elles  pouvaient  passer  sur  le 
continent  pour  voir  leurs  époux  ;  car  il  n'était  permis  à  aucun 
homme  de  mettre  le  pied  dans  l'île  sacrée.  En  certaine  sai- 
son de  l'année ,  probablement  au  printemps,  les  femmes  du 
voisinage  se  transportaient  dans  l'île  pour  célébrer  la  fête 
de  la  divinité  qui  y  était  vénérée  (1).  Ce  culte  paraît  plu- 
tôt se  rapporter  à  une  déesse  analogue  à  la  Cérès  grecque 
et  romaine ,  qu'au  dieu  des  vendanges.  Au  reste  les  îles  sur 
les  côtes  des  Gaules  et  de  la  Grande-Bretagne ,  paraissent 
avoir  été  toujours  le  siège  principal  du  druidisme. 

Outre  les  divinités  d'un  ordre  supérieur ,  les  Celtes 
avaient  un  grand  nombre  de  dieux  subalternes.  Presque 
chaque  localité  avait  le  sien.  La  plupart  présidaient  aux 
bois ,  aux  lacs ,  aux  rochers ,  aux  montagnes ,  aux  fleuves , 
aux  rivières ,  aux  fontaines,  etc.;  une  des  plus  célèbres  de 
ces  divinités  locales  en  Belgique ,  était  Ardoine ,  la  Diane 
des  Ardennes  (2). 

(1)  Dion  Perie^,  v.  570.  Strab. ,  1.  IV.  Pomp.  Mêla,  1.  III. 

Il  règne  de  l'obscurité  dans  le  récit  de  P.  Mêla  et  de  Strabon.  Ce  qui 
fait  présumer  que  ces  auteurs  ont  parlé  de  deux  oracles  dififérens.  (  Voir 
Picot,  tom.  3,  p.  320.  Miclielet,  Hist.  de  France,  tom.  1,  p.  44.  ;  édition  de 
Brux.,18B5.) 

(2)  On  trouve  dans  l'ouvrage  de  Barth  intitulé  :  Uber  die  druiden  der 
Kelten,  une  longue  nomenclature  de  divinités  locales  des  Gaulois  (p.  78  ). 
Voir  aussi  D.  Martin,  Religion  des  Gaulois,  et  Mone,  Geschichte  des 
heiden  thnms  im  nôrdl.  Europa ,  2^  th.,  p.  418.  Ce  dernier  auteur  compte 
comme  divinités  celto-belges  ,  l  Hercule  Magusanus,  ï Hercule  Saxanus  ^ 
les  31atro7iœ  vacalli-nehœ ,  Rummeliis  ,  Gesatenis ,  Eiroienis ,  Gavadiahus  ^ 
Vatviahus ,  Gabiœ ,  Vatiumœ,  Arvagastœ  ^  Arserici-nehœ ,  AnfcCniœ  ^ 
Mairœ,  Malvisiœ ,  Mopates ,  Suîevœ^  Hariasœ.  Cependant  on  n'a  jusqu'ici 
trouvé  aucun  autel  d'une  de  ces  divinités  locales  dans  les  limites  de 
la  Belgique  actuelle.  Mone  regarde  aussi  comme  divinité  celto-belge,  la 
fameuse  IVehallenia,  sur  laquelle  on  a  débité  tant  de  conjectures,  qui  n'ont 


—  123  — 

Les  Celtes  croyaient  aussi  aux  bons  et  aux  mauvais 
génies.  Ces  derniers  portaient  le  nom  de  Dusii.  Ils  se  les 
représentaient  sous  la  forme  des  faunes,  et  croyaient  qu'ils 
recherchaient  le  commerce  des  femmes,  en  prenant  la 
figure  de  leurs  amans.  Nos  mcuhes  ont  succédé  aux  dusii 
des  Gaulois. 

Les  Celtes  élevaient-ils  des  temples  a  leurs  dieux?  non, 
si  l'on  entend  par  la  des  temples  construits  a  la  manière 
des  temples  grecs  et  romains,  c'est-a-dire ,  des  édifices 
couverts,  et  entourés  de  murs  (1).  Les  Gaulois  auraient 
cru  déshonorer  la  divinité  en  renfermant  son  emblème 
dans  une  enceinte  étroite  et  circonscrite  ;  c'était  dans  une 
vaste  plaine,  sur  une  haute  montagne,  ou  dans  une  épaisse 
et  sombre  foret  qu'ils  allaient  rendre  hommage  a  leurs 
dieux  (2).  La  ils  érigeaient  pour  autels  des  pierres  brutes 

pas  rendu  la  chose  plus  claire.  Sur  Tautel ,  élevé  a  Nehallenia  par  un  négo- 
ciant en  marne  de  la  Grande-Bretagne,  autel  découvert  dans  l'île  de  Wal- 
cheren,  en  1647 ,  cette  déesse  est  représentée  assise  avec  un  panier  de  fruits 
sur  ses  genoux  et  un  chien  a  ses  côtés.  Elle  a  les  cheveux  pendans  et  porte 
pour  vêtement  un  habit  long  sans  manches  et  attaché  aux  épaules  par  un 
bouton.  Les  autels  de  Nehallenia  ont  pour  ornemens  des  fruits ,  des  herbes 
et  de  plantes  étrangères.  Sur  un  de  ces  autels  ,  on  voit  un  marchand  et  une 
femme  qui  présente  une  jeune  fille  à  la  déesse  .  sur  un  autre  est  représenté 
un  homme  portant  un  lièvre  ou  quelqu'autre  pièce  de  gibier.  Mone  conjecture 
que  l'île  de  Walcheren  a  dû  être  le  siège  principal  du  druidisme  en  Belgique. 
On  peut  encore  mettre  au  nombre  des  divinités  locales  de  la  Belgique  une 
déesse  Sandradiga  dont  on  a  découvert  un  autel  en  1813,  sur  la  route 
d'Anvers  a  Breda.  Mais  nous  ignorons  quelle  était  cette  déesse  et  si  c'était 
une  divinité  celtique  ou  germanique.  Nous  en  parlerons  encore  dans  le  der- 
nier chapitre  de  la  2^  partie  du  liv.  I ,  de  cet  ouvrage. 

(1)  Ceux  qui,  comme  Picot,  ont  avancé  que  les  temples  des  Celtes,  étaient 
de  forme  circulaire  et  octogone  ont  été  induits  en  erreur  par  D.  Martin  et 
Montfaucon,  qui  ont  pris  pour  temples  druidiques  des  églises  chrétiennes, 
du  7^  et  du  S*'  siècle ,  telles  que  l'église  de  Montmorillon  et  celle  de  la  Dau- 
rade  a  Toulouse  (voir  Millin,  Voyage  dans  le  midi  de  la  France  ). 

(2)  Lucan.  Phars. ,  1.  III,  v.  399.  Barth.,  p.  83. 

Les  arbres  d'une  forêt  sacrée  ne  pouvaient  jamais  être  coupes  ni  même 


-^  124  - 

de  12 ,  15  et  jusqu'à  24  pieds  de  hauleur ,  posées  de  champ 
et  formant  un  ou  plusieurs  cercles  concentriques ,  dont  le 
point  central  était  marqué  par  une  pierre,  d'une  dimen- 
sion plus  forte  encore  que  celle  des  autres.  Les  pierres  qui 
formaient  ces  enceintes  druidiques,  étaient  toujours  au 
nombre  mystérieux  de  7 ,  12,  19,  20,  30,  60  (1).  Dans 
les  enceintes  les  plus  étendues  on  comptait  plusieurs  cen- 
taines de  ces  pierres  (2). 

Outre  ces  vastes ,  mais  barbares  constructions ,  les  Celtes 
avaient  des  monumens  religieux  plus  simples  et  dune 
moindre  étendue ,  c'étaient  :  1«  des  obélisques  ou  plutôt 
des  quartiers  de  rocher  appelés  en  breton  Min-hir,  Peul- 
ven  et  Mui-sao;  ils  avaient  de  12  à  24  pieds  de  hauteur. 
Il  y  en  a  qui  les  regardent  comme  des  emblèmes  des  divi- 
nités gauloises  ;  Lucain  rapporte  en  effet  que  chez  les 
Celtes ,  les  simulacres  des  dieux  n'étaient  figurés  que  par 
des  pierres  brutes  ou  le  tronc  informe  d'un  chêne  (3)  ,- 


élagués.  Le  peuple  croyait  que  les  oiseaux ,  le  gibier ,  l'ouragan  et  la  foudre 
ne  touchaient  jamais  a  ces  sanctuaires  ;  que  lorsque  la  terre  tremblait  il  s'y 
ouvrait  des  gouffres  dont  s'élançaient  des  serpents  qui  s'attachaient  aux 
arbres;  que  la  forêt  entière  était  éclairée  d'une  vive  lumière,  que  les  arbres 
se  courbaient  et  se  redressaient  d'eux  mêmes.  Ces  forêts  renfermaient  des 
sources  sacrées,  et  on  y  conservait  les  étendards  militaires.  Les  druides  seuls 
y  avaient  accès  et  n'y  entraient  qu'en  tremblant  (Mone,  2«  th.,  p.  401.) 

(1)  Mone,  2«  th., p.  358,436.  Michelet,  Histoire  de  France,  tom.  l,p.319. 

(2)  Le  plus  vaste  de  tous  les  temples  ou  cercles  druidiques ,  est  celui  de 
Carnac,  près  de  Quiberon,  département  du  Morbihan.  Il  est  formé  de  près 
de  400  pierres,  hautes  de  4  à  24  pieds,  et  placées  sur  onze  lignes  concentri- 
ques. Le  célèbre  cercle  druidique  de  Stonehenge,  près  de  Sallsbury,  n'en 
contient  que  139.  Celui  d'Avebury  ou  Abury ,  dans  le  Wiltshire.  était  le 
plus  étendu  de  l'Angleterre  ;  il  couvrait  un  espace  de  28  acres  de  terre. 

(3)  Lucan.  Phars. ,  1.  III,  v.  412. 

Le  chêne  était  Temblème  de  Taranis  (Maxim.  Tyr.  orat.,  38.  Peloutier , 
tom.  5,  p.  63,  tom.  7,  p.  55);  de  là,  la  vénération  que  les  Celtes  avaient 
pour  cet  arbre  majestueux.  Les  druides  ne  pratiquaient  aucune  cérémonie 
religieuse,  sans  porter  une  branche  de  chêne  en  main,  et  une  couronne  très- 


—  125  — 

quelquefois  cependant  Tiinage  du  dieu  e'tait  représentée 
sous  la  forme  la  plus  hideuse  et  la  plus  effrayante.  On 
trouve  encore  aujourd'hui ,  près  de  Tournai,  un  de  ces  obé- 
lisques dont  nous  venons  de  parler.  Il  est  connu  sous  le 
nom  de  pierre  Brunehaut  ^  et  consiste  en  une  pierre  de 
grés ,  haute  de  quinze  pieds ,  large  de  dix  ,  et  épaisse  de 
deux.  Un  second  obélisque  ,  qui  existait  près  de  la  ville  de 
Binche ,  fut  détruit  en  1753  (1).  Le  nom  de  Min-hir^  que 
les  Bretons  donnent  aux  monumens  de  cette  espèce,  pa- 
raît indiquer  qu'ils  servaient  d'asile  aux  coupables. 

2^  Des  autels  composés  de  trois  pierres  disposées  de  ma- 
nière à  figurer  un  cabinet  ou  espèce  de  caverne  différente  des 
cavernes  creusées  par  les  Celtes  dans  les  rochers  ou  les  mon- 
tagnes. Il  y  a  ordinairement  sous  ces  autels  appelés  en  breton 
dolmin  et  lech  ou  liach  (lieu  par  excellence),  en  anglais, 
cromlech,  et  en  français  pierres  couvertes,  une  assez  grande 
cavité,  qui  servait  a  recevoir  le  sang  des  victimes.  On  trouve 
souvent  près  de  ces  monumens,  des  charbons,  des  ossemens 
et  des  pierres  à  feu  qui  ont  du  servir  aux  cérémonies  reli- 
gieuses ;  ce  car,  ditMallet ,  tout  autre  feu  que  celui  qu'on  tirait 
d'un  caillou,  n'était  pas  assez  pur  pour  un  usage  aussi  saint.» 

3»  Des  rochers  mobiles  ,  dits  pierres  branlantes,  placées 
de  manière  qu'on  peut  les  remuer  par  le  plus  léger  effort. 
Il  existe  encore  de  nos  jours ,  un  de  ces  monumens  dans  la 
province  de  Namur  (2). 

séc  des  feuilles  de  cet  arbre,  sur  la  tête  (Plin. ,  1.  XVI,  c.  95,  1.  XXIV, 
c.  62  ).  La  coutume  d'attacher  aux  chênes  des  images  de  la  vierge  ou  des 
saints,  coutume  encore  en  vogue  dans  nos  campagnes,  ne  tirerait-elle  pas 
son  origine  du  culte  que  les  Celtes  vouaient  à  ces  arbres?  C'est  Topinion  de 
Mone. 

(1)  \o\v  à^^eWs,  Réflexions  sur  un  ancien  monument  du  Tournaisis y 
a-ppelé  vulgairement  la  pierre  Bruneliaut;  ancien  Mém.  de  l'Acad.  roy.  des 
sciences  et  belles  lettres  de  Brux.,  tom.  1,  p.  471. 

(2)  Voir 5  sur  les   monumens  druidiques  :  Mone,  2"  th.  Mallet, /w/ror/.  « 


—  126  — 

Dans  les  sanctuaires  du  dieu  de  la  guerre,  les  Celtes  en- 
tassaient l'or,  l'argent  et  les  autres  effets  précieux  qu'ils 
avaient  conquis  sur  l'ennemi  :  «on  voit,  dit  Diodore  de 
Sicile,  quelque  chose  de  particulier  et  d'extraordinaire 
dans  la  Celtique  supérieure ,  par  rapport  aux  sanctuaires 
et  aux  forêts  consacrées  aux  dieux  ;  on  y  jette  une  grande 
quantité  d'or ,  que  l'on  consacre  aux  dieux  et  C]u'aucun  des 
habitans  n'ose  toucher  par  superstition ,  quoique  d'ailleurs 
les  Celtes  aiment  fort  l'argent  (1).  » 

Les  Gaulois  ne  pratiquaient  leurs  cérémonies  reli- 
gieuses qu'à  l'heure  de  midi  ou  à  minuit  et  pendant 
la  pleine  et  la  nouvelle  lune.  Outre  les  animaux  domes- 
tiques et  les  fruits  de  la  terre,  ils  offraient  à  leurs  dieux 
des  victimes  humaines.  Ils  croyaient  que  l'holocauste  de  la 
créature  la  plus  parfaite  devait  être  la  plus  agréable  a  la 
divinité  et  que ,  menacé  d'une  grande  catastrophe  ,  on  ne 
pouvait  appaiser  le  courroux  céleste  qu'en  rachetant  la 
vie  d'un  homme  par  celle  de  son  semblable  (2).  C'étaient 
ordinairement  des  criminels,  ou  des  prisonniers  de  guerre 
qu'on  destinait  a  élre  immolés  aux  dieux  ;  parcequ  on 
croyait  que  la  mort  d'un  criminel  offert  en  holocauste  était 
particulièrement  agréable  à  ces  derniers.  Cependant  à  défaut 


Thist  du  Dannemarc ,  p.  77.  Gaîllardot  et  Percy,  Notice  sur  les  autels  et  les 
tomb.  des  peuples  du  nord  de  l'Europe  [Magas.  encyclop.,  1811,  tom.  3  ). 
Westcndorp,  Verhandeling  over  de  hunneledden.  [Verliand.  der  Holland.- 
Maetschap.  van  kunstenen  wetenschapp.).  Mémoires  de  V acad.  celtique;  de  la 
société  royale  des  antiquaires  de  France;  des  antiquaires  de  Normandie.,  etc. 

(1)  Diod.  Sic,  1.  V. 

César  enleva  d'un  temple  celtique  a  Toulouse,  une  immense  quantité  d'or 
et  d'argfent,  que  les  Gaulois  y  avaient  accumulée  dqns  un  lac  depuis  un  long 
laps  de  siècles. 

(2)  Quod,  pro  vita  liominis  nisi  hominis  vita  reddatur,  non  posse  aliter 
deorum  immortalium  numen  placari,  arhitrantur,  puhliceque  ejusdem  generis 
habent  instituta  sacrificia.  (Cœs.,  1.  VI.  c.  16.) 


^  127  — 

d'un  homme  condamné  au  supplice  par  la  loi ,  on  sacrifiait 
aussi  des  esclaves  ou  des  Gaulois  libres,  et,  dans  ce  dernier 
cas  c'était  le  sort  qui  désignait  la  victime  (1).  Parfois  aussi 
des  Gaulois  se  dévouaient  eux-mêmes  aux  dieux.  La  ma- 
nière la  plus  ordinaire  d'immoler  les  victimes  humaines , 
était  de  les  renfermer  en  grand  nombre  dans  d'immenses 
paniers  d'osier  construits  en  forme  de  colosses,  auxquels 
les  druides  mettaient  ensuite  le  feu  (2).  «Les  Gaulois, 
dit  Diodore  de  Sicile,  ont  coutume  de  tenir  les  malfai- 
teurs en  prison,  pendant  cinq  ans ,  et  de  les  mettre  ensuite 
en  croix  ;  on  les  consacre  ainsi  aux  dieux  avec  beaucoup 
d'autres  oblations  c[ue  Von  brûle  sur  de  grands  bûchers 
dressés  exprès  (3).  »  On  tuait  également  les  victimes  en  les 
perçant  a  coups  de  pieux  ou  de  flèches. 

Les  sacrifices  humains  avaient  lieu  chez  les  Gaulois,  lors- 
qu'ils étaient  sur  le  point  d'entreprendre  une  guerre  im- 
portante ,  avant  de  livrer  une  bataille ,  dans  les  calamités 
et  les  dangers  publics ,  et  lorsqu'une  personne  de  considéra- 
tion se  trouvait  attaquée  d'une  maladie  grave  (4).  C'étaient 
principalement  Teutatès ,  Hesus  et  Taranis ,  cju'on  pré- 
tendait honorer  par  ces  sacrifices  barbares  (5). 

(1)  SubpUcia  eoriim ,  qui  in  furto,  aut  in  latrocinio,  aut  aligna  noxa  sint 
comprehensi ,  gratiora  diis  immortalibus  esse  arhitrantur  :  sed ,  guum  ejus  ge_ 
ncris  copia  déficit ,  etiam  ad  innocentium  snhplicia  descendunt  (Cœs.,  ibid.)^ 

(2)  ^lii  inmani  magnitudine  simulacra  habent,  quorum  contexta  vimi- 
nibus  tnembra  vivis  hominibus  complent  ^  quibus  succensis,  circumventi 
flamma  exanimantur  liomines  (Cses.,  ib.). 

(3)  Diod.  Sic,  1.  V. 

(4)  Cœs.,  1.  VI,  c.  16. 

Les  sacrifices  humains  eurent  lieu,  dans  les  Gaules,  jusqu'au  règne  d'Au- 
p-uste  et  de  Tibère  qui  les  interdirent.  Cependant  ils  ne  cessèrent  entièrement 
que  par  lintroduction  du  christianisme  (Plin.,  1.  XXX,  c.  1.  Sueton. /w  Clau- 
dio ,  c.  25.  Aurel  vict.  In  Claudio.  Picot ,  Histoire  des  Gaulois ,  t.  3,  p.  105). 

(5)  Et  quibus  intniitis  placatur  sanguine  diro 
Tentâtes,  horensque  feris  altaribus  Hesus 
Et  Taranis  scythicce  non  mitior  ara  Dianœ. 

U-'ican.,  1.  1,  V.  444-446.) 


^  128  — 

Parmi  les  animaux  domestiques  que  les  Gaulois  immo- 
laient aux  dieux  ,  on  compte  particulièrement  le  bœuf,  la 
brebis,  le  porc,  la  chèvre,  le  cheval  et  le  chien.  La  manière 
ordinaire  de  les  offrir  en  holocauste  ,  était  de  les  assom- 
mer ou  de  les  e'trangler  (1).  Dans  les  sacrifices  le  célébrant 
se  tournait  toujours  du  levant  au  couchant  ;  coutume  con- 
traire à  celle  des  Grecs  et  des  Romains  (2).  Le  sacrificateur 
teignait  du  sang  de  la  victime  ,  l'autel  et  les  arbres  voisins 
du  sanctuaire  contre  lesquels  on  clouait  la  tête  de  l'animal. 
Après  avoir  récité  quelques  prières ,  il  rendait  les  restes 
de  la  victime  à  celui  qui  l'avait  offerte  et  qui  les  mangeait 
alors  dans  le  sanctuaire  même  avec  ses  parens  ou  ses 
amis ,  car  toutes  les  cérémonies  religieuses  et  les  sacrifices 
tant  publics  que  particuliers  étaient  suivis  de  banquets , 
de  danses  et  de  chants  (3).  Ces  festins  qui  duraient  ordi- 
nairement plusieurs  jours  et  même  des  semaines  entières, 
dégénéraient  souvent  en  crapule  et  en  débauche  (4). 

Pour  obtenir  la  faveur  du  ciel  sur  les  productions  de 
la  terre,  les  Gaulois  faisaient  des  processions  dans  les- 
quelles, dit  Sulpice  Sévère ,  on  portait  par  les  champs 
des  figures  de  démons  dans  des  draps  blancs  (5).  Les  chré- 
tiens remplacèrent  ces  processions  par  celles  des  roga- 
tions. 


(1)  Peloutier,  tom.  8,  p.  47. 

(2)  In  adorando  dexteram  ad  osculum  referimus  ,  iotumque  corpus  circum 
agimus ,  quodin  lœvum  fecisse  Galliœ  religiosius  credunt  (Plin.,  I.  XXVIII, 
c.  5.  Athen.,1.  IV,  c.  36.) 

Quand  un  Gaulois  invoquait  Hesus.  le  dieu  de  la  guerre,  pour  lui 
demander  la  victoire,  il  se  plaçait  devant  une  cpce  debout,  la  face  tour- 
née vers  l'orient ,  le  bouclier  au  bras  gauche  et  la  lance  à  la  main  droite. 

(3)  Peloutier,  tom.  8,  p.  78-79. 

(4)  Picot.,  tom.  3,  p.  48. 

(5)  Gallorum  rusticis  eam  consuetudinem  fuisse,  simulacra  dœmonumcan- 
dido  tecta  velamine ,  misera  per  agros  circumferre  dementia  (  Sulpit.  Sev. 
vita,  D.  Martini,  c.  9). 


—  i29  -^ 

Les  ministres  du  culte  chez  les  Gaulois ,  portaient  le 
nom  Je  Druides ,  Drysides ,  Semnothëes  ou  Saronides. 
On  dispute  autant  sur  Tëtymologie  de  ces  diflfërentes  de- 
nominations,  que  sur  Forigine  des  druides  même.  De 
toutes  les  opinions  sur  cette  question,  la  plus  raisonnable, 
parait  celle  qui  iait  dériver  le  nom  de  Druide  du  celtique 
deru ,  chêne ,  emblème  du  dieu  suprême  des  Celtes. 
C'est  aussi  le  sentiment  de  Pline  ,  mais  cet  auteur  sest 
trompé  en  faisant  venir  le  nom  des  druides  du  grec 
à'pvq  (1).  Au  reste ,  il  n'y  a  presque  pas  de  langue  ancienne, 
a  commencer  par  l'hébreu,  dans  laquelle  on  n'ait  cru  trou- 
ver l'étymologie  de  ce  nom  (2). 

Les  opinions  sur  l'origine  du  druidisme  sont  non  moins 
partagées.  Quelques  auteurs  n'ont  pas  hésité  a  attribuer 
cette  institution  sacerdotale  à  Saniothès,  ou  Semnothès, 
frère  de  Gomer  et  fils  de  Japhet.  D'autres  en  font  honneur 


(1)  Tfihil  habent  druidœ  (  ita  suos  appellant  magos),  visco  et  arbore  in 
qua  gignatur,  {si  modo  sit  robiir?)  sacratius.  Jam  per  se  roborum  eligunt  lucos  : 
nec  uîîa  sacra  sine  ea  fronde  confîciunt ,  ut  inde  appellati  qiioque  interpre- 
taiione  grœcâ poss int  druidœ  videri.  Enimvero  quicquid adnascaturillis,  è  cœio 
missum  putant  signumque  esse  electœ  ah  ipso  deo  arboris  (  Plin.,  1.  XVI, 
c.  ult.  ) 

Dans  Tinscription  d'un  autel  gallo-romain,  trouvé  en  1711,  dans  les  fon- 
demens  du  chœur  de  l'église  de  Notre-Dame  à  Paris,  les  druides  sont  appelés 
Senani.  Le  nom  de  Semnotbées  paraît  dériver  du  gallique  semno ,  prophète. 
Eubage  semble  aussi  un  nom  d'origine  celtique  :  Eiives,  signifie  en  gallique 
ehêne,  euva,  loi,  cuwages  ,  législateurs. 

Le  nom  des  druides  paraît  incontestablement  dérivé  de  dryiv ,  derwydd. 
p^u  pluriel  derwyddonovi  dryod ,  mots  qui  en  ancien  breton  et  gallique  signi- 
fient chêne.  Drus  désignait  en  ancien  breton  une  personne  sacrée.  Les  Grecs 
paraissent  avoir  dérivé  le  nom  des  saronides  du  grec  (rapioviç  ^  vieux  chêne. 
En  ancien  breton  Serronidion ,  désignait  les  trois  astronomies  suprêmes. 
(Voir  Barth,  Ueber  die  druiden  der  Kelten,  p.  12.  Picot,  tom.  3,  p.  67. 
Mone,  Geschichte  des  heidenthums  im  nordl.  Europa,  2' th.,  p.  386  et  suiv. 
De  Fortia ,  Tableau  du  monde ,  tom.  3,  p.  94.  ) 

(2)  Barth  et  Picot. 

Tome  I.  9 


~  130  — 

à  Tuiscon ,  a  un  prétendu  roi  des  Celtes  nommé  Dryms  ; 
au  dieu  Belenus,  à  Firmianus,  personnage  fabuleux  dont 
les  chroniqueurs  du  moyen  âge  ont  fait  un  roi  des  Ecos- 
sais, etc.  (1).  Ces  fables  ne  méritent  pas  qu'on  s'y  arrête. 
César  croit  que  le  druidisme  a  pris  naissance  dans  la  Grande- 
Bretagne  ,  et  que  de  cette  île  il  a  été  introduit  dans  les 
Gaules  (2).  Mais  si ,  comme  l'assurent  César  lui-même  et 
Tacite,  l'Angleterre  fut  peuplée  en  grande  partie  par  des 
Gaulois ,  ne  serait-il  pas  plus  probable  que  les  druides 
aient  passé  des  Gaules  dans  la  Grande-Bretagne,  et  non  de 
cette  dernière  dans  les  Gaules  ?  Enfin,  une  opinion  récente, 
celle  d'Amédée  Thierry,  attribue  l'origine  du  druidisme 
à  Hu  ou  Hesus  le  puissant,  chef  des  Kymris  ou  Cim- 
bres  (3).  Toutes  ces  conjectures  ne  nous  rendent  pas  plus 
savans  sur  ce  sujet. 

Les  druides  étaient  partagés  en  trois  classes,  en  druides 
proprement  dits ,  en  devins  (  vates  ,  eubages  )  ,  et  en 
bardes  (4).  Cette  caste  ,  comme  nous  l'avons  déjà  vu  pré- 
cédemment, jouissait  de  grands  privilèges  :  elle  formait 
la  première  classe  des  citoyens,  était  interprète  et  dé- 
positaire des  lois ,  avait  une  part  principale  au  gouver- 
nement, était  exempte  de  toutes  charges  et  du  service 
militaire,  et  chaque  famille  était  obligée  de  lui  payer  une 
taxe  annuelle  (5).  A  leurs  fonctions  religieuses  et  civiles , 

(1)  Picot,  t.  3,  p.  69. 

(2)  Disciplina  in  Britannia  reperta  atque  indè  in  gallium  translata  esse, 
existimatur.  (Cses.,  1.  VI,  c.  13.) 

(3)  Thierry ,  Hist.  des  GauL,  tom.  3. 

(4)  Barth  ne  veut  point  reconnaître  cette  distinction,  (t/e&er  die  druiden, 
p.  30.) 

Voir  sur  les  subdivisions  des  trois  classes  des  druides  dans  la  Grande- 
Bretagne,  Mone,  tom.  2,  p.  462. 

(5)  Les  druides  avaient  trouvé  un  moyen  efficace  de  s'assurer  le  payement  de 
cet  impôt  :  tous  les  Gaulois  devaient,  sous  peine  d'excommunication,  éteindre 


—  131  — 

les  druides  joignaient  Tëtude  de  la  physique,  de  Fastro- 
logie,  de  la  métaphysique  et  de  la  médecine  (1)  ;  mais  leurs 
comiaissances  dans  ces  sciences  étaient  peu  étendues  et  se 
bornaient  en  majeure  partie  a  des  pratiques  de  magie. 
Leur  intérêt  les  portait  à  attacher  mie  grande  importance 
aux  présages  et  a  la  divination  (2).  Les  Gaulois  n'entrepre- 
naient aucune  guerre,  ne  livraient  aucun  combat  sans  avoir 
consulté  le  sort.  Ils  faisaient  servir  a  cette  superstition  tous 
les  accidens  de  la  nature ,  le  cours  des  astres ,  le  murmure 
des  eaux,  la  chute  des  feuilles,  le  vol  des  oiseaux,  le  mugis- 
sement des  bœufs,  le  hénissement  des  chevaux,  le  tonnerre, 
la  pluie,  le  vent,  etc.  Lorsque  les  druides  immolaient  une 
victime,  ils  ne  manquaient  pas  de  tirer  des  augures  delà 
manière  dont  elle  tombait ,  de  celle  dont  le  sang  coulait 
de  la  plaie,  des  palpitations  des  membres  deTanimal  expi- 
rant, etc.  Ils  attribuaient  une  grande  vertu  magicjue  et  mé- 
dicale au  gui  cjui  croit  sur  les  chênes ,  a  la  sciage ,  à  la  ver- 
veine, au  semole  et  aux  œufs  de  serpents,  recueillis  avec 
certaines  cérémonies  mystérieuses.  Les  druides  mettaient 
surtout  beaucoup  d'appareil  dans  les  cérémonies  qui  ac- 
compagnaient la  récolte  du  gui  réputé  une  panacée  univer- 

les  feux  de  leurs  foyers,  le  dernier  soir  du  mois  d'octobre,  et  apporter  au 
temple  le  premier  jour  de  novembre ,  la  somme  due  aux  druides.  La  on  leur 
donnait  une  portion  du  feu  sacré  pour  rallumer  celui  de  leurs  demeures.  Ils 
étaient  donc  obligés  de  payer,  s'ils  ne  voulaient  pas  être  privés  de  l'usage  du 
feu  a  l'approche  de  l'hiver  :  car  il  était  défendu  a  leurs  voisins  de  leur  en 
fournir  sous  peine  d'excommunication. 

César  dit  :  Druides  a  bello  ahesse  consiievervnL  neque  tributa  una  cum  re- 
liquis  pendant  Les  termes  unâ  cumreliguis,  font  croire  a  M.  Mone,  que  les 
druides  n'étaient  point  exempts  des  charges  publiques,  mais  qu'ils  payaient 
un  impôt  différent  de  celui  auquel  étaient  assujeties  les  autres  classes  de 
citoyens.  Cependant  dans  la  phrase  suivante  César  dit  :  3Iililiœque  vaca- 
tionem  omniumque  rerum  habent  immunitatem  (1.  VI,  c.  14), 

(1)  Strabo.,  1.  IV.  Ca3S.,  1.  VI.  Amm.  Marcell.,  1.  XV. 

(2)  Cicero.,  de  divinat.  1.  I,  c.  90. 


—  132  — 

selle  contre  lous  les  maux  a  Les  Gaulois ,  dit  Pline ,  clioi- 
sissaient  pour  cette  opération  ,  le  sixième  jour  de  la  lune  , 
qui  commence  chez  eux  les  mois,  les  années  et  les  siècles  , 
qui  sont  de  trente  ans.  Elle  a  déjà  dans  ce  jour  assez  de 
force,  quoiqu  elle  ne  soit  pas  encore  au  milieu  de  son  accrois- 
sement ;  ils  lui  donnent  un  nom  qui  dans   leur  langue 
signifie  guérissant  tout.  Après  avoir  pre'paré  convenable- 
ment sous  le  chêne  des  sacrifices  et  des  festins ,  on  amène 
deux  taureaux  blancs ,  qu'on  lie  par  les  cornes  pour  la  pre- 
mière fois;  le  prêtre,  revêtu  d'une  robe  blanche,  monte 
sur  l'arbre,  coupe  avec  une  serpe  d'or  le  gui  qu'on  reçoit' 
sur  un  manteau  blanc;  ensuite  on  immole  les  victimes, 
priant  la  divinité  de  rendre  profitable  le  présent  qu'elle 
vient  de  faire.  Ils  croient  que  ce  gui,  pris  en  boisson,  rend 
féconds  les  animaux  stériles,  et  qu'il  est  un  préservatif 
contre  toutes  sortes  de  poisons  (1).  «  On  cueillait  la  sélage 
sans  instrument ,  en  passant  la  main  droite  du  coté  gauche 
par  dessous  la  tunique,  comme  si  l'on  faisait  un  vol,  et  on 
la  conservait  dans  un  linge  blanc.  Celui  qui  la  cueillait 
devait  être  vêtu  de  blanc,  avoir  les  pieds  nus  et  bien  lavés, 
et  avoir  préalablement  offert  un  sacrifice  avec  du  pain  et 
du  vin.  Suivant  les  druides  cette  herbe  était,  comme  le 
eui ,  un  préservatif  contre  toutes  espèces  de  maladies  et  sur- 
tout d'une  grande  vertu  pour  guérir  les  maux  d'yeux  (2). 
Pour  cueillir  lesemole,  herbe  qui  croissait  dans  les  lieux 


(1)  Plin.,  1.  XVI,  c.  44.  Picot,  tom.  3,  p.  89. 

Le  marquis  de  Fortia  donne  des  détails  beaucoup  plus  amples  que  Pline, 
sur  la  cérémonie  du  gui;  mais  ces  détails,  on  ne  les  trouve  point  dans  les 
auteurs  anciens  (^Tableau  du  monde ,  tom.  3,  p.  50). 

Dans  quelques  contrées  de  la  France,  il  existait  encore  au  XVIII"  siècle, 
des  vestiges  de  cette  superstition.  (Rougier  delà  Bergerie,  Hist.de  l'agricult. 
des  Gaulois,  p.  179.  Picot.,  tom.  3,  p.  II!.) 

(2)  Plin.,  l.  XXIV,  c.  II. 


marécageux  ,  il  fallait  être  a  jeune  et  ne  se  servir  que  dé 
la  main  gauche  ;  on  ne  pouvait  regarder  la  plante  en  la 
cueillant.  Le  semole  était  regardé  comme  im  remède 
efficace  contre  les  épizooties  (l).  Nous  ne  nous  arrêterons 
pas  davantage  à  décrire  la  manière  non  moins  supersti- 
tieuse et  puérile  dont  on  recueillait  la  verveine  et  les 
œufs  de  serpents  qui  étaient  réputés  d'une  vertu  mer- 
veilleuse pour  faire  gagner  les  procès  et  donner  accès 
auprès  des  rois  (2).  Toutes  cesfourberies  ourdies  par  les  prê- 
tres gaulois  pour  tromper  et  abrutir  le  peuple ,  sont  peu 
propres  à  justifier  Téloge  que  fait  des  druides,  Ammien 
Marceliin  qui  les  appelle  les  plus  justes  des  hommes;  ni  a 
nous  faire  souscrire  à  Fopinion  de  Celse  qui  en  ennemi  juré 
des  chrétiens  ,  oppose  a  leurs  prêtres  les  druides  qu  il  pro- 
clame les  plus  sages  et  les  plus  savans  des  prêtres  de 
l'antiquité. 

Dans  les  dogmes  du  culte  les  druides  rapportaient  tout 
au  nombre  mystérieux  de  trois  (3).  Ainsi  les  trois  points 
capitaux  qui  faisaient  labase  deleur  théologie,  étaient  Tim- 
mortalité  des  dieux  ,  leur  force  et  leur  toute  puissance. 
Les  trois  chefs  de  leurs  préceptes  moi^aux  ou  théologie  pra- 


(1)  Piin.,  Ibid. 

«  Dans  plus  d'un  canton  (  de  la  France  ),  dit  Reynier,  le  séneçon  cueilli 
avec  certaines  cérémonies  le  jour  de  S'-Roch,  et  béni  par  un  prêtre,  devient 
une  panacée  pour  les  bêtes  a  cornes;  cette. plante  pourrait  bien  être  le  sa- 
molus  des  druides,  car  Pline  dit  qu'ils  le  sanctifiaient  précisément  pour  les 
maladies  de  ces  animaux. «(Reynier  de  VEcon.puhl  et  rur.  des  Celtes^  p.  196.) 
D'autres  crovent  que  le  semole  est  le  mouron  de  nos  botanistes. 

(2)  Plln.,  ï.  XXV,  c.  9,  1.  XXII,  c.  3. 

(3)  Les  druides  eux-mêmes  étaient  divisés  en  trois  classes.  Il  y  avait  trois 
classes  de  divinités,  les  dieux  suprêmes,  les  dieux  inférieurs  et  locaux,  les 
pénies.  Les  attributs  de  chaque  divinité  étaient  aussi  ordinairement  au 
nombre  de  trois:  Tentâtes,  par  exemple,  était  le  dieu  des  arts,  le  protec- 
teur des  routes,  le  dieu  du  commerce. 


—  134  — 

tique  étaient,  suivant  Diogène  Laêrce  :  il  faut  servir  les  dieux; 
ne  point  faire  du  mal  et  s'étudier  à  être  vaillant  et  brave  (1), 
La  doctrine  druidique  se  divisait,  selon  le  professeur  Mone, 
en  trois  sciences  principales,  la  connaissance  de  lessence 
de  lame,  celle  du  monde  et  celle  de  la  divinité.  M.  Mone 
partage  la  première  de  ces  sciences  en  trois  autres  points 
capitaux  ,  l'immortalité  de  lame  ,  sa  transition  dans  de 
nouveaux  corps  après  la  destruction  de  celui  auquel  elle 
était  attachée,  enfin  la  renaissance  de  l'âme  après  un  cer- 
tain laps  de  temps.  Cependant  il  règne  beaucoup  d'in- 
certitude sur  la  véritable  opinion  que  les  Gaulois  se  for- 
maient de  l'ame  après  la  mort.  César  et  Diodore  de  Sicile 
ont  avancé  qu'ils  croyaient  a  la  métempsycose  ou  la  trans- 
migration des  âmes  dans  d'autres  corps  terrestres  (2). 
Pomponius  Mêla  et  Lucain  rapportent  au  contraire  qu'ils 
croyaient  a  un  autre  monde  oii  les  morts  ressuscites  joui- 
raient d'une  vie  k  peu  près  semblable  à  celle  de  l'homme 
sur  la  terre  (3).  Ce  cjui  rend  cette  dernière  opinion  la  plus 
vraisemblable  ,  c'est  qu'aux  funérailles  d'un  Gaulois  on 
avait  coutume  de  brûler  avec  lui  ses  armes ,  son  cheval , 
son  chien  et  ce  qu'il  avait  le  plus  aimé  de  son  vivant ,  afin 
qu'il  put  retrouver  ces  objets  dans  le  monde  nouveau  cju'il 


(1)  Peloutier,  t.  6.  p.  120.  Mone,  2'=  th..,  p.  410. 

(2)  In  primis  hoc  volunt  persuadere  non  interire  animas,  sed  ah  aliis 
post  mortem  transire  ad  aîios  ;  atque  hoc  maxime  ad  virtutem  excitari  pu- 
tant,  metu  mortis  neglecfo.  Multa  prœtereâ  de  sideribus  atque  eorum  moiu , 
de  mundi  ac  terrarum  magnitudine ,  de  rerum  naturâ ,  de  deorum  iminorta- 
lium  l'i  ac  potestate  disputant  et  juventuti  transdunt  (  Cses.,  I.  YI,  c.  14. 
Strabo. ,  1.  IV,  Diod.  Sic. ,  1.  V). 

(3)  Lucan.  Phars..  1.  IV,  v.  454.  Pomp.  Meb,  1.  II.  c.  2.  Picot,  toni.  lî, 
p.  80. 

Eusèbe,  dans  ses  commentaires  sur  TEvangile,  regarde  le  système  de  Py- 
thagore  comme  émané  de  celui  des  druides  ;  il  l'était  plutôt  de  celui  des 
prêtres  égyptiens. 


—  135  — 

allait  haÎ3iter  (1).  Anciennement  on  immolait  même  aux 
mânes  du  défunt  des  esclaves,  des  cliens  ou  des  hommes 
qui  se  dévouaient  pour  leur  ami  (2).  La  confiance  des  Celtes 
dans  une  vie  future  était  si  grande  ,  qu  il  y  en  avait  qui 
prêtaient  de  Fargentpour  leur  être  rendu  dansla  vie  a  venir. 
«Dans  les  obsèques,  dit  Diodore  de  Sicile,  quelques-uns 
jettent  dans  le  feu  des  lettres  qu  ils  écrivent  a  leurs  pères, 
à  leurs  mères  ou  aux  autres  parens  c|u'ils  ont  perdus , 
s'imag'.nant  que  les  morts  lisent  ces  lettres  (3).  »  On  allait 
même  aux  tombeaux  des  héros  pour  consulter  leurs  mânes 
sur  l'avenir  (4). 

Suivant  César  les  Gaulois  déployaient  beaucoup  de  ma- 
gnificence aux  funérailles  ,  lorsque  leur  fortune  le  leur 
permettait  (5).  Les  restes  inanimés  du  défunt  étaient  brû- 
lés ou  simplement  déposés  en  terre.  On  élevait  sur  le  tom- 
beau d'un  personnage  distingué  des  mottes  de  terre  cou- 
vertes de  gazon,  telles  qu'on  en  trouve  encore  un  grand 
nombre  en  Belgique  (6),  ou  de  grandes  pierres  superposées 
semblables  a  celles  qui  forment  les  temples  druidiques  ; 

(1)  Unum  ex  Us  quœ  prœcipiiint,  in  vulgiis  effluxit,  videlicet  ut  forenk 
ad  hella  meliores.  œternas  esse  animas,  vitamque  alteram  ad  mânes.  Itaque 

cum  mortuos  cremant  ac  defodiunt  et  apta  cum  viventibus  olim.  (Pomp.  Mêla., 
l.  III,  c.  2,  et  Caesar,  1.  VI,  c.  19.)  Voir  aussi  Procop.  Bell.  Goth.  1.  IV,  c.  20. 

(2)  Ac  paiilo  supra  hanc  memoriam  servi  et  clientes ,  quos  ah  Us  dilectos 
esse  constahat ,  Justis  funerihus  confectis ,  unà  cremahantvr.  (  Caes.,  1.  VI, 
c.  19.)  Erantque  qui  se  in  rogos  suorum  velut  unâ  vicluri,  libenter  immite- 
rent.  (P.  Mêla.,  1.  III,  c  12.) 

(3)  Negotiorum ratio  etiametexactio  creditideferehatur  adinferos  (P.  Mêla, 
1.  cit.)  Fétus  illemos  gallorum  occurrit  quos  memoriœ  proditiimest,  pecunias 
mutuas,  quœ  his  apud  inferos  reddereniur,  dure.  (Val.  Max.  1.  II,  c.  6,  n°  10.) 

f4)  Diod.  Sic,  1.  V.  Et  ISasammonas  propria  oracula  apud  parentum  se- 

pulcra  mansitando  capture  et  Celtas  apud  virorum  fortium  busta  eadein  de 

causa  ohnoctare  (Tertul.,  de  Anima,  c.  57.  ) 

{^)  Fanera  sunt  pro  cullu  gallorum  magnifica et  sumtuosa.  (Caes..  I.  Vï,c.  19.) 

(6)  Principalement  dans  la  llesbaye.  Près  d'une  des  portes  de  Tirlemont 

on  trouve  trois  de  ces  tombeaux  groupés  ensemble. 


^  136  — 

mais  les  tombeaux  de  pierre  différaient  de  ces  derniers  en 
ce  que,  consistant  ge'néralement  en  deux  pied-droits  ou  mon- 
lans  surmontes  d  un  linteau  ,  ils  avaient  la  forme  d  une 
porte  ou  d'une  potence  (1). 

Dans  la  croyance  où  étaient  les  Gaulois  que  les  morts 
ne  faisaient  que  changer  de  demeure  ,  ils  ne  manifestaient 
aucune  douleur  aux  funérailles  de  leurs  parens  ou  amis; 
quand  les  ce'rémonies  funèbres  étaient  achevées,  ils  fai- 
saient un  sacrifice  domestique  et  se  réunissaient  a  un  grand 
festin  préparé  a  cette  occasion. 

Les  trois  classes  des  druides  ayaient  des  fonctions  diffé- 
rentes à  remplir;  les  druides  proprement  dits  s'appliquaient 
à  Tétudc  de  la  mythologie  et  de  la  métaphysique.  Les  de- 
vins (vates,  eubages  (2))  étaient  chargés  de  la  partie  exté- 
rieure du  culte  et  de  la  magie.  Ils  se  livraient  particulière- 
ment à  Tétude  des  sciences  naturelles  applicables  à  la  reli- 
gion (3) .  Les  bardes  étaient  les  chantres  et  les  poètes  sacrés  (4). 

(1)  Mone,   tom.  2,  p.  359. 

On  voit  encore  aujourd'hui  un  de  ces  tombeaux  en  pierre,  près  de  la  viile 
de  Namur,  (  Vaugeois,  Lettre  sur  la  pierre  du  diahle  à  Namur ;  mcm.  de 
Tacad.  celtiq.,  tom.  2.  Westendorp,  de  Buivelsteen  te  Namen ,  Konst  en 
letterbode ,  (1817)  2«  deel.,  blz.  137.  ) 

On  trouve  dans  quelques  tombeaux  gaulois  des  haches  en  terre  cuite  et 
des  globes  en  verre  sur  la  destination  desquels  les  savans  ont  hasardé  des 
conjectures  plus  ou  moins  probables.  Les  uns  ont  regardé  ces  globes  de 
verre  comme  des  amulettes.  Mone  les  croit  des  instrimwns  appartenant 
aux  fonctions  du  culte.  Ils  sont  de  forme  elyptique  et  de  diiTérentes  cou- 
leurs. Mone  prétend  que  la  différence  de  couleurs  désigne  la  classe  des 
druides  ou  de  leurs  initiés  à  laquelle  ils  appartenaient  (Mone,  Gescli.  des 
heidenih. .  etc. ,  2*  th.,  p.  454.  )  Cet  auteur  regarde  les  haches  en  terre  cuite 
trouvées  dans  les  tombeaux  gaulois  comme  des  amulettes  et  y  rapporte  le 
terme  suh  ascia  qu'on  lit  sur  beaucoup  de  tombeaux  celto-romains. 

(2)  Vates  dérive  suivant  Roland  de  Faidh ,  prophètes.  Le  mot  Euhages 
n  est  selon  lui  qu'une  faute  de  copiste;  Huddleston  cependant  l'explique  par 
Eii-faigh  .  bon  poète. (Mone,  tom.  2,  p.  387.) 

(3)  Diod.  Sic.  I.  V.  Strab.  1.  IV.  Amm.  Marcell.,  1.  XV,  c.  9. 

(4)  Lucan..  1.  I,  v.  447.  Strab.,  1,  IV.  Amm.  Marcell.,  loc.  cit. 


—  137  — 

Les  devins  et  les  bardes  vivaient  dans  la  société,  au  lieu 
que  les  druides  de  la  première  classe  demeuraient  en  com- 
munauté dans  le  fond  des  bois  et  les  retraites  les  plus  ob- 
scures (1)  où  ils  initiaient  a  leurs  mystères  les  jeunes  gens 
qui  se  destinaient  aux  fonctions  du  druidisme  et  qui  étaient 
ordinairement  tirés  des  familles  les  plus  distinguées. 

Ce  noviciat  était  rude  et  durait  quelquefois  jusqu  a  vingt 
ans;  cependant  les  grands  avantages  attachés  a  la  dignité 
sacerdotale  ,  faisaient  que  le  nombre  des  élèves  était  con- 
sidérable (2).  Tous  les  préceptes  et  les  leçons  que  les  drui- 
des donnaient  a  leurs  disciples  étaient  conçus  en  vers  et 
devaient  s'apprendre  de  mémoire.  îl  était  absolument  dé- 
fendu de  mettre  par  écrit  quelque  point  de  leur  doctrine. 
César  dit  c[u'ils  avaient  établi  celte  défense  afin  que  leurs 
élèves  ne  négligeassent  point  de  cultiver  la  mémoire  ou 
(ce  qui  paraît  plus  vraisemblable)  que  leur  doctrine  mys- 
térieuse ne  fut  point  divulguée  a  d  autres  qu  a  leurs  adep- 
tes (3).  Au  reste  ,  outre  ce  dernier  moyen  de  tromper  le 
peuple  et  de  lui  conserver  sa  foi ,  c'est-a-dire  de  le  tenir 
dans  l'ignorance,  les  druides  en  avaient  un  autre  non  moins 

(i"i     ....     Nemora  alta  remotis 
Incolitis  lucis. 

(Lucan.,1.  I.  v.  454.") 

(2)  Docent  multa  nohilissimos  gentis  clam  et  diu  vùenis  annis  in  specu 
a  ut  in  ahditis  saltihus.  (  P.  Mêla.  I.  ïIL  c.  2.  ) 

Tantis  exciiaii  prcemiis  et  sua  sponie  multi  in  disciplinam  conveniunt  et 
a  pareniibus  propinquisqne  mitiimtur.  (Caes.,  1.  VI.  c.  l4.) 

Le  concours  de  nombreux  disciples  était  regardé  comme  le  pronostic 
d'une  année  fertile. 

(3)  Magnum  ihi  tiumerum  versuum  ediscere  dicuntur.  Ilaque  annos  non- 
nulli  vicenos  in  disciplina  permanent  ;  neque  fas  esse  existimant ,  ea  litleris 
mandare  :  quumin  reliqiiis  ferè  rehus puhlicis  privatisque  ralionihus.  Grœcis 
vluninr  liUeris.  Id  mihi  diiahus  de  causis  instiluisse  videntiir:  quod  neque 
in  vulgum  disciplinam  efferri ,  velint;  neque  eos  qui  discajit ,  litleris  con- 
fisos^  minus  memoriœ  studere,  quod  fare  plerisque  accidit,  ut  prœsidio  lit- 
lerarum  .  diliqoitiavi  in  perdiscendo ,  ac  mcmoriam  remillant.  (Cpcs.  ,  I.  ^  I , 
e.  M)    ^ 


—  138  — 

efficace  contre  les  tentatives  impies  des  esprits  forts  (si 
esprits  forts  il  y  avait  parmi  les  Celtes)  auxquels  il  aurait 
pris  envie  de  prémunir  leurs  concitoyens  contre  les  im- 
postures de  leurs  prêtres; ce  spëcilic[ue  était  l'excommuni- 
cation et  ses  suites  terribles. 

L'ordre  des  druides  était  électif;  à  leur  tête  se  trouvait 
un  grand  pontife ,  élu  à  vie.  C'était  ordinairement  le  plus 
méritant  parmi  les  druides,  qui  était  revêtu  de  cette  di- 
gnité; mais  lorsqu'il  y  avait  plusieurs  candidats,  le  grand 
pontife  était  choisi  a  la  pluralité  des  voix.  Souvent  cette 
élection  occasionnait  des  démêlés  sanglans  parmi  les  difFé- 
rens  rivaux  et  alors  c'était  le  plus  fort  cjui  l'emportait  (1). 
L'élection  du  druide  suprême  se  faisait  dans  l'assemblée  gé- 
nérale des  druides  qui  se  tenait  annuellement  dans  une  forêt 
sacrée  du  pays  des  Carnutes  (diocèse  de  Chartres)  comme 
étant  le  centre  des  Gaules.  Cette  assemblée  formait  en 
outre  une  haute  cour  judiciaire  devant  laquelle  se  décidaient 
les  causes  criminelles  et  civiles  les  plus  importantes  (2). 

Il  y  avait  aussi  dans  les  Gaules  des  druidesses  ou  femmes 
druides  (3)  ,  exerçant  la  magie ,  prophétisant  et  affiliées  a 

(1)  His  autem  omnibus  druidihus  prœest  unus,  qui  summan  inter  eos  habet 
anctoriiafem.  Hoc  moriuo ,  si  qui  ex  reliquis  excellit  dignitate ,  succedit.  At 
si  sunt  plures  pares,  suffragio  druidum  deligitur  ;  7ioniunqiiam  etiam  de 
principatu  artnis  contendunt.  (Cses.,  J.  VI,  c.  13.  ) 

Bardt  pense  que  l'élection   du  grand-druide  se  faisait   par  acclamation. 

(2)  Hi  (druides)  cer^o  anni  tempore  in  flnihus  Carnutum,  quœ  regio  totius 
Galliœ  média  habelur ,  considunt ,  in  luco  consecrato.  Hue  omnes  undique 
qui  contro vers ias  habent ,  conveniunt;  eorumque  decreiis  judiciisque  parent. 
(Caes.,  loc.  cit.) 

(3)  On  a  trouvé  aux  environs  de  Metz  ,  1  inscription  suivante  : 

SILVANO 

SACR. 

ET     NTMPHfS    LOCI 

ARETE    DRUIS 

ANTISTITA 

SOMNO     MONITA 

D. 

Lexpression  somno  monita  atteste  que  les  Celtes  croyaient  aux  visions. 


—  139  — 

Tordre  des  druides  sans  être  prétresses.  Les  unes  gardaient 
le  célibat  ;  d'autres  étaient  tenues  de  se  prostituer;  d'au- 
tres encore,  quoique  mariées,  vivaient  dans  la  continence 
et  ne  pouvaient  voir  leurs  époux  qu'une  fois  de  Tan- 
née (1).  On  croyait  que  ces  femmes  avaient  une  parfaite 
connaissance  de  Tavenir,  qu'elles  guérissaient  tous  les  maux, 
qu'elles  commandaient  aux  élémens  et  pouvaient  prendre 
toutes  sortes  de  formes  (2). 

Les  druidesses,  comme  les  druides,  portaient  une  tuni- 
que blanche  qui  ne  leur  couvrait  que  la  moitié  du  corps 
et  cjui  était  attachée  par  une  ceinture ,  et  par  une  agraffe 
sur  Tépaule.  Slrabon  dit ,  que  dans  les  fêtes  solennelles , 
elles  étaient  affublées  d'une  robe  de  carposus  ,  plante 
aquatique  (3). 

§ix. 

État  des  lettres  ,  des  arts  et  de  l'industrie  chez  les  Celtes 

Les  Celtes,  nation  barbare  et  guerrière,  n'avaient,  avant 
l'époque  de  la  domination  romaine,  dans  les  Gaules,  que 
de  bien  faibles  notions  dans  les  lettres  et  les  arts.  Les 
druides  uniques  dépositaires  de  la  science  (  telle  qu'elle 

(1)  Rougier  de  la  Bergerie  divise  les  druidesses  en  trois  classes  ;  eelle 
des  druidesses  vierges ,  celle  des  druidesses  mariées,  mais  vivant  dans  la 
continence,  et  celle  des  druidesses  libres  de  leurs  personnes,  mais  d'un  rang 
inférieur  aux  deux  autres  classes.  [Hist.  de  VAgricult.  des  Gaulois ,  p.  240.  ) 
Aucun  auteur  ancien  n'a  fait  cette  distinction.     ^ 

f2)  Mêla,  1.  3,  c.  5.  Strabo,  1.  IL 

On  croit  que  les  traditions  sur  les  fées  et  les  sylves  doivent  leur  origine 
aux  druidesses.  On  fait  dériver  le  nom  de  fée  de  falua  quon  traduit  la  bonne 
déesse.  Les  sylves  sont  les  s ulvœ  ci  sulevœ,  qu'on  lit  dans  les  anciennes  ins- 
criptions et  les  sylvaticœ  du  moyen  âge  (Mone,  2*  tb.,  p.  421). 

(3)  Strabo,  LIV. 

Voir  sur  le  costume  des  druides  le  Dictionnaire  Eue ijclopédique ,  art. 
Druide,  et  Durondeau.  p.  3.  On  y  rapporte  des  particularités  sur  ce  sujet 
qui  ne  sont  pas  constatées  par  des  preuves  assez  autbentiqucs. 


—  140  — 

pouvait  élre  parmi  des  peuples  faiblement  civilisés),  te- 
naient la  masse  du  peuple  dans  la  plus  profonde  ignorance. 
Par  ce  que  nous  avons  dit  dans  le  paragraphe  précédent , 
on  aura  pu  juger  que  les  connaissances  qu'ils  possédaient 
eux-mêmes  n'étaient  qu  un  vain  charlatanisme  ou  bien  qu'ils 
leur  donnaient  cette  apparence  pour  mieux  en  dérober  je 
secret  aux  yeux  du  vulgaire.  Comme  la  théologie,  les  druides 
divisaient  les  sciences  profanes  en  trois  branches  :  le  mou- 
vement des  planètes  ,  Tétendue  de  la  terre  et  du  monde  , 
la  nature  des  choses  (1).  Ils  enseignaient  cjue  la  matière 
et  l'esprit  sont  éternels,  que  l'univers  est  indestructible, 
que  Teau  et  le  feu  sont  les  principaux  agens  des  variations 
qu'il  éprouve.  Ils  cultivaient  particulièrement  Fétude  de 
l'astronomie  ,  de  la  botanique,  de  la  poésie  et  de  la  rhéto- 
rique. Il  paraît  que  la  première  de  ces  sciences  ne  se  bor- 
nait pas  exclusivement  a  l'astrologie  judiciaire  ,  à  en  juger 
par  la  manière  dont  ils  divisaient  l'année.  Celle-ci  était , 
comme  nous  l'avons  dit,  lunaire.  Le  mois,  l'année  et  le 
siècle  commençaient  au  premier  quartier  de  la  lune.  Des 
trente  années  qui  composaient  le  siècle  gaulois,  onze 
étaient  chacune  de  treize  lunes.  Le  sixième  jour  de  la  lune 
était  un  jour  sacré  (2). 

Les  passages  de  Pline  l'ancien ,  que  nous  avons  cités  pré- 
cédemment ,  sont  les  seuls  documens  que  les  anciens  nous 
ont  laissés  sur  les  connaissances,  que  les  druides  avaient  ac- 
quises dans  la  botanique  et  la  médecine  (3). 

(1)  Mone ,  t.  2.  p.  410.  Cœs.,  1.  VI,.  c.  14.  Strabo  ,  1.  III. 

(2)  Thierry,  //î5«.  des  Gaul,  t  3. 

Bardt  conjecture  que  les  globes  ou  bontons  de  verre  et  de  cristal  connus 
sous  le  nom  de  boutons  druidiques,  et  qu'on  trouve  quelquefois  dans  les 
tombeaux  gaulois,  comme  nous  l'avons  observé  précédemment,  pourraient 
indiquer  que  les  druides  se  servaient  déjà  de  lunettes  d'approche  pour  les 
observations  astronomiques. 

(3j  Voir  encore  Bardt,  Ueher  die  druiden  der  Kclten ,  p.  44. 


—  141  — 

11  ne  nous  reste  aucun  ouvrage  des  bardes  gaulois  qui 
puisse  nous  donner  une  idée  exacte  de  leur  poésie,  et  de 
la  manière  dont  ils  \ersifiaient  (1).  Comme  celle  de  tous 
les  barbares,  la  poésie  celtique  devait  être  rude,  mais 
pleine  d'images  fortes  et  caractéristiques.  II  y  avait  deux 
espèces  de  bardes,  les  bardes  sacres  et  les  bardes  pro- 
fanes. Ceux-ci  n'appartenaient  point  k  la  classe  des  prêtres 
et  étaient  ordinairement  a  la  suite  d'un  noble  puissant  dont 
ils  étaient  chargés  de  chanter  les  louanges  et  les  exploits.  Les 
poèmes  profanes  étaient  de  trois  espèces ,  les  poèmes  épi- 
ques, les  poèmes  satyricjues  et  les  poèmes  tragicjues.  Les 
poèmes  satyricjues  portaient  le  nom  de  vallemachiœ  et  les 
chants  populaires  celui  de  lituerses  (2).  il  y  avait  de  ces 
poèmes  celtiques  dont  on  faisait,  du  temps  de  Strabon, 
remonter  Torigine  à  plus  de  six  mille  ans  (3).  L'instru- 
ment de  musicjue  dont  les  bardes  s'accompagnaient  dans 
leurs  chants  était  semblable  a  la  lyre,  et  portait  le  nom  de 
crott  (4). 

Nous  avons  vu  précédemment  que  tout  ce  c]ue  les  druides 
enseignaient  a  leurs  élèves,  était  conçu  en  vers  et  c'étaient 
sans  doute  les  bardes  cjui  étaient  chargés  de  rédiger  ces 
préceptes.  C'est  une  chose  digne  de  reniarcpie  cpie  tous  les 
peuples ,  dans  l'enfance  de  la  civilisation ,  ont  commencé 
par  composer  en  vers ,  avant  d  écrire  en  prose.  C'est  que  la 
poésie  appartient  plus  particulièrement  à  l'imagination  et 
aux  fictions ,  et  la  prose  à  la  philosophie  et  à  la  raison 
mûrie  par  l'étude  et  l'expérience. 

(1)  Suivant  Mone,  la  poésie  celtique  possédait,  comme  celle  des  Ger- 
mains, vingt-quatre  mesures  de  vers,  la  rime  et  Tallitération  (Mone,  2*  th., 
p.  352). 

(2)  Mone,  tom.  2,  p.  392.  Athen.,  1.  IV. 

(3)  Strabo,  1.  ÎII. 

(4)  Mone,  t.  2,  p.  392. 


-^  142  — 

11  parait  qu'avant  la  fondation  de  Marseille ,  par  les  Pho- 
céens ,  les  Celtes  ignoraient  Fart  d'écrire;  Cësar  assure  au 
moins  que  de  son  temps  les  Gaulois  ne  se  servaient  que 
de  lettres  grecques  c|u  ils  n'ont  probablement  connues  que 
par  leur  commerce  avec  les  Phocéens  (1).  Si  l'usage  de  Pë- 
criture  des  Grecs  e'tait  géne'ral  dans  les  Gaules,  il  n'en 
était  cependant  pas  de  même  de  leur  langue  ;  car  quand 
Cësar  confëra  avec  Divitiac  chef  et  druide  ëdueen ,  il  eut 
besoin  d'un  interprète  pour  se  faire  comprendre,  et  lorsque 
les  Nerviens  assiégèrent  le  camp  de  Quintus  Cicëron,  Cë- 
sar ëcrivit  a  ce  dernier  en  grec  afin  qu'en  cas  que  Pennemi 
surprit  ses  dépêches ,  il  ne  put  découvrir  ses  projets  (2). 

Les  auteurs  modernes  qui  ont  avance  que  la  langue  des 
Celtes  ëtait  dans  le  principe  celle  de  tous  les  peuples  de 
l'Europe,  et  que  le  grec,  le  latin,  le  teuton,  etc. ,  ne  de- 
vaient être  considères  que  comme  des  langues  ëmanëes  du 
celtit[ue,  sont  tombes  dans  une  erreur  bien  grossière;  car  le 
bas  breton  et  le  gallois  qui  sont  évidemment  et  d'après 
l'assentiment  unanime  des  savans  ,  la  langue  des  Celtes,  à 
quelques  modifications  près  introduites  par  le  contact  des 
Bretons  avec  des  peuples  étrangers ,  n'ont  rien  de  commun 
avec  le  teuton  ,  et  encore  moins  avec  le  latin  ou  le  grec  ; 
une  centaine  de  mots  du  bas  breton,  ou  du  gallois,  ayant 
certaine   analogie  avec  un  nombre  pareil  de  mots  de  la 


(1)  Cœs.,  1.  I,  c.  29;  1.  VI,  c  14.  (Voir  Reynier,  p.  21  et  suiv.}. 

Suivant  quelques  auteurs  j  les  Celtes  avaient  cependant  un  alphabet  parti- 
culier, mais  connu  des  druides  seuls,  qui  ne  s'en  servaient  que  dans  des  écriis 
mystérieux  et  dans  la  pratique  de  la  magie.  Les  lettres  de  cet  alphabet  res- 
semblaient,  prétend-on,  a  celles  des  Etrusques  et  aux  Runes  des  Germains. 
Elles  portaient  chacune  le  nom  d'un  végétal,  et  étaient  au  nombre  de  qua- 
rante, seize  lettres  principales  et  vingt-quatre  lettres  secondaires  (voir 
Mone,'2«th.,  p.  352). 

(2)  Cses.,  1.  L,  c.  19.  1.  V,  c.  46. 


—  143  — 

même  significalion  dans  les  autres  langues  de  l'Europe , 
sont  certes  un  argument  bien  faible  pour  faire  conclure 
de  l'identité  de  ces  différents  idiomes  (1). 

Les  progrès  des  Gaulois ,  surtout  des  Gaulois  septentrio- 
naux ,  dans  les  beaux  arts,  furent  encore  moins  considé- 
rables c|ue  ceux  quils  firent  dans  les  lettres.  L'idée  que 
César  et  d'autres  écrivains  2:recs  et  romains  nous  donnent 
de  leurs  habitations  et  de  leurs  bourgades  ,  nous  tait  juger 
que  leur  architecture  domestique  ne  surpassait  guère  celle 
des  sauvages  de  nos  jours.  Leurs  monumens  publics,  c  est- 
à-dire  les  temples,  les  autels  druidiques  et   les  tombeaux, 
n'étaient  pas  plus  remarquables  sous  le  rapport  de  l'art. 
(cCes  diverses  espèces  de  monumens,  dit  Dulaure,  composes 
de  pierres  isolées  ou  de  masses  groupées  de  différentes  ma- 
nières qui  se  présentent  avec  les  irrégularités  de  la  nature, 
ne  portent  généralement  ni  sculptures,  ni  inscripUons;  si 
par  exception  il  s'en  trouve  quelques  unes,  ce  qui  est  extrê- 
mement rare  ,  ces   sculptures  appartiennent  à  fart  des 
Romains.  Les  inscriptions  sont  romaines  ;  elles  furent  ajou- 
tées longtemps  après  l'érection  du  monument  et  du  temps 

de  la  domination  romaine Il  suffit  de  voir  ces  masses 

de  rochers  informes,  que  le  ciseau  de  l'artiste  n'altéra 
presque  jamais  ,  pour  se  convaincre  cpe  les  Gaulois  ne 
cherchaient  dans  leurs  plans,  ni  la  régularité  des  construc- 
tions, ni  la  majesté  de  la  symétrie,  ni  le  charme  résultant 
de  l'harmonie  des  proportions ,  et  c|ue  chez  eux  ,  l'art  de 


(1)  Ce  qui  prouve  que  le  gaulois  et  le  teuton  étaient  deux  langues  abso- 
lument différentes ,  c'est  que  César  dit  qu'il  envoya  Valerius  Procillus 
traiter  avec  Arioviste,  chef  germain,  parce  qu'il  entendait  le  gaulois  dont 
Arioviste  faisait  usage  depuis  longtemps  :  Et  propter  Unguœ  gallicœ  scien- 
tiam  qna  multa  jam  Ariovisius,  longinquaconsuetudine,  iifchaUir  (Caes.,  1. 1. 
c.  47).  Si  le  celtique  et  le  teuton  n'avaient  été  qu'une  même  langue  César 
n'aurait  certes  pas  eu  besoin  de  faire  cette  observation. 


"  144  ~ 


conslriiire  n'était  point  encore  ,  avant  la  domination  rO" 
maine,  sorti  de  la  barbarie  (1)   « 

Il  reste  cependant  quelques  sculptures  gauloises ,  qui 
paraissent  remonter  incontestablement  a  une  époque  anté- 
rieure a  la  domination  romaine.  Elles  sont  si  difformes, 
quori  a  de  la  peine  à  y  reconnaître  le  travail  de  l'homme. 
Elles  prouvent  avec  les  monnaies  celtiques  trouvées  en  dil- 
fërens  endroits  de  la  France,  que  les  Celtes  ignoraient 
absolument  l'art  du  dessin.  Les  monnaies  gauloises  sont 
de  forme  circulaire,  faites  d'un  mauvais  métal  composé 
de  cuivre ,  d'étain  et  de  plomb.  Quelques-unes  cependant 
sont  d'argent.  On  y  voit  représentées  des  figures  d'hommes, 
d'animaux  et  d'autres  objets  si  mal  gravés  que  souvent  il 
est  impossible  d'en  deviner  le  sujet  (2). 

Si  tout  est  grossier  et  atteste  l'enfance  de  l'art  dans  les 
monumens  élevés  par  les  Celtes,  on  doit  d'autant  plus 
s'étonner  que  des  peuples  aussi  barbares  aient  pu  re- 
muer et  déplacer  sans  le  secours  de  la  mécanique ,  ces  im- 
menses blocs  de  pierre  c|ui  composent  les  autels  et  les 
temples  druidiques,  entasser  les  rochers  dont  étaient  con- 
struits ces  murs  cyclopéens,  c|ui,  dans  cjuelques  contrées  de 
la  Frajice,  telles  cjue  l'Alsace  et  la  Bretagne,  ont  bravé  un 
laps  de  temps  de  plusieurs  milliers  d'années;  et  qu'enfin 
ils  soient  parvenus  a  creuser  dans  la  roche  vive  et  le  centre 
des  montagnes,  des  souterrains  d'une  vaste  étendue  destinés 
au  dépôt  de  leurs  récoltes  (3). 

(1)  Dulaurc,  Mémoire  précité,  §  6. 

(2)  M.  Meynaerts,  de  Louvain,  conserve  dans  son  superbe  cabinet  de  médail- 
les, probablement  le  premier  de  la  Belgique  pour  la  rareté  et  le  chois  des  mon- 
naies grecques,  romaines  et  barbares,  plusieurs  pièces  gauloises  dont  quelques- 
unes  trouvées  en  Belgique  mèmeÇVo'wYe  Poîygr.helge,  5°l.,  année  1835-1836  ) 

(3)  Plusieurs  passages  des  Commentaires  de  César  prouvent  que  les  Gau- 
lois n'ignoraient  point  avant  la  domination  romaine  Tart  de  construire  des 
ponts  (Caîs.,  l.  1.  c.  6.  1.  YIl,  c.  2,  35  et  passim.). 


--  145  — 

Malgré  Félat  de  barbarie  et  d'anarchie  où  vivaient  les 
anciens  Gaulois,  cette  nation  fit  des  progrès  beaucoup  plus 
sensibles  dans  l'industrie  et  le  commerce,  que  dans  les 
lettres  et  les  beaux -arts  (1).  Les  Romains  Irouvèrent 
même  chez  eux  quelques  branches  d'industrie  qui  leur 
étaient  inconnues  auparavant.  Nous  ne  dirons  plus  rien 
de  l'agriculture  des  Gaulois  dont  nous  avons  parlé  suffi- 
samment dans  un  des  paragraphes  de  ce  chapitre.  Nous 
avons  également  vu  que  les  Celtes  connaissaient  le  tissage 
du  lin  (2)  Ce  sont  les  Gaulois  qui  ont  porté  Fart  du  tisse- 
rand dans  la  haute  Italie  et  introduit  l'usage  de  placer  les 
métiers  dans  les  caves  et  autres  lieux  souterrains  (3).  Ils  fa- 
briquaient des  toiles  de  diverses  qualités;  les  plus  fines 
étaient  portées  par  les  druides  et  les  personnes  de  qualité. 
Quelques-unes  étaient  assez  fortes  pour  servir  aux  besoins 
de  la  marine  ;  on  exportait  ces  dernières  en  quantité  pour 
l'Italie  (4).  Les  étoffes  de  laine  dont  il  se  faisait  aussi  des 
exportations  considérables  durant  la  domination  romaine  , 
étaient,  les  unes  d'un  tissu  fin  et  rayées  (5);  les  autres  d'un 
tissu  plus  grossier ,  mais  tellement  serré  c]u'elles  pouvaient 
supporter  toutes  les  intempéries  des  saisons  (6)  et  même 
résister  à  l'arme  blanche  (7).   Pour  la  préparation  des 


(1;  Rougler  de  la  Bergerie  s'est  imaginé  que  les  Gaulois  reçurent  les 
premières  notions  des  arts  et  des  sciences  de  l'Atlantide ,  cette  île  fabuleuse 
de  Platon  qui  doit  être  mise  de  paire  avec  le  pays  des  Sevarambes  et  lUtopie 
de  Thomas  Morus. 

(2)  Linnœ  cooperta  esttextrino  Gallia  (Plautus  Apud Isidorum  orig.,  c.  23) 
Reynier  prétend  qu'ils  cultivaient  aussi  le  chanvre  (p,  448)  et  la  cardère  ou 
chardon  a  foulon  (p.  454). 

(3)  Plin.,  1.  XIX,  c.  12.  Reynier,  p.  310. 

(4)  Plin.,  1.  XIX,  c.  2. 

(5)  Treb.  Poli.,  in  Gallieno. 
(6j  Juven.,  Satyr.  8,  v.  142. 
(7)  Plin.,  1.  VIII,  c.  73. 

Tome  1  10 


—  146  — 

draps ,  les  Gaulois  se  servaient  d'un  acide ,  du  feu  et  de 
fers  crochus  dont  on  faisait  usage  avant  de  soumettre  TétofFe 
à  la  pression  d'une  mécanique  (1).  Le  feutrage  était  aussi 
un  des  métiers  pratiqués  par  les  Gaulois  (2).  Ils  connais- 
saient plusieurs  procédés  différens  dans  Tart  de  la  teinture 
€t  des  colorans  qui  leurs  étaient  particuliers.  Ils  tiraient 
la  pourpre  d'une  plante  que  Pline  ^pipeWe  vacciniuin ,  et 
qu'on  croit  être  l'airelle  commune  (3),  Mais  comme  ce 
colorant  était  peu  solide,  on  ne  l'employait  que  pour  les 
vétemens  des  esclaves  et  des  gens  pauvres.  Pline  parle 
tTune  autre  plante  cultivée  par  les  Celtes  et  nommée 
hyacinihus  (jacinthe  commun)  ,  qui  produisait  la  couleur 
violette.  Reynier  prétend  qu'ils  cultivaient  la  garance  et 
le  pastel  (4).  Les  broderies  en  argent,  en  argent  et  en 
couleurs  leurs  étaient  également  connues  (5).  Ils  confec- 
tionnaient des  matelats  et  des  coussins  remplis  d'étouppes 
de  lin  et  de  rognures  de  drap.  Les  Romains  faisaient  venir 
les  premiers  du  pays  des  Cadurces  (Cahors) ,  et  les  derniers 
de  celui  des  Lingones  (  Langres  )  (6)  ;  ce  qui  paraît  prouver 
que  cette  fabrication  était  bornée  à  ces  deux  contrées. 

C'est  des  Celtes  et  autres  peuples  du  nord  de  l'Europe 
que  les  Romains  ont  appris  a  fabriquer  les  savons  (7).  Les 
Celtes  et  les  Teutons  en  faisaient  usage  pour  nettoyer 
leurs  longues  chevelures  et  les  rendre  d'un  blond  plus  ar- 
dent. On  fabriquait  dans  les  Gaules  des  savons  de  plusieurs 
qualités;  les  plus  estimés  étaient,  suivant  Pline,  composés 

(1)  Plin.,  1.  Vllî,  c.  73. 

(2)  Reynier,  p.  316. 

(3)  Plin.,  1.  XVI,  c.  18. 

(4)  Reynier,  p.  318  et  319. 

(5)  Strab.,  1.  IV.  Diod.  Sic,  1.  V.  Reynier,  p.  321. 

(6)  Plin.,  l.  XIX,  c.  2.  Juven.,   Sai.  6,  v.  537.  Sat.  1,  v.  220.  Martial.. 
È-pigr.,  1.  XIV,  ep.  159. 

(7)  Plin.,  1.  XXVIII,  c.  12.  Galien.,  de  Medic.  simpl 


—  147  — 

avec  les  cendres  du  hêtre  et  le  suif  de  chèvre  (1).  Quel- 
ques-uns de  ces  savons  étaient  épais  ;  d'autres  étaient  li- 
quides; ce  qui  prouve  que  les  Gaulois  n'employaient  pas 
seulement  a  la  fabrication  des  graisses  animales,  mais  en- 
core des  huiles  tirées  des  végétaux  (2). 

Varronditque  les  Gaulois  septentrionaux  faisaient  du  sel 
en  jetant  de  l'eau  sur  des  charbons  ardens  (3) ;  mais  Reynier 
prétend  avec  raison  que  cet  auteur  s'est  trompé,  et  qu'il  a  con- 
fondu la  fabrication  du  sel  avec  celle  de  la  potasse  (4).  Pline 
a  encore  enchéri  sur  Varron ,  en  ajoutant  que  la  cendre  du 
chêne  donnait  plus  de  force  au  sel ,  et  que  le  charbon  de  cet 
arbre  arrosé  d'eau  salée  se  transformait  lui-même  en  sel  (5). 

C'est  des  Celtes  que  les  Romains  ont  appris  l'usage 
des  tonneaux.  César  rapporte  qu'au  siège  d'Uxelodunum, 
les  Gaulois  firent  crouler  du  haut  des  remparts  sur  les  ou- 
vrages de  siège  construits  par  son  armée,  des  tonneaux 
remplis  de  matières  inflammables ,  au  moyen  desquels  ils 
y  mirent  le  feu  (6).  C'est  donc  à  tort  que  Pline  a  borné 
l'usage  des  tonneaux  aux  contrées  voisines  des  Alpes  (7). 

(1)  Prodest  et  sapo  :  GaUiarum  hoc  inventum  reciitandis  capilîis  ;  fit  ex 
seho  et  cinere ,  inaximè  caprino  et  fagino  (Piin.,  loc.  cit.). 

Pline  semble  ici  être  en  erreur,  lorsqu'il  dit  que  les  Gaulois  fabriquaient  du 
savon  avec  des  cendres  ;  il  aura  confondu  lart  de  fabriquer  le  savon  de  cette 
substance,  avec  celui  d'en  extraire  la  potasse,  qui  servait  à  préparer  les  sa- 
vons (Reynier,  p.  327). 

(2)  Reynier,  p.  325.  Plin.,  1.  XXVÏII,  c.  8. 

(3)  Cum  exercitum  ducerem,....  regiones  accessi,  ubi  salem,  nec  fossicium, 
nec  maritimtim  haberent,  sed  ex  quihusdam  lignis  combustis,  carbonibus  saisis 
pro  eo uterentur  (Varro,c?e  re  rust.,  1.  ï,  c.  7.  Tacit.,  Annal,  1.  XIII.  Rougier 
de  la  Bergerie,  p.  341). 

(4)  Reynier,  p.  327. 

(5)  riin.,  1.  XXI,  c.  7,  39,  40. 

Rougier  de  la  Bergerie  prétend  que  Pline  a  confondu  le  nitre  ou  le  sal- 
pêtre avec  la  soude  (p.  341). 

(6)  Caes.,  1.  VIII,  c.  34. 

(7)  Plin.,  1.  XIV,  c.  27, 


—  148  — 

Les  Gaulois  exploitaient  des  mines  de  fer  et  de  cuivre. 
Diodore  de  Sicile  parle  des  mines  d'or  exploitées  par  les 
Celtes,  et  Possidonius  de  l'abondance  du  métal  quils  en 
liraient  (1).  Ce  qui  prouve  d'ailleurs  que  les  Gaulois 
étaient  habiles  dans  l'exploitation  des  lieux  souterrains , 
c  est  qu'ils  creusaient  la  terre  jusqu'à  la  profondeur  de  cent 
pieds  pour  en  extraire  la  marne  (2).  César  attribue  a  leur 
habitude  d'exploiter  les  mines,  l'habileté  qu'ils  montrèrent  à 
éventer  les  ouvrages  souterrains  qu'il  pratiquait  dans  le  siège 
de  leurs  places  fortes  (3).  Il  est  donc  fort  probable  que 
l'exploitation  de  plusieurs  mines  de  fer  et  de  cuivre  en 
Belgique  remonte  jusqu  a  l'époque  oii  cette  contrée  était 
encore  peuplée  par  des  Celtes.  Le  fer  préparé  par  les  Celtes 
était  d'une  qualité  supérieure  et  on  l'exportait  en  quantité 
à  Rome  (4).  Le  cuivre  des  Gaulois  était  également  d'une 
bonne  qualité ,  et  ils  avaient  l'art  de  le  modifier  par  diffé- 
rens  alliages  (5).  Ils  exploitaient  aussi  des  mines  de  plomb, 
et  possédaient  le  secret  de  rendre  l'étain  qu'ils  tiraient  de 
la  Grande-Bretagne,  moins  fusible  et  de  lui  donner  le  reflet 
de  l'argent  (6).  C'est  encore  des  Gaulois  que  les  Romains 
apprirent  le  secret  de  l'étamage,  dont  les  premiers  se 

(1)  Diod.  Sic,  1.  V.  Strabo,  1.  IV.  Athen.,  1.  IV. 

C'était ,  suivant  Diodore,  par  le  mode  du  lavage  que  les  Gaulois  recueil- 
laient lor,  et  non  par  une  exploitation  régulière.  Diodore  ajoute  qu'il  n'y 
avait  dans  les  Gaules  aucune  mine  d'argent. 

(2)  Reynier,  337. 

(3)  Illi,  allas  eruptione  tentatâ,  aliàs  cuniculis  ad  aggerem  vineasque 
actis,  cvj'us  rei  sunt  longe  peritissimi  Aquitani,  propterea  quod  multis  locis 
apud  eos  œrariœ  secturœ  sunt  (Cses.,  1.  III,  c.  21). 

uiggerem  cuniculis  subtrahehant,  eo  scientius,  quod  apud  eos  magnœ  sunt 
ferrariœ,  atque  omne  genus  cuniculorum  notum  atque  usitatum  est  (  1.  VU, 
c.  22). 

<4)Plin..  1.  XXXIV,  c.4l. 

(5)  Id.,  1.  XXXIV,  c.  2. 

(6)  Id.,  1.  XXIV,  c.  48,  49. 


—  149  — 

servaient  pour  lornement  des  chars  de  luxe ,  des  harnais  de 
chevaux  et  de  differens  meubles.  Les  Celtes  y  employaient 
non-seulement  l'ëtain  et  le  plomb,  mais  même  l'argent  (1). 

Le  commerce  des  Gaules,  lorsque  les  Romains  apprirent 
à  connaître  cette  vaste  re'gion ,  était  assez  actif  pour  un  pays 
encore  peu  civilisé  et  dans  une  anarchie  continuelle.  Les 
articles  de  commerce  que  fournissaient  les  Gaules,  étaient 
des  étoffes  de  différentes  qualités ,  des  salaisons  dont  celles 
préparées  sur  les  bords  de  la  Seine  étaient  les  plus  esti- 
mées (2),  des  peaux,  des  cuirs,  des  bois  de  construction, 
des  esclaves ,  des  chevaux ,  des  métaux ,  du  miel ,  des  trou- 
peaux d'oies ,  que  les  Morins ,  après  les  conquêtes  de  César, 
conduisaient  jusque  sur  les  marchés  de  Rome  (3),  des 
chiens  de  chasse  et  du  blé  (4).  Les  articles  d'importation 
étaient  moins  nombreux;  ils  consistaient  principalement 
en  vins,  huile  d'olives,  étain,  quelques  objets  d'art  et 
d'épicerie  en  petite  quantité  (5). 

Strabon  admire  les  avantages  qu'offraient  au  commerce  les 
côtes  étendues  et  les  fleuves  des  Gaules ,  et  décrit  en  même 
temps  les  voies  de  communication  et  les  moyens  dont  se 


(l)Plin.,  1.  XXXIV,  C.48. 

Pline  accorde  aux  Espagnols  et  aux  Gaulois  le  secret  de  convertir  le  sable 
en  verre  blanc  et  pur  :  Et  fit  vitrum  purum,  ac  massa  vitri  candidi.  Jam  vero 
etper  Gallias  Hispaniamqiie  simili  modo  arenœ  temperantur  (Plin.,  1.  XXXVI, 
c.  26).  L'expression  Jam  vero  paraît  indiquer  que  ce  secret  n'y  était  connu 
que  récemment. 

(2)  Strab.,  1.  IV.  Var.,  Ecart.,  1.  IV,  c.  4.  Athen.,  1.  XIV. 

(3)  Mirum  in  Jiâc  alite,  à  Morinis  usque  Romam  pedihus  ventre.  Fessi 
proferuntur  ad  primos  ;  ita  cœteri  stipatione  naturali  propellunt  eos  (Plin., 
1.  X,  c.  22). 

(4)  Plin.,  1  XVIII,  c.  12. 

(5)  Strabo,  1.  IV. 

Voir  aussi  Reynier,  p.  357  et  suiv.  Les  Gaulois  faisaient  venir  à  grand 
prix  des  chevaux  étrangers  (Cœs.,  1.  IV,  c.  2). 


—  150  -^ 

servaient  les  Gaulois  pour  le  transport  des  marchandises  : 
«On  ne  peut,  dit-il,  s'empêcher  de  reconnaître  Faction  de 
la  providence,  lorsqu'on  fait  attention  que  ces  dispositions 
du  pays  ne  sont  pas  dues  au  hasard ,  mais  ont  été  faites 
dans  un  but  déterminé;  le  Rhône,  en  effet ,  peut  se  remon- 
ter pendant  un  assez  long  espace  avec  des  vaisseaux  chargés, 
et  les  fleuves  navigables  qui  s'y  jettent,  facilitent  encore 
le  transport  des  marchandises  dans  divers  pays.  On  peut 
remonter  la  Saône  et  le  Doubs,  en  quittant  le  Rhône,  et 
ensuite  on  transporte  par  terre  les  marchandises  jusqu'à 
la  Seine  ;  ce  fleuve  les  porte  jusqu'à  l'Océan  et  au  pays  des 
Lexobiens  et  des  Caleliens;  de  là  la  traversée  n'est  pas  d'une 
journée  jusqu'en  Bretagne.  Le  Rhône  est  rapide  et  difficile 
à  remonter;  on  préfère,  en  conséquence,  malgré  le  voisi- 
nage de  ce  fleuve ,  transporter  parfois  dans  des  chars  les 
marchandises  qui  sont  destinées  pour  les  Arverniens  et 
pour  la  Loire  ;  ce  fleuve  les  reçoit  et  les  conduit  depuis  les 
Cévennes  jusqu'à  l'Océan.  De  Narbonne  on  remonte  le 
fleuve  Âtace,  dont  la  navigation  est  courte;  la  route  par 
terre  jusqu'à  la  Garonne  ,  est  plus  longue  ,   c'est-à-dire 
qu  elle  a  sept  ou  huit  centsstades;  la  Garonne  conduit  aussi 
à  l'Océan  (1).  »  Si  Strabon  ne  parle  point  des  fleuves  de  la 
Belgique,  c'est  que  de  son  temps  cette  contrée  était  habitée 
par  des  peuples  germaniques  qui  s'adonnaient  peu  au  com- 
merce, comme  nous  le  verrons  dans  la  suite  ;  mais  lorsque 
la  Belgique  était  encore  occupée  par  des  Celtes ,  le  com- 
merce, surtout  le  commerce  maritime,  doity  avoir  été  aussi 
actif  que  dans  d'autres  parties  des  Gaules,  témoins  les 
nombreuses  émigrations  des  Celto-Belges  dans  les  îles  de  la 
Grande-Bretagne . 

Il  paraît  que  les  négocians  gaulois    se  servaient  peu 

(1)  Strab.,  1.  IV.  Picot,  tom.  3,  p.  177. 


--^  151  — 

des  ports  de  TOcéan  et  qu'ils  préféraient  les  embouchures 
des  fleuves  ;  Strabon  assure  du  moins  que  les  quatre  pas- 
sages usités  pour  se  rendre  des  Gaules  dans  la  Grande-Bre- 
tagne, étaient  les  embouchures  du  Rhin,  de  la  Seine,  de 
la  Loire  et  de  la  Garonne.  Cependant  il  ajoute  que  ce  n'é- 
tait point  de  Fembouchure  du  Rhin  qu'on  partait  directe- 
ment ,  mais  du  port  d'Itium ,  sur  la  côte  des  Morins  (1).  Ce 
fut  en  effet  a  ce  port  que  s'embarqua  César,  lorsqu'il  tenta 
la  conquête  de  l'Angleterre  :  «On  peut,  dit  Picot,  con- 
clure de  ce  passage  de  Strabon  ,  que  les  ports  ,  maintenant 
si  nombreux  sur  les  cotes  de  la  France  depuis  la  Zélande 
jusqu'à  Bayonne ,  étaient  autrefois  peu  connus  des  marins  ; 
une  pareille  ignorance  a  lieu  d'étonner  ,  il  faut ,  en  parti- 
culier,  c[ue  la  navigation  fut  bien  dans  son  enfance,  pour 
que  le  port  de  Brest,  dont  l'enceinte  est  si  vaste  et  si  com- 
mode ,  et  dont  l'entrée  est  si  merveilleusement  défendue  , 
n'ait  pas  eu,  dès  ces  temps  la,  la  célébrité  qu'il  méri- 
tait (2).  » 

Les  vaisseaux  dont  les  peuples  maritimes  des  Gaules  se 
servaient,  étaient  construits  en  chêne.  Ils  avaient  la  poupe  et 
la  proue  fort  élevées,  mais  la  carène  moins  proéminente  que 
celle  des  navires  romains,  afin  de  tenir  plus  facilement  l'eau 
dans  les  basses  marées  et  les  bas -fonds.  Les  planches  et  les 
poutres  du  navire  étaient  attachées  par  des  clous  de  fer  de  la 
grosseur  d'un  pouce.  Les  voiles  étaient  de  peau  et  les  ancres 
affermies  par  des  cliaines  de  fer  (3).  Pline  rapporte  que  les 


(1)  Strab.,1.  IV. 

(2)  Picot,  t.  3,  p.  181. 

(3)  Carinœ  aliqttanio  pîaniores  quani  nastrarum  navium,  guo  facilius 
vada^  ac  decessum  œstus  excipere  passent  :  prorœ  admodùm  ereciœ,  atqnc 
itempup'pes  ad  magnitudinem  fluctuum  tempe statumque  accommodatœ.  lYaves 
totœ  factœ  ex  rohore,  ad  quamvis  vim  et  coutumeliam  perferendani  :  fransira, 
pedalibus  in  altitudinem  trahihus,   confixa  cïavibus  fetrei^,   digiti  pollicis 


—  152  — 

Belges  se  servaient  de  panicules  de  roseaux ,  pour  remplir 
les  fentes  de  leurs  vaisseaux  ;  ils  les  broyaient  à  cet  effet , 
et  trouvaient  que  les  navires  en  e'taient  mieux  calfeulrés 
quavec  la  poix  même  (1).  Strabon  dit  que  la  matière  qu'ils 
y  employaient  était  l'algue  (2).  César  admire  la  légèreté  de 
ces  navires  et  l'habileté  des  marins  gaulois  a  les  conduire  (3). 

Pour  la  navigation  sur  les  eaux  intérieures ,  les  Gaulois 
se  servaient  ordinairement  de  canots  creusés  dans  un  tronc 
d'arbre  (4). 

Les  transports  par  terre  se  faisaient  la  plupart  a  dos 
de  chevaux  ou  sur  des  chariots  à  deux  ou  quatre  roues  que 
les  Gaulois  appelaient  pe^onïa  (5). 

Les  distances  itinéraires  se  mesuraient  dans  les  Gaules 
par  lieues  (leugœ),de  1500  pas  chacune.  Quant  à  des  routes 
pavées,  il  n'en  existait  aucune  avant  l'époque  de  la  domina- 
tion romaine.  C'est  à  Agrippa,  gouverneur  des  Gaules,  sous 
le  règne  d'Auguste ,  que  ces  dernières  furent  redevables  de 
ces  superbes  voies  militaires  qui,  partant  de  la  ville  de  Lyon 
comme  d'un  centre  commun,  s'étendirent  en  vastes  rayons 
jusque  dans  les  parties  les  plus  réculées  de  la  Celtique. 


erassitudine  ;  anchorœ  pro  funibus,  ferreis  catenis  revinctœ  ;  pellis  pro  velis, 
aîutœque  ienuiter  confeclœ,  sivè  propter  Uni  inopiam  atque  ejus  usus  in- 
scientiam;  sivè  eo  quod  est  magis  verisimile,  quod  tanta  tempestales  oceani 
tantosque  impetus  ventorum  sustineri,  ac  tanta  onera  navium  régi  velis  non 
satis  commode  arbitrabantur  (Caes.,  1.  III,  c.  13.) 

(1)  Plin.,  1.  XYI,  c.  36. 

(2)  Strabo,  I.  IV. 

(3)  Caes.,  1.  III,  c.  13. 

(4)  Tite-Live  dit ,  en  parlant   du  passage  d'Annibal   dans   les  Gaules  : 
JVavesque  alias  Galli  incohantes,  cavabant  ex  sîngulis  arboribus. 

(5)  Aulug.,  IVoct  attic.  I.   XV,  c.  30.  Reynier,  p.  330. 

On  appelait  du  nom  de  Benn  les  voitures  gauloises ,  de  quelque  espèce 
quelles  fussent.  On  nomme  encore  de  nos  jours,  dans  la  partie  centrale  de 
X       la  France,  bannes  ou  hanneaux  les  chariots  destinés  au  transport  du  char- 
bon. 


^  153  - 

Nous  terminerons  ici  ce  long  chapitre  sur  les  mœurs  et 
les  usages  des  Celto-Belges ,  où  nous  n'avons  pu  donner 
qu'un  tableau  succinct  et  rapide,  quoi c]ue  complet,  nous 
osons  le  dire ,  de  la  vie  privée  des  Celtes  en  général ,  faute 
de  documens  anciens  sur  les  Celto-Belges  en  particulier. 
Toutefois  la  matière  était  encore  si  riche,  que  le  cadre  de 
notre  ouvrage  nous  a  imposé  la  nécessité  d'être  de  la 
plus  grande  concision  et  de  nous  borner  à  rapporter  les 
faits  dans  toute  leur  simplicité  et  a  en  écarter  toute  ré- 
flexion qui  ne  fut  point  indispensable  a  l'éclaircissement  du 
sujet.  Cette  concision  aura  pu  répandre  quelque  sécheresse 
dans  notre  récit  ;  mais  comme  nous  Tavons  déjà  dit  dans 
la  préface,  en  écrivant  cet  ouvrage,  œuvre  de  patience  et 
de  recherches  consciencieuses ,  nous  n'avons  nullement  eu 
l'ambition  de  faire  de  la  littérature.  Décrire  l'état  primi- 
tif de  notre  patrie,  rectifier  des  erreurs  reçues  jusqu'ici 
comme  des  vérités ,  jeter  c|uelque  jour  sur  des  faits  obscurs 
et  peu  connus ,  voilà  notre  seul  but  ,  la  seule  tâche  que 
nous  nous  sommes  imposée. 

Dans  le  chapitre  suivant  où  nous  décrirons  les  mœurs  et 
les  usages  des  Germano-Belges,  la  matière  sera  bien  plus 
ample  encore  que  dans  celui  que  nous  venons  de  terminer  ; 
la  les  données  historiques  ne  manquent  pas ,  à  commencer 
par  César,  Strabon  ,  Tacite  et  Pline,  jusqu'aux  codes  des 
peuples  germains ,  aux  légendes ,  aux  capitulaires  et  a  nos 
anciennes  chartes.  Une  extrême  concision  nous  est  donc  en- 
core commandée  dans  ce  chapitre.  Dire  beaucoup  de  choses 
en  peu  de  mots  était  une  loi  chez  les  Spartiates  ;  elle  en  sera 
également  une  pour  nous.  L'immortel  Tacite  nous  en  a 
fourni  l'exemple  dans  son  excellent  traité  des  mœurs  des 
Germains,  un  des  livres  les  plus  précieux  que  l'antiquité 
nous  a  légués,  et  auquel  nous  aurons  recours  sans  cesse. 


—  Î54  ~ 


CHAPITRE  V. 


Qualités  physiques  et  morales,   mœurs,   usages,    cuite    et  industrie 
des   Germiano-Selges. 


Manquant  de  documens  particuliers  sur  les  mœurs  et 
les  usages  des  Ceko-Belges,  nous  avons  du,  dans  le  chapitre 
précèdent ,  puiser  a  ceux  que  les  anciens  nous  ont  transmis 
sur  les  Celtes  en  gênerai.  Grâce  k  Cësar  ,  à  Strabon  ,  à 
Tacite,  à  Pline  et  a  d'autres  écrivains  romains  des  quatre 
premiers  siècles  de  1  ère  vulgaire ,  nous  trouverons  ici  une 
foule  de  faits  qui  se  rapportent  aux  Germano-Belges  exclu- 
sivement ;  cependant  quelqu'intéressans  que  soient  ces  docu- 
mens ,  ils  ne  suffisent  point  encore  pour  donner  un  tableau 
complet  des  moeurs  et  des  usages  des  Germains  qui  occu- 
pèrent la  Belgique  depuis  Tëpoque  que  nous  avons  désignée 
dans  un  des  chapitres  prëcëdens.  Nous  aurons  donc  en- 
core recours  ici  aux  documens  anciens  qui  concernent 
tous  les  peuples  germaniques ,  particulièrement  aux  lois 
des  Francs-Saliens  et  Ripuaires ,  des  Allemands ,  des  Fri- 
sons, des  Saxons,  des  Bourguignons,  des  Lombards,  des 
Visigoths,  etc. 

En  effet,  si ,  dans  le  chapitre  précèdent,  nous  avons  osé 
attribuer  aux  Ceito-Belges ,  une  grande  partie  des  moeurs 
et  des  usages  des  Gaulois  en  général,  nous  pouvons  avec 
plus  de  raison  encore ,  rendre  communs  aux  Germano- 
Belges  ,  le  culte  et  la  vie  privée  des  habitans  de  la  Grande- 
Germanie;  car,  fiers  de  leur  origine,  les  Germano-Belges 


—  155 


conservèrent  intactes  les  traditions  et  les  mœurs  de  la  mère 
patrie  et  ne  se  confondirent  jamais  avec  les  Celtes  dont  ils 
habitaient  le  territoire. 

Sans  doute,  il  existait  une  certaine  conformité'  entre  les 
qualités  physiques  et  morales  et  enlre  certains  usages  des 
Germains  et  des  Celtes;  mais  lorsque  Strabon  conjecture 
que  de  cette  ressemblance  partielle  ait  pu  tirer  son  origine 
la  dénomination  des  Germains  (frères) ,  comme  si  les  Celtes 
et  les  Germains  étaient  deux  nations  de  même  race,  cet 
auteur  prouve  non-seulement  cju  il  n^avait  que  des  notions 
fausses  et  erronées  sur  Thistoire  primitive  des  Celtes  et  des 
Germains  ,  mais  cju'il  ignorait  encore  la  véritable  origine 
du  nom  de  ces  derniers.  Il  est  du  reste  de  toute  probabilité 
que  Strabon  n'aura  compare'  les  mœurs  et  les  coutumes  des 
Germains  d outre-Rhin,  cjuavec  celles  des  peuples  de  la 
Gaule  septentrionale ,  c'est-à-dire ,  avec  celles  des  peuples 
de  la  Belgique  actuelle,  qui  eux-mêmes  étaient  d'origine 
germanique  et  cfui  de  tous  les  régnicoles  de  la  Gaule ,  pou- 
vaient être  seuls  qualifiés  de  peuples  frères  des  Germains; 
sous  ce  rapport  l'assertion  de  Strabon  est  juste;  mais  cjuand 
elle  s'applique  à  tous  les  peuples  de  la  Gaule,  elle  est  évi- 
demment fausse. 

Au  reste,  si  quelques  usages  des  Gaulois  étaient  conformes 
à  ceux  des  Germains ,  c'est  cjue  ces  coutumes  se  retrouvent 
chez  tous  les  peuples  barbares,  comme  nous  l'avons  déjà 
observé  plus  haut.  Si  au  physique  les  Celtes  ressemblaient 
aux  Germains,  c'est  au  climat  et  à  la  vie  guerrière  des  uns 
et  des  autres  ,  qu'il  faut  encore  l'attribuer.  Mais  à  part  ces 
particularités  ,  les  peuples  germains  avaient  un  culte, des 
lois,  des  mœurs  et  des  usages  diamétralement  opposés  à 
ceux  des  Gaulois,  Quoicjue,  comparés  aux  peuples  modernes 
qui  occupent  aujourd'hui  leur  territoire,  les  Celtes  ne  puis- 
sent être  considérés  cjue  comme  une  nation  barbare,  ils 


—  156  — 

étaient  néanmoins  plus  civilisés  que  les  Germains  (I). 
Les  Celtes  étaient  une  nation  sédentaire  et  amcole:  tandis 
que  les  Germains ,  peuple  pasteur  et  nomade,  négligeaient 
la  culture  et  changeaient  sans  cesse  de  demeure.  Delà  plu- 
sieurs écrivains  anciens  ont  avancé  que  les  Germains  étaient 
de  même  race  que  les  Sarmates  et  les  Scythes  (2).  En  com- 
parant le  contenu  de  ce  chapitre  avec  celui  du  chapitre  pré- 
cédent, on  verra  combien  l'assertion  de  Strabon  est  fausse, 
et  combien  étaient  faibles  les  connaissances  que  les  Grecs 
et  les  Romains  avaient  acquises  de  son  temps  sur  la  vie 
privée  des  Germains.  Le  parallèle  à  faire  entre  les  mœurs 
et  les  usages  des  Celtes  et  des  Germains  ,  ou  des  Celto-Belges 
et  des  Germano-Belges  sera  d'autant  plus  facile  que  nous 
suivrons  dans  la  division  de  ce  chapitre,  le  mode  que  nous 
avons  adopté  dans  celui  qui  précède. 

§  1. 

Qualités  physiques  et  morales  des  Germano-Belges. 

«  J'adhère  ,  dit  Tacite ,  au  sentiment  de  ceux  qui  pen- 
sent que  les  Germains ,  chez  qui  la  pureté  du  sang  ne  fut 

(1)  Hirtius  le  fait  clairement  entendre,  lorsque,  parlant  des  Tréviriens, 
peuple  belge  d'origine  germanique,  il  dit:  ^Mora^n  (Trevirorum)  civitas, 
propter  Germaniœ  vicinitatem,  quotidianis  exercitaii prœliis,  cuîtu  et  feritate 
non  multum  à  Germanis  differebat  (Hirtii  Comment,  de  hello  Gall,  1.  VIII, 
c.  25).  Ammien  Marcellin  rend  le  même  témoignage  des  Belges  en  général. 

(2)  Scytharum  nomen  transit  in  Sarmatas  atque  Germanos  (Plin.,  Hist 
nat,  1.  IV,  c.  12). 

Pline  classe  parmi  les  peuples  Germains,  les  Peucins,  les  Bastarnes,  les 
Venetes  et  les  Fennes  ;  mais  Tacite  doute  avec  raison  s'il  faut  les  y  com- 
prendre, Aventin,  auteur  du  15^  siècle,  rapporte  que  les  anciens  Hongrois, 
descendans  des  Huns,  donnaient  aux  Germains  le  nom  de  Scythes  et  de 
Scythules. 


-  157  - 

jamais  altérée  par  des  alliances  étrangères,  ont  le  caractère 
propre  et  original  d'une  même  famille  ,  n'ayant  de  ressem- 
blance qu'entr'eux.  De  la  aussi  celle  du  corps ,  la  même 
chez  tous  les  peuples ,  quoiqu'innombrables ,  cet  oeil  bleu 
et  farouche,  ces  cheveux  d'un  rouge  ardent  (1),  cette  taille 
haute  et  avantageuse  seulement  dans  un  premier  choc  ;  ce 
découragement  qui  les  éloigne  d'un  travail  fatigant  et  con- 
tinu ;  succomber  à  la  soif  et  à  la  chaleur ,  résister  au  froid 
et  à  la  faim,  telle,  sous  ce  climat,  est  leur  tempérance  (2).» 

Ces  traits  sous  lesquels  Tacite  dépeint  les  Germains,  n'é- 
taient point,  c[uoiqu'en  dise  cet  auteur,  propres  a  ces  derniers 
seuls;  ici  la  ressemblance  entre  les  Celtes  et  les  Germains 
était  même  parfaite,  et  ce  que  nous  avons  dit  dans  le  chapitre 
précédent  sur  les  qualités  physiques  des  Celtes ,  est  en  tout 
point  conforme  au  tableau  de  celles  des  Germains,  tracé 
par  Tacite.  Ce  n'est  point  au  reste,  nous  le  répétons,  a  une 
communauté  d'origine  qu'on  doit  attribuer  cette  ressem- 
blance du  physique  du  Germain,  avec  celui  du  Celte,  mais 
à  Tinfluence  du  climat  qui,  a  cette  époque,  était  a  peu  près 
aussi  rigoureux  dans  une  grande  partie  des  Gaules ,  que 
dans  la  Germanie.  La  plupart  des  Celtes  devaient  donc 
alors  avoir  le  type  commun  a  tous  les  peuples  septentrio- 
naux ,  les  yeux  bleus  ,  la  chevelure  blonde  et  la  taille 
haute. 

Ce  qui  étonnait  le  plus  les  Grecs  ou  les  Romains  en 
voyant  pour  la  première  fois  une  armée  de  Celtes  et  de 
Germains ,  c'était  la  stature  colossale  de  ces  hommes  du 


(1)  ISamque  rutilœ  Caledonum  habitantium  comœ,  magni  arfus,  germant- 
cam  originem  asseverant  (Tacit.,  Vita  agricolœ.) 

lllinc  flaventi  sicambri  Cesarie. 

(Claudian,  Laud.  stilic,  I.  V.) 
Flava  peringentes  surgit  Germania  partus 

(Lucarn.  Pkars.,  1.  II.) 

(2)  Tac,  Mor.  Germ.,  c.  4. 


—  153  - 

nord,  qui  contrastait  d'une  manière  si  étrange  avec  celle 
des  peuples  méridionaux.  S'il  faut  en  croire  quelques  au- 
teurs anciens,  la  taille  ordinaire  d'un  Germain  était  de  sept 
pieds  (1).  Lorsque  César  forma  le  siège  de  V Oppidum  ^  où 
les  A-tuatiques  s'étaient  réfugiés  après  la  défaite  des  Ner viens, 
du  haut  de  leurs  murs  les  assiégés  ne  cessèrent  de  railler 
les  Romains ,  sur  l'exiguité  et  la  faiblesse  de  leur  stature. 
Car,  dit  César,  la  plupart  des  peuples  de  la  Gaule  nous 
méprisent  à  cause  de  la  petitesse  de  notre  taille  (2).  Cet 
auteur  rapporte  encore  que  l'air  farouche  et  l'énorme  sta- 
ture des  Germains  qui  composaient  l'armée  d'Arioviste, 
inspirèrent  une  telle  terreur  a  ses  soldats,  tout  braves  qu'ils 
étaient,  c|ue  regardant  leur  perte  comme  certaine  ,  beau- 
coup d'entr'eux  firent  leur  testament  avant  de  marcher 
contre  l'ennemi  (3).  César  attribue  cette  force  et  cette  vi- 
gueur des  Germains,  comme  celle  des  Celtes,  a  leur  ma- 

(1)  Sidon.  Jpol,  1.  Vm,  epist.  9.  " 

Dans  un  registre  des  archives  de  la  ville  d'Aerschot  nous  avons  trouvé  le 
procès-verbal  delà  découverte  du  tombeau  d'un  géant,  faite  au  village  de  Rot- 
selaer,  dans  le  17^  siècle.  Le  squelette  avait  douze  pieds  de  longueur.  Nous  pu- 
j  blierons  dans  la  Bibliotiiéque  des  Antiquités  Belgiques  ou  dans  le  Poîygraphe 
belge,  cette  pièce  signée  par  notaire  et  témoins,  et  curieuse,  ne  fut-ce  que 
par  la  manière  bizarre  dont  elle  est  rédigée. 

(2)  Cœs.,  1.  II,  c.  30. 

(3)  Tantus  subito  timor  omneni  exercitum  occupât it  ^  ut  non  mediocriter 
omnium  mentes  animosque  pertarharet.  Hic  primum  ortus  est  à  tribunis  mi- 
litum,  prœfectis,  reliquisque,  qui  exurbe,  amicitiœ  caussa,  Cœsarem  secuii, 
magnum  periculum,  miserabantur,  quod  non  magniim  in  rs  militari  usum 
habebant;  quorum  alius,  alia  caussa  illata,  quam  sibi  ad  projîciscevclum  ne- 
ce  ssariam  esse  diceret,  petebat  ut  ejusvoluntate  discedere  liceret;  nonnuUi, 
pudore  adducti,  ut  timoris  suspicionem  vitarent,  remanebant.  Hi,  neque  vul- 
tiim  fiiigere,  neque  interdùm  lacrimas  tenere  poterant  :  abdiii  intabernaculis, 
aut  suum  fatum  querebantur,  aut  cum  familiarïbus  suis  commune  periculum, 
miserabantur.  Volgo  totis  castuis  testamenta  obsignabantur.  Ilorum  voci- 
hus  ac  timoré,  paulatim  etiam  ii ,  qui  magnum  in  castris  usum  habebant, 
milites,  centurionesque ,  quiquè  equitati prœerant,  perturbabantur.  Qui  se  ex 
his  minus  timidos  existimare  volebanl ,  non  se  hostem  vereri,  sed  augustias 


—  159  — 

iiière  de  se  nourrir ,  aux  mâles  exercices  auxcjuels  ils  se 
livraient  et  a  leur  éducation  toute  militaire  (1). 

«  Chez  les  enfans  nus  et  partout  affranchis  du  tour- 
ment de  la  contrainte,  dit  Tacite,  se  développent  ces  corps, 
ces  membres  qui  nous  étonnent;  chaque  mère  allaite  ses 
enfans  ,  et  on  ne  les  confie  point  a  des  domestiques  ou  a  des 
nourrices  :  enfant  ou  esclave  de  la  maison  J'un  n  est  pas  soi- 
gné plus  délicatement  cjue  l'autre  ;  parmi  les  mêmes  trou- 
peaux, sur  la  même  litière,  ils  attendent  que  la  différence 
d'origine  se  déclare  avec  Fàge,  se  reconnaisse  au  mérite. 

»  Les  jeunes  gens  sacrifient  tard  a  l'amour ,  et  leur  pu- 
berté n'en  est  que  plus  vigoureusement  développée.  L'on  ne 
hâte  pas  non  plus  l'établissement  des  filles;  même  fraîcheur 
de  jeunesse  ,  pareil  embonpoint ,  l'âge  et  la  force  du  tem- 
pérament les  assortissent ,  et  l'heureuse  constitution  des 
pères  se  reproduit  chez  les  enfans  (2).  » 

Sous  le  rapport  des  qualités  morales  ,  les  peuples  de  race 
germanique  avaient  encore  une  grande  conformité  avec  les 
peuples  celtes.  Comme  ces  derniers,  ils  possédaient  les 
vertus  et  avaient  les  vices  et  les  défauts  propres  a  l'homme 
brut.  Ils  étaient  adonnés  a  la  paresse  ,  au  jeu  et  a  l'ivro- 
gnerie ,  colèi^es ,  querelleurs  ,  farouches ,  ignorans  et  par 
conséquent  superstitieux.  «  Tant  que  les  Germains  ne  sont 
pas  en  campagne ,  dit  Tacite ,  ils  chassent  peu ,  perdant 

iiineris  et  mdgnitudinem  siharum  quœ  intercédèrent  inter  ipsos  atque  Ario- 
vistum,  aut  rem  frumetitariam,  ut  satis  commode  suhportari  posset ,  timere 
dicebant.  Nonnidli  eliam  Cœsari  renunciahant,  quum  castra  moveri,  ac  signa 
ferri  jussisset ,  non  fore  dicto  audientes  milites ,  neque  propter  timorem  si- 
gna laturos.  (  CsBS.,  1.  I,  c.  39.) 

(1)  .  .  .  Mullumqiie  snnt  in  venationibus  :  quœ  res  et  cibi  génère,  et  quo- 
tidiana  exercitaiione  et  libertate  vitœ  [quod  a  pueris  millo  offîcio  aut  disci- 
plina adsuefacli,  nihil  omnino  contià  voluntatem  faciunt)  et  vires  alit  et 
inmani  corporum  magnifudine  homines  efficit  (Ca3S.,  I.  IV,  c.  1.) 

(2)  Tacit,  M.  G.,  c.  20. 


—  160  — 

beaucoup  plus  de  temps  au  lit  et  a  la  table  :  le  plus  robuste, 
le  plus  belliqueux  Germain ,  abandonnant ,  dans  son  inac- 
tion ,  le  soin  de  sa  famille  ,  la  culture  de  la  terre ,  la  con- 
duite de  toutes  ses  affaires  domestiques  aux  femmes ,  aux 
vieillards,  aux  plus  faibles  de  la  maison ,  végète,  par  l'effet 
d'un  contraste  frappant  dans  son  humeur ,  aussi  ennemie 
du  repos  que  portée  à  Tindolence. 

ce  Joindre  le  jour  a  la  nuit  en  buvant,  n'est  sujet  a  aucun 
reproche  ;  souvent  leur  ivresse  engendre  des  querelles,  ter- 
mine'es  rarement  par  des  paroles  offensantes,  plus  com- 
munément par  des  meurtres  ou  des  blessures  .  .  .  Satis- 
faites sans  réserve  leur  passion  pour  la  boisson ,  ils  seront 
aussi  facilement  subjugués  par  la  débauche  que  par  les 
armes  (1).  » 

Le  vice  d'incontinence  ,  que  Tacite  impute  aux  Ger- 
mains en  général ,  n'était  point  cependant  celui  de  tous  les 
peuples  teutons  sans  exception  ;  car  les  Suèves  ,  et  la  prin- 
cipale des  peuplades  germano-belges,  les  Nerviens,  non- 
seulement  en  étaient  exempts ,  mais  ne  souffraient  même 
pas  qu'aucun  marchand  étranger  pénétrât  sur  leur  terri- 
toire et  défendaient  sévèrement  l'usage  du  vin  et  de  tout 
ce  qu^ils croyaient  capables  d'amollir  leurs  mœurs  etporter 
atteinte  à  leur  passion  pour  les  combats  et  la  vie  des 
camps  (2).  Renoncez,  disaient  les  Tenchtres  aux  Ubiens, 
dans  la  révolte  des  Bataves ,  sous  le  règne  de  Vespasien , 
renoncez  aux  voluptés  dont  les  Romains  se  servent  encore 
plus  utilement  que  des  armes  pour  affaiblir  leurs  sujets  (3). 

(1)  Tac,  M.  G.  c.  15,  22,  23.  Peloutîer,  Hist.  des  Celtes,   tom.  2,  p.  534. 

(2)  Nullum  aditum  esse  ad  eos  (Nervios)  mercatoribus  :  niliil  pati  vini 
reliquarumque  rerum  {^ad  luxuriam  pertinentium  )  inferri,  quod  his  rébus 
relanguescere  animos  et  eorumremittivirtutemexistimarenf(CsdS.,\.ll,c.  15. 
1  IV,  c.  64.) 

(3)  Tacit.,  Hist,  1.  IV. 


—  161  — 

Nous  parlerons  plus  loin  de  la  funeste  passion  que  les 
Germains  avaient  pour  le  jeu,  passion  à  laquelle  ils  sacri- 
fiaient jusqu'à  leur  liberté. 

Tacile  impute  aux  Germains,  ce  que  Florus,  Polybe,  Tite- 
Live  et  d'autres  auteurs  anciens  reprochent  e'galement  aux 
Gaulois,  d'être  d'une  insolence  sans  bornes  dans  la  victoire 
et  la  prospérité,  et  de  se  laisser  facilement  abattre  par  les 
revers  (1).  Ce  blâme,  les  peuples  germains  nous  parais- 
sent lavoir  peu  mérité.  Peut-on  accuser  de  faiblesse  les 
Nerviens ,  qui ,  lorsque  la  plupart  des  autres  peuples  des 
Gaules  se  soumirent  bénévolement  au  joug  que  leur  imposa 
César,  défendirent  pendant  neuf  ans  leur  liberté  et  leur 
indépendance  malgré  les  échecs  continuels  qu'ils  éprouvè- 
rent en  se  mesurant  avec  une  armée  nombreuse ,  formée 
dans  la  tactique  militaire  et  commandée  par  un  des  plus 
grands  généraux  qui  aient  existé ,  et  ne  déposèrent  les 
armes  que  lorsqu'ils  eurent  obligé  les  Romains  a  respecter 
leur  nationalité  et  à  les  traiter  en  peuple  libre?  Manquè- 
rent-ils de  caractère  et  d'énergie ,  les  Germains ,  qui  pen- 
dant plus  de  quatre  siècles  résistèrent  courageusement  à 
tous  les  efforts  que  firent  les  Romains  pour  leur  faire  parta- 
ger le  sort  de  tous  les  peuples  du  midi  de  l'Europe  et  par- 
vinrent eux-mêmes  à  détruire  et  à  conquérir  le  plus  vaste 
empire  du  Globe  ? 

La  colère ,  la  cruauté,  défauts  que  les  anciens  reprochent 
également  aux  Germains,  étaient,  comme  chez  les  Celtes, 
le  résultat  de  leur  éducation  et  de  la  barbarie  dans  laquelle 
ils  étaient  plongés^  plutôt  que  celui  d'un  naturel  méchant 
et  pervers. 

(1)  Jam  corpus  ut  visu  torvum ,  et  ad  hrevem  impetum  validum;  sine 
nullâ  vuinerumpatientiâ,  sine  pudore  flagitii,  sine  curâducum,  ahire,  fu- 
gere  :  pavidos  adversus ,  inter  secunda  ,  non  divini ,  non  humant  memores 
(Tacit.,  Annal.,  1.  I,  c.  14.) 

Tome  I.  11 


—  162  — 

Ce  qui  le  prouve ,  c'est  que  Thospitalité  était  une  vertu 
que  les  ennemis  même  des  Germains  ont  été  oblige's  d'a- 
vouer dans  cette  nation  non  moins  que  dans  celle  des  Celtes. 
«  A  le'gard  des  hôtes  et  des  convives,  dit  Tacite,  aucune  na- 
tion ne  les  traite  plus  généreusement  :  refuser  le  logement 
à  qui  que  ce  soit  des  humains,  passe  pour  une  barbarie.  Le 
maître  de  la  maison  régale  les  étrangers  suivant  son  pou- 
voir ;  les  provisions  consommées,  celui  qui  naguère  exerçait 
rhospitalité,  la  leur  indique,  en  les  accompagnant  jusqu'à  la 
maison  voisine,  où  tous  s'établissent,  sans  y  être  invités; 
n'importe ,  ils  y  trouvent  un  même  accueil  cordial  ;  ami , 
inconnu ,  tous ,  quant  aux  mœurs  hospitalières ,  sont  égaux  : 
à  leur  départ ,  s'ils  demandent  quelque  chose ,  communé- 
ment on  la  leur  accorde  ;  et  en  récompense ,  on  use  avec 
eux  de  la  même  liberté.  Tout  présent  flatte  les  Germains; 
mais  ils  ne  prétendent  avoir  ni  plus  de  mérite  en  donnant, 
ni  plus  d'obligations  en  recevant;  ils  n'en  exercent  pas 
l'hospitalité  avec  moins  de  douceur  (1).  « 

(1)  Tac,  iltf.  G.,  c.  21  et  31. 

Hospites  violare,  fas  non  putant.  Qui,  quaque  de  causa,  adcos  venierinf, 
ah  injuria  prohibent,  sanctosque  hahent;  ils  omnium  domus  patent  victnsque 
communicatur  (Gses,,  1.  VI ,  c-  23). 

La  loi  des  Bavarois  condamnait  h  une  double  amende  celui  qui  avait  com- 
mis quelque  délit  contre  un  voyageur  (Lex  Bajuv.,  tit.  2,  §  14),  Celle  des 
Bourguignons  porte  :  Quicumque  hospiti  (  Al.  hospitium)  venienti  lectum 
aut  focum  negaverit,  trium  solidorum  inlatione  mulctetur  {[M.  38.  1.  1).  Un 
Bourguignon  qui,  au  lieu  de  loger  lui-même  un  étranger,  l'aurait  envoyé  a  la 
maison  d'un  Romain,  était  condamné  a  payer  a  ce  dernier  31  sols  et  à  une 
amende  (fredum)  de  la  même  somme  :  si  c'était  un  serf  qui  s'était  rendu  cou- 
pable de  ce  délit ,  il  était  condamné  au  fouet.  Helmoldus,  auteur  du  l3®  siècle, 
rapporte  que  de  son  temps,  on  pouvait  brûler,  en  Prusse,  la  maison  de  celui 
qui  avait  refusé  rhospitalité  à  un  étranger  (Chron.  Slav.,  c.  82).  Les  codes 
visigoth  et  lombard  permettent  au  voyageur  de  séjourner  deux  fois  vingt- 
quatre  heures  dans  les  parcours ,  d'y  faire  paître  ses  bestiaux ,  de  prendre 
dans  les  forêts  le  bois  nécessaire  au  chauffage  et  les  feuilles  des  arbres  pour 
la  nourriture  de  son  bétail  {L.  Fis.,  1.  VIII,  e.  4,  §27.  Long.,  l  III,  c.  4,  §  l). 


—  163  — 

La  plupart  des  écrivains  anciens  rendent  justice  à  la 
droiture  et  à  la  bonne  foi  des  Germains.  Aussi  les  empe- 
reurs romains,  connaissant  la  fidélité  de  ces  peuples  a  leur 
parole  donnée,  choisirent-ils  des  Germains  pour  composer 
leur  garde  intime,  et  l'on  cite  plusieurs  traits  du  dévoue- 
ment de  ce  corps  militaire  lorsque  la  vie  de  ses  maîtres 
se  trouvait  menacée  et  que  ceux-ci  se  voyaient  aban- 
donnés par  leurs  propres  sujets  (1).  Il  est  cependant  quel- 
ques auteurs  grecs  et  romains  ,  tels  que  César ,  Strabon  et 
Paterculus ,  qui  rendent  un  tout  autre  témoignage  de  la 
foi  des  Germains ,  que  ce  dernier  appelle  des  hommes  nés 
pour  le  mensonge  (2).  Mais  le  témoignage  de  ces  auteurs 
nous  est  suspect  et  peut  avoir  été  dicté  par  l'esprit  départi. 
Sans  doute,  les  Germains,  malgré  leur  fidélité  à  remplir  les 
engagemens  qu'ils  avaient  contractés ,  ont  pu  parfois  s'en 
écarter,  parce  qu'ils  se  seront  crus  en  droit  d'user  de  tous 
les  moyens  qui  étaient  en  leur  pouvoir,  pour  se  défaire  d'in- 
justes agresseurs  qui  leur  avaient  donné  eux-mêmes  tant 
d'exemples  de  perfidie  et  d'iniquité ,  a  commencer  par 
César,  que  le  sévère  Caton  aurait  voulu  livrer  aux  Ger- 
mains pour  que  les  barbares  ne  pussent  accuser  les  Romains 
d'avoir  approuvé  la  conduite  révoltante  de  ce  général  à 
l'égard  des  Teuchtres  et  des  Usipètes  (3). 

La  valeur  et  l'amour  de  la  liberté  n'étaient  pas  moins 

(1)  Tacit.,  Annal,  1.  XIII,  c.  54.  Hist,  1.  III,  c.  85.  Sueton.,  in  Galb.,  c.  20. 
InClaud.,  c.  25.  Xlphlli.,  1.  LXV.  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  14.  1.  V,  c.  83. 

(2)  Strab.,  1.  VII.  Paterc,  1.  II,  c.  8. 

(3)  Sueton.  m  J.  Cœs.,  c.  24.  Plutarc,  in  Cœs.  et  Caton.  minor.  Dio  Cass., 
1.  XXXIX. 

César  rapporte  au  contraire,  que  ce  furent  les  Teuchtres  et  les  Usipètes 
qui  agirent  traîtreusement  à  son  égard.  Si  ce  qu'il  dit  de  la  manière  dont 
les  Eburons  firent  périr  ses  lieutenans  Cotta  et  Sabinus ,  est  vrai ,  on  ne 
pourrait  guère  justifier  la  conduite  de  ce  peuple  (  Cîes.,  1.  V).  Il  en  est  de 
même  des  Atuatiques,  qui  vinrent  assaillir  pendant  la  nuit  le  camp  de 
César,  après  qu'ils  eussent  fait  leur  soumission  a  ce  général  (id.,  I.  II). 


--  164  — 

propres  aux  Germains  ,  et  en  particulier  aux  Germains  de 
la  Belgique  qu'aux  Celtes ,  ou  plutôt  ceux-ci  le  leur  cé- 
daient même  sous  ces  rapports.  Tandis ,  que  César  soumit 
en  moins  de  deux  ans,  la  Gaule  presqu'entière,  les  Romains 
ne  parvinrent  jamais  à  dompter  les  Germains.  «  Ni  Sar- 
mates,  dit  Tacite, ni  Carthaginois,  ni  Gaulois  ou  Espagnols, 
ni  Parthes  même  ne  nous  ont  causé  plus  d'alarmes;  c'est 
que  le  trône  des  Arsacides  est  moins  inébranlable  que  la 
liberté  germanique  (1)  »  Les  Belges  sont  réputés  par  César 
les  plus  \aillans  de  tous  les  peuples  de  la  Gaule ,  particu- 
lièrement lesNerviens  et  les  Tréviriens  (2).  Ce  conquérant 
parvint  plus  difficilement  à  soumettre  le  petit  coin  de  la 
Celtique  habité  par  les  Germano- Belges  que  toutes  les  au- 
tres parties  des  Gaules  ensemble.  Il  ne  put  s'en  rendre 
maître  qu'en  exterminant  une  partie  de  la  population  et 
en  accordant  au  reste  des  privilèges  considérables.  Il  est 
même  probable  qu'une  des  peuplades  les  moins  nombreuses 
de  la  Belgique ,  les  Ménapiens ,  bravèrent  constamment  la 
puissance  romaine  et  ne  courbèrent  jamais  le  front  devant 
les  maîtres  du  monde  ,  comme  nous  le  verrons  dans  la 
suite. 

L'amour  de  la  liberté  devait  être  plus  grand  encore  chez 

(1)  Tac,  M.  G.,  c.  37. 

(2)  Horum  omnium  (Gallorum)  foriissimi  sunt  Belgœ  :  propiereâ  quod  à 
cultu  afque  liumanitate  provinciœ  longissimè  ahsint  minimeque  ad  eos  mer- 
catores  sœpe  commeant ,  atque  ea  quœ  ad  effeminandos  animos  pertinent, 
important  ;  proximique  sunt  Germanis,  qui  trans  Rhenum  incolunt,  qui- 
huscum  continenter  hélium  geritnt  (Cses.,  1.  I,  c,  I). 

Equités  Treviri,  quorum  inter  Gallos  virtutis  opinio  est  singularis  (id., 

II,  c.  24.  1.  Vm,  c.  25). 

Sic  reperiehat,  dit  César  en  parlant  des  Nerviens,  esse  homines  feras  ma^ 
gnœque  virtutis  :  increpitare  atque  incusare  reliquos  Belgas  qui  se  populo 
romano  dédissent  patriamque  virtutem  projecissent  ;  confirmare  sese,  neqtie 
legatos  missuros,  neque  ullam  conditionem  pacis  accepturos  [Cads.,  1.  U.c.  15. 
Voiraussil  II,  c.  24). 


—  165  — 

les  peuples  germaniques  que  chez  les  Celtes  où  les  prêtres 
et  les  nobles  seuls  participaient  au  gouvernement,  et  où  la 
masse  du  peuple  ne  vivait  guère  dans  une  condition  po- 
litique meilleure  que  celle  des  esclaves,  tandis  que  tous  les 
Germains,  indistinctement,  jouissaient  des  droits  du  ci- 
toyen (1).  Aussi  cite-t-on  une  foule  d'exemples  qui  prouvent 
que  la  mort  était  plus  douce  aux  yeux  d'un  Germain  que 
la  servitude  (2).  Les  femmes  des  Germains  étaient  non 
moins  passionnées  pour  la  liberté  que  les  hommes.  c<  On  se 
rappelle  encore ,  dit  Tacite ,  quelques  batailles  où  les  Ger- 
mains enfoncés  allaient  être  battus  sans  les  femmes  qui  ré- 
tablirent le  combat  par  leurs  vives  instances  et  le  spectacle 
de  leur  sein  découvert ,  par  une  peinture  de  la  prochaine 
captivité,  surtout  de  leurs  épouses ,  pour  laquelle  ils  ont 
la  plus  impatiente  horreur  (3).  »  En  parlant  de  quelques 
femmes  germaines  prisonnières  de  guerre  des  Romains , 
sous  le  règne  de  Caracalla,  Dion  Cassius  rapporte  que  l'em- 
pereur leur  fit  proposer  de  choisir  entre  ces  deux  partis, 
ou  de  devenir  esclaves  ou  d'être  mises  à  mort.  Elles  préférè- 
rent la  mort;  mais  l'empereur  n'ayant  pas  laissé  de  les  faire 
vendre  à  l'encan  ,  elles  mirent  elles-mêmes  fin  à  leurs 
jours.  Il  y  en  eut  même  qui  firent  d'abord  périr  leurs  en- 
fans  etse  tuèrent  ensuite  sur  leurs  cadavres(4).  Les  femmes 
des  Ambrions  vaincus  par  Marins ,  n'ayant  pu  obtenir  de 
meilleures  conditions ,  préférèrent  un  sort  pareil  (5). 

(1)  Reynier,  p.  107. 

(2)     .     .    :    .    si  forte  prœmantur, 

Seu  numéro,  seu  forte  loci,  mors  obriù  tillos, 
Non  timor  :  invicti  perstant,  animoque  supersunt, 
Jàm  propà  post  animam. 

(Sid.  Apol.  carm.,  5). 

(3)  Tacit.,  M.  G.,  c.  8. 

(4)  DIo  Cass.,  Exœrp.  Vales.  lib.f  LXXVII. 

(5)  Plutarch-,  de  Firtutib.  Millier.  Peloutler,  t.  2,  p.  434.  Voir  aussi  Gib- 
bon. Hist.  de  la  dc'cad.  de  VEmp.  liom.,  toia.  2,  c.  9.  Gleffel ,  Antiq.  germ., 
cl,  §20. 


—  166  — 

§"• 

Écononue  rurale  et  nourritiire  des  Germana-Beîges. 

Nous  avons  observé  que  les  Germains  différaient  princi- 
palement des  Gaulois ,  en  ce  que  ceux-ci  donnaient  plus  de 
soin  à  la  culture  de  leurs  champs  que  les  Germains,  peuple 
pasteur  et  ennemi  de  la  vie  sédentaire.  Suivant  Cësar  et  Ta- 
cite, ils  ignoraient  même  la  propriété'  foncière  et  ne  demeu- 
raient jamais  plus  d'un  an  dans  le  même  endroit;  cette  cou- 
tume leur  était  commune  avec  les  Scythes  et  les  Sarmates,  si 
ce  n  est  que  ceux-ci  n'avaient  pour  demeure  que  des  tentes  et 
des  chariots ,  tandis  que  les  Germains  se  construisaient  des 
chaumières,  comme  les  Gaulois  (1).  «Toutes  les  peuplades 
l'une  après  l'autre ,  dit  Tacite,  a  proportion  du  nombre  des 
bras,  occupent  une  plaine,  dont  chacun  suivant  son  état, 
garde  ensuite  une  portion;  des  champs  aussi  spacieux  se 
partagent  commodément  ;  tous  les  ans  on  change  de  can- 
tons ,  et  il  y  a  du  terrain  de  reste  :  en  eflfet  ils  ne  portent 
point  un  laborieux  défi  à  leur  fertile  et  vaste  sol ,  pour 
planter  des  vergers ,  pour  arroser  des  jardins ,  pour  en- 
clore des  prairies  ;  la  terre  est  quitte  envers  eux  avec  du 
grain.  D'où  vient  aussi  qu'ils  ne  divisent  point  l'année 
même ,  en  autant  de  saisons  que  nous  :  hiver  ,  été ,  prin- 
temps, voilà  les  seuls  idées,  les  seules  expressions  qu'ils 
aient  ;  quant  à  l'automne ,  ils  en  ignorent  également  le 


(i)   Campestris  melius  Scyiltœ! 

Quorum  plaustra  vagaa  rite  trahunt, 

P^ivunt  et  rigidi  Getce,  domos, 

Immata  quibus Jugera,  libéra* 

Fruqes  et  cereretn  ferunt. 

Nec  cultura  placet  longior  annva, 

Defunctumque  labortbus 

JEquaN  recréât  forte  vicariiis. 

(Horat.,  1.  111,  od.  i8). 


—  167  — 

nom  et  les  prësens  (1).  »  César,  qui  sexprime  de  la  même 
manière,  et  que  Tacite  paraît  avoir  pris  ici  pour  guide,  dit  que 
la  raison  que  les  Germains  donnaient  de  la  coutume  qu'ils 
avaient  adoptée  de  changer  annuellement  de  terres  et  d'ha- 
bitations ,  était  la  crainte  que  le  repos  et  la  vie  sédentaire 
ne  les  rendissent  moins  belliqueux,  que  quelques-uns  d'entre 
eux  ne  cherchassent  à  devenir  trop  opulens  et  ne  profi- 
tassent de  leur  prépondérance  pour  opprimer  les  pauvres, 
que  l'avarice  ne  corrompit  la  nation  et  ne  fut  cause  de  dis- 
corde et  de  troubles  civils,  enfin,  qu'une  trop  grande  iné- 
galité dans  les  fortunes  ne  détruisit  l'union  qui  existait 
entre  les  dijSerentes  classes  de  citoyens  (2).  Bien  que  les 
peuples  germaniques  ignorassent  la  propriété  territoriale , 
ils  connaissaient  cependant  la  clôture  des  champs  ,  mais , 
comme  il  est  aisé  d'en  juger,  cette  clôture  qui  se  faisait  par 
des  arbres  et  des  haies  vives ,  ne  pouvait  exister  que  pour 
un  temps  limité  (3). 

Tacite  a  dit  que  les  Germains  abandonnaient  la  culture 
de  la  terre  aux  femmes  et  aux  plus  faibles  de  la  nation. 
Ceci  ne  doit  s'entendre  que  des  hommes  libres;  car  ail- 
leurs il  parle  de  l'existence  des  serfs  et  des  redevances  en 
grain,  en  bétail  et  en  vêtement  que  leurs  maîtres  exi- 
geaient d'eux  (4).   César  rapporte  aussi  qu'annuellement 


(1)  Tacit,  M.  G.,  c.  26. 

(2)  Cœs.,  1.  VI,  c.  22. 

(3)  Lindemb.,  lex  Longob.,  1.  III,  tit.  4,  §  I, 

Dans  la  loi  des  Bavarois ,  la  clôture  d'un  champ  s'appelle  zisesum  et  les 
branches  qui  la  formaient  etarcliartea  (  Lex  Bavar.,  tit.  9,  c.  11  ).  Dans  la 
loi  saliqiie,  la  clôture  formée  d'épines  porte  le  nom  de  cuncida  (tit.  19,  ^  10). 
La  loi  des  Allemands  ordonne  le  combat  judiciaire  pour  les  contestations 
relatives  à  la  limite  des  champs.  Les  formes  légales  à  observer  h  cet  égard, 
paraissent  assez  singulières  (Voir  Lex  Allem.,  tit.  84). 

(4)  Frmnenti  modiim  dominus,  mit pecoris  aui  vestis,  ut  coîono  injungit 
{M.  G.,  c.  25). 


^  168  — 

une  partie  des  Suèves  sortait  de  ses  cantons  pour  faire  la 
guerre  et  que  l'autre  demeurait  dans  le  pays  pour  cultiver 
la  terre  (1).  Ceci  semblerait  prouver  encore  que  la  culture 
des  champs  n'était  pas  exclusivement  abandonnée  aux  per- 
sonnes hors  d'état  de  porter  les  armes. 

Les  codes  des  peuples  germains  nous  apprennent  que 
ceux-ci  faisaient ,  aussi  bien  que  les  Gaulois ,  usage  de  la 
charrue  à  avant-train ,  à  laquelle  ils  donnaient  le  nom  de 
'ploum,  mot  qui  rappelle  \q,  ploeg  des  flamands  ;  cet  instru- 
ment était  différent  de  \ araire  ou  charrue  simple  (2).  Il 
est  aussi  fait  mention  de  la  herse  dans  les  codes  salique  et 
allemand  (3). 

Les  Germains  cultivaient  principalement  le  froment  et 
l'orge  dont  ils  faisaient  usage  pour  la  fabrication  de  la 
bière  et  des  gruaux  (4).  Les  autres  céréales  dont  ils  ont 
connu  la  culture,  sont  le  seigle ,  auquel  les  lois  barbares 
attribuent  une  valeur  intermédiaire  entre  le  froment  et 
l'orge;  l'avoine  qui,  au  rapport  de  Pline,  était  beaucoup 
cultivée  par  les  Germains ,  et  dont  ils  faisaient  également 
usage  pour  leurs  gruaux  (5)  ;  le  millet  et  le  sarrasin,  qui ,  à 
proprement  parler,  ne  sont  pas  des  céréales  (6).  Reynier 
prétend  que  c'est  aux  peuples  du  nord ,  que  les  Romains 
doivent  la  connaissance  des  variétés  de  céréales  ^u'on  cul- 
tive au  printemps  (7). 

Parmi  les  plantes  utiles  a  la  fabrication ,  dont  les  Ger- 

(1)  Cœs.,  1.  IV,  c.  1. 

(2)  Reynier,  p.  334. 

(3)  Lex  Sal,  tit.  36,  §.  Lea;  Atam.,  tlt.  96. 

(4)  Tacit.,  M.  G.,  c.  23.  Reynier,  p.  418. 

Durondeau  prétend  que  les  Germano-Relges  ne  cultivaient  que  le  froment 
d'été.  (Mémoire  cité,  p.  62).  Il  dit  la  même  chose  de  Torge  et  de  l'avoine. 

(5)  Plin.,  l.  XVIII,  c.  44. 

(6)  Voir  Reynier,  p.  417-428. 

(7)  Reynier,  p.  423. 


—  169  — 

mains  ont  du  connaître  la  culture  ,  on  compte  le  pavot,  la 
navette,  le  colza,  le  chanvre  et  le  lin  (1). 

Quant  aux  herbes  légumineuses ,  elles  paraissent  avoir  été 
rares ,  et,  suivant  Tacite,  inconnues  même  dans  la  Germa- 
nie (2).  Cependant  une  loi  du  code  salique  condamne  a  une 
amende  celui  qui  aurait  mis  le  pied  dans  un  champ  semé 
de  pois ,  de  fèves  ou  de  lentilles  (3).  Ce  même  code  parle  de 
vergers  plantes  de  pommiers  et  de  poiriers  (4).  Mais  comme 
Tacite  rapporte  que  les  Germains  n'avaient  ni  vergers ,  ni 
jardins ,  on  n'oserait  assurer  que  ces  le'gumes  et  ces  fruits 
fussent  connus  des  Germains  avant  le  5'"®  siècle  de  l'ère 
vulgaire,  époque  de  la  re'daction  du  code  salique.  Le  pas- 
sage de  Varron  que  nous  avons  rapporté  au  chapitre  pré- 
cédent prouve  du  moins  qu'il  n'existait  point  encore  des 
vergers  dans  la  Belgique  lors  de  la  conquête  de  cette  con- 
trée nar  César. 

On  ignore  si  les  Germains  connaissaient  l'usage  de  la 
marne  comme  amendement  des  champs.  Il  est  certain  au 
moins  que  ceux  qui  envahirent  la  Belgique ,  y  trouvant  ce 
mode  établi,  l'adoptèrent,  comme  l'attestent  Pline,  Varron 
(  dont  nous  avons  invoqué  le  témoignage  dans  le  chapitre 
précédent),  et  l'inscription  de  l'autel  de  Nehalennia  décou- 
vert dans  l'île  de  Walcheren.  Les  Germano-Belges  auront, 
sans  doute,  adopté  de  même  les  différentes  espèces  de  cul- 
tures usitées  par  les  Celto-Belges. 

Les  Germains  se  servaient ,  comme  les  Celtes,  de  sillos  ou 
fosses  souterraines  pour  renfermer  leurs  récoltes  (5).  Ils  les 


(1)  Reynier,  p.  445  et  suiv. 

(2)  m.  G.,  c.  26. 

(3)  Lex  Sal,  tit.  27. 

(4)  Ib.,  tit.,  28  et  29,  §  1. 

(5)  Tacit.,  M.  G.,  c  16. 

Les  anciens  codes  des  Germains  assimilent  ces  souterrains,  qui  servaient 


—  170  ~ 

conservaient  aussi  dans  des  greniers  couverts  (spicaria)  et 
découverts  {machalurn)  (1). 

Au  reste ,  les  Germains  menant  une  vie  toute  nomade  et 
pastorale,  l'agriculture  ne  pouvait  faire  chez  eux  que 
des  progrès  fort  lents,  d'autant  plus  que  la  propriété 
territoriale,  mobile  principal  du  perfectionnement  de  la 
culture,  n'y  existait  point.  Barbares  et  pasteurs,  ils  fai- 
saient, comme  les  Scythes  et  les  Sarmates,  consister  toute 
leur  richesse  dans  la  possession  de  nombreux  troupeaux 
de  bétail  (2).  Strabon  parle  de  l'immense  quantité  de 
bétail  possédée  par  les  Ménapiens,  et  dont  ce  peuple  ex- 
portait la  laine  et  la  chair  salée  et  fumée ,  dans  toutes 
les  parties  de  l'Italie  &).  Lorsque  les  Germains  pillaient 
une  contrée  ennemie  ,  c'était  principalement  sur  les  bes- 
tiaux que  s'étendait  leur  avidité  ,  comme  le  remarque 
César  en  parlant  de  la  dévastation  du  territoire  des  Ebu- 
rons  par  les  Suèves  et  lesSicambres  (4).  L'or  et  l'argent,  au 
contraire,  n'excitaient  point  leur  cupidité,  et  ils  ne  les  con- 
sidéraient cjue  comme  des  objets  qui  ne  pouvaient  leur  être 
d'aucune  utilité  (5). 


de  retraite  aux  Germains  pendant  l'hiver,  aux  habitations  ordinaires.  (Lex 
Sal.,  tit.  26,  §  33  et  35.  Lex  Snx.,  tit.  4,  §  4.  Gloss.  Voce  Screona). 

(1)  Lex  Sal,  tit.  19,  §  7. 

(2)  Pecoris  numéro  sunt  cupidissimi  baîhari  (Cses.,  1.  VI,  c.  35). 

(3)  Tarn  copiosi  sunt  iis  pecudum  et  suum  grèges,  ut  sagorum  et  salseamen- 
fariim  copiam,  non  Romœ  lantum  suppeditent,  sed  et  plerisque  Italiœ  parti- 
t«s,(StraK,l.IV). 

Martial ,  dans  l'épigramme  Intitulée  ptrva,  compare  les  jamnons  de  la 
Ménapie  h  ceux  de  Cœre  en  Etrurie.  Voir  aussi  Varron  ,  de  re  rust ,  1.  II,  c.  4. 

(4)  Cœs.,  1.  IV,  1.  VI,  c.  34. 

(5)  Possessione  et  usa  (auri)  haud  perinde  afjflciuntur  (Tacit.,  M.  G.,  c.  5). 
Aurum  ac  argentum  perinde  aspernaniur,  dit  3  ustin  en  parlant  des  Scythes, 

ac  reliqui  mortales  appetunt  (Justin.  Hist.,  1.  II,  c,  2). 

Helmoldus  fait  la  même  remarque  sur  les  Prussiens,  au  12=  siècle  :  Aurum 
et  argentum  pro  minimo  c??/cwï/f  (Chron.,  Slav,,  c.  1). 


—  171  — 

Tout ,  dans  les  codes  des  peuples  germains ,  prouve  la 
prédilection  de  cette  nation  pour  les  bestiaux  ;  le  vol   de 
bestiaux  ou  les  atteintes  cjui  leur  étaient  portées  ,  étaient 
punis  avec  la  plus  grande  sévérité,  tandis  que  les  peines 
statuées  contre  le  dégât  des  cultures,  étaient  toujours  lé- 
gères ,  surtout  lorsque  c'étaient  des  animaux  qui  les  avaient 
causés.  Chez  les  Bourguignons,  le  vol  des  chevaux  et  des  bêtes 
a  cornes  entraînait  la  peine  de  mort,  tandis  que  le  meurtre 
d'un  homme  se  rachetait  par  une  simple  compensation  et 
une  amende  (1).  Le  code  des  Frisons  porte  même  la  peine 
de  mort  pour  le  vol  de  toute  espèce  de  bétail  (2).  Le  vol 
d'une  clochette  attachée  au  cou  des  animaux  domestiques , 
était  puni  par  les  codes  des  Visigoths,  des  Bourguignons  et 
la  loi  salique  d'une  amende  égale  à  la  valeur  de  l'animal. 
La  même  peine  était  statuée  contre  ceux  qui  déliaient  leurs 
entraves  (3).   La  loi  des   Bavarois  condamnait  celui  qui 
avait  effrayé  un  troupeau  de  porcs  et  qui  en  avait  causé 
la  dispersion,    a  vine   peine  égale  a  celle  portée  contre 
un  homme  qui  en  avait  blessé  un  autre  avec  une  arme 
empoisonnée,   c[ui   lui  avait   donné  un  breuvage  empoi- 
sonna ,  mais  sans  que  la  mort  s'en  fut  suivie,  ou  qui  l'a- 
vait bleïsé  de  manière  à  le  rendre  boiteux  (4),  Ce  qui  at- 

(1)  LexBurg.,  tit  4,1  1,  tit.  47. 

(2)  Lex  Frison.^  tit.  4. 

(3)  Lex  Wisig.,  tit.  2,  §  il.  Lex  Burg.,  tit.  4,  §  5  et  6.  Lex  SaL  tit  29, 

Strabon  dit  que  les  Belges  attachaient  des  clochettes  au  cou  des  porcs,  et 
quils  les  laissaient  ainsi  vaguer  dans  les  bois.  Aimoin  observe  de  même  que, 
dans  leurs  armées,  les  Francs  avaient  la  coutume  délaisser  errer  les  chevaux 
en  leur  pendant  une  sonnette  au  cou  (Aimoin.,  de  Gest.  Francor.,  1.  III,  c.  82). 
Le  bétail  était  renfermé  dans  des  écuries  (scuriœ).  Celles  des  porcs  s'appe- 
laient sudenn  et  hara  {Lex  Sal,  tit.  19,  §  8).  Les  chevaux  étaient  attachés 
par  les  pieds  :  Si  quis  vero  pedicani  de  cahallo  furaveril,  etc.  (Ibid.,  tit.  27, 
§  2).  Cet  usage  existe  encore  aujourd'hui  chez  les  Arabes. 

(4)  Lex  Bajuv.,  tit.  3,  §  G  et  10. 


—  172  — 

teste  d'une  manière  non  moins  frappante,  combien  les 
peuples  germains  al  tachaient  de  prix  à  leurs  bestiaux  , 
c'est  que  sur  150  articles  du  code  salique  qui  se  rappor- 
tent auxdifFërens  cas  de  vol,  74  concernent  le  vol  d'ani- 
maux. Le  titre  qui  regarde  le  vol  de  porcs  contient  vingt 
articles ,  celui  pour  vol  de  chevaux  seize ,  celui  pour  vol  de 
bétes  à  cornes  treize  ,  celui  pour  les  bétes  à  laine  quatre , 
celui  pour  les  chèvres  trois,  celui  pour  les  chiens  quatre, 
enfin  celui  pour  le  vol  d'oiseaux  sept  et  celui  pour  vol 
d'abeilles,  un  nombre  pareil  d'articles  (1).  Le  code  sa- 
lique, attache  le  plus  de  prix  aux  porcs;  mais  celui  des 
Allemands  donne  une  plus  haute  importance  aux  che- 
vaux (2).  Les  Angles  montrent  également  beaucoup  de  pré- 
dilection pour  les  porcs.  Pour  les  autres  espèces  d'animaux 
ils  établissent  plus  d'e'galite'  que  le  code  salique. 

Les  lois  germaniques  entrent,  par  rapport  k  tous  les 
délits  contre  les  bestiaux,  dans  les  détails  les  plus  minutieux  ; 
le  délit  et  la  peine  différent  suivant  le  sexe  et  le  nombre 
des  animaux  volés,  le  lieu  et  l'époque  du  vol,  etc.,  etc. 
Non-seulement  ceux  qui  avaient  blessé,  estropié  ou  volé 
des  animaux  domestiques,  étaient  sévèrement  punis ,  mais 
aussi  ceux  qui  leur  avaient  fait  subir  quelque  déformation , 
comme  de  leur  avoir  coupé  les  cornes  ou  la  queue  (3).  Celui 
qui  mettait  quelque  obstacle  à  la  recherche  des  bestiaux 
volés  était  puni  comme  complice  du  voleur  (4).  «Cependant, 
fait  observer  Reynier ,  malgré  cette  prolixité ,  nous  remar- 


(1)  Lex  Sal.,  tit.  2,  5  et  40.  Heynier,  p.  490.  Gwizot,  Cours   d'Histoire 
1829),  p.  259.  Toulotte,  Hist  de  la  Barbarie,  tom.  3,  p.  204. 

(2)  Lex  Alam.,  tit.  69,  70,  72  et  78. 

Le  code  allemand  évalue  cependant  davantage,  dans  les  compositions,  un 
gardien  de  porcs  que  les  autres  bergers. 

(3)  Lex  Bajav.,  tit.  13,  §  9  et  10. 

(4)  Lex  Burg.,  tit.  16. 


—  173  — 

quons  ,  qu  aucun  des  codes  ,  si  ce  n'est  celui  des  Bavarois  , 
n'a  prévu  les  cas  rédimables  où  un  animal  avait ,  lors  de  sa 
vente, une  maladie  cachée  qui  n'a  e'tc  aperçue,  ou  ne  s'est 
manifestée  cju'après  la  mise  en  possession  du  nouveau  pro- 
priétaire :  ces  codes  ont  déclaré  la  vente  nulle  (1).  Mais 
on  ne  sait  à  quels  motifs  attribuer  le  silence  des  autres  (2).» 

Les  Germains  et  les  Germano-Belges,  attachaient  plus  de 
prix  au  nombre  qu'à  la  beauté  des  bestiaux.  Leur  bétail 
et  leurs  chevaux  étaient  petits  et  d'une  chétive  apparence  ; 
mais  ils  rendaient  ces  derniers,  par  un  exercice  assidu,  pro- 
pres a  supporter  toutes  les  fatigues  (3).  «  Le  gros  bétail, 
dit  Tacite ,  n'a  pas  même  l'ornement  qui  lui  est  propre  ,  le 
front  orné  de  cornes  menaçantes  ;  les  Germains  s'en  dédom- 
magent  par  le  nombre.  Ce  sont  la  leurs  seules  richesses, 
leurs  plus  chères  délices  (4).  «  Nous  n'avons  rien  à  ajouter 
ici  à  ce  que  nous  avons  dit ,  dans  le  chapitre  précédent , 
sur  les  cultures  pour  les  bestiaux  chez  les  Celtes ,  et  qui 
durent  être  adoptées  par  les  Germains  de  la  Belgique. 

Les  peuples  germanic|ues,  comme  la  plupart  des  peuples 
du  nord ,  connaissaient  la  préparation  du  beurre.  Pline  rap- 
porte que  les  personnes  riches  chez  les  barbares ,  en  fai- 

(1)  Lindebrojj.,  Lex  Longoh.,   1.  II,  tit.  21,  ^  5.  Lex  Bajuv.,  tit.  15.  c.  9. 

(2)  Reynier,  p.  491. 

(3)  Sed  quœ  sunt  apiid  eos  nata  (jumenta)  parva  atque  deformia,  hœc 
quotidiana  exercitatione,  sutnmi  ut  sint  lahoris  ,  efficiuiit  (Cœs.,  1.  IV,  c.  3  ), 

Reynier  prétend  que  les  chevaux  des  Germains  étaient  ceux  de  la  race 
tartare  actuelle:  «  c'est  la  seule,  dit-il,  qui  polivait  convenir  a  des  peuples 
nomades  :  parce  qu'elle  consomme  peu  et  résiste  aux  inclémences  d'un  climat 
austère.  »  (Reynier,  p.  502).  Cet  auteur  croit  aussi  que  l'usage  de  ferrer  les 
chevaux  existait  chez  les  Germains  et  que  les  chevaux  y  portaient  toujours 
la  queue  longue. 

(4)  .  .  .  Pecorum  feciinda,  sed plerumque  improcera  :  ne  armentis  quidem 
suum  hotios,  aut  gloria  froniis  :  numéro  gaudcmt ,  eœque  solœ  et  gratis simœ 
opes  sunt  (  Tacit.  M.  G.,  c.  5). 

Cette  race  particulière  de  vaches  et  de  taureaux  sans  cornes  se  retrouve 


—  174  — 

salent  seules  usage,  et  le  conseille  aux  Romains  comme  un 
médicament  efficace  dans  plusieurs  maladies  (1). 

Les  Germains,  ainsi  que  les  Celtes,  nourrissaient  des  ca- 
nards sauvages  ,  oiseaux  de  basse -cour  que  ne  possé- 
daient pas  encore  les  Romains  du  temps  de  Pline  (2). 
L'emploi  du  mielpom^  la  confection  de  l'hydromel  et  pour 
d'autres  usages  domestiques  des  Germains,  donnait  beau- 
coup de  prix  à  la  possession  des  ruches;  aussi  les  anciens 
codes  des  Germains  contiennent-ils  plusieurs  dispositions 
relatives  à  la  propriété  des  abeilles  sauvages  et  domesti- 
ques (3).  Les  ruches  étaient  construites  de  différentes  ma- 
nières, en  bois,  en  ëcorces  ou  en  osier  tressé  (4). 

D'après  les  détails  dans  lesquels  nous  sommes  entrés  sur 
l'économie  rurale  des  Germains  ,  on  doit  conclure  que 
leur  table  devait  être  fournie  de  mets  peu  délicats  et  en- 
core plus  grossiers  que  ceux  des  Gaulois.  En  effet,  César  et 
Tacite  rapportent  que  la  nourriture  des  Germains  consis- 


encore  de  nos  jours  en  Ecosse  (Johnson,  Voyage  aux  Hébrides,  p.  112). 
Hérodote  en  parle  aussi  comme  existant  chez  les  Scythes  (HisL,  1.  IV,  c.  7). 
Mais  quoiqu'en  dise  Tacite,  elle  ne  devait  pas  être  la  seule  en  Germanie, 
puisque  les  codes  germaniques  statuent  des  peines  contre  ceux  qui  coupent 
les  cornes  au  gros  bétail. 

(1)  Plin.,  1.  XXVIII,  c.  35. 

Reynier  prétend  que  les  Germains  fabriquaient  du  fromage.  Cependant 
les  mots  lac  concretum,  chez  Tacite  (M.  G.,  c.  23),  que  Reynier  a  traduit 
par  fromage,  signifient  plutôt  du  lait  caillé.  Déplus,  Strabon  et  Pline 
remarquent  que  les  Bretons  et  les  autres  peuples  barbares  ne  savaient  point 
fabriquer  le  fromage ,  quoiqu'ils  usassent  beaucoup  de  lait  et  qu'ils  sussent 
confectionner  le  beurre  :  Miram  barharos  gentes  quœ  lacté  vivant,  ignorare 
aut  spernere  totsœculis  casei  dotent,  densantes  id  alioquin  in  acorem  jucun- 
dum,  et  pinguem  butirum  (Plin.,  1.  IX,  c.  41). 

(2)  Plin.,  1.  X,  c.  27.  Lex  Sal,  tit.  7,  §  5.  Lej:  Alam.,  tit.  99. 

(3)  Lex  Bajuv.,  tit.  21,  §  8.  Lex  Frison.,  tit.  4,  §  2.  Lex  Sal,  tit.  9.  Lex 
Wisig.,  1.  VIII,  tit.  6,  §  3.  Lex  Longob.,  1.  I,  tit.  25,  §  37. 

(4)  Lex  Bajuv.,  tit.  21,  §  \).  Lex  Sal,  tit  19. 


—  175  — 

tait  en  fruits  sauvages,  en  laitage,  mais  principalement  en 
viandes  (1).  «  Leurs  alimens  sont  simples ,  dit  ce  dernier 
du  lait  caille,  des  fruits  sauvages  ou  du  gibier  nouvelle- 
ment tue'   :  ni  apprêt  ni  assaisonnement  pour  apaiser  la 
faim  (2).  «  S'il  faut  en  croire  Pomp.  Mêla,  les  Germains 
mangeaient  même  de  la  chair  crue  ,  comme  les  Huns  (3). 
De  toutes  les  viandes  celle  cjuils  préféraient  davantage 
était  la  viande  de  porc  et  de  sanglier  ;  c'étaient  les  mets  dont 
se  nourrissaient  les  héros  a  la  table  d'Odin.  La  nourriture 
des  Belges ,  suivant  Strabon ,  consistait  comme  celle  des 
Germains  d'Outre-Rhin ,  en  lait  et  en  viandes  ,  mais  prin- 
cipalement en  viande  de  porc  (4).  Il  est  très-probable  que 
la  chair  de  cheval  faisait  aussi  partie  des  mets  peu  recher- 
chés des  Germains  (5).  Le  pape  Grégoire  III ,  en  défendit 
Tusage  aux  Saxons  (6).  Au  13^  siècle  elle  servait  encore  de 
nourriture  aux  Prussiens,  cjui  en  buvaient  le  sang  et  le  lait 
de  jument  (7). 
Les  Germains  ne  s'appliquant  que  faiblement  a  Tagricul- 

(1)  Agriculturœ  non  student  majorque  pars  victiis  eorum  in  lacté,  caseo, 
carne  consistit  (Caes.,  1.  \I,  c.  22). 

PJurimum  pecoribus  traliurit  alimonium,  sicut  et  nomades  (Strab.,  1.  IV). 

Dans  quelques  contrées  de  la  Germanie  le  peuple  était  icLtiophage.  César 
parle  de  quelques  îles  de  l'Océan  dont  les  habitans  se  nourrissaient  d'œufs 
de  poisson.  (Voir  Cœs.,  I.  IV,  c.  10.  Plin..  1.  IV,  c.  13.  1.  XVI,  c.  1.  Solin., 
c.  30.  Pomp.  Mêla ,  1.  III,  c.  6). 

(2)  Tacit.,  M.  G.,  c.  23. 

(3)  Vicia  ita  asperi  incultique,  ut  cruda  etiam  carne  vescantur  autrecenti 
aut  cum  rigentcTn  in  ipsis  pecudum  ferarumque  coriis,  manihus  pedihusque 
subigendo,  renovarunt  (Mêla  ,  1.  III,  c.  3). 

Ammien  Marcellin  donne  la  même  idée  de  la  nourriture  des  Huns  : 
«  Semicruda  cujusvis  pécaris  carne  vescuntur,  quam  înter  femora  sva  et 
equorum  ierga  subsertam  fotu  caleficiunt  brevi  (Amm.  Marcell.,  I.  XXI.  c.  2), 

(4)  Strab.,  1.  IV. 

(5)  Hieron.,  ad  Jovin.,  1.  II. 

(6)  Greg.,  Epist,  122. 

(7)  Helmold.,  Chron.  Slav.,  c.  I. 


—  176  — 

ture ,  le  grain  qu'ils  récoltaient  n'aurait  pu  suffire  a  leur 
subsistance,  s'ils  en  avaient  fait  une  grande  consommation  ; 
aussi  ne  l'employaient-ils  guère  qu'à  la  fabrication  de  la 
bière,  boisson  ordinaire  des  peuples  du  nord  (1).  Ils  la 
pre'paraient  avec  le  houblon ,  et  la  mélangeaient  ordi- 
nairement avec  de  l'absinthe  et  du  miel  (2).  Plutarque  , 
ou  plutôt  l'auteur  anonyme  du  traité  des  fleuves ,  écrit  que 
les  peuples  du  nord  employaient  le  chanvre  à  la  fabrica- 
tion d'une  liqueur  qui  produisait  une  espèce  d'ivresse  (3). 
De  toutes  les  boissons ,  celle  que  les  Germains  estimaient  le 
plus,  est  l'hydromel,  dont  ils  faisaient  la  boisson  des  élus  (4). 
Cela  prouve,  à  notre  avis,  que  le  vin  fut  longtemps  inconnu 
dans  la  Germanie.  Bien  que  Tacite  dise  que  de  son  temps  les 
peuplades  germaniques  les  jjus  rapprochées  de  la  frontière 
romaine  se  procuraient  du  vin,  cette  boisson  fut  longtemps 
d'un  usage  peu  commun  chez  les  peuples  de  la  Belgique 
actuelle.  La  principale  des  peuplades  germano  -  belges , 
les  Nerviens ,  avait  même  proscrit  le  vin  pour  les  raisons 
que  nous  avons  rapportées  plus  haut. 

Les  Germains  (et  les  Germano- Belges),  s'adonnaient 
avec  excès  à  la  boisson.  C'est  encore  de  nos  jours  un  des 
défauts  qu'on  reproche  à  leurs  descendans  (5).  Sous  le 
règne  de  Charlemagne  le  penchant  pour  l'ivrognerie  était 


(1)  Tacit,  31.  G.,  c.  23.  Plin.,  l.  XVIII,  c.  17.  Dio  Cass.,  1.  XLIX.  Cœs., 
1.  IV,  c.  1. 

(2)  Greg.  Turon.,  Hist.  Franc..,  1.  VIII,  c.  31.  Suivant  Pline,  les  Celtes 
possédaient  le  secret  de  conserver  la  bière  pendant  plusieurs  années.  Ils 
donnaient  à  leur  bière  forte  le  nom  de  zitu  et  h  la  bière  douce  celui  de 
cerevisia  (cervoise). 

(3)  Plut.,  de  Flumin.,  c.  3,  §  3. 

(4)  Les  Francs  faisaient  une  grande  consommation  d'bydromel.  Grégoire 
de  Tours  parlant  d'un  seigneur  qui  en  buvait  ordinairement,  ajoute  :  Ut  mos 
barbarorum  hahet  {Hist,  1.  VllI,  c.  3). 

(5)  Tacit,  M.  G.,  c.  23. 


—  177  — 

encore  tel  parmi  les  Francs ,  que  cet  empereur  fut  oblige' 
de  porter  une  loi  qui  ordonnait  aux  comtes  et  aux  juges  de 
ne  siéger  qu'a  jeune  (1),  Une  loi  analogue  exislait  chez  les 
Germains  :  comme  c  était  d'ordinaire  dans  les  festins  pu- 
blics qu'on  y  délibérait  sur  les  afifaires  d'état ,  il  fut  statué 
c[ue  les  décisions  prises  dans  ces  occasions  ne  seraient  rati- 
fiées que  le  lendemain ,  lorsque  les  vapeurs  de  la  boisson 
auraient  été  dissipées  :«  mariages,  réconciliations  entre  eux 
et  élections  de  princes ,  enfin  traités  de  paix ,  déclarations 
de  guerre ,  dit  Tacite ,  tous  ces  objets  la  plupart  du  temps 
les  occupent  aussi  dans  leurs  festins,  circonstance  la  plus  ca- 
pable d'inspirer  a  lame  ou  la  franchise  des  simples  entre- 
tiens, ou  la  chaleur  des  grands  intérêts  :  cette  nation,  qui 
n'a  ni  politique ,  ni  réserves ,  découvre  tout  le  fond  de  son 
ame  dans  la  liberté  de  la  table;  comme  donc  les  esprits 
n'ont  plus  rien  de  caché ,  rien  de  mystérieux ,  on  remet  au 
lendemain  a  les  fixer,  et  chaque  chose  se  fait  en  son  temps 
chez  ce  peuple;  il  délibère  lorsqu'il  ne  saurait  feindre,  il 
décide  quand  il  ne  peut  se  tromper  (2).  » 

La  manière  dont  les  Germains  prenaient  leurs  repas  est 
conforme  à  celle  des  Gaulois  décrite  au  chapitre  précédent. 
Comme  ces  derniers ,  ils  étaient  assis  chacun  à  une  table 
particulière  (3).  Aux  festins  solennels  le  roi  ou  le  premier 
convive  commençait  le  repas  par  remplir  sa  coupe,  formée 
du  crâne  d'un  ennemi  tué  dans  le  combat  ou  de  la  corne 


(1)  Anseg.,  Capit.  1.  III,  §  1. 1.  V,  §  133.  1.  YI,  §  232.  On  trouve  la  même 
défense  exprimée  dans  le  code  visigoth.  {Lex  Vistg.,  1,  II,  tit.  1-4). 

Charlemagne  porta  une  loi  qui  déclarait  excommunié  tout  militaire  trouvé 
ivre,  et  le  condamnait  à  ne  recevoir  que  de  l'eau  pour  toute  ration.  (Anseg., 
Capital,  1.  lïL  ^  72).  Un  capitulaire  défend  de  presser  h  boire,  et  dans  d'au- 
tres on  engage  les  seigneurs  à  ne  pas  s'adonner  avec  excès  à  la  boisson. 

(2)  Tacit.  M.  G.  c.  22. 

(3)  Lauii  cibum  capiunt,  separaiœ  singulis  sedes ,  et  sua  cuiqne  rnausn. 
( Tacit.,  ¥.  G.;  c.  22.) 

Tome  I.  12 


-«  178  — 

de  l'urus  (1);  puis  se  levant,  il  buvait  à  la  santé  de  son 
voisin  a  qui  il  remettait  ensuite  le  vase  pour  qu'il  en  fit  de 
même  à  l'e'gard  de  la  personne  assise  a  ses  côte's.  Le  vase 
faisait  ainsi  le  tour  de  la  table.  La  formule  de  salutation 
en  portant  la  santé  de  quelqu'un  était  de  lui  dire  wacht- 
heil;  a  quoi  le  convive  répondait  drink-heil.  Lorsqu'on 
offrait  a  boire  a  une  personne,  c'aurait  été  lui  faire  une 
injure  que  de  ne  pas  goûter  le  premier  de  la  boisson  ,  cou- 
tume dont  les  traces  se  retrouvent  encore  aujourd'hui  parmi 
nos  hommes  du  peuple  (2). 

§  ni. 

Habitations  des  peuples  germains. 

Les  Germains ,  pasteurs  et  presque  nomades ,  n'avaient 
pour  demeures  que  de  cbétives  cabanes  semblables  a  celles 
des  Gaulois  décrites  au  chapitre  précédent ,  et  dont ,  à  la 
manière  des  Scythes,  ils  changeaient  annuellement  (3).  Ces 

(1)  Paul.  Diac,  Hist  Longob.,  1.  1 ,  c.  27.  1.  XXIII,  c.  24,  Plin.,  1,  XI, 
C.  37.  Caes.,  1,  VI.  Isid. ,  Grig.  l.  XII.,  c.  1,  Edda  semundar ,  76.  Snorro, 
Kon.  Harald  Harfag.  Saga,  c.  15.  Saxo  gram. ,  1.  V. 

(2)  Chez  les  anciens  Frisons,  en  offrant  la  coupe,  on  se  serrait  la  main 
droite  et  on  s'embrassait;  les  Saxons  avaient  aussi  la  coutume  de  s'embrasser 
dans  leurs  festins,  et  ensuite  chacun  des  convives  se  faisait  au  front  une  inci- 
sion dont  il  faisait  couler  le  sang,  que  ses  commensaux  recevaient  dans  leurs 
-coupes  et  qu'ils  buvaient  en  y  mêlant  de  la  bière  ou  de  l'hydromel. 

(3)  Commune  omnium  est  qui  istis  locis  (  Germaniâ}  degunt,  facilis  et 
expedita  soli  mutalio,  et  propter  vicias  ienuitatem,  et  propter  agrorum  igna- 
viam  colendorum  et  inopiam,  pecuniarum ,  sed  in  casis  habitant  structura  in 
unum  diem  constantibus.  Plurimum  è  pecoribus  irahunt  alimonium  sicut 
et  nomades,  quorum  etiam  instar,  rébus  suis  in  carrus  impositis,  quocumque 
sors  tulit  et  opinio,  suis  cum  armentis  convertuntur.  (Strab.  1.  VII).  Voir  aussi 
Caesar.,  1.  Vî,  c.  22.  Seneca.  de  Provid.  div.  Helmold.,  Chron.Slav.,  1.  II, 
c.  IS.Procop.,  Bell  Goth.,  1.  III,  c.  14.  Herodian.  In  vitâ  Maximini,  1.  VII, 
Cleffel ,  Antiq.  Germ.^  c.  4. 


—  179  — 

chaumières  qui  eurentla  tentepour  modèle,  étaient  de  foriîiè 
circulaire,  construites  en  terre  ou  en  petites  pièces  de  bois  en- 
tremêlées d'osier  ;  le  toit  était  soutenu  par  mi  pilier  qui,  dans 
les  codes  germaniques,  porte  le  nom  de  fîrstsid^  et  l'inté- 
rieur dubâtiment  par  un  autre  pilier  appelé  winchilsulÇi). 
Dans  ces  chétives  cabanes  les  hommes  vivaient  pêle-mêle 
îivec  le  bétail  et  n'avaient  pour  lit  que  la  terre ,  des  peaux 
d'animaux  ou  des  feuilles  d'arbres  (2).  Les  demeures  des 
personnes  les  plus  riches  et  les  plus  distinguées  ,  étaient 
cependant  construites  avec  un  peu  plus  de  soin  :  quelques 
parties  des  murs  étaient  enduites  d'une  terre  si  fine  et 
si  luisante  qu'elle  imitait  la  peinture  et  les  diverses  nuances 
des  couleurs  (3). 

Les  Germains  n'avaient  pas  moins  que  les  Scythes,  le 
séjour  des  villes  en  horreur.  Ils  les  regardaient,  suivant 


(1)  Lex  Bajuv.,  tit.  9,  c.  6. 

Les  poutres  qui  débordaient  à  lextcrieur  de  la  maison  s'appelaient  spangen 
(ib.,  C.8.) 

Dans  le  code  salique,  les  habitations  portent  le  nom  de  screona ,  (  tit.  14, 
cl.)  Dans  le  capitulaire  de  Charlemagne,  intitulé  Devillis,  on  lit  :  Tugu-     S*^%u--4i 
riis ,  id  est  screonas  (c.  49.  )  Wendelin  remarque  que  de  son  temps  on  don-  / 

nait  dans  la  Campine  le  nom  àe  schrane ,  évidemment  dérivé  de  screona , 
a  une  petite  cabane  terminée  en  pointe  et  destinée  à  couvrir  les  moissons 
(  Wendel . ,  de  Lege  Sal.  ). 

On  trouve  dans  Montfaucon  [Supplém.à  V antiquité  expliquée ,  tom.  3, 
planche  26)  le  dessin  d'une  cabane  de  Germain,  d'après  un  bas -relief  de 
la  colonne  trajane.  Cette  cabane  ressemble  exactement  a  une  ruche  d'a- 
beilles ,  et  n'a  ni  fenêtres ,  ni  cheminée ,  mai^  une  porte  fort  haute  par  la- 
quelle la  lumière  pénétrait  dans  l'intérieur  du  bâtiment. 

(2)  Inter  eadem  pecora ,  in  eadem  humo  degunt  (  Tacit,,  M.  G. ,  c.  20. 
Cleffel.,  Aniiq.  Germ.,  c.  4]. 

(3)  Çuœdamloca  diligentiùs  illinunt  terra  itapurà  ac  splendcnte  ,  Ut  pic- 
turam  ac  lineamenta  coloriim  imitetur  (Tacit.,  M.   G.,  c.  16). 

Cleffel  prétend  que  les  habitations  des  riches  Germains  étaient  divisées 
en  trois  appartemens,  celui  des  hommes,  celui  des  femmes  et  la  salIé  a  manger 
{Àntiq.  Germ.,  c.  4,  §  7  et  8). 


-^  180  — 

Ammien  Marcellin  ,  comme  des  pièges  tendus  à  la  liberté 
de  l'homme  (1)  :  «  Les  Germains,  dit  Tacite  ,  n'ont  ^  comme 
on  sait ,  point  de  villes  et  ne  peuvent  même  souffrir  un 
alignement  quelconque  d'e'difices  ;  leurs  demeures  sont  sé- 
parées et  éparses  ca  et  la ,  selon  qu'un  bois ,  un  champ , 
une  fontaine  les  a  fixées  :  leurs  villages  (2)  ne  sont  pas, 
comme  les  nôtres,  un  assemblage  de  maisons  contiguës; 
chacun  isole  la  sienne  ,  soit  pour  prévenir  les  accidens  du 
feu ,  soit  faute  de  savoir  bâtir  :  ils  n'emploient  même  ni 
tuiles,  ni  blocailles  ,  ils  se  servent  de  matériaux  bruts, 
sans  penser  à  l'agrément  ou  a  l'incommodité.  Ils  ont  cou- 
tume encore  de  creuser  des  souterrains,  et  ils  les  chargent 
de  fumier,  pour  y  déposer  leurs  grains  et  s'y  réfugier 
pendant  l'hiver,  parce  que  les  frimats  perdent  de  leurs 
rigueurs  dans  ces  lieux  tempérés,  et  que  si  par  hasard 
l'ennemi  survient  et  ravage  le  plat  pays,  ou  il  ne  soupçonne 
pas  ces  sécrètes  excavations ,  ou  il  ne  peut  les  découvrir  ^ 
lorsqu'il  veut  les  chercher  (3).  » 

Les  Germains  de  la  Belgique,  dont  les  mœurs  et  les 


(1)  Oppida  ut  circumdata  reiiis  husta  déclinant 

Cassiodore  fait  dériver  le  mot  barharus ,  de  deux  mots  latins  barba  et  rus, 
parce  que  les  Germains  et  autres  peuples  barbares  demeuraient  dispersés 
dans  les  champs  :  Barbarus  autem  à  barba  et  rure  dictus  est,  quod  numquam 
in  urbe  vixerit,  sed  semper  in  agro  habitasse  noscitur  (Cassiod.  Expos,  in 
psalm.,  113).  Bien  que  cette  étymologie  soit  absurde,  le  fait  qui  y  a  donné 
lieu  n'en  est  pas  moins  constaté. 

(2)  Dans  le  code  salique,  un  village  est  désigné  par  le  mot  turpsia ,  d'où 
dérive,  en  flamand,  celui  de  dorp[  Lex  Sal.,  tit.  18,  §  2  ). 

(3)  Nullas  Germanorum  populis  urbes  habitari  saiis  notum  est ,  ne  pati 
quidem  inter  se  junctas  sedes  ;  colunt  discreti  ac  diversi,  ut  fons,  ut  campus, 
ut  nemus  placuit;  vicos  locant  non  in  nostrum  morem,  connexis  et  cohœren- 
tibus  œdificiis  ;  suam  quisque  domum  spatio  circumdat,  sive  adverses  casus 
ignis  remedium,  sive  inscitiâ  œdificandi  :  ne  cœmeniorum  quidem  apud  illos 
aut  tegularum  usus  ;  materiâ  ad  omnia  utuntur  informi  et  citra  speciem  aut 
delectaiionem.  (Tac,  M.  G.,  c.  16). 


---  181  — 

usages  étaient  en  tout  conformes  a  ceux  de  leur  mère-pa- 
trie, devaient  avoir  pour  le  séjour  des  villes  le  même  dé- 
goût que  les  Germains  d'Outre-Rliin ,  et  ç  aura  été  la  sans 
doute  la  cause  que  sous  la  domination  romaine  même  on 
trouvait  un  si  petit  nombre  de  cités  dans  cette  contrée , 
comme  nous  le  verrons  plus  loin.  César  et  Dion  Cassius 
déclarent  positivement  que  les  Morins  et  les  Ménapiens 
n'habitaient  point  des  villes  avant  la  conquête  romaine  (1). 
César  le  dit  de  même  des  Eburons  (2).  Il  parle  il  est  vrai 
des  oppida  existant  chez  les  Nerviens  et  les  Atuatiques; 
mais  en  lisant  le  chapitre  précédent,  on  a  vu  ce  qu'il  faut 


Soient  et  subterraneos  specus  aperire,  eosque  mulio  insuper  flmo  oneraut, 
suffugium  liiemi  et recepfaculum  frugîbus ;  quia  rigorem  frigorum  ejnsmodi 
locis  molliunt ,  et  si  quando  hostis  advenit,  aperta  populatur,  abdita  autem 
et  defossa  aut  ignorantur,  aut  eo  ipso  fallunt  quod  quœrenda  sunt  (i?/.  G.^ 
c.  16). 

Lors  de  la  révolte  des  Bataves,  sous  le  règne  de  Vespasien,  les  députes 
que  les  Germains  envoyèrent  aux  Ubiens ,  habitans  de  Cologne,  les  exhor- 
tèrent à  détruire  cette  ville,  fondée  par  les  Romains,  et  à  reprendre  la  vie 
nomade  et  indépendante  de  leurs  compatriotes  les  Germains  :  Postalamus  à 
vobis,  disaient-ils,  nmros  Coloniœ,  monimenta  servitii  detrahafis.  Etiam 
fera  animalia  si  clausa  teneas ,  virtutis  obliviscuntur.  ....  Instituta  cul- 
tumque  patrium  resumiie  (Tacit.,  Hist,  1.  IV). 

(1)  Agros.  ^DiFiciA  y\co?,(iv^  ad  iitranique  ripam  fttiminis  (Rheni)  habe- 
bant  (Menapii).  (Cses.,  1.  IV,  c.  4).  Itaque  vastatis  omnibus  eorum  agris,  vicis 
jBDiFiciisQBE  incensis,  Cœsar  exercitum  reduxii[  id.,  I.  lîl,  c.  29). 

Ipse  (Cœsar)  postea  in  Morinos  eorumque  finitimos  Menapios  arma  conver- 
tit. Niillum  tamen  eorum  partem  subegit;  nam  illi  won  urbes  habentes  ,  sed 
IN  TUGURiis  HABITANTES  [ovr£  jap  xSXsig  ùXoVTCÇ,  uXX  £V  xdXt/Sxii;  dlXl^CO/UiEVoi) 
rébus  suis  pretiosissimis  in  densîssimas  silvas  collatis,  plus  damni  invaden- 
tibus  Romanis  intulere  quam  ab  iis  acceperuntiJ)\o  Cass.,  Hist.  rom.,  1.  XXXIX, 
%  44). 

(2)  Erat  manus  certa  nulla,  non  pr^sidium,  non  oppidum  quo  se  armis  de- 
fenderet,  sed  in  omnes  paries  dispersa  multitudo  (Caes.,  1.  VI,  c.  34).  Omnes 
Yici  ATQUE  OMNiA  «DiFiciA  quœ  quisque  conspexerat,  incendebantur  (ibid.,  c.  43). 

On  a  vu,  au  chapitre  précédent , que  la  demeure  du  roi  même  des  Eburons, 
Ambiorixj  n'était  qu'une  chaumière  placée  au  centre  d'une  foret. 


—  182  — 

entendre  par  le  terme  oppidum ,  dans  louvrage  de  cet  au- 
teur. Dailieurs  pourquoi,  tandis  que  les  Ménapiens,  les 
Morins  et  les  Eburons  ne  vivaient  que  dans  des  chau- 
mières e'parses,  les  Nerviens,  les  moins  civilises  et  les  plus 
farouches  des  Belges-Germains  ,  les  Atuatiques  sortis  tout 
récemment  des  forets  du  nord  et  conservant  toute  la  ru- 
desse et  la  férocité  des  Cimbres,  jusque  la  qu'ils  ignoraient 
même  les  premiers  ëlémens  de  Tart  militaire;  pourquoi, 
disons-nous ,  ces  deux  peuplades  barbares  auraient-elle§; 
connu  plus  que  les  autres  peuplades  germano-belges ,  la 
construction  de  villes  régulières  (1)?  Les  oppicla  des 
Nerviens  et  des  Atuatiques  ne  pouvaient  donc  être  que 
de  ces  retranchemens  forme's  de  palissades  et  d  abattis  déjà 
décrits  par  nous  au  chapitre  V,  et  dans  lesquelles  les  habi- 
tans  se  renfermaient  avec  tous  leurs  effets  et  leurs  familles, 
en  cas  de  danger  (2).  Telles  étaient  aussi  les  oppida  que 


(1)  Comme  de  tous  les  Belges,  les  Nerviens  étaient  les  plus  belliqueux,  et 
qu'ils  employaient  tous  les  moyens  possH}les,  jusqu'à  défendre  l'usage  du 
vin  ,  pour  conserver  leur  ardeur  guerrière ,  c  est  à  eux  qu'on  pourrait  avec 
raison  attribuer  les  causes  que  César  rapporte  de  la  vie  nomade  des  Ger- 
ipains,  et  dont  une  des  principales  avait  pour  but  de  maintenir  leur  passion 
pour  la  guerre:  Agriculturœ  non  student ,  neque  quisquam  a(jH  madum  eer- 
tutn  aut  fines  habet  proprios....  ne  assiduâ  consuetudine  eapii,  studium  hçlli- 
gerundi  agricultura  commutent.  (Cses.,  1.  VI,  c.  22]. 

(2)  Nervii,  .  .  .  teneris  arboribus  incisis,  atque  inflea^is  crebris  in  latitu- 
dinem  ramis  (enatis).  et  rubis  sentibusque  interjectis,  effecerant.  ut  instar  mûri, 
hœ  sepes  munimenta  prœberent^  quo,  non  modo  intrariy  sed  ne  perspici  qui^ 
dem  possif.  (Caes.,  1.  II,  c.  17). 

h' oppidum  où  les  Atuatiques  se  réfugièrent  à  l'approche  de  César,  était 
fortifiée  d'une  manière  beaucoup  plus  solide  :  Aduatici.  .  .  .  cunctis  oppidis 
castellisque  desertis ,  sua  omnia  in  unum  oppidum,  egregiènaturâ  munitUm, 
€(mtulerunt;  quod  quum  ex  omnibus  in  circuitupartibus  altissimas  rupes  despec- 
iusque  haberet,  iinà  ex  parte  leniter  adclivis  aditus,  in  latiiudinetnnon  amplius 
fepedum  relinquebatur ;  queni  locum  dupîici  altissimo  muro  munierant ;  ium 
magni  ponderis  Saxa,  et  prœacutas  trabes  in  muro  conlocarant.  (Caes.,  1.  II, 
e.  29).  Nous  avons  décrit  cette  espèce  de  fortification  au  chapitre  précédent. 


_  183  — 

Cësar  place  chez  les  Suèves,  de  tous  les  Germains  les  plus 
sauvages  et  les  plus  adonnes  à  la  vie  nomade ,  au  rapport 
de  César  lui-même  (1). 

§iv. 

Habillement  des  Germains. 

Tacite  et  Pomponius  Mêla  rapportent   que  les  enfans 
des  Germains  allaient  nus ,  jusqu'à  l'âge  de  puberté ,  ce 


Dion  Cassîus  ne  donne  pas,  comme  les  auteurs  modernes,  le  titre  de  ville  à 
cet  oppidum  des  Atuatiques,  mais  celui  de  château,  rsiXoq,  dans  lequel 
ce  peuple  se  réfugia,  dit-il,  après  avoir  abandonné  toutes  ses  bourgades  ; 
Xcopia,  KXi  Txvra  raXXa.  Xcopix  saXiTTovreç,  êç  ev  t£iXoç  to  i^pxnXov  àv£<7i^t:'j£i(7CCPTCi. 
(Dio  Cass.,  1.  XXXIX,  c.  4). 

Desroches  qui  prétend  que  les  oppida  des  Nerviens  et  des  Atuatiques 
étaient  de  véritables  villes ,  en  donne  les  raisons  suivantes  :  «  En  parlant 
des  Nerviens  déjà  soumis,  l'historien  (César)  dit  simplement  suis  opidis  uti 
jussit;  et  il  n'y  a  pas  plus  d'ostentation  dans  le  petit  mot  qui  regarde  les 
villes  des  Atuatiques  :  cunctis  opidis  castellisque  deseriis.  Si  ces  deux  phrase» 
renferment  une  imposture,  il  n'y  eut  jamais  un  imposteur  plus  mal  adroit. 
Quelle  grande  impression  pouvoit  faire  sur  l'esprit  du  peuple  romain  ce  mot 
oppida,  employé  aussi  souvent  qu'il  Test  ici?  Si  les  Belges  n'avoient  eu  que  des 
villes  telles  quelles ,  l'habile  César  anroit-il  hasardé  si  sottement  une  expres- 
sion dont  cent  mille  témoins  pouvoient  démontrer  la  fausseté  ?  Que  dans  ses 
lettres  au  sénat,  il  ait  pallié  l'injustice  des  guerres  qu'il  entreprenoit ,  qu'il 
ait  un  peu  relevé  ses  victoires  ou  exténué  ses  défaites,  ce  soupçon  pourroit 
n'être  pas  si  téméraire;  mais  qu'il  eut  fait  mention  des  villes  d'un  pays  où 
tout  le  monde  savoit  qu'aucune  ville  n'existoit,  c'est  ce  qui  passe  toute  vrai- 
semblance. »  (Hist.  anc.  des  Pays-Bas,  p.  229).  A  tout  cela  il  suffit  de  ré- 
pondre que  le  mot  oppidum  n'avait  pas  toujours  la  signification  de  ville,  et 
que  César  lui-même  ne  l'a  ordinairement  employé  que  pour  désigner  une 
bourgade,  puisque,  comme  on  Ta  dit,  il  place  des  oppida  dans  la  Germanie 
(chez  les  Ubiens  et  les  Suèves),  où,  suivant  son  propre  témoignage,  celui  de 
Strabon,  de  Tacite  et  d'autres  auteurs  anciens,  il  n'existait  pas  ombre  de 
ville. 

(1)  Paterculus,  en  parlant  des  Lombards,  peuple  de  race  Suève, les  appelle: 
Gens  etiam   Germanà  ferocilate  ferocior  (Paterc,  Ui^t.  rom.,  \.  II,  c.  106). 


—  184  — 

qui  nous  parait  difficile  à  croire  eu  égard  au  climat  rigou- 
reux de  la  Germanie  et  du  nord  des  Gaules ,  à  Tëpoque  où 
vivaient  ces  auteurs  (1).  Tacite  ajoute  que  les  hommes  faits 
étaient  eux-mêmes  sans  vêtemens  dans  Imtërieur  de  leurs 
habitations  (2).  Il  est  vrai  que  Thabillement  même  des  Ger- 
mains était  tel  qu  il  laissait  une  partie  de  leur  corps  à  nu. 
Pour  tout  vêtement  ils  n'avaient  qu'une  saie  attachée  avec 
une  agraffe ,  ou  a  défaut  d'agraffe,  avec  une  épine  (3).  Ces 
saies  étaient  faites  de  peaux  d  ours  ,  de  taureaux  sau- 
vages et  de  loups ,  mais  principalement  de  peaux  de  rhen- 
nes ,  animal  alors  très-commun  dans  les  forêts  de  la  Ger- 
manie et  de  la  Belgique  (4).  César  dit  que  ces  peaux  dont 
les  Germains  portaient  le  poil  en  dehors  et  qu'ils  bigar- 
raient de  couleurs  variées  et  d'écaillés  de  poissons  mon- 
strueux, étaient  si  courtes  qu'elles  ne  leur  couvraient  que 
fort  imparfaitement  le  haut  du  corps.  (5).  Pomponius 


(1)  In  omni  domo  nudi  ac  sordidi  (Tacit.,  M.  G ,  c.  20).  Maximo  frîgore 
nudi  agunt  antequam  pubères^  et  longissima  apud  eos  pueritia  est  (Pomp. 
Mêla,  1.  m,  c.  3j. 

(2)  Intecti  totos  dies  juxta  focum  atque  ignem  agunt  (Tacit..  Jïf.  G.,  c.  17^. 

(3)  Tegumen  omnibus  sagum,  fibula,  aut  si  desit,  spinâ  consertnm  (Tacit.. 
M.  G.,  c.  I7j. 

(4)  Gerunt  et  ferarum  pelles ,  proximi  ripœ  exquisitiiis ,  ulteriores  negli- 
genter,  ut  quibus  nullus  per  commercia  cultus  ;  eligunt  feras  etdetracta  ve- 
lamina  spargunt  maculis  pellibusquebellicarumquas  exterior  oceanus  atque 
ignotum  mare  gignit  (Tacit.,  M.  G.,  c.  17).  Germani  intectum  rhenonibus 
corpus  tegunt  (Sallust.  apud  Isidor.).  Voir  aussi  Tacit,  His t.,  \.  II.  Herodian., 
1.  IV.  Sidon.  Apol.,  1.  IV,  ep.  2  et  20,  et  Paneg.  Major. 

Les  Hérules,  les  Goths  et  les  Francs  étaient  encore  couverts  de  peaux  au 
5*  siècle  (Paul  Diac,  1.  XVII.  Rutil.,  Itin ,  2).  Il  en  était  de  même  des 
Saxons  au  7^  siècle  (Luitprand,   in  legatione). 

[^)  Pellibus  aut  parvis  Rhenonum  tegumentis  utuntur,  magna  corporis 
parte  nuda.  (Cses.,  1.  VI,  c.  21.)  Jltque  in  eam  se  consuetudinem  adduxerunt, 
ut  lacis  frigidissimis,  neque  vestitiis,  prœfer  pelles  habeant  quidquam,  qua- 
rumpropter  exiguitatem,  magna  est  corporum  pars  aperta  (Cses..  1.  IV,  c.  I, 
et  Senec.j  de  Ira,  1.  I,  c.  11  ). 


-  185  — 

Mêla  assure  que  la  saie  des  Germains  e'tait  aussi  faite 
d'e'corces  d'arbres  (1).  Cependant  Thabillement  des  per- 
sonnes distinguées  était ,  sinon  plus  beau ,  au  moins  beau- 
coup plus  commode  et  plus  adopté  au  climat  que  celui 
du  commun  des  Germains.  Il  était  proportionné  aux  mem- 
bres du  corps  et  laissait  distinguer  toutes  les  articulations, 
à  peu  près  comme  les  habits  serrés  de  nos  jours  (2).  Cet 
habit  était,  comme  les  autres,  fait  de  peaux  d'animaux,  avec 
leur  poil,  ou  d  une  toile  grossière.  Celui  en  peau  était  collé 
contre  le  corps  et  s'étendait  jusqu'aux  poignets  et  au  cou- 
de-pied. Il  portait  le  nom  de  77za^^rwc<^,  et  ceux  qui  en  étaient 
vêtus  semblaient  transformés  dans  l'animal  même  dont  ils 
portaient  la  dépouille  (3).  Les  braies  ou  culottes  faites  en 
laine,  étaient  généralement  plus  larges,  mais  ne  descen- 
daient que  jusqu'au  genou  et  laissaient  la  jambe  nue  (4). 
Suivant  Strabon ,  les  vétemens  des  Belges  ,  confectionnés 
de  cette  matière  ,  portaient  le  nom  de  lœnce  (5). 

Beaucoup  d'auteurs  modernes  ont  mal  compris  le  mot  rhenones  ;  les  uns 
l'ont  traduit  ^diV  féaux  de  souris  ;  les  autres  ont  cru  qu'il  signifiait  les  ha- 
bitans  limitrophes  du  Rhin.  Cependant  il  n'est  pas  difficile  de  voir  qu'il 
s'agit  de  peaux  derhennes.  Voir  Isid.,  Hisp.  orig.,  1.  XIX,  c.  3.  Paul  Diac, 
1.  1.  Servius,  in  Georg.,  III.  Cleffel ,  Antiq.  Germ.,  c.  6,  §  1. 

(1)  Viri  sagis  velantur  aut  lihris  arhorum  (P.  Mêla,  1.  III,  c.  3).  Ce  n'était 
pas  proprement  l'écorce,  mais  la  première  enveloppe  de  l'arbre  (Cluver., 
Germ.   antiq.,  1.  I,  c.  16), 

(2)  Locupletissimi  veste  disiinguuntur  ^  non  fluitante ,  sicut  Sarmatœ  ac 
Parthi .,  sed  stricta  et  singulos  artus  exprimente  (Tacit.,  M.  G.,  c.  17).  Voir 
aussi  :  Sidon.  Apollin.,1.  IV,  epist.  20.  Idem,  Carm.  5.  DeBuat,  les  Origines 
ou  Vanc.  gouvern.  de  la  France,  de  V Allemagne  et  de  T Italie,  tom.  2  ,  p.  286. 

(3)  Masti-uca  vestis  Germana  ex  peliculis  feraruin  ;  qui  eo  induuntiir  quasi 
in  ferarum  habitum  transformantur  (Isid.,  Orig.,  1.  XIX,  c.  23). 

(4)  Sidon.  ApolL,  1  IV,  ep.  20.  Id.  Carm.,  5.  Paul  Diac,  l.  IV,  c.  7.  Lucan., 
Phars.,  1.  1.  Hygin.,  I.  1.  Agath.,  1.  II.  Isidor.,  Orig.,  1,  XIX,  c.  22. 

(5)  Belgœ  saga  ferunt,  comam  alunt ,  hraccis  induuntur  circum  extensis  ; 
loco  tunicarum,  ufuntur  veste  et  fissili  mancita  usque  ad  pudenda  et  nates 
demissa.  Lana  eorum  aspera  est,  sed  ipsa  propè  pcllcm  detonsa  ;  ex  ea 
densa  saga  texunt  quas  lœnas  vacant  (Straho,  l.  IV). 


--^  186  — 

La  chaussure  des  Germains  consistait  en  une  simple 
peau  roulée  autour  du  pied  ou  dans  des  souliers  faits  en 
jonc,  en  bois,  en  fer,  etc.  La  chaussure  la  plus  ordinaire 
était  celle  en  bois.  L'Edda  la  donne  même  pour  chaussure 
aux  dieux  (1). 

Les  Germains  comme  les  Gaulois ,  aimaient  beaucoup  a 
porter  pour  oi-nement  des  colliers  et  des  bracelets,  à  la  dif^ 
ference  cjue  ceux  des  Gaulois  étaient ,  chez  les  personnes 
riches,  d or  ou  d'argent,  tandis  que  ceux  des  Germains 
étaient  d'une  matière  moins  précieuse. 

Les  anciens  n'ont  rien  dit  de  la  coiffure  des  Germains  , 
mais  d'après  les  antiquités  découvertes  en  différens  en- 
droits ,  on  voit  qu'ils  portaient  des  bonnets  semblables  au 
pileus  des  Romains  et  des  bonnets  ou  chapeaux  moins  élevés 
que  ce  dernier  (2).  Néanmoins  ils  allaient  la  plupart  du 
temps  tête  nue.  Ils  portaient  les  cheveux  longs  ,  les  entre- 
tenaient avec  un  soin  extrême,  et,  comme  les  Gaulois,  em- 
ployaient plusieurs  ingrédiens  pour  les  rendre  d'une  cou- 
leur ardente(3).  Aux  hommes  libres  seuls  il  était  permis  de 

On  trouva  en  1701,  dans  un  tombeau  de  Germain,  découvert  au  village  de 
Monkeloh,  dans  le  Holstein,  des  fragmens  de  toile  d'un  tissu  plus  grossier 
que  celui  de  la  plus  grosse  toile  à  sacs;  le  fil  était  aussi  épais  que  de  la  ficelle 
(Clefiel,  Antiq.  Germ.,  c.  5,  §  6). — Voir  aussi  Mone,  2"  th.,  p.  64. 

(1)  Edda  21.  Cleffel,  c.  4,  §  4-8.  On  mettait  des  souliers  aux  morts  pour 
qu'ils  pussent  passer  plus  facilement  par  les  chemins  étroits  et  scabreux  qui 
conduisaient  au  Valhalla  d  Odin  :  Mos  est  calceos  leihaïes  (helsko)  homîni- 
bus  alligare ,  qiiihus  iter  ad  Valhallam  calcent  [Gisîa  Sursonar  saga,  apud 
Cleirel,p.  251). 

(2)  Durondeau,  p.  5.  Cleffel,  c.  4,  §  9. 

(3)  Caustica  teulonicos  accendit  spuma  capillos. 

(Martial.,  Épigr.,  1.  XIV}. 
Quod  hurgundio  cantat  esculentus 
Infundens  acido  comam  hutijro 

(Sid.  Apol.  Carn.,  i3). 
Cœrula  quis  stupuit  Gerinani  lumina,  flavatn 
Cœsariem  et  madido  torqucntis  cornua  cirro. 

(Juven.) 

Voir  aussi  Pline,  l.  XXVIII ,  c.  12.  Lex  Burg..  addit.  I,  tit.  5.  Lex  Sal, 
tit.  26.  Lex  Jlam. ,  tit.  6.5. 


—  187  — 

porter  une  longue  chevelure;  c'est  à  cette  marque  et  au 
port  d'armes  qu'on  distinguait  Fingënu  de  Fesclave  et  de 
laiFranchi (1).  Ils  les  portaient  ordinairement  partage's sur 
le  front  et  tombant  en  boucles  sur  les  épaules  et  la  nuque 
du  cou  (2).  Les  Suèves  les  relevaient  sur  le  sommet  de  la 
tête  où  ils  se  re'unissaient  en  forme  de  nœud  (3).  Les  Saxons 
se  rasaient  les  cheveux  de  devant  et  laissaient  croître  ceux 
de  derrière  (4).  Le  voeu  le  plus  solennel ,  que  put  faire  un 
Germain ,  e'tait  de  se  laisser  couper  les  cheveux  et  de  les 
consacrer  aux  dieux,  après  avoir  vaincu  Fennemi,  ou  vengé 
une  grave  insulte  (5).  Dans  toute  autre  occasion,  c'était  Im- 
jure  la  plus  ignominieuse  qu'on  put  lui  faire  que  de  lui 
raser  la  tête  (6). 

Les  Germains  ne  portaient  point  de  barbe,  mais  se  lais- 

(1)  Cependant  chez  les  Francs  il  n'y  avait  que  îe  roi  qui  put  porter  les 
cheveux  longs  ;  le  reste  de  la  nation  se  les  coupait  en  rond  :  Idque  velut  in- 
signe qnoddam  eximiaque  honoris  prœrogativa  régie  generi  apud  eos  tri- 
huUur.  Suhdili  enim  orhiculatim  tondentur,  neque  eis  frolixiorem  comam 
alere  facile  permittifur  (  Ag^ath.,  1.  1.  Gregor.  Turon, ,  Ilist. ,  1.  III,  c.  18. 
l.Vl,  c.  24). 

Chez  les  Goths  les  nobles  jouissaient  seuls  du  privilège  de  porter  les  cheveux 
longs;  on  les  appelait  pour  cette  raison  criniti,  capillatî,  crinigeri ,  cristnti. 

(2)  Greg.  Tur..  HisL,  1.  VI,  c.  24.  AVitichind-,  Jmial  Saxon.,  I.  I, 
Lucan..l!  I. 

(3)  Insigne  gentis ,  obliquare  crinem  nodoque  suhstringere  ;  sic  Suevi  à 
cœteris  Germanis,  sic  Suevorum  ingenui  à  servis  separantur  (Tacit,  M.  6r. , 
c.  38  ).  Martial  attribue  la  même  mode  aux  Sicambres. 

Çrinibus  in  nodutn  tortis  venere  Sicamhri. 

(Martial,  in  spectac.  epig.  3.1 

Séneque  étend  cet  usage  a  toute  la  Germanie  (  Seneca,  epist.  uU.  et  lib.  III, 
c.  26  de  ira.  ) 

(4)  Tacit. .  M.  G.,  c.  31.  Greg.  Tiir.,mst.,  1.  III,  c.  15.  CleffeL  p.  317-319. 

(5)  Greg.  Tur.,  1.  Ill,  c.  18.  1.  VI,  c.  24.  1.  IX,  c.  38.  Clcffel,  p.  9,  §  9. 
—  Un  attentat  à  la  chevelure  était  puni  plus  sévèrement  qu'une  grave  blessure 
[Lex.  5a/.,  tit.  26). 

(6)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  18, 1.  VI,  c.  24,  1.  IX,  c.  38.  Cleffel,  c.  6,  §  9.  — 
Couper  les  cheveux  a  un  Germain  entraînait  une  punition  plus  grande  que 
de  lavoir  blessé  grièvement  [Lex  «Sa/.,   tifc.  26). 


—  188  — 

saient  croître  de  grandes  moustaches  (1).  Quelquefois  ils 
faisaient  vœu  de  ne  pas  se  raser  jusqu'à  ce  qu'ils  se  fussent 
venges  d'un  ennemi  ou  lave's  d'un  affront  sanglant  qu'ils 
avaient  subi.  (2). 

Soit  par  propreté ,  soit  par  principe  de  santé  et  pour 
s'endurcir  le  corps  et  se  rendre  les  membres  plus  souples , 
dès  qu'ils  se  levaient  le  matin ,  ils  se  mettaient  au  bain ,  au 
sortir  duquel  ils  prenaient  leur  repas  (3). 

L'habillement  des  femmes  germaines,  différait  peu  de 
celui  des  hommes,  si  ce  n'est  qu'il  était,  chez  les  personnes 
de  marque,  de  lin  bordé  de  pourpre  et  que  la  partie  supé- 
rieiure  de  la  robe  des  femmes  était  sans  manches  et  lais- 
sait les  bras  à  découvert.  «  Elles  ne  se  cachent  pas  même 
le  haut  de  la  gorge ,  dit  Tacite  ,  (juoique  le  mariage , 
chez  ces  peuples ,  soit  un  engagement  sérieux  et  leurs 
mœurs  à  cet  égard  les  plus  dignes  de  louange  (4).  » 
Les  jeunes  filles  portaient  les  cheveux  flottans  ;  de  là  le 
terme  in  capillis  esse ,  employé  dans  les  codes  germaniques 
pour  désigner  une  jeune  fille.  Les  femmes  mariées  les  re- 
levaient en  forme  de  nœud  sur  le  haut  de  la  tête  ;  dans 
plusieurs  tombeaux  de  femmes  germaines  on  a  trouvé 
des  anneaux  de  cuivre  qui   servaient  à  cet  usage  (5). 


(I)  Albet  aquosa  actes  ac  vultibus  undique  rasis; 
Pro  barba,  tenues  pet arantur pectine  cristœ. 

(Sid.  Apol.  carm,,  5). 
Dans  le  portrait  que  Sidonius  Apollinaris  trace  de  Theodoric,  roi  des  Goths , 
il  dit  de  ce  prince  ;  Pilis  intrâ  narium  antra  fructicantihus  cottidiana  suc- 
cisio.  Barba  concavis  liirta  temporihus,  quant  in  suhdita  vultus  parte  surgen- 
tem  stirpitus  tonsor  assidiius  gênas  adusque  forp^^cïbus  evellit. 

Lorsque  l'empereur  Othon  le  Grand,  prit  la  coutume  de  porter  la  barbe 
longue,  les  Allemands  lui  reprochèrent  de  ne  pas  respecter  les  usages  anciens 
de  la  nation,  contra  morem  antiquam.  (\\  iticbind ,  Annal.  Saxon.,  1.  I). 

(2)  Greg.  Tur.,  1.  Y,  c.  15. 

(3)  Tacit.,  M.  G.,  c.  22.  Cœs.,  I.  Vï. 

(4)  Tacit.,  c.  18. 

(5}  Splendida  nezueral  tortum  redimicula  crinem 


—  189  — 

§V- 

Iiois  et  coutumes  relatives  au  mariage,    conditions  des  femmes  chez 

les  Germains. 

César ,  Tacite  et  d'autres  écrivains  anciens  nous  vantent 
la  pureté  de  mœurs  des  peuples  germains  (1).  Suivant 
ces  auteurs  les  Germains  regardaient  comme  infâmes  ceux 
qui  avaient  connu  les  plaisirs  de  Tamour  avant  l'âge  de 
vingt  ans  (2).  Cependant  les  Lombards  permettaient  aux 
hommes  le  mariage  à  l'âge  de  dix-huit  ans  (3) ,  et  chez  les 
Visigoths ,  un  homme  pouvait  être  uni  à  une  enfant  encore  au 
berceau ,  mais  les  lois  de  ce  peuple  défendaient  a  une  femme 
de  se  marier  a  un  homme  qui  ne  fut  pas  plus  âgé  qu  elle  (4). 

La  polygamie ,  bien  que  tolérée  par  les  lois  des  Ger- 
mains ,  n'était  guère  en  usage  que  chez  les  personnes  les 
plus  distinguées  par  leur  rang,  ou  par  leur  fortune;  le  com- 
mun du  peuple  se  contentait  d'une  seule  épouse  (5).  Les 
lois  germaniques  étaient  plus  sévères  à  l'égard  des  femmes  ; 
chez  quelques  peuples  germains ,  une  femme  ne  pouvait 
point  convoler  en  secondes  noces  :  «  Beaucoup  plus  rigides^ 


Et  varicata  vagum  stringebat  vitta  capillum. 

(  Saxo.  Gram.,  1.  VI.  ) 

Cleffel.,c.  9,§14. 

(1)  Tac,  31.  G.,  c.  20.  Caes.,  1.  VI,  c.  Salvian.  de  Guhern.  Dei,  1.  VII. 

(2]  Intra  annumvicesimum  fœminœ  notitiam  hahuisse  in  turpissimis  hahent 
rehits.  (  Cses. ,  1.  VI  ).  Les  Saxons  exigeaient  le  même  âge  pour  le  mariage 
(  Specul.  Saxon,  1.  1  ,  art.  42  ). 

(B)  Si  infans  anfe  X  et  VIII  annos,  quos  nos  instifuimus  ut  sii  légitima 
œtas y  sponsalia  facere,  voluerit  etc.,  {Lex.  Luilprandi,  tit.  73.  ^  1). 

(4)  Lex.  Visig. ,  I.V. 

(5)  Tacit. ,  M.  G.,  c.  19.  Arioviste  avait  deux  femmes ,  l'une  Suève  de  nais- 
sance, l'autre  née  dans  la  Norique  (  Gœs.  1.  I ,  c.  53). 

Les  épouses  légitimes  de  Chilperic  étaient  en  grand  nombre.  (  De  Buai, 
les  Origines  ou  l'anc.  gouvernem.  de  la  France,  de  V Allemagne,  etc,^  t.  3, 
p.  336). 


—  190  —     . 

dit  Tacite,  sont  ces  cite's  qui  ne  permettent  le  mariage 
qu'aux  filles,  et  où  l'on  ne  tend,  l'on  n'aspire  qu'une  seule 
fois  à  la  dignité  d'ëpouse  ;  aussi,  n ont-elles  jamais  qu'un 
e'poux,  comme  elles  n'ont  qu'une  vie,  qu'un  corps,  sans 
autre  perspective,  sans  désir  ultérieur,  sans  aimer  rien 
dans  le  mari  que  le  mariage  (1).  «  Une  veuve  ne  pouvait 
contracter  de  nouveaux  liens  qu'un  an  après  le  décès  de 
son  premier  époux. 

Plusieurs  formalités  étaient  requises  pour  le  mariage; 
l'égalité  de  condition;  que  les  parties  contractantes  ne  fus- 
sent point  unies  par  les  liens  du  sang,  et  avant  tout  le  consen- 
tement delà  femme  et  de  ses  proches.  La  femme  étant  dans 
une  tutelle  perpétuelle,  dans  celle  de  son  père  d'abord,  et 
après  la  mort  de  celui-ci  dans  celle  de  ses  frères  ou,  à  leur 
défaut,  dans  celle  de  ses  plus  proches parens  ;  celui  qui  dé- 
sirait l'obtenir  en  mariage  (2),  était  obligé,  pour  ainsi  dire, 
de  Tacheter  de  ses  tuteurs  ,  au  moyen  d'une  certaine  quan- 
tité de  bétail  ou  a  tout  autre  prix  (3). 


(1)  Tacit.,  j?/.  G.,  c.  19. 

(2)  Toulotte ,  t.  3,  p.  36  Tacit. ,  M.  G. ,  c.  18. 

(3)  Fredeg.,  c.  18.  Reynier,  p.  61.  Lex.  Rip.,  tit.  74.  Alam.,  tit.  54 ,  §  1 , 
c.  2.    Visig.,  3,  2, S.  Toulotte,  t.  3  ,  p.  35. 

«  Dans  certains  cas,  les  codes  des  barbares,  permettaient  à  la  femme 
d'agir  par  elle-même.  Cette  faculté  lui  était  laissée,  par  exemple,  lorsque 
son  tuteur  refusait  de  consentir  h  son  mariage  par  des  motifs  qui  n'avaient 

aucun  fondement Le  contrat  des  fiançailles  se  faisait  et  se 

concluait  avec  le  tuteur  :  le  futur  époux  donnait  une  somme  d'argent,  ou 
livrait  certains  objets,  à  titre  de  présent  nuptial  de  la  femme,  au  profit  du 
tuteur  ou  de  ceux  des  parens  de  la  femme  que  la  loi  autorisait  h  le  recevoir. 
Le  fiancé  promettait  quelquefois  au  tuteur  le  prix  convenu ,  et  Ton  comptait 
sur  sa  parole.  On  donnait  ordinairement  une  bague ,  à  titre  d'arrhes,  pour 
confirmer  le  marché  (  Vis.  III,  1-3. — Edict  Theod..  93. —  Thuring,  tit.  10, 
§  2.  Intersunt  parentes  et  propinqui  et  inunera  prohant  ;  in  îiœc  mimera  uxor 
accipitur  f  Tacit.,  de  Mor.  Germ. ,  c.  18).  Quand  la  loi  ne  fixait  pas  le  mon- 
tant du  prix  nuptial ,  il  était  déterminé  par  les  conventions  des  parties  con- 
tractantes, ce  qui  arrivait  le  plus  souvent  (Sa-r.,  tit.  6  et  7).  La  veuve  était 


Dans  le  choix  d  un  ëpoux,  la  femme  avait  ordinairement 
plus  d'ëgard  aux  qualités  morales  de  Tliomme  auquel  elle 
voulait  unir  son  sort ,  à  la  réputation  qu  il  s'était  acquise 
par  sa  bravoure,  qua  ses  qualités  physiques  (1).  Quelque- 
fois, lorsqu'une  fille  avait  plusieurs  amans,  elle  devenait  le 
prix  de  la  valeur  et  appartenait  à  celui  des  rivaux  que  le 
sort  des  armes  avait  favorisé  (2). 

Dès  qu'un  Germain  avait  rempli  les  conditions  requises 
pour  obtenir  une  femme  en  mariage,  il  ne  pouvait  renon- 
cer au  contrat  sans  raisons  plausibles.  Il  en  était  de  même 
de  la  femme  qui  avait  donné  son  consentement  :  «  Chez  les 
Visigoths,  la  femme  qui  épousait  un  homme  après  avoir  été 
la  fiancée  d'un  autre,  devenait  l'esclave  de  celui-ci  (3),  et 
l'homme  qui  épousait  une  femme  qui  avait  été  la  fiancée 
d'un  autre,  devenait  l'esclave  du  fiancé  (4).  Chez  d'autres 

toujours,  quant  au  mariage,  sous  le  pouvoir  d'uu  tuteur  {Leg.  Sal.  );  mais 
lorsqu'elle  convolait  en  secondes  noces,  les  héritiers  de  son  premier  mari 
avaient  le  droit,  chez  quelques  nations,  de  partager  le  prix  nuptial  avec  les 
parens  de  la  femme  {  Long.^  It,  1,  4  et  5.  Burg.,  tit,  69,  §  1  ).  Les  Bour- 
guignons autorisaient  une  femme  qui  se  mariait  pour  la  troisième  fois,  h 
conserver  pour  elle  seule,  tout  ce  qu'elle  obtenait  a  titre  de  prix  nuptial. 

«  On  prononçait  les  peines  les  plus  graves  contre  le  mari  ou  la  femme  qui 
s'était  marié  sans  avoir  préalablement  obéi  a  la  loi  en  ce  qui  concernait  la 
cérémonie  des  fiançailles  (  Rip. ,  tit.  35,  §  3.  Long.,  II,  1.  I.  Fris.,  9,^4. 
Thuring.,  tit.  10,  §2.  Sax.,  tit.  6.  Fû.,  III,  2,  8.  Alam.,  tit.  54,  §  2,3). 
Mais  lorsqu'une  fille  avait  un  frère  qui .  par  des  motifs  déraisonnables  .  refu- 
sait de  la  donner  en  mariage;  elle  pouvait  chercher  un  mari  sans  avoir  be- 
soin de  son  consentement  (  Vis.,  III,  1,  8.)  »  (  Toulotte,  t.  3,  p.  36-38.  ) 

La  loi  salique  n'indique  pas  le  prix  qu'on  payait  pour  obtenir  la  main 
d'une  jeune  fille;  elle  ne  parle  que  de  celui  qu'on  exigeait  pour  une  veuve. 
Elle  lui  donne  la  dénomination  de  reiphiis.  Chez  les  Lombards,  le  prix 
statué  pour  une  veuve  était  moindre  que  celui  fixé  pour  une  jeune  fille 
[Lex.  Lougoh.,  tit.  2,  ^  4). 

(1)  Locenius,  Hist.  Suev.,  1. 1.  Cleffel,  c.  1,  ^  10-11. 

(2)  Cleifel,  c.  1,  §  7. —  Les  Germains  avaient  souvent  recours  aux  philtres 
et  aux  amulettes  pour  inspirer  de  l'amour  ù  une  femme  (  id.  c.  1  ,  §  9  ). 

(3)Lex.  Vis.,},  m,  1,8. 
(4)  Lex.  Bav.,  tit.  7  et  16. 


-~  192  — 

nations  un  pareil  homme  e'tait  tenu  de  payer  une  composition 
forte  aux  parens  et  a  la  fiancée  ;  il  devait ,  en  outre  ,  une 
amende  au  roi  (1).  L'homme  était  obligé,  par  la  loi  des 
Lombards,  d'épouser  dans  le  délai  de  deux  ans,  la  femme 
avec  laquelle  il  était  fiancé.  Ce  temps  écoulé ,  il  perdait  le 
prix  nuptial,  et  encourait  les  peines  qui  avaient  été  stipu- 
lées dans  le  contrat  des  fiançailles  ;  la  femme  pouvait  former 
un  nouveau  contrat  de  ce  genre  (2).  Mais  un  homme  n'était 
point  contraint  d'épouser  sa  fiancée  lorsqu'elle  était  atta- 
quée de  la  lèpre,  qu'elle  devenait  folle,  ou  qu'elle  avait 
perdu  entièrement  l'organe  de  la  vue  ;  a  ces  trois  exceptions, 
il  faut  ajouter  le  vice  qui  dépare  la  plus  belle  vie,  selon 
l'empereur  Julien,  Y  incontinence.  Ce  dernier  empêchement 
facultatif  du  mariage  devait  être  basé ,  non  sur  de  sim- 
ples soupçons  ,  mais  bien  sur  des  preuves  dûment  acqui- 
ses (3).  Quand  on  abandonnait  une  femme  après  la  céré- 
monie des  fiançailles  pour  en  épouser  une  autre,  on  £e 
rendait  coupable  d'insulte  envers  la  famille  de  la  délaissée  , 
il  fallait  payer  une  composition  a  ses  parens.  Dansla  crainte 
qu'un  pareil  abandon  ne  fut  une  tache  à  la  réputation  de 
cette  femme,  la  loi  des  Bavarois,  non  satisfaite  sur  l'amende, 
voulut  que  l'homme  jurât,  avec  douze  de  ses  parens  ,  qu'il 
avait  renoncé  a  sa  fiancée,  seulement  à  cause  de  son  amour 
pour  la  femme  qu'il  avait  épousée,  et  non  parce  cjue  la  pre- 
mière avait  commis  une  faute,  ou  parce  qu'il  avait  pris  ses 
parens  en  aversion  (4).  S'il  refusait  de  prêter  ce  serment, 
il  devenait  l'ennemi  mortel  de  la  famille  dans  lac|uelle  il 
avait  fait  son  premier  choix  (5).  » 

(1)  Lex.  Sal,  tît.  14,  §  8,  9.  Long.,  II,  2,  I. 

(2)  Lex.  Long.,  II,  I,  2. 

(3)  Long.,  1.  II,  L  3. 

(4)  Bavar. ,  tit.  7.  §  15.  Procop.  Hist  Goth. 

(5)  Toulotte  et  Riva,  t.  31,  p.  38-41. 


—  103  — 

Les  femmes  germaines  en  se  mariant  ne  recevaient 
point  de  dot  de  iem^s  parens  ;  c'était  Fëpoiix  t|ui  était  obiigë 
de  la  lem"  donner.  Elle  consistait  du  temps  de  Tacite  en 
bœufs,  en  chevaux  et  en  armes,  objets  qui  alors  formaient 
Tunique  ricbesse  du  Germain  (1).  Cesobjets  si  peu  propres 
au  sexe,  avaient,  suivant  le  même  auteur,  un  sens  mysté- 
rieux; ils  marcjuaient  que  la  femme  devait  partager  les 
périls  et  les  travaux  de  l'homme  ;  qu'avec  lui  dans  la  paix, 
qu'avec  lui  dans  les  camps ,  elle  devait  unir  le  courage  à 
la  patience  :  «  par  ces  bœufs  accouples,  par  ce  cheval 
équipe ,  par  les  armes  donne'es,  elle  apprend  cju  ainsi  elle 
doit  vivre,  qu'ainsi  elle  doit  mourir;  qu'elle  doit  les  con- 
server dignes  d'être  transmises  à  ses  enfans,  d'être  données 
en  dot  a  sa  belle  fille  ,  cjui,  à  son  tour,  les  fera  passer  à  sa 
postérité  (2).  » 

La  femme  avait  droit  de  jouir  de  son  douaire  dès  le  jour 
de  son  mariage.  Suivant  la  loi  des  Allemands  ,  elle  en  était 
maîtresse  absolue  (3),  mais  celles  des  Francs  et  des  Bour- 
guignons ne  lui  en  accordaient  que  l'usufruit,  et  après  sa  mort 

(1)  Tflunera  non  ad  delicias  muliehres  quœsita,  nec  quibus  nova  nupta  co- 
matur,  sed  hoves  el  frenatum  equum  et  scutum  cuin  frameà  gîadioque.  (Tacit., 

ïleynier  prétend  que  Tacite  a  confondu  la  dot  avec  les  présens  que  i'époux 
était  obligé  de  donner  aux  parens  de  sa  fiancée  ;  cependant  les  codes  ger- 
maniques distinguent  clairement  la  dot  du  prix  dont  i'époux  était  convenu 
avec  les  parens  de  la  fille  pour  obtenir  sa  main.  (Lej-.  Alam.,  tit.  55,  §  2, 
66,  §  1.  Sal,  tit.  8.  Bajuv.,  c.  19,  §  2.  Rip.,  .tit.  39,  §  1-2.  Burg.,  tit.  62. 
Longoh.,  1.  II,  tit.  4,  §  2-3).  Voir  aussi  Hachenberg ,  Germania  média,  diss., 
5,  §  6. 

(2)  Tacit.,  M.  G.,  c.  18.  —  Voir  cependant  Cleffel ,  c.  1,  §  13. 

Au  5^  siècle  les  difïérens  objets  donnés  en  dot.  dont  parle  Tacite,  furent 
remplacés  par  une  somme  d'argent  que  la  loi  des  Ripuaires  fixe  à  50  solidi 
(Bip.,  tit.  37,  §  2).  Chez  d'autres  peuples  elle  variait  suivant  la  naissance  ou 
le  rang  de  la  femme  (  Vis.,  III,  1,  5,  9.  Bavar.,  tit.  XIV.  Toulotte,  t.  S, 
p.  42). 

(3)  Lex.  Alam.,  tit.  55.. 

Tome  I.  13 


_  194  — 

il  devait  revenir  au  donateur,  a  son  fils  ou  a  ses  agnals  (1). 
Une  veuve  perdait  aussi  sa  dot  en  contractant  de  nouveaux 
liens  (2)  ;  mais  s'il  ne  lui  avait  pas  été  assigne'  une  légitime 
après  la  mort  de  son  premier  époux,  elle  avait  toujours  droit 
à  la  moitié  des  biens  acquis  pendant  le  mariage,  La  femme 
gardait  encore  son  douaire ,  si  son  époux  la  répudiait  sans 
motif  plausible  et  si  elle  avait  obtenu  elle  même  le  divorce 
pour  de  justes  raisons.  Quand  le  divorce  avait  lieu  par  con- 
sentement mutuel,  une  convention  entre  les  deux  époux 
réglait  ce  cjui  concernait  le  douaire  (3).  Ces  différentes 
clauses  ont  pu  toutefois  n'avoir  été  établies  qu'à,  l'époque 
de  la  rédaction  des  codes  germaniques,  au  5"^^  siècle;  les 
documens  nous  manquent  pour  constater  leur  existence  a 
une  époque  antérieure. 

Outre  la  dot ,  l'épouse  recevait  de  son  mari ,  le  lende- 
main de  ses  noces,  un  don  appelé  morgengaba ,  (don  du 
matin) ,  qui  devenait  sa  propriété  absolue,  si  elle  avait 
des  enfans  et  qu'elle  restait  veuve  (4).  Ses  parens  y  ajou- 
taient ordinairement  un  présent,  qui,  dans  les  codes  germa- 
niques ,  porte  le  nom  de  faderjium  ou  fadelphium  (5). 

(1)  Lex.  Sal,  tlt.  8,  §  2-4.  Burg.,  tlt.  42,  §  1,  62,  J  2.  Sax.,  tit.  7. 

(2)  Lex.  Burg.,  tit.  42.  Baj'uv.,  tit.  14,  §7. 

(3)  Toulotte ,  t.  3,  p.  43. 

(4)  Tarn  in  dote,  quam  in  morganigiba,  hoc  est  matudinaci  dono.  (Greg. 
Tur.,  1.  IX,  c.  20.  Marciilphi  Formulœ,  1.  II,  form.  15).  La  loi  des  Allemands 
fixe  le  morgengaba  h  12  sols  :  Si  autem  ipsa  fœmina  dixerit  :  maritus  meus 
dédit  mihi  morgangheba,  compiitat  quantum  valet  in  auro  aut  in  argento, 
aut  in  mancipiis,  aut  in  equo ,  pecuniam  XII  solidos  valentcm.  {L.  Alam., 
tit.  57,  §  3). 

La  loi  des  Lombards  confond  ce  douaire  avec  le  morgengab,  et  fixe  le  tout 
au  quart  des  biens  de  l'époux.  Ce  code  parle  en  outre  d'une  autre  donation 
que  l'époux  faisait  a  la  fiancée  et  qui  portait  le  nom  de  Metliium,  Mephium 
ou  Meta,  {L.  I,  tit.  1,  §  4.  1.  II,  t.  4,  §  3). 

(5)  Vidua  habeat  sibi  morgengab  et  methium.  De  faderfîo  autem,  id  est, 
de  alio  dono,  quantum,  paier  aut  frater  dederit  ei  qnando  ad  maritum  ambu- 
laverit,  m.iitàt  in  confusum  cum  aliis  sororibvs.  (^Lex.  Longob.,  1.  II). 


10".    

X  •wJ 

Tacite  ni  aucun  autre  écrivain  romain  n  ont  décrit  les  cé- 
rémonies qui  avaient  lieu  lors  delà  célébration  du  mariage 
chez  les  Germains  ;  mais  les  codes  germaniques  répandent 
quelque  lumière  sur  ce  sujet.  Ils  nous  apprennent  que  la 
célébration  du  mariage  avait  lieu  en  présence  des  parens 
et  des  amis  des  fiancés  et  devant  le  juge  du  lieu  (1)  ,  mais 
que  cet  acte  public  ne  pouvait  se  faire  dans  la  maison  de 
l'épouse,  sous  peine  du  fouet.  Après  que  les  parties  contrac- 
tantes avaient  déclaré  que  c'était  de  leur  consentement  li- 
bre et  mutuel  qu  elles  s'engageaient  dans  lesliens  du  mariage, 
les  parens  de  la  fille  la  mettaient  entre  les  mains  de  son  pré- 
tendant cjui  lui  fixait  au  doigt  un  anneau  de  fer  et  déposait 
dans  sa  main  une  pièce  de  monnaie  (2).  L'épouse  offrait 
de  même  un  anneau  a  l'époux.  Un  baiser  cju'ils  se  donnaient 
mutuellement  terminait  la  cérémonie(3).  On  offrait  ensuite 
un  sacrifice  a  Freya  ou  à  quelque  autre  divinité  favorable 
aux  mariages  ;  après  quoi ,  l'épouse  ,  voilée  et  les  cheveux 
éparsetflottans  (4),  était  conduite  par  ses  parens,  ses  amies 
et  des  paranymphes ,  qui  égayaient  la  marche  par  le  chant 
d'épithalames,  à  la  demeure  de  son  époux,  escorté  de  même 
par  ses  proches  et  ses  amis  et  précédé  par  des  baladins  (5). 
Un  festin  était  préparé  dans  cette  dernière  :  on  passait  la 
journée  dans  la  joie  et  les  plaisirs,  et  la  nuit  venue, les  pa- 


(1)  Capitul,  î.  VIÎ,  c.  133. 1.  Vîïl,  c.  468. 

(2)  Au  5^  siècle,  un  sou  ou  un  denier. 

(3)  Cleffel,  c.  1,  §  12.  Hachenberg,  p.  115. 

(4)  Il  est  souvent  parlé  dans  les  codes  germaniques  de  velaiione  conjugali. 
—  Hachenberg  prétend  que  les  nouveaux  époux  avaient  la  ièÏQ  rase,  mais 
Clefîel  prouve  fort  bien  que  c'aurait  été  agir  contre  les  coutumes  de  la 
nation. 

(5)  Pervenit  ad  nos  çuod  dum  quidam  ad  suscipienclmn  sponsam  cujusdam 
sponsi  ciim  Paranymphis  ac  Trotingis  anihidarcnt,  jjcrversi  homines  aqiiam 
SGvdidam  et  stercoratam  super  ipsani  jactasiicnt ,  de.  [Le.r.  Lottgoh.,  1.  ï. 
lit.  17.  §8). 


->-  198  — 

ranymphes  conduisaient  la  mariée  au  lit  nuptial  (1),  Le 
lendemain  des  noces ,  les  époux  recevaient  les  complimens 
de  leurs  parens  et  amis ,  qui  ne  partaient  point  sans  avoir 
fait  quelque  présent  aux  nouveaux  mariés (2). 

Les  mariages  entre  oncles,  tantes,  neveux,  balles-sœurs, 
cousins  germains  et  autres  proches  parens  sont  strictement 
défendus  par  tous  les  codes  des  Germains  (3).  Cependant 
nous  lisons  quen  534,  Hadwig,  roi  des  Warnes,  peuple 
saxo-frison ,  épousa  sa  belle-mère ,  et  qu  au  9"^^  siècle  de  l'ère 
vulgaire,  les  habitans  de  Tile  de  Walcheren  se  mariaient 
même  avec  leurs  propres  sœurs  et  mères  (4).  Le  prix  que 
les  Germains  attachaient  à  la  liberté,  semble  les  avoir 
rendus  beaucoup  plus  sévères  sur  les  alliances  contractées 
entre  personnes  de  condition  inégale  :  les  codes  des  Ger- 
mains condamnaient  à  la  peine  capitale  ou  a  la  servitude, 
l'homme  ou  la  femme  de  condition  libre  qui  s  était  allié  à 
une  personne  en  état  de  servilité  (5). 

Tacite  fait  l'éloge  de  la  chasteté  des  femmes  germaines  et 


(1)  Un  capitulaire  engage  les  jeunes  époux  a  passer  les  deux  ou  trois  pre- 
mières nuits  des  noces  dans  la  prière,  avant  duser  des  droits  du  mariage  :  Et 
hiduo  vel  triduo  in  orationibus  vacent  et  castiiatem  cusiodiant ,  ut  bonœ  sobolea 
generentur  et  Domino  suis  in  actionibus  placeatit  (Capitul.,  1.  VII,  c  358  . 
Il  fallait  avoir  une  dévotion  bien  fervente  pour  obéir  h  ce  précepte  cruel. 

(2)  Greg.  Tur.,  1.  VI,  c.  40. 

(3)  IVupiias  prohibemus  incestuas  ;  itaquc  uxoremhahere  non  îicet  socrum, 
tiurum,  privignam,  novercam,  p,liam  fratris,  filiam  sororis,  fralris  uxorem, 
uxoris  sororem.  Inter  se  nulla  prœsumptione  jungantur.  Siquis  contra  hoc 
fecerit,  à  loci  judicibus  separeiur  et  omnes  facultaies  amittat,  guas  fiscus 
adquirat.  Si  minores  personœ  sunt,  quœ  se  ilUcita  conjunctione  pollaerunt, 
careant  liberiate.  {Lex.  Alam.,  tit.  40,  §  1,  et  Lex.  Long.^  1.  II,  tit.  8,  §  1. 
Sal,  tit.  13,  §  12,  tit.  14,  §  16). 

(4)  Raepsaet,  Analyse  de  VHist.  des  droits  civ.  et  polit,  des  Belges  et 
Gaul,  t.  I,  p.  132. 

(5)  Lex.  Sal.  tit.  14.  —  Cependant  un  article  du  code  salique  admet  à 
une  composition  de  600  deniers,  le  franc  ingénu  qui  aurait  épousé  une  femme 


—  197  — 

de  leur  fidélité  à  la  foi  conjugale.  «  De  tous  côlës,  bornées 
par  la  vertu,  dit-il,  elles  ne  connaissent  ni  les  spectacles  en- 
chanteurs, ni  ces  repas  qui  allument  les  passions.  Quant 
au  commerce  mystérieux  des  lettres  ,  hommes  et  femmes , 
tous,  également,  l'ignorent.  » 

Aussi  le  crime  d'adultère  était-il  très-rare  chez  les  Ger- 
mains, et  pour  cette  raison  puni  avec  d'autant  plus  de  sévé- 
rité :  «  dans  une  nation  si  nombreuse,  observe  le  même  histo- 
rien, peu  de  femmes  adultères  et  qu'on  punit  sur-le-champ 
à  la  discrétion  des  maris  ;  les  cheveux  coupés,  toute  nue,  la 
coupable,  en  présence  des  parens,  est  chassée  de  la  maison 
par  le  mari,  qui  la  poursuit  dans  le  village  en  la  chargeant 
de  coups  ;  car  point  de  grâce  pour  une  femme  déshonorée  ; 


de  condition  servile,  et  en  outre,  à  celle  de  120  deniers,  s'il  s'était  marié 
sans  le  consentement  du  maître  de  sa  femme. 

Les  codes  saxon,  bourguignon,  visigoth  et  lombard  condamnent,  comme 
le  code  salique,à  la  peine  de  mort  ou  à  la  servitude  ,  ceux  qui  s'étaient  aliiés 
à  une  personne  de  condition  servile.  Le  code  lombard  permet  même  aux 
plus  proches  parens  de  la  femme  qui  épousait  un  esclave ,  un  serf  ou  un 
alTrancbi,  de  la  tuer  ou  de  la  vendre  comme  esclave  hors  du  pays.  {Lex. 
Long.,  1.  II,  c.  9,  §  2  ).  Celui  des  Allemands  accorde  h  la  femme  libre,  con- 
vaincue d'entretenir  commerce  avec  un  esclave,  trois  ans  pour  se  repentir. 
Ce  délai  expiré,  si  elle  ne  s*amendait  point ,  elle  était  elle-même  réduite  en 
servitude. 

Les  dispositions  du  code  ripuaire  relatives  au  mariage  entre  personnes  de 
condition  différente,  sont  des  plus  bizarres  :  la  loi  ordonne  que  le  juge  du 
canton  présentera  à  la  femme  qui  s'était  alliée  à  un  serf  ou  h  un  esclave,  une 
épée  et  une  quenouille;  elle  restait  libre,  si,  saisissant  Tépée,  elle  en 
perçait  l'esclave  ;  si,  au  contraire,  elle  choisissait  la  quenouille,  elle  parta- 
geait le  sort  de  son  coniplice  [Lex.  Rip.,  tit.  58,  §  18). 

Voir  aussi  Reynier,  p.  151.  Hachenberg .  D/sser^.,  V.  Cîeffel,  c.  I.  Tou- 
lotte  et  Riva,  tom.  2,  p.  95,  394,  tom.  3,  p.  21. 

lia  rigueur  que  les  lois  des  Germains  déployaient  contre  les  personnes  du 
sexe  masculin  coupables  de  mésalliance,  ne  regardaient  que  les  mariages  faits       , 
publiquement.  [Lex.  Sal.,   tit.  27).  Il  était  permis  de  prendre   une  femme 
esclave  pour  concubine,  mais  les  enfans  qui  naissaient  de  ce  commerce, par- 
tageaient le  sort  de  leur  mère.  (De  Buat,  tom.  2,  p.  101), 


—  198  — 

ni  jeunesse,  ni  beauté,  ni  ricîiesse  ne  lui  feront  trouver  un 
parti  :  personne  ici  ne  plaisante  sur  le  vice;  ni  corrompre, 
ni  être  corrompu  ne  s'appelle  la  mode  du  siècle  {nec  cor- 
rumpere  nec  corrumpi  sœciilum  vocaîur)  (1).  » 

Le  code  des  Lombards  permet  a  l'ëpoux  oiFensé,  de  tuer 
la  femme  et  son  complice  surpris  en  flagrant  délit  (2).  Les 
Saxons  condamnaient  une  femme  adultère  a  être  étranglée 
et  brûlée,  et  le  séducteur  a  être  pendu  sur  son  tombeau. 
Quelquefois  la  coupable  était  tuée  à  coups  de  couteau  par 
les  femmes  de  son  village  et  des  lieux  voisins  (3).  Le  code 
bourguignon  permet  au  mari ,  comme  le  code  des  Lom- 
bards, de  tuer  sa  femme  et  son  amant  surpris  en  adultère; 
mais  ce  qui  paraît  assez  singulier ,  c'est  que  ce  code  statue 
que  si  l'époux  ne  tue  que  Tun  des  deux,  il  sera  condamné 
a  la  composition  du  meurtre  (4).  Le  code  des  Bavarois 


(1)  Tacit.,  M.  G,,  c.  9.  —  Il  est  facile  de  voir  daas  la  dernière  phrase  un 
reproche  adressé  par  Tacite  à  ses  compatriotes.  —  Voir  aussi  Werner  Ro- 
levinc,  de  situ  ac  moribus  Westphal ,  î.  I,  c.  7. 

Luitprand,  roi  des  Lombards  convertit  en  loi  la  punition  infligée,  du 
temps  de  Tacite,  h  la  femme  adultère  :  Puhîicns  in  quo  loco  facium  fuerit, 
comprehendit  ipsas  rtiuliercs  et  faciat  eas  decalvare  et  fuslare  per  vicos  vici- 
nos  ipsius  loci.  —  Van  Alphen  rapporte  qu'anjourdhui  on  inflige  encore  la 
même  punition  aux  femmes  adultères,  dans  quelques  villages  des  environs 
^'-    de  Cologne.  {GescJiichte  des  franJiischen  rjieinufers ,  1*  th.). 

(2)  L.  Long.,  I.  I,  tit.  33,  §  2. 

(3)  In  anliqua  Saxonia  uhi  nulla  est  Christi  cognitio,  si  virgo  in  paterna 
domo  stuprata,  vel  malrona  fuerit  adulterio  polluta,  strangulatani  illam  cre- 
mari  et  supra  sepulchri  foveam  suspendi  violatorem ,  aut  cingiiîo  tenus  vesti- 
bus  recisis,  flagellari ,  castis  matronihus  oppidatim  pungentibus ,  donec  in- 
terimant.  (S.  Bonifacii  epist.  ad  Edoaldum  Anglor.  princip.). 

(4)  L.  Burg.,  tit.  68. —  Suivant  le  code  des  Visigoths,  si  un  mari  outragé 
ne  tuait  pas  le  coupable  surpris  en  flagrant  délit,  celui  ci  devenait  son  esclave 
[Lex.  Visig.,  1.  III,  tit.  4,  §  2  et  3).  Une  femme  ayant  commerce  avec  un 
homme  marié,  devenait  l'esclave  de  l'épouse  de  ce  dernier.  {Lex.  IIî,tit.  4, 
§  9).  Les  lois  des  Lombards  permettaient  même  à  un  esclave  de  se  venger 

\     de  son  propre  maître  surpris  en  adultère  avec  sa  femme. 


-^  199  — 

montre  plus  d'indulgence  pour  les  adultères  que  les  au- 
tres lois  barbares;  il  ne  les  condamne  qu'à  une  simple 
amende  (1). 

Les  Germains  te'moignaient  une  ve'ne'ration  particu- 
lière pour  les  jeunes  filles  mortes  en  ëtat  de  virginité'; 
ils  les  plaçaient  parmi  les  déesses  qui  habitaient  l'Olympe 
d'Odin  (2).  C'est  pour  cette  raison  que  le  yiol  et  tout  atten- 
tat a  la  pudeur  étaient  punis  avec  une  extrême  sévérité  ;  la 
loi  des  Bourguignons  punit  de  mort  l'esclave  qui  aura  violé 
une  jeune  fille  libre,  et  si  c'était  du  consentement  de  celle- 
ci  qu'il  avait  eu  commerce  avec  elle  ,  ils  étaient  condamnés 
tous  deux  au  mémesupplice.  Si  les  parens  de  la  jeune  fille 
préféraient  de  la  laisser  vivre,  elle  devenait  esclave  du 
fisc  (3).  La  loi  des  Lombards  permet  aux  parens  de  tuer 
leur  fille  qu'ils  surprenaient  en  fornication  avec  un  homme 
libre  (4)  Les  lois  des  Angles  condamnaient  le  séducteur 
d'une  jeune  fille  à  perdre  les  parties  viriles  et  les  yeux  (5). 
Enfin,  la  sauve-garde  que  les  Germains  donnaient  à  l'hon- 
neur et  a  la  pudeur  du  sexe ,  s'étendait  si  loin,  que  des  lois 
particulières  statuaient  des  peines  contre  celui  qui  aurait 
touché  indécemment  le  sein  ou  la  robe  d'une  femme,  délit 


(1)  L.  Bajuv.f  1.  I,  tit.  6,  c.  I. 

(2)  Edda,  c.  30. 

(3)  Lex.  Burg.,  fit.  35,  §  1-3. 

(4)  Lex.  Longob.,  1. 1,  tlt.  32,  ^  1. 

Les  Germains  en  faisant  celte  loi ,  paraissent  avoir  eu  pour  but,  non  pas 
seulement  de  venger  Thonneur  outragé  cVune  fille ,  mais  aussi  celui  de  ses 
parens  :  Crebro  etiam  direnint  (parentes)  hoc  sese  ex  aniiqiiorum  tradilione 
accepisse,  ut  contumaces  proies  priùs  interimerent,  quam  scandalum  aniicis 
proveniret  intolerahiU  (Werneri  Rolefinc,  de  situ  et  morih.  Westphal.). 

(5)  Quià  virgo  cum  conumpitur,  memhrum  amittit,  et  ideo  corruptor  pu- 
nitur  in  eo  in  qiio  deliquit ^  oculos  igitur  amiltat  ^  propter  aspectum  decoris 
quo  vivginem  concupivit,'  amittat  et  testiculos,  qui  calorem  stupri  induxe- 
runi.  (Henricus  de  Bractonâ,  apud  Cleffel,  c.  1,  §  16). 


auquel  le  code  des  Lombards  donne  le  nom  à'Horgrifft(l). 

Le  divorce  était  permis  chez  les  Germains ,  mais  seule- 
ment pour  des  cas  graves  (2).  La  femme  qui  abandonnait 
son  mari ,  était  condamnée  par  la  loi  des  Bourguignons  a 
être  e'touIFée  dans  un  bourbier  (3)  ;  mais  le  mari  qui  ren- 
voyait sa  femme  sans  un  juste  motif,  n'était  tenu  qu'à 
lui  payer  une  somme  pareille  à  celle  qu  il  avait  comptée  à 
ses  parens  pour  obtenir  sa  main_,  et  a  une  amende  de  12 
sols  (4).  Celui  qui  avait  promis  le  mariage  a  une  jeune  fille 
et  qui  récusait  ensuite  sa  promesse,  devait  jurer  avec  12 
témoins  cjue  ce  n'était  pour  aucun  crime,  mais  par  simple 
dégoût ,  qu'il  abandonnait  la  femme  (5), 

Le  but  principal  que  se  proposait  un  Germain  dans  lema- 


(1)  Lex.  Sal,  tit.  2*2. 

Une  loi  des  Lombards  porte  :  51  indumenta  super  genucula  elevaverii 
(niMiLzoïioM  vocatif) ,  cum  12  solid.  componai. 

(2)  La  loi  des  Bourguignons  et  l'édit  de  Théodoric  ne  le  permettent  que 
pour  trois  cas  :  pour  adultère,  maléfice  et  violation  des  tombeaux.  Chez  les 
Visigoths,  la  femme  était  autorisée  à  divorcer  lorsque  son  mari  était  con- 
vaincu d  adultère,  lorsqu'il  avait  autorisé  un  étranger  à  la  violer,  ou  lors- 
quil  avait  commis  le  crime  contre  nature.  Les  Francs  permettaient  à  la 
femme  de  se  remarier  lorsque  son  époux  était  réduit  en  esclavage  ou  con- 
damné à  l'exil.  (Greg.  Tur.,  1.  XIX,  c.  l9.  Capit.  pepini  n°  752,  ^  9.  Touîotte, 
tom.  3,  p.  113). 

«  Celui,  dit  la  loi  salique,  qui  ayant  épousé  une  femme  corrompue  par 
son  frère,  en  épouse  une  seconde  qu'il  trouve  également  corrompue,  ne  peut 
pas  la  quitter;  et  s'il  en  épouse  une  troisième,  il  est  obligé  de  revenir  a  la 
seconde,  et  la  troisième  peut  se  remarier. 

»  La  femme  qui  se  laisse  séduire  par  le  père  de  son  mari,  ne  peut  jamais 
se  remarier,  non  plus  que  son  complice  ;  le  mari  de  cette  femme  peut  en 
épouser  une  autre. 

»  Si  une  fille  mariée  malgré  elle,  quitte  son  époux,  ses  parens  peuvent  la 
donner  a  un  autre.  »  (Touîotte  et  Riva,  tom.  2,  p.  95). 

(3)  Si  quœ  mulier  maritum  suuni,  cui  légitimé  Juncta  est,  dimiserit,  nece- 
iur  in  îuto.  [Lex,  Burg.,  tit.  24,  ^  1). 

(4)  Ibid.,  §  2.  Bajuv.,  tit.  7,  c.  14. 

(5)  Lex.  Bajuv.^  tit.  7,  c.  15. 


2^ 


riage ,  était  de  devenir  le  père  d'une  nombreuse  ligne'e;  parce 
que  plus  sa  famille  était  nombreuse,  plus  il  était  honore  et 
respecte ,  et  plus  aussi  il  acquérait  d'influence  dans  son 
canton;  car,  chez  les  Germains,  comme  chez  les  Arabes  et 
les  sauvages  de  nos  jours ,  le  chef  de  la  maison  commandait 
en  roi  à  sa  famille  ,  sans  avoir  toutefois  droit  de  vie  et  de 
mort  sur  sa  femme  et  ses  enfans  (1).  «  Se  borner  a  un  cer- 
tain nombre  d'enfans,  dit  Tacite,  ou  se  défaire  de  ceux  qui 
naissent  passé  ce  nombre,  est,  chez  les  Germains,  une  abomi- 
nation, et  ici  les  bonnes  mœurs  sont  plus  efficaces  qu'ailleurs 
les  bonnes  lois.  Selon  qu'on  a  plus  ou  moins  de  parens,  plus 
ou  moins  d'alliés ,  on  est  plus  ou  moins  considéré  dans  sa 
vieillesse,  et  il  n'y  a  nul  avantage  a  ne  pas  avoir  des  en- 
fans  (2).  »  Les  lois  des  peuples  germains  témoignent  encore 
mieux  du  prix  que  ces  derniers  attachaient  a  la  paternité  : 
elles  fixent  des  compositions  doubles  pour  le  rapt  d'une 
femme  enceinte,  et  punissent  rigoureusement  les  destruc- 
tions du  fruit  dans  le  ventre  de  la  mère.  Le  code  ripuaire  con- 
damne à  une  triple  composition  le  meurtrier  d'une  femme 
enceinte,  et  la  loi  des  Bavarois  a  deux  cents  coups  d'étrivières 
celui  qui  aura  donné  à  une  femme  grosse  ,  en  état  de  servi- 
lité ,  un  breuvage  pour  la  faire  avorter.  Si  le  crime  avait 
été  commis  envers  une  femme  libre ,  le  coupable  était  ré- 
duit en  esclavage. 

Les  dispositions  contenues  dans  les  codes  barbares  prou- 
vent également  le  respect  dont  on  entourait  une  mère  de 


(1)  La  loi  des  Visigoths  permet  seulement  au  père  et  à  la  mère,  au  grand- 
père  et  h  la  grand'mère.  d'user  de  moyens  de  correction  modérés  à  l'égard 
de  leurs  enfans ,  lorsque  ceux-ci  cohabitaient  enf,ore  avec  eux.  Un  enFaiic 
coupable  d'ingratitude  ou  d'irrévérence  était  puni,  par  ordre  du  juge  et  à 
la  plainte  des  parens,  de  cinquante  coups  de  fouet,  et  perdait  tout  droit  à  la 
succession  paternelle.  (Le.r.  Visig.,  tit.   5,  ^  1), 

(2)  Tacit.,  M.  G.,  c.  19. 


—  202  — 

famille  :  le  code  ripuaire  et  la  loi  salique  soumettent  l'as- 
sassin dîme  femme  âgée  de  moins  de  quarante  ans  et  mère 
de  famille,  a  la  peine  portée  contre  le  meurtrier  d'un 
antrustion  ,  c'est-a-dire ,  à  une  composition  triple  de  celle 
fixée  pour  le  meurtre  d'un  homme  libre  de  condition  ordi- 
naire (1). 

S'il  faut  en  croire  Tacite, les  neveux  du  côté  maternel  n'é- 
taient, chez  les  Germains,  pas  moins  chers  à  leurs  oncles 
qu'à  leur  père  :  «  Quelques-uns,  dit-il ,  persuadés  que  ce 
droit  du  sang  est  plus  sacré  et  plus  inviolable,  prennent 
de  préférence  les  enfans  de  leurs  sœurs ,  comme  des  otages 
qui  lient  plus  étroitement  un  plus  grand  nombre  de  pa- 
rens.  Les  enfans  toutefois  héritent  chacun  de  leur  père  et 
jamais  on  ne  fait  de  testament  (2).  A  défaut  de  ligne  di- 
recte, les  plus  proches  collatéraux  recueillent  la  succes- 
sion (3).  « 

(1)  Lex.Rip.,  tit.  12. 

(2)  ISullum  teslamentum.  —  Cependant  la  loi  salique  semble  prouver  le 
contraire,  en  ordonnant  que  l'héritier  sera  tenu  de  dîner  avec  le  testateur  et 
trois  témoins ,  pour  marquer  que  le  testament  avait  été  fait  de  mûre  délibé- 
ration, (i.  Sal.,  tit.  49).  Cette  coutume  pouvait  toutefois  ne  pas  encore 
exister  h  l'époque  où  écrivait  Tacite. 

(3)  Tacit.,  i/.  G.,  C.20. 

Néanmoins  les  codes  barbares  témoignent  que  les  lois  qui  concernaient  le 
droit  de  succession  n'étaient  pas  les  mêmes  chez  tous  les  peuples  germains. 
Chez  les  Thuringiens,  les  fils  d'un  homme  mort  intestat^  recueillaient  toute 
la  succession:  à  leur  défaut,  les  filles  et  les  sœurs  du  défunt,  s'il  n'y  avait 
point  d  enfans,  possédaient  l'argent  et  les  esclaves.  Le  plus  proche  parent 
mâle  héritait  de  tous  les  biens,  si  la  personne  morte  ne  laissait  ni  enfans, 
m  sœur,  ni  mère.  A  défaut  de  mâles,  la  succession  appartenait  aux  femmes 
du  degré  le  plus  proche.  {L.  Thur.,  tit.  VI.  §  1,  2,  3,4  et  8.  Toulotte,  tom.  3, 
p.  141). 

Chez  les  Bavarois,  les  biens  du  père  se  partageaient  entre  les  fils,  et  ceux 
de  la  femme  entre  les  filles.  L'enfant  provenu  d'une  esclave  ne  participait 
pas  à  la  succession  du  père.  (L.  Bajuv.,  tit.  11,  c.  8).  —  Chez  les  Lombards, 
les  enfans  naturels  avaient  un  tiers  des  biens  de  leur  père  défunt,  mais  les 
enfans  iiiégitinies,  nés  du  commerce  avec  une  esclave,  n'avaient  aucun  droit 


^-  203 


Une  loi  générale  chez  tous  les  peuples  germains,  c'était 
que  le  fils,  ou  ,  a  son  défaut ,  le  plus  proche  des  agnats  hé- 
ritât des  armes  et  de  tout  ce  qui  avait  été  a  l'usage  particu- 
lier du  défunt ,  sous  le  nom  de  Heergewette.  Les  habits  de 
femme  et  les  ustensiles  déménage  devenaient,  sous  le  nom 
de  gerade,  le  partage  de  la  veuve  du  défunt  ou  de  ses 
cognats  (1). 


à  la  succession,  si  le  père  était  mort  intestat.  {L.  Long.,  1.  II,  c.  Î4.  Toulotte, 
tom.  3,  p.  145).  A  défaut  d'enfans,  la  loi  des  Bavarois  accordait  à  la  femme 
du  défunt  la  possession  de  la  moitié  de  ses  biens,  aussi  longtemps  qu'elle 
restait  veuve;  l'autre  moitié  échéait  aux  parens  de  l'époux  jusqu'au  7^  degré. 
A  leur  défaut  elle  appartenait  au  fisc.  {L.  Baj.,  tit.  Il,  c.  9). 

Chez  les  Gotiis,  hommes  et  femmes,  parens  au  même  degré,  partageaient 
également  la  succession  du  mort  intestat.  Les  codes  ripuaire,  salien,  saxon 
et  bourguignon  donnent  la  préférence  aux  mâles,  et  excluent  les  femmes  du 
même  degré  qu'eux.  Chez  les  Bourguignons,  les  sœurs  excluaient  leurs  frères  de 
la  succession  de  la  sœur  morte  dans  le  célibat.  «  11  paraît,  dit  Toulotte,  que 
chez  les  Francs-Ripuaires,  les  enfans  des  deux  sexes  recueillaient  la  succes- 
sion de  leurs  père  et  mère,  libre  de  toutes  dettes  et  charges,  déduction  faite 
préalablement  des  compositions  légales  et  des  amendes  que  devait  le  défunt; 
mais  tous  les  autres  parens ,  qui  recevaient  de  la  succession  la  valeur  d'un 
solidus ,  et  qui  avaient  touché  son  iveregild,  s'il  avait  été  tué,  étaient  tenus 
de  payer  ses  dettes  et  d'assurer  l'exécution  de  ses  actes.  {Leg.  Rip.,  tit.  67 
et  79.  Leg.  Tlmring.,  tit.  VI.  §  5).  Chez  les  Bourguignons,  l'héritier  était 
obligé ,  dans  tous  les  cas,  de  payer  toutes  les  dettes  de  son  ascendant,  à  moins 
qu'il  ne  renonçât  à  la  succession.  Si  un  homme  avait  été  condamné  à  être 
pendu,  ses  héritiers  n'en  recueillaient  pas  moins  sa  succession.  {Leg.  Rip. y 
tit.  79.  Vis.,  l.  YI,  c.  8.  Burg.,  tit.  47,  ^  3).  »  (Toulotte,  tom.  3,  p.  146). 

11  est  inutile  de  consigner  ici  les  dispositions  des  codes  germaniques  rela- 
tivement a  Ihéritage  des  terres,  parce  qu'à  l'époque  dont  nous  nous  occu- 
pons dans  cet  ouvrage,  les  Germains  ignorant  encore  la  propriété  fon- 
cière, ces  lois  ne  peuvent  avoir  été  décrétées  que  depuis  le  5'=  siècle  lorsque 
ces  peuples  devinrent  maîtres  de  la  Gaule.  — Pour  des  détails  plus  am- 
ples sur  le  droit  de  succession  chez  les  différons  peuples  teutons ,  voir  Tou- 
lotte et  Riva.  tom.  3,  chap.  3  et  4. 

(1)  Dithmari  ISotœ  in  Taciti  Mor.  Germ.,  c.  18.  Tacit.j  ibid.,  c.  32.  Lex. 
Burq.,  tit.  5,  c.  4. 


—  204  — 
§  VI. 

Armées,   armes  et  tactique  militaire   des  peuples   germains. 

Comme  les  Gaulois,  comme  tous  les  peuples  barbares,  les 
Germains  croyaient  que  le  me'tier  des  armes  était  la  seule 
occupation  digne  d'un  homme  libre ,  le  seul  moyen  propre 
à  acquérir  de  la  gloire,  le  seul  art  à  cultiver  (1).  Depuis  la 
tendre  enfance  jusqu'à  lextréme  vieillesse,  ce  mâle  exer- 
cice absorbait  toutes  les  facultés  morales  et  physiques  du 
Germain.  Tout  dans  1  éducation  dun  Germain  tendait  à 
le  rendre  habile  dans  le  maniement  des  armes.  On  l'ac- 
coutumait dès  sa  naissance  a  supporter  la  fatigue  et  à  braver 
les  intempe'riesdu  climat  et  les  privations  de  la  vie  avantu- 
reuse  des  camps.  A  peine  sorti  du  sein  maternel,  l'enfant 
était,  dans  la  saison  même  la  plus  rigoureuse,  plongé  nu 
dans  l'eau  d'un  fleuve  ou  d'une  rivière  (2).  Souvent  c'était 
la  mère  elle-même  qui  portait  à  la  rivière  l'enfant  auquel 
elle  venait  de  donner  le  jour.  L'épée  et  le  javelot  étaient 
les  premiers  objets  que  maniaient  ses  tendres  mains.  C'é- 
taient, suivant  l'expression  de  Tacite,  les  jeux  de  son  en- 
fance (3). 

Parvenu  à  l'âge  de  puberté,  le  jeune  Germain  était 
introduit  dans  l'assemblée  nationale  par  un  des  chefs,  par 


(1)  Germanis  quid animosius  ?  quid  ad  încursuum  acrms?  quid  armorum 
eupidius?  quibus  innascuntur,  inniitriunturque?  quorum  unum  illis  cura 
est,  in  alla negligentibus.  (Seneca,  de  ira,  c.  11). 

(2)  Quis  quœso  nostrum  sustineat  modo  ediium  infantulum  et  ah  utero 
adhuc  calentem  ad  fiumen  déferre  ibique,  ut  apud  Germanos  fieri  aiunt, 
i-eu  candens  ferrum,  in  frigidam  aquam  immergendo,  simul  de  naturâ  vigore 
periculum  facere,  s'unulque  corpus  ipsum  roborare.  (Galenas,  I.  l,de  tuenda 
sanitate). 

(3)  m  lusus  infantiœ ,  hœcjuvenum  œmulatio .  persévérant  senes .  (Tacît., 
M.  G.,  c.  32). 


205  - 


son  père  ou  un  de  ses  parens.  11  y  recevait  de  leurs  mains  un 
bouclier  et  une  frame'e  :  «  C'est  là,  dit  Tacite,  leur  stage, 
c'est  la  le  premier  grade  pour  leur  jeunesse  ;  on  les  regarde 
jusqu'alors  comme  membres  de  la  famille,  maintenant  ils 
le  deviennent  de  l'état  (1).  » 

La  manière  de  déclarer  un  jeune  homme  propre  à  porter 
les  armes,  était  de  lui  ceindre  l'ëpëe,  aprèslui  en  avoir  donne 
trois  coups  surl'e'paule.  Par  cette cëre'monie,  introduite  plus 
tard  dans  les  lois  de  la  chevalerie,  il  sortait  de  la  tutelle  et 
devenait  citoyen  actif.  Avant  cet  acte  solennel,  il  n'était 
point  permis  au  Germain  adolescent,  sans  en  excepter  le 
fils  même  du  roi ,  de  s'asseoir  a  la  table  de  son  père  (2). 

Se  distinguer  alors  par  des  actions  d'éclat  était  le  moyen 
le  plus  puissaiîtd'obtenir  la  considération  de  ses  concitoyens 
et  de  parvenir  aux  premières  dignités  de  l'état  (3).  «  Lors- 
qu'une cité  languit  dans  une  longue  paix  ,  presque  toute  sa 
jeune  noblesse  ,  sans  être  appelée  par  les  nations  c|ui  se  font 
la  guerre,  y  va  servir,  parce  que  le  repos  est  un  état  vio- 
lent pour  les  Germains,  que  les  dangers  leur  abrègent  la 
route  de  la  gloire ,  que  le  prince  n'entretient  une  cour 
nombreuse  {magnum  comitatum)  qu'avec  la  guerre  et  les 
rapines;  car  ils  n'exigent  de  sa  libéralité  que  le  cheval 
de  bataille  et  cette  victorieuse  framée  teinte  du  sang  de 


(1)  Tacit.,  31.  G.,  c.  13. 

«  Les  garçons  et  les  filles  étaient  considérés  comme  enfans  jusqu'à  leur 
quatorzième  année.  Avant  d'être  parvenus  à  cet  âge,  ils  avaient  leurs  parens 
pour  tuteurs  naturels.  La  majorité  était  fixée  h  quinze  ans  chez  les  Bourgui- 
gnons et  chez  les  Francs-Ripuaires.  {Rip.,  tit.  74  et  81.  —  Burg.,  tit.  84, 
^  1  et  2  ).  A  l'âge  de  treize  ou  quatorze  ans,  les  filles  des  Anglo-Saxons 
avaient  la  libre  disposition  de  leur  personne;  les  fils  pouvaient  choisira 
quinze  ans  la  carrière  qui  leur  plaisait  davantage.  (Turner,  IV,  p.  55).  » 
(Toulotte,  tom.  3,  p.  125). 

(2)  Paul.  Diac,  Hist.  Longoh.,  1.  I,  c.  15. 

(3)  Tac,  M.  G.,  c.  7. 


remiemi.  Sa  laîale  grossièrement  servie ,  mais  abondante  , 
leur  tient  lieu  de  solde;  sa  munificence  est  uniquement 
fondée  sur  le  butin ,  sur  le  pillage ,  et  vous  ne  persuade- 
riez pas  aussi  aisément  aux  Germains  de  solliciter  la  terre , 
d  aspirer  à  ses  faveurs  annuelles ,  que  de  provoquer  l'en- 
nemi, que  de  s'attirer  ses  coups;  bien  plus,  suivant  eux, 
c'est  faine'antise  et  bassesse  de  payer  de  ses  sueurs,  ce  qu^on 
peut  avoir  au  prix  de  son  sang. 

c(  Une  illustre  naissance  ou  les  grands  services  d'un  père 
sont  l'appui  des  plus  faibles  enfans  pour  monter  a  la  dignité 
de  prince.  Sitôt  cju'ils  comptent  leurs  années  par  d'honora- 
bles épreuves,  les  autres  Jeunes  gens  s'attachent  a  leur  per- 
sonne ,  et  l'on  ne  rougit  point  du  titre  de  compagnon  d'ar- 
mes; au  contraire,  ce  service  même  comporte  une  distinction 
de  rangs  que  règle  l'estime  du  chef,  et  il  y  a  e'mulation  chez 
eux  a  qui  sera  le  plus  avant  dans  ses  bonnes  grâces  ;  chez  les 
princes  à  qui  aura  le  plus  nombreux  et  le  plus  fidèle  cor- 
tège ;  voilà  leur  gloire ,  voila  leur  puissance ,  c'est  d'avoir 
sans  cesse  autour  d'eux  un  essaim  de  jeunes  gens  d'élite , 
leur    ornement   durant   la  paix,  leur   sûreté  durant  la 

guerre Dans  un  combat  le  prince  et  ses  compagnons 

d'armes  ne  se  quittent  point;  il  serait  honteux  à  lui  de  leur 
céder  en  valeur ,  honteux  a  eux  de  ne  pas  l'égaler  ;  mais  une 
infamie,  un  opprobre  dont  ils  ne  se  laveraient  jamais ,  se- 
rait d'avoir  survécu  à  la  bataille  où  il  aurait  péri  ;  le  cou- 
vrir ,  le  défendre ,  grossir  même  sa  gloire  de  leurs  propres 
exploits ,  voilà  le  plus  sacré  de  leurs  engagemens  ;  le  prince 
combat  pour  la  victoire,  eux  pour  le  prince  (1).  » 

Ce  passage  nous  apprend  que  ces  solduril  des  Gaulois , 
ces  compagnons  dévoués  à  la  vie  et  à  la  mort  à  un  chef  il- 

(1)  Tacit,  M.  G.,  c.  13.  Cœs.,  1.  VL  c.  23.  Amm.  MarceîL,  I.  XVI.  Aim., 
L  I,  c.  12.  De  Buat,  tom.  I,  p.  81,  ni. 


—  207  — 

lustre,  existaient  de  même  chez  les  Germains.  Dans  les 
codes  de  ces  derniers  ils  portent  le  nom  à' anstrustiones  ^ 
leiicli  ^  vas  si  (1). 

Tous  les  ans  il  se  tenait  au  mois  de  mars  une  assemblée 
générale  de  chacjue  peuplade,  où  tout  homme  pubère  était 
tenu  de  se  présenter  avec  ses  armes.  La  on  délibérait  de  la 
guerre  et  on  fixait  le  contingent  des  troupes  à  fournir  pour 
la  prochaine  campagne  ;  car  dans  les  guerres  ordinaires  il 
n'y  avait  que  la  moitié  ou  le  tiers  de  la  population  mâle , 
qui  fut  mise  en  réquisition  ;  mais  lorscju  il  s'agissait  de  dé- 
fendre la  patrie  contre  mi  ennemi  formidable ,  personne 
n'était  exempt  du  service  militaire,  chez  les  Germains , 
comme  chez  les  Gaulois  (2). 

On  attendaitpourse  mettre  en  campagne,  que  les  herbes 
fussent  venues, «et  c'est  même,  dit  De  Buat,  la  raison  pour 
laquelle  le  plaid  de  mars,  cessa  d'être  fixé  au  premier  de 
ce  mois,  et  se  tint  communément  beaucoup  plus  tard  (3).» 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  IX,  c.  29.  Jppend.  Greg.,  c.  54,  41.  Gesta  regum 
Francor.,  c.  13.  Leg.  Barhar.  irnssim. 

Ce  furent  les  antrustions  d'Ambiorix  qui  soustrairent  ce  roi  des  Eburons 
aux  poursuites  de  César  en  se  dévouant  pour  lui  (Cses.,  1.  \  I,  c.  30). 

Le  mot  antmstio  dérive  probablement  du  teuton  trewest  (très-fidèle) 
(Reynier,  p.  125).  Cette  étymologie  est  préférable  à  celle  que  de  Buat  donne 
de  cette  dénomination  qu'il  fait  venir  de  truste  :  «  parce  que,  dit-il,  pour 
parler  le  langage  de  ce  temps-là,  ils  étoient  la  consolation  de  ceux  qui  ser- 
voient  le  roi.  »  (De  Buat,  tom.  2, p.  117).  Cependant  truste  signifie  plutôt  foi, 
fidélité,  et  plusieurs  auteurs  traduisent  le  mot  antrustion  ^^ar  homme  dans 
la  foi  du  prince  {in  truste  domini).  Voir  Toulotèe,  tom.  2,  p.  144. 

(2)  Cses.,  1.  Il  et  1.  IV,  c.  18.— Sous  Charlemagne  il  ny  avait  plus  que 
ceux  qui  possédaient  trois  mansi  (36  acres  de  terre)  qui  fussent  obligés  de 
se  rendre  en  personne  à  Tarmée;  celui  qui  ne  possédait  qu'un  manoir,  était 
tenu  de  contribuer  avec  les  possesseurs  de  deux  autres  manses  à  l'équipe- 
ment d'un  bomme  de  guerre. 

(3)  De  Buat,  tora.  2,  p.  526.  «  Lorsque  l'armée  devait  se  mettre  en  cam- 
pagne ,  dit  le  même  auteur,  on  cnvoyoit  ordre  aux  comtes  de  faire  conserver 
les  deux  tiers  des  berbes  dans  les  lieux  par  où  dévoient  passer  les  troupes. 


~  208  — 

A  1  époque  fixée  par  l'assemLlëe ,  au  plaid  du  champ  de 
mars,  pour  la  revue  ge'ne'rale  de  l'armée  qui  devait  entrer  en 
campagne,  le  chef  de  chaque  canlon  publiait  le  ban  parle 
cri  aux  armes  et  en  levant  l'ëtendard  (1).  Alors  chaque 
homme  mis  en  réquisition,  devait  se  présenter  a  l'appel, 
avec  armes  et  bagages ,  muni  de  vivres  pour  trois  mois  et 
d'habits  pour  une  demi-annëe  (2). 

Nous  avons  vu ,  dans  le  chapitre  pre'ce'dent ,  que  les  lois 
des  Celtes  condamnaient  a  un  cruel  supplice,  non-seulement 
ceux  qui  manquaient  de  se  rendre  à  Farmëe,  mais  ceux 
même  c{ui  ne  se  trouvaient  point  à  l'appel,  au  moment  dé- 
signé. Les  codes  des  Germains  se  montrent  moins  sévères  : 
ils  ne  punissent  le  coupable  que  d'une  simple  amende  qui 
portait  le  nom  à'herebanum  ou  aribanuni,  excepté  lorsque 
l'éruption  des  ennemis,  était  suivie  de  la  dévastation  de  la 
province  ;  alors  il  y  avait  peine  de  mort  contre  celui  qui 
ne  se  rendait  pas  aux  ordres  du  comte  (3).  La  désertion , 
lorsqu'on  était  en  présence  de  l'ennemi  et  la  trahison  étaient 
aussi  punis  avec  la  dernière  rigueur;  tout  autre  délit  con- 
tre la  discipline  ne  l'était  cjue  par  une  simple  amende  (4). 

C'étoît  là  le  seul  cas  où  Ton  fit  pâturer  les  herbes  des  propriétaires  dans  le 
temps   où  elles  étoient  en  défense,  etc.  »  (De  Buat,  tom.  2,  p.  527). 

(1)  De  Buat,  tom.  2,  p.  449. 

(2)  Telle  était  la  loi  sous  Charlemagne;  mais  elle  datait  d'une  époque 
antérieure;  car  dans  le  capitulaire  où  cet  empereur  fixe  l'organisation  des 
armées ,  il  dit  :  «  Nous  avons  ordonné  que,  suivant  Yaticienne  coutume,  on  pu- 
bliât Tordre,  et  qu'on  observât  la  même  manière  de  se  mettre  en  campagne. 
En  conséquence  nous  voulons  qu'on  se  fournisse  de  vivres,  dans  chaque  pro- 
vince, pour  trois  mois,  et  d'armes  et  d'habits  pour  une  demi-année.  »  (Bar- 
Qmet.  Hist.  du  gouvernem.  féodal,  p.  20). 

(3)  Hachenberg,  Biss.,  IV,  §  22.  Reynier,  p.  134  et  299.  De  Buat,  tom. 
1,  p.  103,  tom.  2,  p.  449.  —  Sous  Charlemagne,  un  antrustion  était  con- 
damné a  se  passer  de  vin  et  de  viande  autant  de  jours  qu'il  s'en  était  écoulés 
avant  qu  il  n'eut  réjoint  larmée  après  le  terme  fixé.  [Cap.  Car.  Mag.  ad  Aq. 
Palat,  ann.  807,  §  4,  2.  Toulotte  et  Riva,  tom.  2,  p.  172). 

(4)  Toulotte  et  Riva,  ibid. 


-^  209  — 

La  force  principale  des  arme'es  germaniques  consistait 
dans  l'infanterie  (1);  César  le  dit  nommément  des  Ner- 
viens  (2).  Quelques  peuplades  faisaient  néanmoins  excep- 
tion à  cet  égard  :  tels  étaient,  pour  la  Belgique,  les  Trevi- 
riens,  dont  la  nombreuse  cavalerie  jouissait  dune  haute 
renommée  dans  toute  l'étendue  des  Gaules  (3). 

Les  chevaux  des  Germains,  quoique  petits,  frêles  et  d'une 
chétive  apparence  ,  étaient  parfaitement  exercés  aux  évo- 
lutions militaires  (4).  La  cavalerie  servait  principalement 
aux  escarmouches  et  a  la  première  attaque  (5).  On  la  mêlait 
aussi  avec  l'infanterie  qui,  dit  Tacite,  observait  avec  pré- 
cision tous  les  mouvemens  des  chevaux  (6). 

Les  armées  des  Germains ,  rangées  en  ordre  de  ba- 
taille ,  figuraient  un  triangle  dont  les  angles  et  les  cotés 
étaient  formés  par  des  soldats  d'une  bravoure  éprou- 
vée (7).  ce  Le  grand  moyen,  dit  Tacite ,  d'inspirer  du  cou- 


(1)  In  universum  œsîimanti  plus  pênes  peditem  rohoris.  (Tac,  31.  G., 
c.  6).  —  a  Les  armées  françaises  étaient  tontes  composées  dinfanterie  :  Is 
peu  de  cavalerie  qu'on  y  voyait,  se  rangeait  autour  de  la  personne  du  mo- 
narque, quand  il  commandait  lui-même  :  elle  était  formée  des  leudes  et 
des  convives  du  roi ,  dont  une  des  principales  fonctions  était  de  servir  et 
d'accompagner  le  prince  à  l'armée  et  dans  les  lieux  qu'il  avait  choisis  pour 
sa  résidence.  »  (Barginet,  p.  19). 

(2)  Nervii  antiquitus,  quum  cquitaiu  nihil  passent  {neque  enim  ad  hoc 
tempus  ei  rei  student ,  scd  quidquid  possunt,  pedestrihus  valent  copiis),  etc. 
(Cœs.,  1.  II,  c.  17). 

(3)  Equités  Treviri,  quorum  inter  Gallos  virtutis  opinio  est  singulan's. 
(Cœs.,  1.  IL  c.  24). 

Hœc  civitas  longé  p^wrwn^wi  intius  Galliœ  equitatu  valet,  magnasquc 
hahet  copias  pediium.  (Id.,  1.  V,  c.  3). 

(4)  In  rectum  aut  uno  flexu  de.rtros  agunt,  ità  eonjuncio  orbe,  ni  nemo 
posterior  sit  (Tac,  M.  G.,  c.  6), 

(5)  Cœs.,  1.  I,  c  48. 

(6)  Tac,  M.  G.,  c.  6. 

(7)  Acies  per  cuneos  componitur.  (Id,,  c.  6). 

Erat  lis  (Francis)  forma  aciei  instar  cunei  ^  literœ  fguram  referens , 
Tome  L  14 


--  210  — 

rage  aux  Germains,  c'est  de  ranger  leurs  troupes  en  coins 
ou  en  escadrons  (  Turmam  a  ut  cuneum  (1)  ),  non  au  ha- 
sard, ni  d'après  un  assemblage  fortuit,  mais  suivant  les 
degrés  du  sang  et  de  la  parenté.  C'est  sans  relâcher  alors 
ces  doux  liens ,  de  tenir  assez  près  d'eux  leurs  femmes  et 
leurs  enfans ,  pour  que  les  hurlemens  des  unes ,  pour  que 
les  cris  des  autres  se  puissent  faire  entendre  :  voilà  les  té- 
moins les  plus  imposans  pour  eux ,  voilà  leurs  panégyristes 
les  plus  acrédités  :  c'est  à  leurs  mères ,  c'est  à  leurs  épouses 
qu'ils  vont  montrer  leurs  blessures  ;  loin  de  pâlir  à  cette 
vue  ou  dans  cette  recherche,  elles  raniment  les  combattans 
par  des  rafraîchissemens  et  des  exhortations. 

»  Reculer  pour  retourner  à  la  charge ,  c'est  plutôt ,  sui- 
vant eux,  prudence  que  lâcheté.  Ils  emportent  leurs  morts 
dans  la  chaleur  même  de  l'action.  Y  laisser  son  bouclier 
est  le  comble  de  l'opprobre  ;  comme  une  personne  convain- 
cue de  cette  infamie ,  ne  peut  assister  aux  sacrifices ,  ni  en- 
trer dans  les  assemblées ,  plusieurs  guerriers  retirés  ,  ont 
abrégé  leur  déshonneur  en  se  donnant  la  mort  (2).  » 

A  la  tête  des  armées  se  trouvaient  les  troupes  d'élite  for- 
mées des  guerriers  les  plus  braves ,  choisis  au  nombre  de 
cent  dans  chaque  canton  (3).  Chaque  division  d'une  armée 
se  ralliait  autour  d'un  étendard  portant  pour  emblème  la 
figure  d'un  animal  (4).  L'armée  était  flanquée  de  chariots 


anteriori  sui  parte  in  acutum  desinens.  (Agath.,  Hist.  Justin.,  1.  II). 

Dans  les  campemens.  les  Germains  choisissaient  ordinairement  les  Lords 
d'une  rivière.  (Hirtius,  1.  VIII,  c.  36). 

(1)  Les  armées  des  Francs  étaient  divisées  en  régîmens,  appelés  scari  ou 
scarœ.  (Aim ,  1.  IV,  c.  26.  De  Buat,  tom.  2,  p.  447,  451). 

(2)  Tacit.,  M.  G.,  c.  6. 

(3)  Tacit.,  M.  G.,  c.  6.  Cœs.,  1. 1,  c.  48. 

(4)  Effigiesque  et  signa  quœdam  detracta  îucis  inprœlium  fenmt.  (Tacit., 
iV.  G.,  c.  7,  et  Hist,  1.  IV.  Plutarch..  m  ^lario). 


—  2Î1  — 

armés  de  faux  {rhedœ^  (1),  et  dans  lesquels  étaient  placés 
les  femmes ,  les  vieillards  et  les  enfans  qui  animaient  les 
combattans  par  leurs  cris,  comme  les  bardes  par  leurs 
chants  de  guerre  (2). 

Les  armes  offensives  du  Germain  étaient  la  pique,  la 
hache  d'armes ,  le  javelot,  Tépée  et  la  lance.  La  pique,  à 
laquelle  ils  donnaient  le  nom  àeframée,  avait  le  fer  court 
et  étroit ,  mais  si  bien  acéré  et  si  maniable  que  les  guerriers 
combattaient  avec  cette  arme  de  loin  comme  de  près.  Elle 
était  particulièrement  d'usage  dans  la  cavalerie,  c|ui,  suivant 
Tacite,  n'était  armée  que  de  la  framée  et  du  bouclier  (3). 

La  hache  d'armes  était  k  deux  tranchans  ;  celle  qui 
avait  un  long  manche  s'appelait  hallebarde. 

L'épée  était  de  deux  espèces  :  l'épée  courte,  le  plus  souvent 
recourbée ,  s'appelait  swerd  et  pendait  a  un  ceinturon ,  qui 
passait  sur  l'épaule  droite  (4)  ;  le  glaive ,  long ,  large  et  sans 
pointe,  éldiiinoxTimé spadoxxspada  (espadon).  C'était  l'arme 
dont  s'étaient  servis  les  Cimbres ,  au  rapport  de  Plutarque  ; 
néanmoins.  Tacite  remarque  que  de  son  temps  l'épée  et  la 
lance  étaient  encore  de  peu  d'usage  chez  les  Germains  (5). 

Les  drapeaux  des  Francs  portaient  la  figure  d'un  lion  et  d'un  serpent, 
ceux  des  Gotlis  celle  d'un  dragon  en  temps  de  guerre,  et  celle  d'un  agneau 
en  temps  de  paix. 

(1)  Cses.,  1.  I,  c.  51.  1.  IV,  c.  14.  Tit.  Liv.,  1.  X,  c.  28.  Pers.,  Sat.  6. 

(2)  Les  Germains  sonnaient  la  charge  au  moyen  d'un  cor  qui  rendait  un 
son  rude  et  sauvage  :  Horridum  helUceqme  terrori  convenientem  sonum.  (Diod. 
Sic,  1.  V.  ^ 

yangiones,  Batavique  trucsem  quos  œre  recurvo 
Stridentes  acuere  tubœ. 

(Lucan.,  Phars.,  1.  ï). 

(3)  Hastas,  vel  ipsorum  vocabulo  frameas,  gerunt,  angusto  et  brevi  ferro^ 
sed  ita  acri  et  ad  usum  hahili,  ut  eodem  telo,  proui  ratio  poscit,  vel  conti- 
nus vel  eminùs  pugnent.  Et  eques  quidem  scuta  frameâque  contentais  est. 
(Tac,  M.  G.,  c.  7). 

(4)  Mallet.  Introd.  à  VHist.  du  Danemarc ,  p.  151. 

(5)  Rari  gladiis  aut  majorihns  lanceis  tttuntur.  [M.  G.,  c  6). 


—  212  — 

Il  ne  paraît  pas  qu'ils  se  servissent  déjà  alors  de  Tare  et  de 
l'arbalète  ;  cependant  Strabon  les  donne  pour  armes  aux 
Belges. 

Les  armes  de'fensives  du  Germain  étaient  le  bouclier ,  le 
casque  et  la  cuirasse  (1)  mais  les  deux  derniers ,  faits 
ordinairement  de  cuir,  paraissent  n'avoir  été  portés  que 
par  les  chefs  ou  les  personnes  les  plus  distinguées.  Le  com- 
mun des  guerriers  marchait  au  combat  le  corps  presque 
nu  et  la  tête  découverte,  ou  affublée  d'une  peau  d'animal 
sauvage  (2). 

Les  boucliers ,  d'osier  ou  d'un  bois  léger ,  étaient  de 
forme  oblongue  et  peints  de  diverses  couleurs  (3).  «  On 
s'en  servait  non-seulement  pour  repousser  les  traits  de 
l'ennemi ,  mais  encore  ,  dit  Mallet,  pour  porter  les  morts 
en  terre ,  pour  épouvanter  l'ennemi  en  frappant  dessus , 
pour  former,  au  besoin,  des  espèces  de  couverts  et  de  tentes 
quand  on  campait  en  rase  campagne ,  et  que  le  temps  était 
mauvais.  Dans  les  batailles  navales ,  ils  n'étaient  pas  d'une 

Cependant  il  est  fait  expressément  mention  de  la  lance  dans  la  loi  des 
Ripuaires.  [Lex  Ripuar.,  tit.  36).  Les  Saxons  portaient  mie  espèce  d'épées 
qui  leur  était  particulière  :  elles  étaient  longues ,  courbées  comme  des  faux ,  et 
avaient  leur  tranchant  dans  un  sens  opposé  à  celui  de  ce  dernier  instrument.  Ils 
donnaient  a  cette  arme  le  nom  de  seaxes  ou  seaxen  et  prétendaient  en  avoir 
reçu  le  nom  de  Saxons.  Ils  portaient  outre  cette  épée.  qui  leur  pendait  au 
côté  droit,  un  couteau  et  un  poignard  tenu  dans  une  gaîne  séparée.  (Strutt, 
l'Angleterre  ancienne,  tom.  1). 

Du  temps  de  Charlemagne ,  la  lance  était  devenue  Tarme  la  plus  noble  et 
de  l'usage  le  plus  général.  (Leges  Francor.,  l.  III,  c.  4.  Capitul.,   Car,  M., 

(1)  Spata  cum  scogilo,  bruniam  (loricam),  hehnuni  cum  directo  [al.  con- 
dricto),  hainhergas,  scutum  cum  lancea.  [Lex.  Ripuar.,  tit.  36). 

(2)  JVndi  aut  sagulo  levés;  nulla  cuUùs  Jactatio....  Paucis  loricœ,  vix  uni 
aUerive  cassis  aut  galea.  (Tac,  M.  G.,  c.  6,  Annal.,  1.  I,  c.  13). 

(3)  Ne  scuta  quidem  ferro  nervoque  firmata,  sed  viminum  textus,  vel 
tenues  et  fucaias  colore  tabulas.  (Tac,  Annal.,  1.  I,  c.  13.  M.  G.,  c.  6.  Caes., 
1.  III,  c.  33). 


-  213  — 

moindre  utilité ,  car  si  la  crainte  de  tomber  entre  les  mains 
des  ennemis  obligeait  quelqu'un  à  se  jeter  dans  la  mer ,  il 

pouvait  aisément  se  sauver  h  la  nage  sur  son  bouclier 

Enfin  on  se  faisait  quelquefois  un  rempart  de  ses  boucliers, 
en  les  serrant  les  uns  contre  les  autres ,  en  forme  de  cercle, 
et  a  la  fin  de  la  campagne  ,  de  retour  chez  soi ,  on  les  sus- 
pendait aux  murs  de  sa  maison  ,  comme  le  plus  bel  orne- 
ment dont  on  put  la  décorer  (1).  » 

l^îallet  prétend  qu'il  n'était  pas  permis  a  tous  les  Ger- 
mains indifféremment  de  porter  des  boucliers  peints  ou 
gravés.  «  Quand  un  jeune  homme,  continue-t-il,  était  pour 
la  première  fois  enrôlé,  on  lui  donnait  un  bouclier  tout 
blanc  et  tout  uni ,  qu'on  nommait  écu  d'attente.  11  le  por- 
tait jusqu'à  ce  que,  par  quelque  action  d'éclat,  il  eut  obtenu 
la  permission  d'y  faire  graver  les  marques  glorieuses  de  sa 
bravoure  ;  c'est  pour  cette  raison ,  qu'il  n'y  avait  que  des 
princes  ou  des  hommes  distingués  par  leurs  services ,  (}ui 
osassent  porter  des  boucliers  ornés  de  quelque  symbole  ; 
le  commun  des  soldats  ne  pouvant  guère  obtenir,  surtout 
dans  la  suite  des  temps ,  une  distinction  dont  les  grands 
étaient  si  jaloux.  Déjà  même  dans  l'expédition  des  Cimbres, 
la  plus  grande  partie  de  l'armée  n'avait,  au  rapport  de 
Plutarque ,  cjue  des  boucliers  blancs.  Dans  la  suite ,  mais 
longtemps  après,  ces  symboles  que  les  guerriers  illustres 
avaient  adoptés ,  passant  des  pères  aux  fils  ,  produisirent 
dans  le  nord  ,  comme  dans  le  reste  de  l'Europe,  les  armes, 
ou  armoiries  héréditaires  (2).  » 

La  description  qu'Agathias,  historien  du  6«  siècle,  nous 
donne  des  armes  des  Francs,  est  un  résumé  de  tout  ce  que 
nous  venons  de  dire  sur  la  manière  dont  les  Germains  s'é- 


(1)  Mallct,  Introcl  à  l'JIisf.  du  Dancm.,  p.  152. 

(2)  Mallet,  p.  153. 


—  214  — 

quîpaient  pour  la  guerre.  «  Ils  ne  savent ,  dit-il ,  ce  que  c'est 
que  de  cuirasse,  de  cuissars ,  ni  de  bracelets  ;  la  plupart 
ont  la  léte  découverte,  et  il  y  en  a  très-peu  qui  portent  des 
casques;  ils  sont  nus  par  devant,  et  par  derrière  jusqu'à  la 
ceinture ,  ils  ont  le  reste  du  corps  couvert  de  peaux  ou  de 
toile  ;  ils  ne  se  servent  presque  point  de  chevaux ,  parce- 
qu  ils  sont  merveilleusement  exerces  dès  leur  première  jeu- 
nesse a  combattre  a  pied,  selon  la  coutume  de  leurs  pays. 
Lepëe  et  le  bouclier  (1)  leur  pendent  au  coté  gauche  ; 
ils  n'ont  point  de  frondes,  de  dards,  d'arcs,  de  flèches  ni 
d'autres  armes  propres  à  être  jete'es  de  loin.  Ils  se  servent 
principalement  de  haches  qui  coupent  des  deux  cotes  et 
do  javelots ,  cjui  n'étant  ni  fort  grands ,  ni  aussi  trop  petits, 
mais  médiocres ,  sont  propres,  et  à  jeter  de  loin  dans  le  be- 
soin ,  et  à  combattre  de  près  (2).  Ils  sont  tous  garnis  de 
lames  de  fer,  de  sorte  qu'on  n'en  voit  point  le  bois.  Au-des- 
sous de  la  pointe  il  y  a  des  crochets  fort  aigus  et  recourbés 
en  Ifâs  en  forme  de  hameçon.  Quand  le  Franc  est  dans  une 
bataille,  il  jette  le  javelot;  s'il  entre  dans  le  corps  de  l'en- 
nemi,  il  est  difficile  de  l'en  retirer,  à  cause  des  crochets , 
qui  sont  enfoncés  dans  les  chairs,  et  qui  causent  de  grandes 
douleurs  de  sorte  que  quand  la  blessure  n'aurait  pas  d'ail- 
leurs été  mortelle ,  elle  ne  laisse  pas  de  causer  la  mort  ;  si  le 
javelot  ne  perce  que  le  bouclier,  il  y  demeure  attaché  et  traîne 


(1)  Les  Francs  portaient  des  boucliers  faits  de  peaux  de  bétes  fauves,  pi- 
quées et  matelassées.  Pour  marquer  le  centre  de  la  partie  convexe  du  bouclier,, 
ils  y  attachaient  un  cercle  de  laiton.  Plusieurs  de  ces  cercles  placés  dans  un 
ordre  concentrique  servaient  a  distinguer,  par  leur  nombre,  le  rang  et  les 
services  des  guerriers.  Ils  contribuaient  aussi  à  rendre  les  coups  moins  sen- 
sibles. Caylus  donne  le  dessin  de  plusieurs  boucliers  de  cette  espèce  trouvés 
à  Bavai. 

(2)  Clodovœus  lustrans  exercitum.  ad[militem  ait  :  neque  liasta,  nefjnc 
gladins,  neijne  hipennis  (tua)  utilts  est,  (Greg.  Tur.,  1,  II,  c.  27). 


—  215  — 

à  terre  par  le  bout  d'en  bas.  Il  est  impossible  a  celui  qui  en 
est  frappé  de  l'arracher  à  cause  des  croche Is  qui  le  retien- 
nent; il  ne  peut  non  plus  le  couper  a  cause  des  lames  qui  le 
couvrent.  Quand  le  Franc  voit  cela  ,  il  met  le  pied  sur  le 
bout  du  javelot  et  pèse  de  toute  sa  force  sur  le  bouclier,  tel- 
lement que  le  bras  de  celui  qui  le  soutient  venant  a  se  las- 
ser, il  de'couvre  la  tête  et  l'estomac;  ainsi  il  est  aisé  au 
Franc  de  le  tuer,  en  lui  fendant  la  tête  avec  sa  hache ,  ou 
en  le  perçant  d'un  autre  javelot.  Telles  sont  les  armes  dont 
ils  se  servent ,  et  telle  est  la  manière  dont  ils  combat- 
tent (1).  « 

Pour  un  Germain  les  armes  étaient  la  plus  précieuse  des 
propriétés;  il  ne  les  quittait  jamais;  a  Les  Germains  ne 
font  rien  ,  dit  Tacite ,  ni  en  particulier  ,  ni  en  public,  sans 
avoir  leurs  armes  (2),  Elles  les  accompagnaient  aux  as- 
semblées publiques,  aux  festins j  aux  tribunaux,  dans  les 
sanctuaires  des  dieux  et  jusque  dans  leurs  tombeaux.  »  Les 
armes  étaient  même  regardées  par  les  Germains  comme  des 
objets  sacrés;  chez  les  Golhs,  une  épée  nue  était  l'emblème 
du  dieu  des  combats  (3).  C'est  sur  leurs  étendards  et  leurs 
framées,  que  les  peuples  germains  prêtaient  les  sermens 
les  plus  solennels  et  que  les  individus  s'obligeaient  dans 
tous  les  contrats  particuliers  (4).  Plusieurs  de  leurs  codes  dé- 


(1)  Agathias,  Htst.  de  Justînien,  1.  II,  c.  3,  trad.  du  présid.  Cousin.  Voir 
aussi  Sid.  Apoll.  1.  IV,  ep.  20.  De  Buat,  tom.  2,  1.  IX,  c.  8. 

(2)  Wihil  autem,  neque  publicce  neqiie  privatœ  rei,  nisi  armaii  agimf. 
{M.  G.  c.  13). 

(3)  Gladius  harbarico  rita  fgitiir  midus,  iit  Martem  colunt.  (J ornùndcs , 
Hist.  GoiJi.  et  Amm.  Marcell.,  I.  XVII,  c.  12). 

(4)  Educiisque  mucronibus,  quos  pro  numinibus  colunt  {QiiRdï) ,  Juravere 
se  permansuros  in  fde.  (Amm.  Marcell.,  1.  XVII,  c.  12). 

Jurabant  etiam  (Saxones),  juxta  ritem  gentis  suœ,  super  arma  gentis  suœ. 
[Annal,  fuld.  ad  ann.  785.  Aimoin,,  Hist  Franc,  1.  IV,  c.  26;  et  Fredeg., 
Chron.j  c.  74). 


—  216  — 

fendent  strictement  l'alie'nation  des  armes  (1).  Chez  les 
Saxons  la  privation  des  armes  équivalait  à  la  perte  de  la 
liberté. 

Tous  ces  instrumens  de  guerre  dont  on  se  servait  aux 
sièges  des  villes  avant  la  découverte  de  l'artillerie ,  étaient 
totalement  inconnus  aux  anciens  Germains  (2).  César 
rapporte  que  lorsque  les  Atuatiques  virent  qu  il  faisait  con- 
struire une  tour  de  bois,  pour  s'en  servir  a  l'attaque  de  \ oppi- 
dum, où  leur  armée  s'était  réfugiée  après  la  défaite  des  Ner- 
viens,  ils  se  moquèrent  de  son  projet ,  ne  pouvant  concevoir 
que  des  hommes  de  la  taille  des  Romains  ,  pussent  remuer 
cette  énorme  machine  et  la  faire  approcher  de  leurs  rem- 
parts. Mais  lorsque  la  tour  fut  au  pied  de  leurs  murs 
et  prête  a  les  battre  en  brèche ,  ils  se  rendirent  à  discré- 
tion, disant  qu'ils  ne  pouvaient  concevoir  que  les  Romains, 
en  faisant  mouvoir  avec  tant  de  célérité  des  machines  d'un 
poids  si  considérable ,  ne  fissent  la  guerre  sans  le  secours 
des  dieux  (3).  Les  Germano-Belges,  en  attaquant  une  place 
forte,  se  contentaient  d'y  lancer  une  grande  quantité  de 
pierres  et  de  traits  pour  faire  déloger  ceux  qui  défendaient 
les  remparts  ;  après  quoi  ils  s'approchaient  des  portes  et 
tâchaient  de  s'y  introduire  en  y  mettant  le  feu  (4).  Lors- 

Les  Gaulois  regardaient  également  comme  le  serment  le  plus  solennel, 
celui  qui  était  prêté  sur  les  armes  et  les  étendards.  (Csss.,  I.  VII,  c.  2).  Voir 
aussi  :  Lex  Alam ,  tit.  89.  Lex.  Bajuv.,  c.  22,  tit.  4.  Lex.  Ripuar.,  tit  33, 
§  l.  Lex  Sax.,  tit.  1,  §  8.  Lex  Longoh.,  I.  II,  tit.  55. 

(1)  Ne  quis  spatham  suam  in  ipsatn  capitis  redemptionem  dure  cogcretur. 

(2)  JVihil  tant  ignarurn  barbaris,  quam  machinamenta  et  astus  oppugna- 
twmim;  at  nobis  ea  pars  militiœ  maxime  gvara  est  (Tacit.,  jénn.,  1.  Xll. 
Nist.,  l.  IV). 

(3)  Non  se  existimare,  Romanos  sine  ope  divina  belhim  gerere,  qui  iantœ 
altitndinis  machivatioues  tanta  celeritate  promovere  (  et  ex  propinqvilale 
pugnare)  possent.  (Cxs.,  1.  II,  c.  31  et  30). 

(4)  Caes.,  l.  II,  c.  6. 

h'oppidum  des  Atuatiques  était,  comme  nous  l'avong  dit  plus  haut,  soli- 


-  217  — 

que  les  Nerviens  attaquèrent  le  camp  de  Quintus  Cicéron, 
ils  avaient  dëja  appris  de  quelques  prisonniers  romains ,  à 
assiéger  les  places  fortes  d'une  manière  plus  conforme  à  la 
tactique  militaire.  C'est  pourquoi  ils  commencèrent  par 
investir  le  camp  romain  et  par  se  mettre  eux-mêmes  en 
sùretë  contre  les  sorties  delà  garnison,  en  l'entourant  d'une 
circonvallation ,  consistant  en  un  rempart  de  terre  de  10 
milles  de  circuit^  sur  11  pieds  de  hauteur,  flanque  de  tours 
en  bois  et  entoure  d'un  fossé  de  15  pieds  de  largeur.  Mais 
manquant  encore  d'instrumens  nécessaires  pour  exécuter 
cet  ouvrage,  ils  détachèrent  la  terre  avec  leurs  épées  et  l'en- 
levèrent de  leurs  mains  et  au  moyen  de  sacs  ;  néanmoins  ils 
l'achevèrent  en  moins  de  trois  heures  de  temps  (1)  !  César 
lui-même  admira  ce  travail  (2).  Cet  auteur  parle  d'un  stra- 
tagème de  guerre  dont  usaient  les  Nerviens,  et  cjui  prouve 
la  sagacité  de  ce  peuple  barbare  :  comme  leurs  pays  était 
couvert  de  forêts,  ils  avaient  imaginé  de  se  servir  de  ces  der- 
niers comme  d'un  moyen  de  défense  naturelle  :  pour  empê- 
cher la  cavalerie  ennemie  de  pénétrer  sur  leur  territoire, 
ils  en  bouchaient  tous  les  abords,  en  construisant  avec  le 

dément  fortifié  par  un  mur  en  pierres  et  en  bois,  a  la  manière  de  certains 
forts  gaulois,  et  c'est  sans  doute  des  Celtes  que  les  Atuatiques  avaient 
appris  ce  système  de  fortification. 

(1)  Vaîlo pedum  XI,  et  fossampedum  XV,  hiberna  cingunt.  Hœc  et  superio- 
rum  annorum  consuetudine  à  nostris  cognoverant.  et  quosdam  de  exercitu  nacti 
captivos,  ab  his  docebantur.  Sed  imlla ferramentorum  copia,  quœ  sunt  ad 
liunc  usum  idonea ,  gladiis  cespitum,  circumçidere,  manibns,  sagulisque  ier- 
ram  exhaurire  cogebantur.  Çua  quidem  ex  re  hominiim  multihido  cognosci 
potuil  ;  nam  minus  Jioris  tribus,  niillium  X  in  circuitu  miinitionem  perfe- 
cerunt  :  rcliquisque  diebus  turres  ad  aliitudinem  valli,  faîces  testndines- 
que,  quas  iidem  caplivi  docueranl ,  parare  acfacere  cœperunt.  (Cœs..  1.  V, 
c.  42). 

(2)  Institutas  turres ,  iestudities ,  munitionesque  hoslixim  admiratur.  (Id,, 
1.  V,  e.  52). 

Il  faut  voir  dans  César  tout  ce  qui  concerne  ce  siège  mémorable  pour  se 
faire  une  idée  de  la  tactique  militaire  des  Nerviens. 


—  218  — 

Lois  taillis  et  les  branches  des  jeunes  arbres,  des  haies  vives 
qui  avec  le  temps  formaient  une  barrière  impénétrable  (1). 

§  VII. 

Chasse  et  autres  divertissemens   chez   ies  Germains. 

La  chasse ,  retraçant  l'image  des  combats ,  devait  néces- 
sairement être  du  goût  d'un  Germain,  dont  toutes  les  idées 
ne  se  portaient  qu  a  la  guerre.  Aussi  les  Germains  aimaient- 
ils  avec  passion  cet  exercice  qui ,  dans  les  momens  de  paix 
et  de  repos,  nourrissait  leurs  forces  et  entretenait  leur  esprit 
belliqueux.  Il  est  vrai  que  Tacite  avance  qu'ils  n'y  don- 
naient que  peu  de  momens  et  qu'ils  lui  préféraient  l'inaction 
et  la  débauche  (2)  ;  mais  cet  auteur  est  ici  en  contradiction 
manifeste  avec  César  (3)  et  avec  les  documens  anciens  les 
plus  authentiques,  particulièrement  avec  les  codes  germa- 
niques. Les  peines  sévères  que  ces  derniers  portent  contre 
les  délits  de  chasse ,  tel  que  le  vol  de  chiens,  et  les  races  nom- 
breuses que  les  Germains  possédaient  de  ces  derniers  (4) , 
sont  une  des  preuves  les  plus  frappantes  du  plaisir  que 

(1)  Cses.,  1.  II,  c.  17. 

(2)  Quoties  hella  non  ineunt,  non  multurn  venatibus,  plus  otium  transi- 
gunt,  dedili  iiommo  ciboque  (Tac,  M.  G.,  c.  15). 

Quelques  éditions  ont  cependant  :  multum  venatibus. 

(3)  Vita  omnis  in  venationibus  atque  in  studiis  rei  militaris  consislil. 
(Caes.,1.  VL  c.  21.  1.  IV,  c.  2). 

Eginhard  déclare  qu'aucun  peuple  sur  la  terre  n'égalait  les  Francs  dans 
l'exercice  de  la  chasse  :  Exercebatur  assidue  venando ,  dit-il,  en  parlant  de 
Charlemogne,  quod  illi  gentilium  eral ,  quia  vix  iilla  in  terris  natio  inve- 
nitur  quœ  in  hac  arte  Francos  possit  œquare.  Et  ailleurs  :  filios  quam  pri- 
vium  œtas  patiebatur,  more  Francorum  equitare,  armis  ac  venationibus  exer- 
ceri  j'ubet.  (Eginhardi  vita  Car.  Magni,  et  auctor  anonymus,  de  Gestis  Dagob. 
reg.  c.  2). 

(4)  Canis  accepforiliiis ,  canis  argutarîus ,  canis  bibarliuni,  canis  ductor, 
canis  petrunculeius ,  canis  triphunt,  canis  segutius,  canis  velfi'eus ,  canis 
tirsatitius.  (Lindemb.,  Gloss.  et  Reynier,  p.  139). 


—  219  — 

cette  nation  trouvait  a  la  poursuite  des  animaux  sauvages, 
qui  peuplaient  les  vastes  forets  de  leur  patrie. 

Les  codes  des  Allemands  et  des  Bavarois  fixent  une  com- 
position fort  élevée  pour  le  meurtre  d'un  homme  cause' par 
un  chien  de  race;  si  le  propriétaire  du  chien  refusait  de 
payer  Famende ,  on  bouchait  toutes  les  ouvertures  de  sa 
maison  à  l'exception  d'une  seule  dans  laquelle  on  suspendait 
le  chien  ,  et  oii  il  restait  exposé  jusqu'à  ce  qu'il  fut  tombé 
en  pourriture.  Le  maître  de  l'animal  ne  pouvait  entrer 
dans  sa  demeure  ou  en  sortir  c[ue  par  ce  seul  conduit  (1). 
Le  code  des  Bourguignons  statue  une  peine  plus  bizarre  en- 
core pour  le  vol  d'un  chien  de  chasse  :  elle  condamne  le 
voleur  a  une  amende  de  sept  sols  et  à  baiser  le  derrière  de 
l'animal  en  présence  du  peuple  assemblé  (2).  La  loi  salique 
porte  la  composition  d'un  chien  de  chasse  volé  ,  a  15  sols, 
et  a  45  sols,  si  le  chien  est  dressé.  Elle  établit  de  même  une 
amende  contre  celui  qui  volerait  un  cerf,  ou  un  sanglier 
mis  aux  abois  par  les  chiens  d'un  chasseur  (3). 

C'était  principalement  dans  la  saison  de  l'automne,  que 
les  Germains  se  livraient  au  plaisir  de  la  chasse,  et  ces 
chasses  d'automne  devinrent  même  dans  la  suite  pour  les 
rois  francs,  une  espèce  d'étiquette  obligée  (4). 

(1)  Si  canis  alienus  hominem  occident,  médium  W eregildum  solvat{ào- 
minus  ejus);  et  si  totum  Jf eregildum  qiiœrant,  omnia  ostia  sua  claudantur, 
et  per  unum  ostium  semper  intret  et  exeat;  et  de  illo  limitare  in  novem 
pedes  suspendafur,  usqiie  dum  toius  putrescat;^  et  uhi putridus  cadat  et  ossa 
ipsius  ihi  jaceant ^ per  alium  ostium  nec  intret  nec  exeat,'  et  si  canem  ipsuin 
inde  jactaverit,  aut  per  aliud  ostium,  intraverit  in  casam,  ipsum  W  eregildum, 
médium  reddat.  [Lex.  Alam.,  tit.  99,  §  22). 

(2)  Si  quis  canem  veltraceum,  aut  segulium,  vel  petrunculeum  prœsump- 
serit  inviolarc,  jubemus  ut  co?ivicius ,  coram  omni populo,  posteriora  ipsius 
(canis)  osculetur.  [Lex.  Burg.,  additam.,  1,  tit.  10). 

(3)  Lex.  Sa!.,  tit.  6,§  1,  2,  tit.  35. 

(4)  Eginl)..  Fila  Car.  M.,  Le  Grand  d'Aussy,  Tic  privée  des  Franc, 
tom.  l,p.  377. 


—  220  — 

Après  la  description  que  nous  avons  faite  ,  dans  le  cha- 
pitre précédent,  de  la  manière  de  chasser  des  Gaulois,  il 
nous  reste  peu  de  chose  à  dire  sur  celle  des  peuples  germains 
qui  était  exactement  la  même.  Les  Germains  aimaient  de 
préférence  la  chasse  des  animaux  féroces,  tels  que  les  ours, 
les  bisons ,  les  chevaux  sauvages  et  les  loups ,  parce  qu  elle 
présentait  plus  de  dangers  à  courir,  et  que  par  conséquent, 
elle  rappelait  davantage  les  périls  des  combats  (1). 

Les  Germains  avaient  Fart  d'apprivoiser  les  cerfs  pour 
s'en  servir  à  la  chasse  d'animaux  de  même  espèce ,  qu'ils 
attiraient  ainsi  dans  des  pièges  et  a  la  portée  des  coups  du 
chasseur.  Les  codes  anciens  établissent  différentes  peines 
contre  ceux  qui  portaient  atteinte  à  la  propriété  de  ces 
bêtes  fauves  ,  changées  en  animaux  domestiques  (2). 

Une  chasse  qui  paraît  avoir  été  particulière  aux  peuples 
germains ,  est  celle  à  l'épervier  et  au  faucon.  Il  en  est  fait 
fréquemment  mention  dans  les  codes  germaniques  :  la  loi 
salique  et  celle  des  Bavarois ,  condamnaient  a  une  amende 
celui  qui  volait  un  oiseau  de  proie  {^accipiter  ^  sparvus) ^ 
dressé  a  la  chasse.  Le  code  des  Bourguignons  renferme  une 
loi  des   plus   bizarres ,  relative  au  vol  d'un  épervier  :  le 


(1)  Cses..  1.  VI,  c.  26.  Pomp.  Mêla,  1.  III.  De  his  camhiis  qui  ursos  vel 
BUB.vLOs,  id  est  magnas  feras,  quod  scaarzuuild  (gros  ^xhiQv)  dicimus,  perse- 
(juantur,  etc.  {Lex.Bajuv. ,  tit.  19,  c.  7  ). 

On  prenait  les  loups  dans  des  pièges  dressés  à  cet  effet  (des  j^as  de  îotq}): 
Jubermus  ut  quicumque  à  prœsenti  tempore  occidendorum  liiponim  studio 
arcus  posuerint ,  statim  hoc  ipsum  vieillis  suis  eodem  die  vulgantes  ,  cognas^ 
cant;  ita  ut  1res  linsas  ad  prenoscenda  positi  arcus,  indicia  d  il  i g  en  ter  ex  ten- 
dant,  ex  quibus  duœ  superiores  sint.  {Lex.  Burg.,  tit.  46). 

(2)  Lex.  Sal. ,  tit.  35.  ^2  et  seq. 

De  eo  qui  hisontem  vel  cetera  animalia  furaverit  vel  occ'iderii,  etc.  [L.  Alam., 
tit.  OD).  Si  ursus  alienus  occisus  aut  inviolatas  fuerit,  solvat  eum  sol.  12. 
(  tit.  100  ).  Siqiiis  bisoiitem,  bubalum  vel  cervum  qui prurgit  (brnjjit,  burgit) 
furaverit  aut  occiderit,  duodecim  sol.  componat.  (tit.  lOI).  La  loi  salique  con- 
damnait a  une  amende  celui  qui  avait  volé  ou  tué  un  cerf  domestique. 


coupable  y  est  condamne  a  se  laisser  manger  par  cet  oiseau 
six  onces  de  chair  de  ses  fesses ,  ou  de  payer  six  sols  au 
maître  de  Te'pervier  (1).  ^" 

Les  rois  francs  et  ceux  de  la  race  carlovingienne  se  plai- 
saient beaucoup  a  la  chasse  au  faucon.  Cette  chasse  devint 
un  délassement  auquel  les  habitans  de  toutes  classes  pri- 
rent part.  Charlemagne  se  yit  même  oblige'  de  la  défendre 
aux  ëvéques  ,  aux  supérieurs  des  monastères ,  et  jusqu'aux 
religieuses  (2). 

Outre  la  chasse ,  les  Germains  avaient  plusieurs  autres 
espèces  de  di  vertissemens  pour  occuper  leurs  loisirs  ;  tel  était 
surtout  un  jeu  militaire  décrit  par  Tacite  ,  et  parfaitement 
en  harmonie  avec  le  caractère  farouche  et  guerrier  de  cette 
nation  :  «  une  seule  espèce  de  spectacles ,  dit  cet  auteur, 
la  même  dans  toutes  leurs  sociétés  :  des  jeunes  gens,  pour 
s'amuser,  sautent  nus  au  milieu  de  framées  et  d'épées  me- 
naçantes :  cet  exercice  a  tourné  en  art,  l'art  enbonne  grâce 
(  ars  decorem)^  sans  toutefois  qu'ils  y  envisagent  ni  profit, 
ni  intérêt,  bien  que  cette  hardiesse  folâtre  porte  avec  soi 
sa  récompense  ,  le  plaisir  des  spectateurs  (3).  « 

Une  autre  récréation  des  Germains ,  ou  plutôt  une  pas- 


(1)  Si  quis  acceptorem  alienum  inviolare  prœsumserit ,  aut  sex  uncias 
carnis  arceptor  ipsè  super  testones  comedat ,  autcertè  si  voluerit,  sex  solides 
illi  ciii  accepfor  est,  cogatur exsolvere.  (  Lex.  Burg.,  tit.  II). 

(2)  Ut  episcopi  et  abhates  et  abattissœ  culpas  canum  non  habeant.  née 
falcones y  nec  accipitres.  7iec  jocolatores. 

L'abbaye  de  Saint-Hubert,  dans  les  Ardcnnes,  était  obligée,  avant  la  ré- 
volution française,  d'envoyer,  tous  les  ans,  aux  rois  de  France,  six  oiseaux 
dressés  et  six  cbiens  courans. 

Quelques  codes  germaniques  défendent  de  saisir  ou  de  donner  en  com- 
position des  armes  et  Vepervier.  [Lex.  Longob.,  1.  I,  tit.  9,  §  33.  Anseg.  Capit, 
l.IV,  §21). 

(3)  Tac,  M.  G.,  c.  24. 

Les  Goths,  dit  la  chronique  d'Isidore,  aiment  extrêmement  a  lancer  de« 


—  222  -^ 

sion  qui  avait  souvenl  les  résultats  les  plus  funestes,  étaient 
les  jeux  de  hasard  :  «  Dans  le  jeu  des  des,  dont  ils  s'occu- 
pent a  jeune  sérieusement,  continue  Tacite,  les  Germains, 
chose  étonnante ,  prennent  si  fort  à  cœur  le  gain  ou  la 
perle,  que  lorsqu'ils  sont  ruinés,  ils  finissent ,  pour  der- 
nière ressource,  par  risquer  d  un  seul  coup  leur  personne  et 
leur  liberté  :  celui  qui  a  petdu ,  va  au-devant  de  ses  fers  ; 
quoique  plus  jeune  ,  quoique  plus  fort,  il  se  laisse  garotter 
et  vendre  !  tel  est,  sur  ce  travers ,  leur  entêtement  ,  qu'ils 
appellent,  eux,  point  d'honneur.  Quant  à  cette  sorte  d'es- 
claves,  ils  s'en  défont  par  voie  d'échange,  pour  s'affran- 
chir aussi  eux-mêmes  de  la  honte  d'une  semblable  vic- 
toire (1).» 

Parmi  les  exercices  et  divertissemens  des  Germains ,  il 
faut  encore  compter  la  nage,  dans  laquelle,  suivant  César, 
Tacite  et  d'autres  auteurs  anciens  ,  ils  étaient  très-habiles. 


traits,  a  s'exercer  au  maniement  des  armes,  et  c'est  leur  usage  journalier 
que  de  représenter  des  combats  dans  leurs  jeux. 

Ij'espèce  de  danse  au  milieu  d'épées  menaçantes,  s'est  conservée  dans 
quelques  villages  de  la  Flandre,  jusque  dans  la  seconde  moitié  du  18"  siècle. 
En  1776,  le  maïeur  d'Hornebeek  défendit  ce  divertissement  dangereux  aux 
liabitans  de  ce  village,  lesquels  alors  substituèrent  aux  épées.  des  baguettes  de 
coudrier.  Voici  Tordre  de  cette  danse  :  il  y  avait  buit  ou  dix  paysans  rangés 
en  cercle,  et  tenant  chacun ,  d'une  main,  une  baguette  (avant  1776, une  épée) 
et  de  l'autre,  la  pointe  de  la  baguette  de  leur  voisin.  Au  milieu  du  cercle  était 
placé  un  homme,  nommé  vlegeraere,  qui  dirigeait  la  danse.  Aucun  des  dan- 
seurs ne  pouvait  lâcher  la  pointe  de  la  baguette  de  son  voisin ,  à  moins  que 
le  vlegeraere  n'eut  donné  l'ordre  de  rompre  le  cercle  et  de  se  former  en  ligne. 
Alors  même  il  n'y  avait  que  celui  qui  se  trouvait  le  premier  et  celui  qui  for- 
mait la  queue  de  la  ligne  qui  eussent  la  main  libre.  Au  signal  donné,  les 
danseurs  faisaient  les  sauts  et  les  tours  les  plus  étranges .  et  se  démenaient 
avec  tant  de  violence,  que  quoiqu  ayant  le  haut  du  corps  simplement  couvert 
de  la  chemise,  ils  se  trouvaient  en  nage  a  la  fin  de  ce  singulier  exercice. 
Pendant  la  danse,  une  jeune  fille  chantait,  ou  plutôt  hurlait  des  tons  sau- 
vages, en  frappant  sur  un  banc  avec  un  bâton,  en  forme  démesure. 

(1)  Tacit.,  i¥.  G.,  €.  24. 


^  223  — 

On  voit  dans  FEdda  (c.  24)  et  dans  plusieurs  sagas  des  Scan- 
dinaves ,  que  ces  derniers  n'ignoraient  point  lart  de  pati- 
ner ,  mais  le  silence  des  anciens  semble  prouver  que  cet 
amusement  n  était  point  connu  des  Germano-Belges  et  des 
Germains  méridionaux. 

§  VIII. 

Condition  politique  ;  gouvernement  et  lois  des  peuples  germains. 

Les  Germains ,  comme  les  Celtes ,  comptaient  quatre 
classes  d'habitans  :  des  nobles  {adelingi),  des  ingénus  ou 
hommes  libres,  non-nobles  {frilingi,  ruoda),  des  affranchis 
(lazzi:,  frilazzi)^  des  serfs  et  esclaves. 

Quelques  auteurs  modernes  ne  veulent  point  reconnaî- 
tre chez  les  Germains  la  distinction  de  nobles  et  de  rotu- 
riers, mais  Tacite  et  les  codes  germaniques  distinguent 
parfaitement  ces  deux  classes  de  citoyens  (1). 

On  diffère  encore  d'opinion  sur  la  question  :  s'il  y  avait 
chez  les  Germains  une  noblesse  héréditaire  ou  seulement 
une  noblesse  personnelle  qui  s'acquérait  par  des  services 
rendus  à  la  patrie  ou  par  des  charges  éminentes  (2).  Nous 
croyons  avec  M.  Raepsaet ,  a  l'existence  de  l'une  et  de  l'autre 
noblesse  :  a  Chez  les  Germains,  dit  ce  savant,  il  y  avait  deux 


(1)  Tacit.,  J!!/.  G.,  c.  7, 11  et  35. 

Quatuor  differentias  geus  illa  constitit,  dit  Adam  de  Brème ,  en  parlant 
des  Saxons,  no&i'Zmw  siclicetet  liberorum  et  îibertonim  atque  servorum.  Nithard 
dit  la  même  chose  (1.  IX).  Les  lois  des  Angles  et  des  Warnes,  distin- 
guentle  noble  {adilingue)  de  Tingénn.  {Lex.  Angl.  et  Jfarin.^  tit.  1-5).  Il  en 
est  de  même  de  la  loi  des  Frisons.  (  tit.  1,  de  Homic.  ).  Voir  aussi  Reynier , 
p.  87. 

(2)  Lettres  sur  V Origine  de  la  noblesse  française.  Lyon,  1763,  in-8''. 
Boucquet,ie  droit  public  de  France,  éclairci  par  les  monumens.  Paris,  1756, 
in-4°,  DeBuat.tom.  1,  passiin. 


—  224  — 

espèces  de  noblesse;  Tune  personnelle  et  lautre  titulaire  a 
raison  des  fonctions  dont  un  individu  élait  revêtu;  les  uns 
c'iaient  nobles  de  race  ,  les  autres  l'étaient  à  titre  de  grands 
officiers  du  gouvernement.  Ces  deux  classes  de  nobles  dis- 
tinguées de  celle  du  peuple,  plehs,  sont  les  mêmes  que  nous 
avons  reconnues  sous  la  période  franque ,  sous  le  titre  de 
majores  privilegio  et  proceres  potestate.  Les  premiers 
étaient  ceux  qui  étaient  dans  la  foi  immédiate  du  roi ,  an- 
trustiones ,  vassi  dominici  ^  pueri  régis  ,  in  truste  dominiez , 
les  autres  étaient  des  officiers  du  roi ,  etc.  Les  deux  classes 
avaient  séance  au  placitum  regium  ou  états-généraux  ;  les 
premiers  pour  leurs  personnes,  les  autres  comme  repré- 
sentans  de  leur  ressort  (1).  w 

Les  nobles  germains ,  quoiqu'ils  n'eussent  pas  le  même 
pouvoir  que  les  nobles  chez  les  Celtes,  jouissaient  de 
quelques  prérogatives  particulières.  C'était  parmi  eux 
qu'on  choisissait  les  rois  (2).  Ils  avaient  la  première 
voix  délibérative  ,  après  le  roi ,  dans  les  assemblées  natio- 
nales (3).  Enfin  c'était  ordinairement  parmi  les  nobles 
qu'étaient  élus  les  premiers  fonctionnaires  publics.  Dans 
tout  autre  cas ,  les  hommes  libres  de  naissance ,  quoique 

(1)  Raepsaet,  Hist.  des  États- Généraux  et  provinciaux  des  Gaules,  c.  5, 
sect.  2. 

Tacite  distingue  plusieurs  degrés  de  noblesse  chez  les  Germains,  {M.  G., 
c.  13).  Voir  aussi  Toulotte,  tora.  2,  p.  4.  De  Biiat,  tom.  1,  p.  128. 

i^l)  Reges  ex  nohililate^duces  ex  virtute  sumunt.iTdiC..^  M.  G.,  c,  7).  Omnes 
re ges  illi(  longohardici)  fuerunt  adelingi,  idest,  de  nohiliari  prosapia,  guœ 
apud  ilîos  ADALiSGA.  (Goth.  frid.  viterd.  chron.  ad  ann.  777).  Eos  (Franros) 
juxta  pagos  vel  civitates  reges  crinitos  super  se  creavisse  prima  et  nohiliori 
suorum  familiâ.  (  Greg.  Tur. ,  1.  II,  c.  9).  Chez  les  Saxons  et  les  Bavarois, 
le  roi  devait  être  issu  de  père  et  mère  nobles  ;  mais  chez  les  Francs .  on  ne 
considérait  que  la  condition  paternelle.  (Greg.  Tur.  ,  1.  V.  c.  20  ). 

(3)  Boucquet  prétend  cependant,  quoiqu'à  tort,  nous  paraît-il,  que  les 
Leudes  n'avaient  point  séance  aux  plaids  généraux.  (  Boucquet,  le  Droit  pu- 
hlic  de  France ,  etc..  p.  9G  ). 


—  225  — 

quoique  simples  roturiers  ,  jouissaient  des  mêmes  droits 
que  la  noblesse  :  ils  pouvaient,  comme  les  nobles ,  prétendre 
aux  emplois  civils  et  militaires,  ils  sie'geaient  comme  eux , 
aux  assemblées  publiques ,  ne  payaient  aucun  impôt  (1)  et 
étaient  uniquement  astreints  au  service  militaire,  qui, 
chez  les  Germains,  était  plutôt  regard  ëcomme  une  pre'ro- 
gative  honorifique ,  que  comme  une  charge  (2).  C'était 
même  dans  la  classe  du  peuple  qu'on  choisissait  souvent 
le  chef  de  Farme'e  (hertzoge,  ducs),  dont  le  pouvoir, 
en  temps  de  guerre ,  e'tait  supérieur  à  celui  du  roi , 
et  dont  les  devoirs  consistaient,  disent  Toulotte  et  Riva , 
«  à  se  montrer  capable  de  discuter  sur  le  droit ,  d'ad- 
ministrer la  justice,  de  commander  l'armée  ,  de  bien  mon- 
ter a  cheval  et  de  manier  les  armes  avec  dextérité  (3).» 
La  condition  politique  du  peuple,  chez  les  Germains, 
était  donc  bien  diiGférente  de  celle  des  plébéiens  gau- 
lois. 

Le  sort  d'un  homme  ,  qui ,  ayant  vécu  dans  l'esclavage , 
obtenait  ensuite  sa  liberté,  était  au  contraire  assez  misé- 
rable ,  celui  excepté  d'un  affranchi  du  roi ,  qui  souvent  ob- 
tenait toute  la  confiance  de  son  illustre  patron  et  parvenait 
même  aux  premières  charges  de  l'état  (4).  Le  peu  de  con- 


(1)  De  Buat,  tom.  1,  p.  153-157,  I61-1G3. 

(2)  Tacit.,  M.  G.,  cil.  Hachenberg,  Biss.,  Il,  §  12.  Néanmoins  chez  les 
Tréviriens,  le  pouvoir  paraît  avoir  été  presqu'entièrement  entre  les  mains 
des  nobles.  (Cses.,  1.  V,  Desroches,  Hist.  arie,  des  Pays-Bas,  Autrich  , 
P-  57  ). 

(3)  Lex.  Alam.,  tit.  35.  Bavar.,  lit.  1,  c.  10.  Witikind,  An7i.  Sax.,  I.  I, 
Mezerai,  Abrégé  chronol. ,  de  F  Hist.  de  France,  tom.  1.  Toulotte  et  Riva 
tom.  2,  p.  226.  —  Cependant  chez  les  Francs,  c'était  ordinairement  le  roi 
qui  commandait  en  personne  les  armées.  (De  Buat,  tom.  2,  p.  445,  520.  Ton- 
lotte  et  Riva,  tom.  2,  p.  131  ). 

(4)  VoirBoucquet,  p.  190.  De  Buat,  tom.  3,  p.  389,  tom.  2,  p.  107.  Greg. 
Tur.,  1.  V,  c.  49 ,  50.  1.  VI ,  c.  32.  Toulotte  et  Riva  ,  tom.  2 ,  p.  404. 

TOMB    I.  15 


—  226  - 

sidération  dont  jouissait  un  affranchi  a  été  cause  sans  doute, 
que  chez  les  Saxons,  les  affranchis  étaient,  suivant  plusieurs 
auteurs  anciens,  compris  dans  la  classe  des  esclaves  (1) 
et  que  le  code  lombard  ne  les  compte  dans  celle  des 
hommes  libres  ingénus  qu'à  la  troisième  génération  (2). 
«Les  aflfranchis ,  dit  Tacite,  presqu  aussi  peu  considérés  que 
les  esclaves ,  ne  jouent  de  rôle  que  rarement  dans  les  fa- 
milles, jamais  dans  l'état ,  à  moins  que  le  gouvernement  ne 
soit  despotique;  car  alors  ils  s  élèvent  au-dessus  des  hommes 
libres  et  même  des  nobles  ;  ailleurs ,  comme  on  tient  dans 
l'abaissement  les  esclaves  rendus  a  la  liberté,  la  liberté  s'en 
glorifie  (3).  » 

Il  y  avait  deux  espèces  d'afifranchis ,  ceux  qui  recevaient 
avec  une  pleine  liberté  ,  le  droit  de  disposer  librement  des 
propriétés  qu'ils  avaient  acquises  depuis  leur  affranchisse- 
ment ,  et  ceux  qui  ne  recevaient  qu'une  demi  liberté  et  ne 
pouvaient  agir  en  rien  sans  le  consentement  de  leurs  pa- 
trons. On  appelait  cette  dernière  espèce  d'affranchis  , 
aldi^  liti,frilazin{4t). 

Il  y  avait  aussi  différentes  manières  d'affranchir  un 
homme  en  état  de  servilité  :  celle  de  donner  des  armes  à 
l'esclave  en  présence  du  Juge  ;  celle  du  thinœ^  qui  avait  lieu 
du  consentement  du  maître,  ou  malgré  lui ,  s'il  avait  tenté 
de  séduire  la  femme  de  son  esclave ,  etc.,  etc.  (5).  L'affran- 


(1)  Nithardî, /^isf.  Franç.fl.  IV.Hucbaldus,  Vita  s.  Lebuini.  Wern.  Ro- 
levinc,  de  situ  et  morib.  Jfestphalor,  1.  Il ,  c.  1. 
(2)i.io«^.,l.  II,  tit.  14,  §  17. 
(3)Tac.,  ^.  <?.,  c.  15. 

(4)  Lex.  Long. ,  1.  II,  tit.  34,  §  12,  tit-  35 ,  §  l  et  2,  1.  III ,  tit.  20.  Lex, 
Sal,  tit,  28.  Tfisig.^  1.  IV,  tit.  5,^  7.  Ripuar,  tit.  61,^  1. — L'acte  par  lequel 
on  affranchissait  entièrement  Y  Aldus  portait  le  nom  à'amund,  (Lindebrog., 
Glossar  v.  Amund). 

(5)  Reynier,  p.  9K 


—  227  — 

chissement  le  plus  complet  eL  le  plus  solennel  est  celui  qui 
se  faisait  par  la  ce'rëmonie  dite  le  jet  du  denier  :  le  maître 
conduisait  devant  le  roi  l'esclave  auquel  il  voulait  donner 
la  liberté'  ;  ce  dernier  tenait  en  main  une  pièce  de  monnaie 
que  son  maître  lui  faisait  jeter  en  présence  du  souverain , 
ou  que  celui-ci  faisait  tomber  lui-même  de  la  main  de  l'es- 
clave. Ces  afifranchis  qu'on  nommait  denariaux  (  denaria- 
les)^  étaient  sous  la  protection  particulière  du  roi  et  il  était 
défendu  de  les  réclamer.  Le  fisc  était  leur  unique  héritier, 
s'ils  ne  laissaient  point  d'enfans  (1).  Ils  ne  pouvaient  eux- 
mêmes  hériter  de  leurs'agnats,  qu'après  la  troisième  géné- 
ration. Les  lois  barbares  élèvent  la  composition  d'un  dena- 
rial  à  un  tiers  de  plus  que  celle  de  l'esclave  devenu  citoyen 
romain  (2). 

Les  afifranchis  qui  s'étaient  rendus  coupables  d'un  crime 
grave,  qui  avaient  épousé  une  esclave  ou  s'étaient  montrés 
ingrats  envers  leurs  patrons ,  retombaient  en  esclavage  (3). 
Le  mariage  entre  l'afifranchi  et  une  personne  de  la  famille 
de  son  patron  était  sévèrement  défendu  :  le  code  des  Ri- 


(1)  Sous  Charlemagne ,  le  fisc  héritait  même  d'un  affranchi  père  de  fa- 
mille; il  ne  pouvait  disposer  de  ses  hiens  que  par  acte  intervif  ou  par  acte 
pour  cause  de  mort.  (  Capit.  Carol.,   M.,  a.  811,  art.  6). 

(2)  lex.  Rip.,  tit.  59,  §  4.  Sal  tit.  62.  De  Buat,  tom.  2,  p.  105,  106. 
Plusieurs  modes   d'affranchissement  chez  les  Germains,   devenus  maîtres 

des  Gaules ,  n'ont  dû  avoir  été  introduits  que  depuis  le  5®  siècle  ;  tels  sont 
<ienx  per  tabularium,  per  epistoïam  et  devant  l'église. 

Les  Lombards  et  les  Anglo-Saxons,  usaient  quelquefois  d'une  cérémonie 
assez  bizarre  en  affranchissant  un  esclave:  «  Le  maître  livrait  Fesclave  h 
un  homme  de  condition  libre;  celui-ci,  à  un  second;  le  second  à  un  troi- 
sième; ce  troisième  à  un  quatrième,  ce  dernier  le  conduisait  dans  un  lieu  où 
quatre  chemins  venaient  aboutir;  il  l'informait  alors  qu'il  pouvait  prendre 
tel  chemin  que  bon  lui  semblerait.  »  (ïoulotte  et  Riva,  tom.  2,  p.  454). 

(3)  Sur  les  obligations  mutuelles  du  patron  et  de  l'affranchi .  voir  Tou- 
lotte  et  Riva,  tom.  2,  p.  457-462. 


—  228  — 

puaires  condamne  a  la  peine  capitale  l'esclave  qui  aura 
e'pousé  la  veuve  de  son  ancien  maître. 

La  condition  des  esclaves  chez  les  peuples  germains , 
peut  être  assimilée  à  celle  des  serfs  du  moyen  âge  :  «  Les 
esclaves  de  la  maison,  dit  Tacite,  n'y  restent  point  attache's, 
comme  les  nôtres,  à  certains  emplois  :  chaque  serf  a  sonre'- 
duit  et  ses  foyers  ;  le  maître  lui  demande  tant  de  blé,  tant 
de  bétail,  tant  de  fourrures,  comme  à  un  colon,  et  cette 
redevance  fournie,  le  maître  n exige  pas  davantage  de  son 
esclave;  le  service  domestique  se  fait  par  lesenfans  et  par 
la  mère  de  famille  (1).  Mettre  un  esclave  aux  fers,  l'excé- 
der de  coups  et  de  travail ,  n'est  point  la  coutume  du  Ger- 
main (2).  yy 

Chez  les  Germains ,  un  homme  tombait  en  état  de  servi- 
lité pour  différentes  causes ,  par  naissance ,  par  le  droit  de 
la  guerre  ,  pour  des  crimes  graves  ,  pour  dettes ,  en  s'al- 
liant  a  une  femme  esclave ,  en  trafiquant  de  sa  liberté  (3). 
On  devenait  encore  esclave  du  fisc  lorsqu'on  ne  pouvait 
payer  l'amende  a  laquelle  on  avait  été  condamné  par  la 
loi  ;  mais  cet  esclavage  n'était  que  temporaire. 

Lorsque  Tacite  avance  qu'un  Germain  qui  tuait  son 
esclave  ,  jouissait  de  l'impunité  ,  il  se  trompe  ;  car  les  lois 
barbares  punissaient  le  meurtre  d'un  esclave ,  n'importe 


(1)11  y  avait  cependant  des  esclaves  domestiques,  exerçant  différens  mé- 
tiers, tels  que  ceux  de  forgeron,  de  charron,  etc.,  {Lex.  Sal. ,  tit.  2.  §  5. 
Long.,  1.  I,  tit.  2,  §  7.  Jlavi.,  tlt.  9)  :  mais  cette  classe  d'esclaves  était  peu 
nombreuse.  (DeBuat,  tom.  2,  p.  73,  383). 

La  division  des  esclaves  en  villani,  bordarii,  casati,  adscriptiîii,  fiscalini, 
mancipia  prîvatorum,  etc.,  ne  date  chez  les  peuples  germains,  que  du  5"  siècle, 
et  dérive  évidemment  des  lois  romaines. 

(2)  Tacit,  J!f.  G.,  c.  25. 

(3)  Hachenberg  ,  Biss.,  II,  §  15.  Lear.  Fris.,  tit.  2,§  l.  Long.,  1.  III,  tit.  9, 
^5.  Ansegisi   Capitul,  1.  I,  ^  120.  Bïarculphi  Fonmdœ  ^  134,  136. 


-^  229  — 

par  qui  il  eut  ëlë  commis.  La  composition  pour  ce  crime 
était,  il  est  vrai,  moins  forte  que  celle  que  la  loi  exigeait 
pour  l'assassinat  d'un  homme  libre  (1)  ;  mais ,  par  com- 
pensation ,  le  crime  commis  par  un  esclave  entraînait  une 
peine  moins  sévère  que  s'il  eut  été  commis  par  un  ingénu  ; 
ainsi  le  code  frison  veut  que  la  composition  soit  d'un  tiers 
plus  élevée  si  le  coupable  est  noble,  et  diminuée  de  moitié 
s'il  est  affranchi  ou  esclave  (2). 

Ce  qui  prouve  l'état  d'abaissement  dans  lequel  les  af- 
franchis étaient  tenus  chez  les  Germains,  c'est  que,  comme 
les  esclaves,  ils  ne  pouvaient  point  témoigner  en  justice (3) 
ni  remplir  aucune  charge  publique;  il  n'y  avait  d'excep- 
tion à  cet  égard ,  que  pour  les  afifranchis  du  roi  qui  rem- 
plissaient même  souvent  les  fonctions  de  Juge  (4). 

Le  gouvernement  de  la  plupart  des  peuples  germains , 
était  une  monarchie  démocratique  ;  quelques  peuplades , 
mais  en  petit  nombre,  obéissaient  a  des  rois  absolus  ;  et  d'au- 
tres, tels  que  les  Lombards  et  les  Saxons  ,  se  gouvernaient 
en  république  (5).  Mais  c'est  à  tort  que  César  a  dit  que 


(1)  Dans  le  code  bourguignon  ,  la  composition  d'un  esclave  est  évaluée  au 
prix  de  quatre  chevaux.  (  Lex.  Buvg.,  tit.  4,§  1,  tit.  5,  §  3.  Alam.,  tit.  95. 
Fris.,  tit.  15, §  4). 

(2)  Lex.  Fris.  Épilog.,  Visig.,  1.  VII,  tit.  2.  §  14.  Long. ,  i.  1,  tit.  2,  §  5. 
Sal,  tit.  13. 

(3)  Boucquet,  le  Droit  public  de  France,  ete.,  p.  19K 

Servo  penitus  non  credatur  si  super  aliquem  crimen  ohjecerit  aut  si  eliatn 
dominum  suum  in  crimine  impeticrit.  Nain  etiamsi  in  iornientis  positus  expo- 
nat  quid  objicifiir,  credi  tamen  nullomodo  oportehit.  (Capitul.  Anseg.  ,1.  VI, 
c.  146,  Lex.  TFisig.,  1.  II,  tit.  5,  §  6). 

(4)  Boucquet,  p.  190.  De  Buat,  tom.2,  p.  107. —  Cependant  jamais  ils  ne 
pouvaient  prétendre  a  la  noblesse.  (De Buat,  tom.  1 ,  p.  120.) 

(5)  Quod  pagos ,  tôt  penè  duces ,  dit  le  poète  saxon,  en  parlant  de  sa  na- 
tion, (  Pœta  Saxo.  ad.  ann.,  700).  —  Antiqui  Saxones,  dit  le  vénérable  Bede' 
regem  non  habebant,  sed  safrapas  plurimos  genti  suœ  prœpositos,  qui  in- 


—  230  — 

tous  les  peuples  germains ,  sans  exception ,  n  e'taient  com- 
mandes que  par  des  chefs  temporaires,  et  en  temps  de  guerre 
seulement  (1);  tous  les  documens  anciens  attestent  le  con- 
traire. Cësar  lui-même  en  paraît  convenir,  lorsqu'il  parle 
des  rois  des  peuples  germano -belges,  les  Eburons,  les 
Nerviens  et  les  Trëviriens  (2). 

Souvent  même  une  peuplade  e'tait  gouvernée  par  deux 
rois  à  la  fois;  tels  étaient  chez  les  Germano- Belges ,  Am- 
biorix  et  Cativulcus,  rois  des  Eburons;  Induciomare  et 
Cingetorix ,  rois  des  Tréviriens  (3).  Chacun  de  ces  chefs  se 
trouvait  ordinairement  à  la  tête  d'un  parti.  Ces  divisions, 
si  elles  contribuaient  a  consolider  la  liberté  et  Findépen- 
dance  du  peuple  et  formaient  une  puissante  barrière  contre 
le  despotisme  auquel  aurait  pu  tendre  un  chef  ambitieux , 
étaient  aussi  un  levain  de  discorde  et  de  division  et  devaient 
être  la  cause  continuelle  de  dissentions  intestines  (4).  Cepen- 
dant ,  ce  qui  constitue  un  titre  de  gloire  pour  les  Germano- 

gruenti  helli  artîcuïo,  mittunf  œtjualiter  sortes,  et  quemcumque  sors  ostende- 
rit,  hune  tempore  helli  ducem  omnes  sequuntur  et  huic  obtempérant  Peracto 
autem  bello ,  rursum  œquales  potentiœ  omnes  fiunt  (Beda  Venerab.,  flist. 
eccîes.  Angliœ,  cil.  "Werner  Rolevinc,  de  situ  ac  morïb.  Westphal.,  1.  III, 

«•  »•) 

Les  Lombards  ne  furent  régis  par  des  rois  qu'après  leur  émigration  en 
Italie,  au  7^  siècle;  antérieurement  leur  gouvernement  était  semblable  à 
eelui  des  Saxons. 

(1)  Çuum  hélium  civitas,  mit  inlatum  défendit,  aul  inferl,  magisiratus 
qui  ei  hello  prœsint,  ut  vitœ  necisque  haheant  potestatem ,  deliguntur.  In 
pace  nullus  est  communis  magistraius ,  sed  principes  regnorum  atque  pago- 
Tum  inter  suos  jus  dicunt  controversiasque  m,inuunt.  (Caes,,  1.  VI,  c.  23). 

Ce  que  César  dit  du  pouvoir  illimité  des  chefs  d'armée  chez  les  Germains 
nous  semble  être  contredit  par  les  paroles  suivantes  de  Tacite  :  Buces  exem- 
plo  polius  quam  imperio,  si  prompii,  si  conspicui,  si  ante  aciemagant,  ad- 
miratione  prœsunt.  (Tac,  31.  G.,  c.  7). 

(2)  Caes.,  I.  V,  c  3,  27.  1.  II,  c.  23. 

(3)  Caes.,  1.  V,  c  3  et  24. 

(4)  Caes.,  I.V,  c.  3.  I. 'VI,  c.  U. 


-  231  — 

Belges,  c'est  que  lorsque  leur  indépendance  fut  menacée 
par  les  Romains ,  ils  mirent  généreusement  de  côté  tout 
esprit  de  parti  et  réunirent  leurs  forces  pour  résister  de 
concert  aux  efforts  d'un  ennemi  formidable  qui  venait  de 
faire  passer  sous  le  joug  toutes  les  autres  parties  des  Gaules. 
Certes ,  si  tous  les  peuples  gaulois  avaient  déployé  autant 
d'énergie  et  de  courage  que  les  Nerviens,  les  Tréviriens, 
lesEburons,  les  Atuatiques  et  les  Ménapiens,  il  est  pro- 
bable que  César,  eut  dû  renoncera  la  conquête  des  Gaules. 
Alors  peut-être,  ce  guerrier  superbe ,  dont  l'orgueil  aurait 
plié  devant  la  valeur  de  peuplades  regardées  comme  des 
barbares  et  des  sauvages  par  les  conque rans  de  l'Asie  et 
de  l'Afrique ,  n'eut  point  osé  songer  à  l'asservissement  de 
sa  patrie.  Oui,  la  conquête  des  Gaules  par  César,  doit 
avoir  décidé  la  chute  de  la  république  romaine  et  influé 
sur  les  destinées  du  globe  entier  1 

Les  rois  chez  les  peuples  germains ,  étaient ,  suivant  Ta- 
cite, comme  nous  l'avons  déjà  observé  ,  tirés  du  sein  de  la 
noblesse  et  élevés  au  trône  par  le  suffrage  unanime  de 
l'assemblée  nationale.  Cependant  tous  les  nobles,  indistincte- 
ment ,  ne  pouvaient  point  prétendre  a  cette  dignité  ;  il  y 
avait  une  race  royale  (1).  Mais  comme  la  royauté  était 
élective ,  on  n'avait  pas  toujours  égard  a  la  primogéniture 
des  fils  du  souverain  :  l'enfance  et  l'incapacité  étaient  des  mo- 
tifs d'exclusion;  car  on  requérait  d'un  roi  qu'il  fut  robuste, 
brave  et  en  âge  de  commander,  lequel ,  chez  les  Francs, 
était  celui  de  dix-sept  ans  accomplis  (2).  Si  aucun  des  fils 
du  roi  ne  réunissait  ces  qualités,  ils  étaient  privés  du  droit 


(1)  Tacii,  Ilist.AAY. 

(2)  De  Buat,  tom.  1,  p.  23,  26;  tom.  2,  p.  335.  —  Chez  les  Francs  Ri- 
ptiaires,  les  rois  n'étaient  majeurs  qu'à  vingt-quatre  ans  :  «  Nos  rois  de  la 
troisième  race,  dit  le  comte  de  Buat,  furent  d'abord  majeurs  à  vingt-un 


—  232  — 

de  régner  et  on  élisait  en  leur  place  une  autre  personne 
de  lignée  royale.  On  avait  cependant  parfois  égard  à  l'âge 
du  prétendant,  et  sa  minorité  ne  mettait  pas  toujours  ob- 
stacle à  son  élection  ;  mais  dans  ce  cas ,  tout  en  portant  le 
titre  de  roi ,  il  ne  pouvait  en  exercer  l'autorité  ;  un  conseil 
de  régence,  composé  de  ses  plus  proches  parens  et  des 
personnes  les  plus  notables  dans  la  nation  gouvernait  en 
son  nom  jusqu'à  ce  cju'il  eut  atteint  l'âge  requis  par  la 
loi  (1). 

L'élection  dW  roi  se  faisait  par  tous  les  hommes  libres, 
sans  distinction  de  rang ,  réunis  en  assemblée  natio- 
nale (2). 

Le  mode  de  l'inauguration  consistait  à  élever  le  prince 
sur  un  bouclier  ,  que  les  personnes  les  plus  distinguées 
parmi  les  nobles  et  les  hommes  libres  roturiers,  soute- 
naient de  leurs  épées  croisées  (3).  Lorsque  le  monarque 
avait ,  de  cette  manière ,  fait  deux  ou  trois  fois  le  tour  de 
l'assemblée ,  aux  acclamations  de  la  multitude ,  tous  les 
hommes  libres  venaient  lui  prêter  le  serment  de  fidé- 
lité (4),  par  lequel  ils  lui  promettaient  de  l'aider  fidèle- 


ans,  selon  la  loi  saxonne,  qui  étoit  leur  loi  nationale;  car  ils  sortoient  vrai- 
semblablement des  Saxons  établis  en  Normandie.  «  (DeBuat.tom.  2,  p.  335). 

(1)  DeBuat,  tom.  1,  p.  25. 

(2)  De  Buat,  tom.  1,  p.  55.  —  Sous  la  seconde  race  des  rois  francs, 
ceux-ci  s'arrogèrent  le  droit  de  nommer  eux-mêmes  leurs  successeurs.  (Id., 
ibid.,  p.  37,  40.) 

(3)  Greg.  Tm.,  Hist.  Franc,  1.  VII,  c.  18;  1.  VIII,  c.  3.  De  Buat,  tom.  1, 
p.  31.  Indicamus  parentes  nostros  Gothos  inter procinctuales  gladios,  more 
mujoruni  scuto  siipposito,  regalem  nobis,  prœstante  deo ,  contulisse  dignita- 
iem.  (Cassiod.,  Var..  1.  X,  c.  24). 

(4)  Dans  un  capitulaire  de  l'an  793,  le  roi  Pépin  ordonne  que  le  serment 
de  fidélité  soit  prêté  «  par  tout  le  peuple ,  tant  les  enfans  depuis  l'âge  de 
douze  ans,  que  les  vieillards,  lesquels  viennent  au  plaid  et  peuvent  remplir 
les  ordres  des  seigneurs  (rois)  et  les  conserver.»  {Capit.  Pepini.  c.  36,  an  793. 
De  Buat,  tom.  1,  p.  105). 


—  233  — 

ment  de  conseils  et  d'assistance ,  selon  leur  qualité  et  mi- 
nistère et  de  ne  jamais  se  soustraire  à  son  obéissance  (1). 
Après  avoir  prêté  serment  de  fidélité,  les  vassaux  du  roi 
ou  antrustions  ,  faisaient  Fade  de  recommandation ,  par 
lequel  ils  se  déclaraient  Thomme  du  prince  et  lui  juraient 
un  dévouement  sans  bornes  (2).  Le  roi ,  de  son  côté,  pro- 
mettait à  ses  sujets  de  les  protéger  contre  les  ennemis  du 
dehors  ;  de  les  mettre  a  couvert  contre  les  violences  du  de- 
dans, de  leur  rendre  bonne  justice  et  de  les  récompenser 
selon  leur  mérite  (3). 

Chez  une  nation  aussi  idolâtre  de  la  liberté,  que  Tétaient 
les  Germains ,  le  pouvoir  des  rois  devait  être  fort  limité  ; 
aussi  ne'taient-ils,  à  proprement  parler,  que  les  premiers 
entre  leurs  égaux ,  primi  inter  pares  |(4).  Quoiqu'ils  eus- 
sent la  première  voix  dans  les  assemblées  nationales  ,  leur 
vote  n'avait  guère  plus  de  prépondérance  que  celui  de  tout 
Germain  libre  et  en  droit  de  siéger  au  champ  de  Mars.  Lors- 
que le  peuple  se  rendait  au  vœu  exprimé  par  son  chef,  ce 
n'était  que  par  simple  conviction  et  pour  aucun  autre  mo- 
tif (5).  Le  pouvoir  du  roi  purement  exécutif  était  donc  en- 
tièrement subordonné  à  la  volonté  populaire  ;  nous  en  avons 
un  exemple  dans  l'Histoire  de  la  Belgique  :  César  rapporte 


(1)  DeBuat.tom.  1,  p.  31. 

(2)  Idem.,  ibid.,  p.  78. 

(3)  Idem.,  ibld.,  p.  92. 

(4)  Nec  regibus  inpniia  aut  libéra  potestas.  (Tac,  M.  G.,  c.  7). 

En  parlant,  de  l'émigration  d'une  partie  des  Frisons  sur  le  territoire  ro- 
main, sous  le  règne  de  Néron,  Tacite  dit  que  les  moteurs  de  cette  expédi- 
tion furent  les  rois  frisons,  Yerritus  et  Malorix;  pour  autant,  ajoute-t-il , 
que  l'on  peut  donner  le  nom  de  rois  aux  chefs  des  Germains  :  Auctoribus 
Verrito  et  Malorige ,  qui  nationem  eatn  regebani  ;  in  quaiilum  Germani 
regnantiir.  (Taclt,,  Annal.,  1.  XIII). 

(5)  Avcioritaie  svadendi  magis ,  quam  jubendi  potestate.  {Tac,  M.  G., 
cil). 


-^  234  — 

qu'Amhiorix  ,  roi  des  Eburons ,  pour  se  disculper  de  la 
part  active  quil  avait  prise  a  la  révolte  de  ces  derniers 
contre  les  Romains ,  allégua  qu  il  n'avait  fait  que  se  con- 
former a  la  volonté  du  peuple  dont  le  pouvoir  était  égal 
à  celui  du  souverain  (1), 

Ce  qui  prouve  encore  combien ,  chez  les  Germains  >  le 
pouvoir  du  roi  était  subordonné  a  celui  du  peuple ,  c'est 
que  même  sous  les  deux  premières  î"aces  des  rois  francs ,  à 
une  époque  oîi  le  pouvoir  des  rois  était  beaucoup  plus 
étendu,  que  dans  celle  dont  nous  nous  occupons,  il  suffi- 
sait que  l'assemblée  nationale  eut  reconnu  dans  le  monar- 
que l'incapacité  de  régner,  pour  qu'il  descendit  du  trône 
et  qu'un  nouveau  roi  lui  succédât  (2). 

C'était  un  principe  fondamental  de  droit  public  chez  les 
Germains ,  de  ne  jamais  accorder  le  pouvoir  souverain  à 
une  femme.  Les  codes  barbares  sont  unanimes  à  cet  égard, 
et  Tacite  ne  connaît  qu'une  seule  peuplade  germaine,  qui 
dérogeât  à  cette  loi  générale  :  c'étaient  les  Sitones,  peu- 
plade suève,  placée  aux  dernières  limites  septentrionales, 
du  territoire  occupé  par  les  Suèves.  «  Tant  chez  eux  dégé- 


(1)  Neque  id  quod  fecerat,  de  oppugtiatione  castrorum,  aul  judicio  aut 
voluntate  sua  fecisse ,  sed  coacti  civitatis.  Suaque  esse  hujusmodi  imperiof 
ut  non  minus  habcret  juris  in  se  multitudo,  quant  ipse  in  multitudinem.  (Caes., 
1.  V,  c.  27). 

Sous  la  première  race  des  rois  francs,  les  prérogatives  royales  consistaient  ; 
1°  flans  le  droit  de  commander  les  armées;^ 2*  dans  TadminFstration  de  la 
justice;  3°  dans  l'administration  civile  et  militaire  du  gouvernement;  4°  dans 
la  sanction  des  lois  décrétées  par  l'assemblée  nationale;  5°  dans  les  affran- 
chissemens  et  les  émancipations  ;  6°  dans  le  droit  d'accorder  la  hoirie  à 
défaut  d'enfans  :  7°  dans  celui  d'accorder  des  lettres  de  grâce;  8°  dans  celui 
de  convoquer  et  de  présider  les  assemblées  nationales,  et,  9°,  dans  le  droit  de 
nommer  les  fonctionnaires  publics,  h  l'exception  des  juges  ou  rachimbourgs 
qui  recevaient  leur  nomination  du  peuple. 

(2)  De  Bnat,  lom.  1,  p.  32  et  suiv. 


—  235  ~- 

nère,  s'ëcrîe  cet  historien,  non-seulement  la  liberté ,  mais 
même  la  servitude  (1)  !  » 

Les  hommes  libres,  chez  les  Germains,  n'étant  assu- 
jettis à  aucun  impôt ,  les  revenus  des  rois  consistaient 
uniquement  dans  la  part  qui  leur  revenait  du  butin  pris  sur 
Fennemi  (2)  ,  dans  les  biens  dévolus  au  fisc ,  dans  une  partie 
des  amendes,  que  payaient  les  personnesreprises  en  justice, 
dans  les  présens  qu'ils  recevaient  des  peuples  étrangers  et 
dans  les  dons  gratuits  que  les  Germains  faisaient  annuel- 
lement à  leur  chef.  Ce  dernier  article  n'était  pas  la  partie 
la  moins  importante  de  la  liste  civile,  pour  me  servir  d'une 
expression  toute  moderne,  des  rois  germains  :  «  Les  cités, 
dit  Tacite ,  après  une  taxe  volontairement  repartie  entre 
les  membres  de  la  société  {ultro  ac  viratim) ,  donnent  aux 
chefs  une  certaine  quantité  de  grains  ou  de  bestiaux  ,  c[ui , 
reçus  comme  un  honorifique ,  fournissent  au  nécessaire.  Ce 
qui  ne  les  flatte  pas  moins ,  ce  sont  les  présens  que  leur  font 
les  étrangers ,  non  pas  seulement  ceux  qui  leur  sont  offerts 
par  des  personnes  privées,  mais  davantage  encore  ceux  qui 
le  sont  au  nom  d'un  peuple  entier,  et  qui  consistent  en 


(1)  Cetero  similes,  uno  dijferunt  quod  femina  dominatur  ;  in  tantum  non 
modo  à  lihertate .  sed  eiiam  a  servitute  dégénérant.  (Tac,  31.  G.,  c.  45). 

Sous  les  rois  francs ,  l'autorité  des  reines  paraît  avoir  été  très-grande. 
Voir  De  Buat,  tom.  2.  p.  341 ,  et  sur  la  condition  des  filîes  du  roi ,  le  même 
auteur,  tom.  2,  p.  345. 

(2)  Greg.  Tur.,  1.  Il,  c.  27. 

I3ans  le  partage  du  buiin,  le  roi  n'avait  pas  le  droit  de  choisir  ce  qui  lui 
plaisait  davantage;  c'était  au  sort  à  en  décider,  et  souvent  le  soldat  le  plus 
pauvre  de  l'armée  recevait  une  part  plus  large  que  le  souverain  lui-même. 
L'anecdote  si  connue  du  vase  de  Soissons  ,  rapportée  par  Grégoire  de  Tours, 
prouve  que  sous  les  premiers  rois  francs  ee  principe  d'égalité  était  encore 
observé.  C'est  en  même  temps  une  nouvelle  preuve  des  bornes  étroites  dans 
lesquelles  était  circonscrits  l'autorité  des  rois  germains.  (Voir  Grcg.  Tur,^ 
1.  IV.  c.  14). 


—  236  — 

coliers ,  en  phalères ,  en  chevaux  de  prix  et  en  belles  ar- 
mures (1). 

Le  pouvoir  royal  n'étant  comme  on  l'a  dit ,  que  pure- 
ment executif  chez  la  plupart  des  Germains  ;  c'était  donc 
le  peuple  réuni  en  corps  ou  en  assemblée  nationale ,  qui 
exerçait  exclusivement  le  pouvoir  législatif.  Si  le  roi  prenait 
part  a  la  délibération,  ce  n'était  qu'en  sa  qualité  de  citoyen, 
et  s'il  y  occupait  la  première  place ,  il  la  devait ,  non  a  son 
autorité  ,  mais  a  la  déférence  qu'on  portait  à  son  caractère 
élevé  et  à  ses  augustes  fonctions  (2). 

Dans  ces  assemblées  populaires  (3),  la  discussion  ne  rou- 
lait pas  seulement  sur  la  législation ,  mais  sur  tout  autre 
objet  d'un  intérêt  majeur  (4)  :  on  y  décidait  de  la  guerre 

(1)  Tac,  M.  G.,  c.  15. 

Pour  preuve  que  les  Gothins  et  les  Oses  n'étaient  point  d'origine  germa- 
nique, quoiqu'habitant  la  Germanie,  Tacite  dit  qu'ils  se  laissaient  charger 
d'impôts,  comme  les  Gaulois  :  Gothinos  gallica ,  Osos  pannonica  lingua 
coarguit  non  esse  Germanos,  et  quod  tributa  patiuntur.  [M.  G.,  c.  43). 

C'était  en  faisant  des  dons  aux  rois  puissans  que  les  peuples  faibles  s'as- 
suraient leur  protection.  C'était  même  souvent  une  des  conditions  auxquelles 
le  vainqueur  accordait  la  paix  au  peuple  vaincu. 

La  coutume  d'offrir  annuellement  des  dons  au  souverain,  se  conserva 
jusque  sous  les  rois  de  la  seconde  race;  mais  dès  le  règne  de  Louis  le  Débon- 
naire ces  présens  étaient  une  marque  de  vasselage.  (De  Buat,  tom.  1,  p.  207. 
Boucquet,p.  79  etsuiv.) —  Sous  les  rois  francs  la  reine  et  le  chambrier  étaient 
chargés  du  soin  des  dons  annuels  qui  ne  consistaient,  ni  en  comestibles,  ni 
en  boissons,  ni  en  chevaux.  (Hincmar.  de  Ord.  Palat,  n.  22,  opusc.  14). 

(2)  Cependant  sous  les  rois  francs  de  la  seconde  race,  lorsque  l  autorité 
du  souverain  s'était  considérablement  accrue,  ce  dernier  jouit  seul  du  droit 
de  convoquer  rassemblée  nationale.  (Toulotte,  tom.  2,  p.  132.  Barginet, 
p.  66). 

(3)  Concilium,  congressus  (Tacite);  chez  les  Francs:  mallum,  placitum 
regium ,  générale  j)lacitiim ;  dans  la  suite  :  pîena  synodus,  conventus,  con- 
cilium; plus  tard  encore  :  parliamenium  ^  haute  cout\  cours  plènières,  états 
généraux;  et  en  Belgique:  Hooge  vierschaeren,  staeten  generael,  ryhstan- 
den.  (Voir  Raepsaet ,  Ilist.  des  états  gcnér.). 

(4)  De  ininoribus  rehus  principes  consultant,  de  majoribus  omîtes.  (Tac, 
i/.  G.,  c  11  et  12). 


—  237  — 

et  de  la  paix;  c'était  la  quêtaient  élus  les  juges  et  les  ma- 
gistrats des  cantons  et  des  villages  {principes  qui  perpagos 
vicosque  JUS  reddunt  (1));  qu'on  réglait  tout  ce  qui  avait 
rapport  à  la  succession  au  trône;  qu'on  accordait  le  droit 
de  cité  et  que  le  jeune  Germain,  parvenu  à  l'âge  de  virilité, 
était  reconnu  solennellement  pour  membre  actif  de  la 
société.  Enfin  l'assemblée  constituée  en  tribunal  suprême, 
jugeait  des  crimes  de  haute  trahison  et  de  toutes  autres 
causes  majeures,  qui  n'avaient  pu  être  décidées  devant  les 
tribunaux  ordinaires  (2). 

Tout  homme  libre  et  pubère  avait  droit  d'assister  aux 
assemblées  nationales  :  «  Sans  distinction  de  rang,  dit  Ta- 
cite, ils  prennent  séance  et  en  armes  (3).  On  fait  silence, 
dès  que  les  prêtres,  revêtus  alors  de  la  puissance,  même 
coactive,  le  jugent  à  propos  ;  puis  le  roi  ou  le  chef,  chacun 
suivant  son  âge ,  sa  noblesse ,  ses  grades  militaires ,  son  ta- 
lent pour  la  parole  ,  se  fait  écouter,  moins  par  le  droit  de 
commander  que  par  celui  de  persuader  (4).  Si  l'avis  dé- 
plaît, on  le   rejette   avec  murmure;  s'il  convient,  tous 


(1)  Tac,  M.  G.  —  Sous  les  rois  francs,  ceux-ci  eurent  le  droit  de  nomraer 
les  gouverneurs  des  provinces  et  autres  fonctionnaires  publics,  à  l'exception 
des  juges  (rachimhurgi)  dont  l'assemblée  nationale  se  réserva  toujours  la 
nomination. 

(2)  Voir  De  Buat,  tom.  3,  p.  140. 

(3)  Ce  n'est  que  sous  les  rois  francs  de  la  seconde  race  qu'exista  la  dé- 
fense de  se  présenter  armé  aux  plaids  généraux. 

(4)  Toulotte  et  Riva  ont  entendu  par  ces  paroles  de  Tacite  :  mo:v  rex  vel 
princeps,  prout  œtas  cuique ,  prout  nohililas ,  prout  decus  hellorum ,  prout 
facundia  est,  auditur,  auctoritate  suadendi  rnagis  quam  jiibendi  potes- 
tate ,  que  le  peuple  ne  proposait  point  dans  ces  assemblées,  et  que  même  il 
n'y  avait  pas  droit  de  délibération.  (Toulotte  et  Riva,  tom.  2,  p.  14).  Cette 
assertion  nous  paraît  invraisemblable,  au  moins  pour  lépoque  où  écrivait 
Tacite;  elle  n'a  de  fondement  que  si  on  l'applique  à  l'état  des  Francs  sous 
les  deux  premières  races,'  parce  qu'alors  le  peuple  n'assistait  plus  en  masse 
aux  assemblées  publiques,  et  y  était  représenté  par  ses  magistrats. 


—  238  -^ 

ensemble  agitent  leurs  framëes  comme  une  marque  de 
satisfaction  ;  car  Fapplaudissement  le  plus  flatteur  pour  un 
Germain  ,  est  le  bruit  des  armes  (1). 

Il  s'écoulait  souvent  plusieurs  jours  avant  qu'une  assem- 
blée aussi  nombreuse  ne  fut  complète  (2).  Mais  l'esprit 
indépendant  du  Germain  n'aurait  pu  se  soumettre  a  cette 
loi  cruelle  des  Gaulois  qui  condamnait  à  un  affreux  sup- 
plice ,  le  citoyen  qui  ne  se  trouvait  point  au  lieu  marqué 
pour  la  réunion  au  jour  fixé  ;  aussi  chez  les  Germains  , 
comme  nous  l'avons  déjà  fait  observer  ailleurs  ,  cette  peine 
se  bornait-elle  a  une  simple  amende. 

Hormis  les  cas  imprévus,  les  assemblées  publiques 
n'avaient  lieu  qu'aux  jours  de  la  nouvelle  et  pleine  lune  (3)  ; 
«  Car,  dit  Tacite ,  ils  regardent  ce  temps  comme  le  plus 
propre  aux  auspices  sous  lesquels  on  doit  commencer  les 
affaires  ;  et  ils  comptent ,  non  comme  nous  par  les  jours  , 
mais  par  les  nuits  ,  la  nuit  leur  semble  précéder  le 
jour  (4),  » 

Les  assemblées  nationales  des  Germains,  se  tenaient  or- 
dinairement en  rase  campagne,  ou  dans  une  foret  sacrée  (5). 

(1)  Tac,  M.  G.,  cil. 

Sidoine  Apollinaire  parlant  d'une  assemblée  nationale  des  Visigoths  tenue 
à  Toulouse,  par  ordre  de  leur  roi  Théodoric,  dépeint  ces  barbares  siégeant 
au  conseil,  l'épée  au  côté,  vêtus  dhabits  de  toile,  sales  et  en  lambeaux,  et 
chaussés  de  mauvaises  guêtres  en  peau  de  cheval.  (Sid.  Apoll.  paneg.  Aviti.) 

(2)  Illud  ex  liberfate  vitiiim  f  qiiod  non  simul ,  nec  jiissi  conveniunt;  sed 
et  aller  et  tertius  dies  cunctatîone  coeuntium  absumitur.  (Tac ,  M.  G.,  c.  11), 

(3)  Coeunt,  nisi  quid  fortvitum  et  suhituni  inciderit,  certis  diebus,  quum 
aut  inchoatur  luna  aut  impletur.  (Tac,  M.  G.,  c.  H). 

(4)  Tac,  ibid.  —  Cette  coutume  de  compter  par  nuits  s'observe  aussi  dans 
tous  les  codes  germaniques. 

(5)  Tacit.j,  Hist.f  1.  m.  Pipptnus  conventum ,  more  francîco,  in  camputn 
egit  [Ann.  Franc,  et  Ann.  Bertin.  ad  ann.  767), —  Dans  le  2*  capitulaire, 
§  13  de  l'an  809,  Charlemagne  ordonne  :  iit  in  locis  ubi  malins  publicus 
haberi  solet ,  tectum  taie  constituatur,  qtiod  in  hiberno  et  œstate  observandus 
^esse  possit. 


~~  239  - 

Le  centre  du  champ  était  marqué  par  un  poleau  auquel 
était  attaché  un  bouclier  (1). 

Ces  assemblées  étaient  ordinairement  accompagne'es  de 
festins;  mais,  comme  nous  layons  dit  précédemment ,  une 
loi  fort  sage  ordonnait  de  décider  a  jeune  les  affaires  dont 
on  avait  délibéré  la  veille  à  table. 

L'assemblée  la  plus  solennelle  se  tenait  au  premier  de 
mars  (2).  C'était  la  principalement  qu'on  traitait  de  la 
guerre  et  de  la  paix.  On  y  faisait  la  revue  des  armées  et  le 
roi  y  recevait  les  dons  gratuits  du  peuple  :  a  Dans  le  champ 
de  Mars,  disent  les  annales  de  Fulde,  en  parlant  des  rois 
fainéans,  celui  qu'on  appelait  roi,  porté  sur  un  char  traîné 
par  des  bœufs,  séant  dans  un  lieu  élevé  et  vu  une  fuis  par 
an  de  ses  peuples,  recevait  les  dons  qui  lui  étaient  offerts 
solennellement  (3).  » 


(1)  Lex  SaL,  tlt.  47,  §  1,  tit.  49,  §  1. 

(2)  En  755,  Pépin  la  remit  au  premier  de  mai  :  Fenit  Thassilo  ad  Martis 
Campum,  et  mutaveriint  Martis  Campum  in  mense  MaïQ.  (  Annal.  Petav., 
a»  755.  Fredeg.,  an.  766.  Vita  S.  Remigii). 

(3)  Annal,  fuld.,  ad  ann.  751.  —  Francorum  regibus  mons  erat,  Kalen- 
dis  Martii  prœnidere  et  salutare,  ohsequia  et  dana  aecipere  et  respondere,  et 
sic  secum  usgue  ad  alium  llariium  permanere.  (Sigeb.  Gembl.,  Chron.,  ad 
ann.  662.  Alb.  Stad.,  a.  751.  Fragm.  Annal,  veter.  a.  777.  Chron.  Hildesh. 
a.  750).  —  Hahitum  à  Ludoviro  Pio  Aquisgrani  gêneraient  populi  conven- 

ttim,   AD   JUSTITIAS    FACIESDAS   ET    OPPRESSIONES   PAUPERCM   RELEVANDAS.    (Annal. 

Francor.,  a.  814. —  Transacio  vero  anno ,  jussit  (Cblodoveus)  oinnem  cum 
armorum  apparaiu  advenire  phalangam  ^  ostensuram  in  campo  Martio  suo~ 
rum  armorum  nitorem.  (Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  27).  —  Singulis  annis  in  Kal. 
Martii générale  cum  omnibus  Francis,  secundumpriscam  cansuefudinem,  con- 
cilium  agebat  {Ve\>^'mus)',  in  quo ,  ob  regii  nominis  rererentiam,  jubebat, 
donec  ab  omnibus  opiimaiibus  Francorum  donariis  acceptis ,  verboque  pro 
pace  et  defensione  ecclesiarum  Dci  et  pupillorum  et  viduarum  facta,  rap- 
tuque  fœminarum  et  incendio  solido  decreto  interdicto ,  exercitui  quoque 
prœcepto  dato,  ut,  quacunque  die  illis  nunciaretur,  parati  essent  in  partent , 
quam  ipse  disponeret,  proficisci.  (Annal.  Metens.,  a.  692). — Voir  aussi  :  Hadr. 
Valesii  rerum  Franc,  1.  XXIII.  De  Voigt,    IVotitia   veter.  Francor.  regnif 


^  240  — 

Chaque  gens  ou  peuplade  germaine,  ou  germano-belge, 
qui  constituait  une  nation  indépendante,  avait  ses  assem- 
blées générales  ;  mais  il  est  probable  que  les  peuples  qui 
e'taient  sous  la  dépendance ,  ou ,  comme  dit  César,  sous  la 
clientelle  d'un  autre  peuple ,  tels  que  les  cinq  petites  peu- 
plades dépendantes  des  Nerviens ,  n  avaient  point  d'assem- 
blées nationales ,  mais  qu  elles  pouvaient  siéger  a  celle  du 
peuple  principal. 

Dans  un  danger  imminent ,  lorsqu'il  s'agissait  du  salut 
de  tous  et  qu'un  ennemi  formidable  menaçait  d'anéantir  la 
liberté  et  l'indépendance  nationale ,  plusieurs  peuplades , 
et  même  des  peuples  ennemis ,  formaient  une  ligue  et  réu- 
nissaient leurs  forces  pour  résister  à  l'ennemi  commun. 
C'est  ainsi  que ,  lorsque  César  se  préparait  à  envahir  la 


p.  140.  Eginhardii  Vita  Caroli  M.  cum  comment.  J.  F.  Besselii  etnot.  J.Bol- 
landiyC.  2,  p.  18. 

Quelques  additions  a  la  loi  salique  ordonnent  que  les  chevaux  qui  auront 
été  offerts  au  roi,  en  don  annuel,  soient  désignés  par  le  nom  du  donateur, 
afin  qu'on  connaisse  ceux  qui  ont  satisfait  a  ce  devoir  :  Et  hoc  nohis  prœ- 
cipienduni  est,  ut  quicumque  in  dono  rcgio  cahallos  detulerint ,  in  unum 
quemque  suum  nomen  haheant  scriptuvi.  (Ca^it.  ad  Leg.  Sal  .§  19}. —  Il  pa- 
raît par  une  épitre  de  Frotaire,  évêque  de  Toul,  que  les  présens  annuels 
offerts  au  roi  se  faisaient  souvent  en  chevaux.  (Frothar.,  ep.  21). — Voir  aussi 
Annal  Met.  a.  753 ,  758.  Jnnal.  Bert.  a.  758. 

Sous  les  rois  de  la  seconde  race  ,  les  dons  annuels  ne  furent  plus  offerts  au 
plaid  de  mai,  mais  dans  l'assemblée  qui  se  tenait  alors  à  la  fin  d'août  ou  au 
commencement  de  septembre,  et  dont  l'institution  paraît  remonter  au  règne 
de  Pépin.  Dans  cette  assemblée,  a  laquelle  n'assistaient  que  les  principaux 
seigneurs  et  les  conseillers  du  roi,  on  préparait  les  matières  à  soumettre  à  la 
délibération  du  peuple  au  champ  de  mai  :  Cœterum  aufem,  propter  dona  ge- 
neraliter  danda ,  alind  placitum  ciiîn  seniorihus  tantùm  et  prœcipuis  consi- 
liariis  hahehatur  ;  in  quojam  fiituri  anni  status  tractari  incipiebatur,  si  forte 
talia  aliqua  se  prœmonstrahant ,  pro  quibus  necesse  erat  prœmeditando  ordi- 
nare.  (Hincmar.,  n°  50). 

Sous  les  derniers  rois  carlovingiens  ,  les  assemblées  annuelles  ne  se  tinrent 
plus  régulièrement  ni  a  des  époques  fixes.  Plus  tard  elles  cessèrent  entière- 
ment. 


_  241  — 

Belgique ,  non-seulement  toutes  les  peuplades  germano- 
belges  conclurent  entre  elles  un  traité  d'alliance  offensif  et 
défensif ,  mais  cju  elles  y  admirent  même  les  peuples  gallo- 
belges  ,  malgré  la  profonde  antipathie  qui  existait  entre  les 
Germains  et  les  Celtes  (1).  Une  alliance  semblable  fut  for- 
mée entre  les  peuples  septentrionaux  des  Gaules  et  quel- 
ques peuples  germains  ,  lors  de  la  révolte  des  Bataves  sous 
le  règne  de  Vespasien.  Mais  de  toutes  les  confédérations 
formées  par  les  Germains,  pour  résister  à  l'ambition  et  à  la 
soif  de  concpétes  cjui  possédaient  les  Romains,  les  plus 
célèbres  furent  sans  contredit  les  ligues  francpe  et  saxonne 
qui  datent  du  3^  et  du  4^  siècle  de  l'ère  vulgaire. 

Outre  les  assemblées  générales  auxquelles  assistait  une 
peuplade  entière,  il  y  avait  dans  chacjue  district  des  assem- 
blées cantonales  qu'on  ne  peut  mieux  comparer  qu'à  nos 
états  provinciaux.  Le  peuple  ne  parait  point  avoir  siégé 
en  corps  a  ces  assemblées  particulières  où  ne  se  traitaient 
que  les  affaires  qui  concernaient  le  canton.  11  est  probable 
qu'il  y  était  représenté  par  ses  délégués  (2). 


(1)  Cœs.,  1.  Il,  c.  S. 

(2)  Raepsaet  prétend,  au  contraire,  que  le  peuple  assistait  en  masse  aux 
assemblées  cantonales,  mais  que  dans  les  assemblées  générales  il  était  re- 
présenté par  ses  magistrats  :  «  Sous  les  deux  premières  races  de  nos  rois . 
comme  sous  la  période  germanique ,  dit-il,  le  peuple  était  représenté  dans 
les  états-généraux  et  provinciaux,  par  ses  magistrats  ;  mais  ceux-ci  n'en 
étaient  que  les  mandataires,  puisque  le  peuple  délibérait  en  personne  dans 
sa  commune  ou  sa  centurie.»  (Raepsaet,  Hist.des  états- généraux ,  c.  1  et  2) 

Certes,  cette  opinion  est  en  contradiction  avec  les  paroles  de  Tacite  et  le 
témoignage  de  tous  les  auteurs  anciens;  ce  n'est  que  depuis  l'établissement 
des  Francs  dans  les  Gaules,  et  même  seulement  a  la  fin  delà  première  race 
des  rois  francs  ,  que  le  peuple  cessa  d'assister  en  masse  aux  assemblées  na- 
tionales qui,  à  dater  de  cette  époque,  ne  furent  plus  composées  que  des  évo- 
ques et  des  nobles.  De  ces  derniers  ,  les  uns  (  antrustiones  ^  vassi  dominici , 
pueri  régis)  y  siégeaient  pour  leurproprepersonne;  les  autres  [majores privile- 
gio  ,  proceres  potestaie,  majores  et  minores  ad  rempuhlicam  procurantes) ,  y 

TOMB    I.  16 


^  242  ~ 

Le  territoire  de  chaque  peuplade  germaine  était  partage 
en  districts,  (gauweji,  comifatiis)  ,  subdivise's  en  cantons 
(viciy  biiurten)  ,  qui  Tétaient  à  leur  tour  en  décuries  (1). 
Chaque  district  était  gouverné  par  un  magistrat  qui  réunis- 
sait le  pouvoir  civil  et  militaire  et  portait  le  nom  de  grajio, 
grau  on  grave  (2).  Chaque  canton  Tétait  par  un  centenier,  et 
chaque  décurie  par  un  décurion  (decanus).  Sous  la  période 
germanique,  ces  difFérens  magistrats  étaient  élus  par  le 
peuple;  mais  sous  les  rois  francs,  ils  le  furent  par  ces  der- 
niers. Les  centeniers  formaient  le  conseil  du  grafio  qui  ne 
pouvait  prendre  aucune  résolution  sans  avoir  obtenu  leur 
avis  (3).  A  des  époques  déterminées ,  tous  les  huit  ou  quinze 
jours,  ils  s'assemblaient  chez  le  grafion ,  pour  délibérer 
sur  les  affaires  du  district  et  pour  Tassister  à  son  tribunal. 

prenaient  place  comme  représentans  de  leur  ressort.  (Hincmarus,  epist.  1, 
ad  Ludov.  Balbiim,  c.  iO.  Devoigt,  IVot  vet.  Francor.  regni,  p.  141). 

Voir  sur  les  assemblées  publiques  sous  les  rois  de  la  seconde  race  :  Devoigt, 
p.  143-144  et  la  compilation  ayant  pour  titre  :  des  Etats- généraux  et  des 
assemblées  nationales.  La  Haye  (Paris)   1788. 

(1)  Van  Loon,  Aloude  regeringswyze  van  Holland.  '■ —  César  dit  que  le 
pays  des  Suèves  était  divisé  en  cent  cantons  [pagi).  (Cses.,  1.  IV,  c.  1), 

(2)  Grafio  ou  grau  signifiait,  suivant  Putter,  gris  ,•  parce  que  c'étaient  or- 
dinairement des  personnes  d'un  âge  mûr  et  expérimentées  qui  remplissaient 
les  fonctions  de  grafion.  (Putter,  Histor.  entwickehing  des  heutentag.  staten- 
verfassung  des  deuischen  reichs.,  1*  th.).  Les  grafions  sont  appelés  principes 
par  Tacite.  {M.  G.,  c.  12).  Les  codes  barbares  leur  donnent  souvent  le  nom 
de  comtes  [comités)  ^   dénomination  d'origine  romaine. 

Les  ducs  qui,  sous  les  rois  francs,  réunissaient  également  le  pouvoir  civil 
et  militaire,  mais  dont  l'autorité  était  beaucoup  plus  grande  que  celle  des 
grafions,  étaient  également  des  magistrats  d'origine  romaine  :  chez  les  Ger- 
mains Vhertzog ,  qu'on  traduit  par  le  mot  duc,  était  un  chef  militaire,  qui 
n'avait  aucune  autorité  en  matière  civile. 

(3)  Centeni  singulis  (principibus  )  ex  plehe  comités,  concilium  simiil  et 
auctoritas ,  adsunt.  (Tac.  M.  G.,  c.  13).  Voir  aussi  :  Additam.  Leg.  Sal., 
tit.  1,  §  10  et  17.  Lex.  Longoh.,  c.  35,  §  2. 

Desroches  croit  que  chaque  centenier  commandait  a  cent  familles. 
{Hist.  anc.  des  Pays-Bas  Autric. ,  p.  64).  César  compte  chez  les  Nerviens , 
600  centeniers  auxquels  il  donne  le  nom   de  sénateurs.  (Cses.,  1.  II,  c.28). 


—  243  — 

Si  nous  n^avîons ,  pour  connaître  ia  législation  des  Ger- 
mains, que  les  écrits  des  auteurs  romains ,  ce  que  nous  au- 
rions à  dire  sur  ce  sujet  se  bornerait  à  peu  de  faits,  et  la 
plupart  incomplets,  ou  inexacts;  mais  les  documens  que 
renferment  les  codes  des  différentes  peuplades  germani- 
ques nous  procurent  le  moyen  d'avoir  sur  cette  matière, 
des  renseignemens  plus  étendus  que  sur  tout  autre  point 
des  antiquite's  teutoniques. 

La  rédaction  de  ces  codes  ne  remonte,  il  est  vrai,  qu'au 
5^  et  au  6^  siècle  de  l'ère  vulgaire  (1) ,  et  plusieurs  des  lois 


(1)  Avant  cette  époque,  le  droit  des  peuples  germains  était  simplement 
couCiimier  et  leur  législation  consistait  uniquement  en  us  et  traditions  orales. 
lies  coutumes  des  Ripuaires,  des  Allemands  et  des  Bavarois,  furent  mises 
par  écrit  vers  Tan  510,  modifiées  par  Cliildebert  et  Clotairc,  revisées  et  re 
fondues  ,  dans  la  forme  que  nous  les  possédons,  par  le  roi  Dagobert.  Le  code 
des  Bourguignons,  appelé  loi  Gombetle,  fut  compilé  vers  l'an  500,  par  le  roi 
bourguignon  Gondebaud,  et  augmenté  par  son  fils  Sigismond.  Les  «odes 
frison  et  tburingien,  sont  au  nombre  des  plus  anciennes  collections  de 
lois  germaniques  ;  mais  on  ignore  Tépoque  précise  de  leur  rédaction  qui 
paraît  être  antérieure  a  la  conversion  de  ces  peuples  au  cbristianisme.  Le 
code  des  Ostrogotbs  eut  pour  auteur  le  roi  Tbeodoric ,  vers  la  fin  du  5''  siè- 
cle :  ce  code  est  connu  sous  le  nom  àédit  de  Théodoric.  Celui  des  Visi- 
goths,  fut  rédigé  par  ordre  d'E varie  ouEuric  et  considérablement  augmenté 
par  plusieurs  de  ses  successeurs.  La  compilation  du  code  des  Lombards  est 
due  au  roi  Rotbaris,  entre  les  années  630  et  646.  Les  successeurs  de  ce  prince  y 
firent  des  cbangemens  considérables ,  et  ce  code  fut  entièrement  refondu  par 
les  empereurs  Cbarlemagne,  Louis  le  Débonnaire,  Lothaire  et  Conrad.  De 
tous  les  codes  barbares  celui  dont  la  compilation  paraît  être  la  plus  récente 
est  le  code  des  Saxons  ,  qui  ne  fut  rédigé  que  sous  le  règne  de  Cbarlemagne. 

Il  existe  une  grande  diversité  d'opinions  sur  l'époque  de  la  première  rédac- 
tion du  code  salique  ;  plusieurs  l'attribuent  a  Pharamond  (roi  franc  dont 
l'existence  elle-même  est  contestée),  et  en  fixent  la  compilation  à  l'an  422. 
Quoiqu'il  en  soit,  la  plus  ancienne  rédaction  de  ce  code  tel  que  nous  lé 
possédons  aujourd'bui  ,  ne  remonte  qu'au  règne  de  Clovis.  Cbildebert  y  fit 
plusieurs  modifications  et  Cbarlemagne  le  refondit  entièrement. 

Il  n'existe  pas  moins  d'iîJicertitude  sur  la  contrée  et  le  lieu  où  ce  code  fut 
rédigé  et  sur  le  nom  qu'il  porte.  Il  serait  trop  long  d'examiner  les  différentes 
opinions  émises  sur  ces  questions.  On  pourra  consulter  sur  ce  sujet  :DeBuat, 


—  244  — 

qu^ils  renferment  ,  indiquent  évidemment  une  origine 
romaine;  mais  il  est  facile  de  distinguer  ces  dernières  de 
celles  qui  sont  d'origine  germanique  et  qui  retracent  dune 
manière  frappante  les  coutumes  et  usages  de  cette  nation  à 
lëpoque  où  écrivait  Tacite.  Les  codes  salicjue  et  ripuaire , 
qui  de  tous  les  codes  barbares  offrent  le  plus  d'intérêt  à 
nous,  parce  c]u ils  constituaient  la  législation  des  peuples 
germains  c|ui  habitaient  le  sol  même  de  notre  patrie, 
sont  aussi  ceux  qui  nous  offrent  le  tableau  le  plus  exact  des 
mœurs  et  des  usages  primitifs  des  Germains:  «On  dirait, 
dit  Mably  ,  cjue  les  lois  saliques  et  ripuaires  sont  l'ou- 
vrage de  ces  Germains  mêmes  dont  Tacite  nous  a  tracé  le 
portrait ,  tant  elles  supposent  les  mêmes  coutumes ,  les 
mêmes  préjugés,  les  mêmes  vices  etles  mêmes  vertus  (1).» 
Chez  des  peuples  barbares ,  nomades  et  ignorant  la  pro- 
priété foncière ,  les  lois  ne  pouvaient  la  plupart  concerner 
que  des  délits  personnels  ou  ceux  c|ui  portaient  atteinte  à 
la  propriété  des  bestiaux ,  unicjues  richesses  d'une  nation 
adonnée  a  la  vie  pastorale.  Aussi  n'est-ce  cjue  de  ces  deux 
points  que  s'occupe  presque  exclusivement  la  loi  salic|ue. 
Nous  avons  déjà  parlé  dans  un  des  jjaragraphes  précé- 
dens  des  nombreux  articles  de  ce  code  qui  statuent  des 
peines  pour  le  vol  ou  la  mutilation  du  bétail.  On  compte 
dans  le  code  salique  343  articles  de  pénalité  ,  et  seule- 
ment 63  qui  concernent  d'autres  matières.  Les  délits  qui 


tom.  3,  p.  350  et  suiv.  L'abbé  de  Vertot,  Dissertation  sur  l'origine  des  lois 
saliques;  Discours  sur  la  loi  salique ,  dans  la  collection  intitulée:  des  Etats- 
Généraux  et  autres  assemblées  nationales ,  tom.  2,  et  le  prologue  de  la  loi 
salique  lui-même. 

(1)  Mably,  Lettres  sur  l'Histoire  de  France,  tom.  1,  c.  1.  — Voir  aussi 
Tabbé  de  Vertot,  Dissert,  sur  V origine  des  lois  saliques.  Etats- Généraux, 
tom.  2,  p.  332.  J.F.  Peppe,  Dissert,  liist.  et  critique  sur  l'orig.  des  Francs 
Saliens  et  de  la  loi  salique  ,  p.  24. 


^  245  — 

y  sont  prévus ,  se  classent  presque  tous  sous  deux  chefs  :  le 
vol  et  la  violence  contre  les  personnes.  Sur  les  343  articles, 
de  droit  pénal,  150  se  rapportent  a  des  cas  de  vol  qui ,  aux 
yeux  des  Gerinains,  était  re'putë  un  des  crimes  les  plus 
graves  dont  un  homme  put  se  rendre  coupable;  crime 
qui  entraînait  une  punition  plus  sévère  que  le  meurtre 
même  (1).  Des  150  articles  qui  concernent  le  vol,  74  re- 
gardent ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit ,  le  vol  d'animaux 
domestiques  (2).  Les  cas  de  violence  contre  les  personnes 
fournissent  113  articles,  dont  30  pour  le  seul  crime  de  mu- 
tilation qui  y  est  prévu  jusque  dans  les  moindres  particula- 

(1)  Les  lois  des  Bourg-uignons  condamnent  le  voleur  au  dernier  supplice, 
et  si  le  vol  a  été  commis  par  une  femme  ou  un  enfant  au-dessous  de  14  ans, 
elles  ordonnent  que  les  coupables  soient  réduits  en  esclavage  (  Lex.  Burg.^ 
tit.  47),  Par  la  loi  des  Bavarois,  un  homme  convaincu  de  vol  était  con- 
damné à  payer  une  somme  équivalente  a  neuf  fois  la  valeur  de  la  chose  en- 
levée; mais  si  celle-ci  avait  été  prise  dans  un  lieu  public,  le  coupahle  n'était 
tenu  qua  la  restituer  au  triple  [Lex.  Bajuv.,  tit.  8 ,  c.  1  et  2).  Le  receleur 
est  jugé  complice  du  vol  par  le  code  ripuaire  [Lex.  Rip.,  tit.  78).  «  Celui, 
dit  le  code  salique,  qui,  par  méchanceté,  cachera  une  chose  volée  dans  la 
cour,  dans  la  maison  d'un  autre,  ou  dans  tout  autre  endroit,  et  la  cachera  a 
rinsu  du  maître,  payera .  s'il  vient  à  être  découvert,  2600  deniers  qui  font 
62  sols.  »  (^Lex.  Sal,  tit.  36,  §  4).  Ce  code  condamne  un  homme  libre,  con- 
vaincu d'avoir  pris  de  force  à  un  esclave,  un  objet  de  la  valeur  de  40  de- 
niers, à,  une  amende  de  1200  deniers,  et  de  600  den.  si  la  chose  volée  est 
de  moindre  valeur  (  tit.  37,  §  2  et  3  ).  L'homme  libre  qui  dépouillait  un  serf 
(  ZiWms  )  payait  au  maître  1400  den.  (  ibld. .  §  5).  Un  serf  accusé  de  vol , 
était  soumis  a  la  question  et  recevait  120  coups  de  verges.  Si  la  force  des 
tourmens  l'obligeait  a  s'avouer  coupable,  il  était  condamné  à  la  castration 
(tit.  42,  §  1 — 4.);  s'il  ne  faisait  aucun  aveu,  il  n'en  restait  pas  moins  au 
pouvoir  de  celui  qui  l'avait  accusé ,  pourvu  que  ce  dernier  payât  au  maître 
le  prix  de  son  esclave  (  ib.,  §  5).  L'homme  libre  qui  enlevait  quelque  chose 

.  de  force  a  une  autre  personne  libre,  ou  à  une  main  tierce  a  qui  la  chose 
avait  été  confiée  en  dépôt,  payait  1200  den.  outre  l'intérêt  (  tit.  64).  Par 
un  édit  de  Childebert ,  le  maître  qui  refusait  de  faire  comparaître  devant 
le  juge  un  de  ses  serfs  cité  pour  vol .  était  condamné  à  Taracnde  porté  contre 
les  meurtriers.  [Décret.  Childeb.,  §11). 

(2)  Vol  de  porcs,  tit.  2,  de  bêtes  à  cornes,  tit.  3,  de  brebis,  tit.  4,  do 
chèvres,  tit.  5,  de  chiens,  tit.  6,  d'oiseaux,  tit.  7,  d'abeilles,  tit  9. 


-^  246  — 

rites   (1).  24  articles  concernent  les  violences   exerce'es 
envers  une  femme  (2). 

Si  les  lois  des  Germains  ont  établi  clés  peines  très-sévères 
pour  de  prétendus  délits  personnels  dont  nos  codes  mo- 
dernes n'ont  pas  même  daigné  s'occuper,  elles  se  montrent, 
par  un  contraste  assez  bizarre ,  cVune  extrême  indulgence 
pour  des  forfaits  qu'au  siècle  dernier  encore ,  les  lois  des 
peuples  civilisés ,  faisaient  expier  par  des  supplices  dont 
la  peinture  seule  nous  glace  aujourd'hui  d'horreur.  Dans 
Jes  codes  germains,  la  peine  de  mort  est  prononcée  pour 
des  cas  très-rares  ;  Tacite  ne  compte  comme  crimes  capitaux 
chez  les  Gerniains  que  la  trahison,  la  lâcheté  et  la  pédé- 
rastie (3). 


(I)  La  loi  salique  entre  dans  des  détails  si  minutieiii  sur  chaque  délit 
personnel,  qu'elle  va  jusqu'à  statuer  des  amendes  assez  fortes,  pour  des  in- 
jures verbales  que  nous  traiterions  aujourd  hui  de  puérilités  ou  de  plaisan- 
teries :  pour  avoir  appelé  quelqu'un  vaurien,  on  payait  600  deniers;  si  on 
injuriait  un  homme  de  l'épithète  de  foireux  [eoncagatunî)  et  de  renard ,  ou 
si  on  reprochait  a  un  guerrier  d'avoir  perdu  son  bouclier  dans  le  combat, 
120  deniers:  pour  avoir  appelé  quelqu'un  lièvre.  240  deniers;  pour  avoir 
donné  à  une  femme  l'épithète  de  courtisane ,  45  sols  ;  pour  avoir  appelé  un 
homme  délateur  ou  fimssaire,  600  den.  (  Lex.  Sal.,  tit.  32  ). 

(2]  Guizot,  Cours  d' histoire {lS2d),  p.  259. 

(3)  Tacit.,  M.  G.,  c.  12. 

Si  guis  liomo  régi  infidelis  exiiîerit,  de  vita  componat  et  omnes  rcs  ejus 
fi$c&  censeantur.  (Lex.  Rip.,  tit.  69,  §  1).  —  Ut  nullus  Bajuvarius  alodem 
autvitam  sine  capitali  crimine  perdat ,  id  est,  siaut  neceinducis  consiliatus 
fiierit,  aut  inimicos  in  provinciam  invitaverit,  aut  civiiaiem  capere  ah  extra- 
neis  machinaverit ,  et  exindè  prohatus  inventus  fueril,  tune  in  ducis  sii  po- 
testate  vita  ipsius  et  omnes  res  ejus  et  pairimonium.  (Lex.  Bajuv.,  tit.  2,  ^3. 
Âlam.,  tit.  5). 

Sous  les  rois  francs,  la  peine  portée  contre  les  traîtres  ou  les  rebelles 
fut  mitigée  ;  il  n'y  eut  alors  que  les  coupables  persistant  dans  le  crime 
qui  fussent  punis  de  mort.  Le  contraire  eut  lieu  pour  les  crimes  d  inceste,  do 
Tol  et  de  rapt  :  Childebert  prononça  la  peine  de  mort  contre  le  fils  qui  au- 
rait commis  un  inceste  avec  sa  propre  mère:  il  ordonna  la  même  punition 
pour  le  rapt,  le  meurtre  avec  préméditation  ,  le  vol  et  même  pour  avoir  trou- 


0/i 


47  -^ 

Pour  tout  autre  crime  et  délit ,  sans  même  en  excepter 
le  meurtre,  la  loi  ne  prononçait  ordinairement  qu'une 
simple  composition  [wereoiidum)  qui  appartenait  à  la 
partie  lésée ,  et  une  amende ,  appelée  fredum  (1)  ,  cpu  se 
payait  au  juge  présidant  le  tribunal  devant  lecjuel  la  cause 
avait  été  portée. 

La  pendaison  était  le  supplice  ordinaire  dont  on  faisait 
mourir  les  criminels  condamnés  a  la  peine  capitale  (2). 
«  Pour  les  lâches ,  les  poltrons ,  les  monstres  d'impudicité , 
dit  Tacite ,  c'est  sous  une  claie  ,  dans  un  bourbier  fangeux 
qu'on  les  étouffe  (3).  » 

On  peut  attribuer  la  cause  de  l'indulgence  des  lois  bar- 
bares pour  les  meurtriers  ,  à  ce  c[ue  ces  lois  laissaient  aux 
proches  et  aux  amis  de  la  victime,  eux-mêmes  le  soin  de 
venger  sa  mort  sur  l'assassin  et  sa  famille  entière.  «  Les 
querelles  actives  et  passives  de  chaque  particulier  étaient 
celles  de  toute  sa  parenté.  Les  inimitiés  et  les  affections  n'y 
étaient  pas  seulement  héréditaires  ;  elles  étaient  pour  l'actif^ 
comme  pour  le  passif,  l'affaire  actuelle  de  la  famille  entière. 
Ainsi  blesser  ou  tuer  quelqu'un  était  se  mettre  soi-même  et 
toute  sa  parenté  à  la  discrétion  de  tous  les  parensdu  tué  ou 
dublesséjCn quelque  degré  d'éloignement qu'ils fussent.  Tous 


l)lé  le  plaid.  [Decretio  Childeb.  régis  et pactum  pro  tenore pacis  dom.  CTiilde- 
herti  et  Clotharii  regum).  Voir  aussi  Toulotte  et  Riva,  tom.  3,  p.  185. 

(1)  Tac,  31.  G.,  c.  12. 

Le  mot  fredum  dérive  de  fried ,  paix.  Le  fredum  était  donc  l'amende  k 
laquelle  on  était  condamné  pour  avoir  troublé  la  paix  publique,  par  un  délit 
quelconque.  (De  Buat,  tom.  2.  p.  181).  Le  fredum  égalait ,  dans  les  cas  graves, 
le  tiers  de  la  composition  (Toulotte,  tom.  3,  p.  361  ).  Les  fautes  commises 
involontairement  ou  par  des  enfans  qui  n'avaient  pas  atteint  l'âge  de  raison 
n'entraînaient  point  cette  amende  (Barginet,p.  13). 

(2) Tac,  Loc.  cil.Lex,  Sal.,  tlt.  09,  de  eo  qui  hominem  de  hargo  veldefttrcâ 
dimiserit. 

(3)  Tac. ,  Loc.  Cit. 


—  248  — 

et  chacun  d'eux  avaient  droit  d'en  prendre  vengeance,  sur 
les  biens  et  sur  la  personne  du  coupable  et  de  ses  parens  : 
en  sorte  qu'il  arrivait  souvent  (ju  on  se  trouvait  tout  a  coup 
assailli  par  des  inconnus  avec  lescpiels  on  n'avait  eu  nulle 
sorte  de  de'mélës,  pour  un  délit  étranger,  dont  on  n'avait  pas 
même  connaissance;  telle  était  la  punition  du  coupa- 
ble (1>« 

Cet  usage   qui  subsiste  encore   aujourd'hui   chez   les 
Araires  et  tous  les  peuples  sauvages,  prouve  évidemment 
combien  peu  la  civilisation  des  Germains  était  avancée , 
même  à  l'époque  de  la  rédaction  de  leurs  codes,  qui  non- 
seulement  permettent  aux  parens  de  l'homme  assassiné 
de  se  venger  sur  la  personne  du  meurlrier ,  mais  parais- 
sent même  en  faire  une  loi.  L'usage  était  de  couper  la 
tête  à  l'ennemi  cju'on  avait  immolé  à  sa  vengeance  et  de 
la  planter  sur  un  pieu  dans  un  endroit  public,  afin  de  la 
donner  en  spectacle  au  peuple.  La  loi  sali  que  défend  d'enle- 
ver ces  trophées  barbares  sans  le  consentement  du  juge  ou 
sans  l'agrément  de  ceux  qui  les  avaient  exposés  (2).  Aimoin 
rapporte  que  les  fils  de  Sandregisile,  duc  d'Aquitaine,  assas- 
siné par  ses  ennemis,   ayant  négligé  de  venger  sa  mort, 
furent  condamnés  dans  une  assemblée  des  Francs,  à  per- 
dre tous  leurs  biens  patrimoniaux  (3).  «  Ce  récit,  dit  le 
comte  De  Buat,  suppose  que  les  Francs  n'avaient  point  de 
loi  contre  les  lâches,  de  l'espèce  dont  il  est  ici  cjuestion; 
mais  il  prouve  en  même  temps  que  c'était  une  obligation 
aux  parens  de  venger  le  sang  de  leurs  proches  (4).  » 

(1)  Le  Paige,  Recherches  sur  les  anciennes  assemblées  nationales ,  Esprit 
des  capital.,  §  4. 

(2)  Si  quis  caput  hominis  qnod  inimicus  suus  in  palo  miserit,  sine 
pennissu  judicis  aut  illius  qui  eum  ibi  posuit  tollere  prœsumpserit ,  DC. 
den.  quifaciunt.  Sol.  XF,  culp.jud.  (Lex.  Sal,  tit  69 ,  §  3). 

(3)  Aimoin,!.  lY,  c.  28. 

(4)  De  Buat,  tom.  3,  p.  63  et  144. 


—  249  — 

Cependant  comme  le  droit  de  vengeance  privée,  appelé 
Fejda  dans  les  codes  germains,  avait  les  suites  les  plus 
funestes  pour  1  état ,  en  ce  que  ,  non-seulement  le  meurtre 
d'un  seul  homme  faisait  perdre  souvent  la  vie  a  un  grand 
nombre  de  citoyens  braves  et  innocens ,  mais  qu'armant 
des  familles  entières ,  et  des  familles  puissantes ,  elle  cau- 
sait parfois  des  guerres  civiles  ,  on  permit  au  coupable  et  a 
sa  famille  de  se  rëdimer  par  une  certaine  cjuantitë  de  bes- 
tiaux donnes  aux  parens;  on  appelait  cela,  dans  la  suite,  ra- 
cheter sa  vie,  componere  de  vitâ  (1).  Un  tiers  de  la  composi- 
tion du  meurtre  revenait  aux  enfans  du  défunt ,  le  second 
tiers  à  ses  plus  proches  parens  paternels  et  maternels (2),  et 
le  troisième  appartenait  au  fisc,  qui,  dans  les  autres  cas,  pre- 
nait, par  forme d  amende,  la  dixième  partie  du  montant  de 
la  composition  (3).  Dans  une  loi  additionnelle  à  la  loi  sa- 
lique ,  le  roi  Childebert  défendit  les  compositions  pour 
meurtre  et  porta  peine  de  mort  contre  les  homicides  ;  mais 
cette  loi  ne  fut  guère  observée  ;  elle  fut  même  abrogée  peu 


La  vengeance  privée  exercée  par  les  parens  d'un  homme  tué  par  un  ennemi 
n'était  pas  entièrement  tombée  en  désuétude  au  14^  siècle,  comme  le  prouve 
le  fait  suivant  :  un  jour  de  Tépiphanie,  Charles  VI  roi  de  France,  ayant  à 
sa  table,  entre  autres  convives,  Guillaume  de  Hainaut,  comte  dOstrevan, 
un  héraut  vint  tout  à  coup  couper  la  nappe  devant  ce  dernier,  en  lui  disant 
qu'un  guerrier  qui  ne  portait  pas  d'armes ,  n'était  pas  digne  de  manger  à 
la  table  du  roi.  Guillaume  surpris,  ayant  répondu  qu'il  portait  aussi,  comme 
les  autres  chevaliers,  la  lance  e(.  l'écu  :  «  mon  sire,  cela  ne  se  peut,  lui  répon- 
dit le  plus  vieux  des  hérauts  ;  vous  savez  que  votre  grand  oncle  a  été  tué  par 
les  Frisons,  et  que  sa  mort  jusqu'à  ce  jour  est  restée  impunie.  Si  vous  pos- 
sédiez des  armes ,  il  y  a  longtemps  qu'il  serait  vengé.  »  Depuis  ce  moment, 
le  comte  ne  songea  plus  qu'à  réparer  sa  honte  ,  et  il  en  vint  à  bout. 
(  Paulmy  d'Argenson,  Précis  d'une  Histoire  générale  de  la  vie  privée  des 
Français,  Paris,  1779,  in-S".) 

(1)^  Lex.  Sal,  tit.  30,  31,  34,  44,  45,  65,  66. 

(2)  Lex.  Sal ,  tit.  65. 

(3)Greg.  Tur.,  VII.  47. 


—  250  ---' 

de  temps  après ,  puisqu'un  capitulaire  de  Charlemagne , 
ordonne  que  si  quelqu'un  ne  veut  point  recevoir  pour  sa 
haine  {pro  faicla  )  ,  le  prix  fixe'  par  les  lois  ,  il  sera  conduit 
devant  Femperear ,  qui  l'enverra  dans  un  lieu  où  il  ne 
pourra  faire  de  mal  à  personne;  pareillement,  que  si  quel- 
qu'un ne  veut  pas  racheter  la  haine  cju'on  lui  a  jurée,  ni  en 
faire  justice,  il  sera  conduit  dans  un  endroit  où  il  ne  pourra 
plus  donner  motif  à  un  nouveau  crime  (1). 

Lorsqu'au  mépris  de  la  pacification  faite ,  l'un  des  enne- 
mis reconciliés  tuait  l'autre ,  il  payait  la  composition  du 
meurtre  et  le  ban  royal ,  et  il  perdait  la  main  droite  (2). 

La  composition  du  meurtre  différait  suivant  la  condi- 
tion ou  le  sexe  de  la  personne  tuée.  La  récapitulation  des 
principaux  articles  de  la  loi  salique  c[ui  concernent  le  crime 
d'assassinat  en  donnera  une  idée  exacte  :  ce  code  condamne 
à  une  composition  de  8000  deniers  (3) ,  le  meurtrier  d'un 
jeune  garçon  âgé  de  moins  de  douze  ans ,  soit  qu'il  eut  ou 
qu'il  n'eut  pas  encore  une  belle  chevelure  (sive  crinitum^sive 
incrinitum){Ji).  La  composition  pour  le  meurtre  d'une  femme 
enceinte  était  de  28000  deniers  !  la  plus  forte  de  toutes  les 


(1)  Cap.  an.,  779,  c.  22.  De  Buat,  tom.  3,  p.  63. 

(2)  De  Buat,  t.  3,  p.  64.  Le  Paige  ,  Recherches  sur  les  anciennes 
assemblées  nationales. 

(3)  Du  temps  de  Tacite,  les  compositions  et  les  amendes  s'acquittaient 
encore  en  chevaux  et  en  bestiaux  (  Tacit.,  M.  (?.,  c.  12  )  ;  mais  lorsque  les 
Francs  furent  devenus  maîtres  d'une  partie  des  Gaules  et  qu'ils  commencè- 
rent h  faire  un  usage  plus  fréquent  de  l'argent  monnayé ,  les  lois  barbares 
fixèrent  les  évaluations  en  monnaie  courante,  en  laissant  toutefois  au  coupable 
la  faculté  de  se  rédimer  de  la  manière  anciennement  usitée  (  Lex.  Aîa?n. , 
tit.  36). 

(4)  Lex.  Sal.,  tit.  26,  §  1.  —  Le  §  2  de  ce  titre  condamne  h  une  amende 
de  1800  deniers  celui  qui  aura  coupé  les  cheveux  à  un  jeune  garçon  sans  le 
consentement  de  sesparens,  et  le  §  3,  du  même  titre,  a  celle  de  2500  den., 
celui  qui  aura  coupé  la  chevelure  à  une  jeune  fille. 


—  251  — 

compositions  désignées  dans  le  code  salique  (1);  celle  d'un 
enfant  tué  dans  le  ventre  de  la  mère  ou  avant  qu  il  ne  fut 
âgé  de  Imit  jom^s ,  était  de  4000  deniers  (2)  ;  celle  pour  l'as- 
sassinat d'une  jeune  fille  impubère  ou  pubère ,  de  8 
deniers ,  et  d'une  fille  qui  avait  déjà  conçu ,  de 
deniers  (3).  Celui  qui  avait  soudoyë  un  liomme  pour  com- 
mettre un  meurtre  payait  2500  deniers,  si  le  crime  n'avait 
pas  été  consommé.  Celui  qui  s'était  prêté  a  le  commettre 
encourait  la  même  punition  (4).  Si  un  serf  tuait  un  serf, 
ou  une  serve  ,  les  maitres  de  part  et  d'autre  tiraient  au  sort 
le  coupable  (5),  La  composition  du  meurtre  d'un  liomme 
libre  ,  par  un  homme  libre  ,  est  portée  par  la  loi  salique 
à  8000  deniers;  mais  si  le  meurtiier  s'était  défait  de  sa 
victime  en  la  précipitant  dans  un  puits  ou  dans  les  flam- 
mes, il  payait  24000  deniers;  composition  presqu'égals 
à  celle  qu'on  payait  pour  le  meurtre  d'un  antrustion  (6). 
Celui  cjui  achevait  un  homme  libre  qu  il  trouvait  étendu 
dans  un  carrefour,  grièvement  blessé  et  auquel  ses  ennemis 
avaient  coupé  les  pieds  etles  mains,  payait 4000  deniers  (7). 
La  plus  forte  composition  était  établie  pour  le  meurtre 
d'un  antrustion  :  elle  était  de  28000  deniers ,  somme  égale 
à  celle  que  payait  le  meurtrier  d'une  femme  enceinte  (8). 
Toute  tentative  d'assassinat  entraînait  également  une  forte 
composition  :  elle  était  de  4000  deniers  ,  la  moitié  de  la 

(1)  Tit.  26,  ^4.  — La  plus  faible  composition  désignée  dans  le  code  sali- 
que 5  n'est  que  7  deniers.  C'est  l'amende  que  payait ,  entr  autres  ,  un  liomme 
convaincu  davoir  volé  un  agneau  qui  tette. 

(2)  lb.,§5. 

(3)  Ib.,  §  6^8. 

(4)  Tit.  30,  §1-3. 

(5)  Tit.  37,  §1. 

(6)  Tit.  43,  §  1-4. 

(7)  Ibid. ,  §  9. 

(8)  Tit.  44,  §  2. 


—  252  — 

somme  qu'aurait  payée  le  meurtrier  si  son  projet  avait 
réussi ,  et  de  12000  deniers  si  le  crime  avait  e'té  tenté  contre 
un  anlrustion  ou  une  femme  enceinte  (1).  Tuer  quelqu'un 
à  table  ou  dans  sa  propre  maison  e'iait  re'puté  un  cas  fort 
grave  :  a  un  meurtre  dit  Tarticle  44  §  1  de  la  loi  salique , 
commis  par  complot  sur  une  personne  libre  qu  on  aura 
assassine'e  dans  sa  maison ,  sera  puni  d'une  amende  de  24000 
deniers.  »  On  lit,  article  45,  §  1  et  2  :  «  A  une  table  de 
quatre  ou  cinq  personnes,  si  un  seul  des  convives  vient  à 
être  tué,  les  autres  répondront  de  l'assassinat,  ou  doivent 
déclarer  le  coupable.  Cette  loi  s'étendra  jusqu'au  nombre 
de  sept  personnes. 

«  A.  une  table  composée  de  plus  de  sept  personnes,  tous 
les  convives  ne  seront  point  réputés  coupables ,  mais  ceux 
qui  seront  chargés  d'accusation,  se  rendront  à  l'obligatioii 
de  la  loi.  » 

La  loi  qui  concerne  le  cas  où  un  homme  convaincu  de 
meurtre  ne  peut,  à  cause  de  son  indigence  ,  payer  le  prix 
du  sang  est  tout  a  fait  dans  l'esprit  des  Germains  :  cette  loi 
ordonne  que  celui  qui  ayant  tué  un  homme ,  n'aura  pas 
de  quoi  payer  la  composition,  amènera  devant  le  juge 
douze  témoins  qui  attesteront  par  serment ,  son  insolvabi- 
lité ;  qu  ensuite  il  se  rendra  a  sa  demeure  et  y  ramassera 
de  la  terre  aux  quatre  angles  du  bâtiment;  cela  fait,  qu'il 
se  placera  sur  le  seuil  de  la  porte  (2)  et  qu'il  jettera  cette 
terre  par  dessusses  épaules  sur  son  plus  proche  parent , 
qui,  par  cet  acte,  assumait  sur  lui  la  responsabilité  du 
crime;  «  si  son  père,  ajoute  la  loi ,  sa  mère  ou  son  frère 
n'avaient  pas  assez  de  fortune  pour  le  tirer  d'embarras, 


(1)  Tit.  43,  5  10. 

(2)  Et  stare  in  durpilo ,    hoc  est,  in  liminari — Le  seuil  de  la  porte  s  ap- 
pelle encore  aujourd'hui  en  flamand  dorpel. 


—  253  — 

il  aura  recours  à  sa  tante ,  ou  a  ses  fils ,  c'est-à-dire  à  trois 
parens  du  cote  maternel.  Puis,  Yetu  d une  simple  toile, 
les  pieds  nus  ,  il  sera  condamne  à  sauter  sur  une  haie  hc'- 
rissëe  d'ëpines ,  portant  un  pieu  à  la  main.  Les  trois  parens 
viendront  au  secours  de  son  extrême  indigence ,  et  tâche- 
ront de  payer  la  moitié  de  ce  cjue  la  loi  exige.  Les  parens  du 
côte'  paternel  en  feront  autant.  Si  la  pauvreté  empêche  quel- 
qu'un d'entr'eux  de  solder  entièrement ,  il  se  déchargera  sur 
un  moins  pauvre  ,  pour  satisfaire  totalement  a  la  loi.  Mais 
si  ce  dernier  n'est  pas  lui-même  assez  riche  pour  payer  la 
composition ,  le  meurtrier  sera  expose  à  quatre  plaids  dif- 
ferens  par  celui  qui  le  tient  en  son  pouvoir.  Si  personne 
ne  veut  le  racheter,  il  pourra  le  mettre  à  mort  (1).  » 

Après  la  trahison,  le  vol  et  le  meurtre,  les  crimes  re'- 
pute's  les  plus  graves  dans  les  codes  des  Germains ,  sont  la 
violation  des  tombeaux ,  la  castration  et  le  trafic  qu'un 
homme  faisait  de  la  liberté  d'un  autre.  Le  code  salique 
condamne  a  de  fortes  amendes  ceux  qui  se  rendaient  cou- 
pables d'un  forfait  de  cette  espèce  (2),  La  loi  des  Ripuaires 
établit  la  même  punition  pour  la  castration  que  pour  le 
meurtre  (3).  Celle  des  Bavarois  condamne  celui  cjui  vend 
un  homme  libre ,  comme  esclave ,  à  lui  rendre  la  liberté 
et  à  lui  payer  80  sols ,  et  la  moitié  de  cette  somme  au  fisc. 
S'il  ne  pouvait  rendre  la  liberté  a  sa  victime ,  il  devenait 
lui-même  l'esclave  des  parens  de  cette  dernière  (4).  Nous 
parlerons  ailleurs  des  peines  fixées  par  les  Germains  contre 
la  violation  de  sépulture. 

Après  la  peine  capitale,  la  peine  la  plus  forte  établie  par 

(1)  Tit.  61.  ^  unique. — Voir  aussi  Mone,   Geschichte  des  heidtnthuma  im 
nordl.  Europa,  2^  th.,  p.  144. 

(2)  Tit  17,  tit.  41,  §3-4. 

(3)  Lex.  Rip.,  tit.  6  et  7. 

(4)  Lex.  Bajuv..  tit.  8,  c.  4  et  6,  tit.  15,  c.  15. 


--  254  — 

les  codes  germaniques  est  celle  de  l'exil  qui  entraînait  ordi- 
nairement ,  comme  la  condamnation  à  mort ,  la  confisca- 
tion des  biens  du  coupable  (1), 

Une  loi  qui  prouve  bien  le  respect  que  les  Germains  té- 
moignaient pour  la  dignité  d'homme  libre  ,  c'est  celle  qui 
défendait,  sous  les  peines  les  plus  sévères^  de  battre  de 
verges  ou  de  mettre  a  mort  un  criminel  de  condition  libre, 
à  tout  autre  cju'aux  prêtres,  qui  alors  n'étaient  censés  agir 
qu'au  nom  d'Odin ,  le  dieu  des  combats ,  et  non  pas  comme 
les  exécuteurs  d'une  loi  établie  par  de  simples  mortels  (2). 
Soustraire  de  vive  force  un  coupable  à  la  punition  a  la- 
quelle la  loi  l'avait  condamné  était  un  crime  capital  (3). 

Si  les  lois  des  Germains  rappellent  sans  cesse  les  égards 
dus  a  l'homme  qui  avait  eu  le  bonheur  de  naître  libre , 
elles  se  montrent  sans  pitié  pour  les  malheureux  acca- 
blés sous  le  poids  de  la  servitude  :  au  moindre  soupçon , 
l'esclave  était  mis  a  la  torture  et  subissait  un  supplice  plus 
affreux  que  la  mort  même.  Pour  des  délits  qui,  commis 
par  un  ingénu,  n'exigeaient  qu'une  simple  amende,  le 
serf  était  battu  de  verges  ou  condamné  au  dernier  sup- 
plice :  la  loi  salique  ordonne  qu'un  serf  accusé  de  vol  et 
dont  le  crime  serait  de  nature  a  faire  condamner  un  homme 


(1)  Lex.  Rip.,  tlt.  69,  §  1.  —  Cependant  dans  le  code  salique  il  n'est 
question  nulle  part  de  lexil  ou  de  la  déportation. 

(2)  Cœteruni ,  neque  verherare  quidem  nisi  sacerdotibiis  permissum  ,  non 
quasi  in  pœnam  nec  ducis  jussu ,  sed  velut  deo  imperaiiti  quem  adesse  hel- 
lantibus  credunt.  (Tac,  M.  C,  c.  17). —  Chez  les  Francs  il  était  défendu 
de  faire  battre  de  verges  un  noble  :  Childericus  rex  unum  Franconem  nohi- 
lem^  nomine  Bodilonem,  ad  stipem  ionsum ,  cœdere ,  conirà  legemprœcej)it. 
(Fredeg.,  Chron.,  c.  95).  —  La  loi  des  Bavarois  condamnait  à  une  amende 
=de  30  sols  celui  qui  avait  lié  un  homme  libre  et  innocent.  (  tit.  41  , 
tit.  7B  ,  5  i }. 

(3)  Si  quis  Jiominem  noxium  ligatum per  vim  tuJerit  gruftoni,  vitam  suam 
redimat  (  Lex.  Sal.,  tit.  34,  §  5). 


libre  à  600  ou  1400  deniers ,  sera  étendu  sur  le  chevalet 
et  recevra  120  coups  de  verges  (1)  :  «  s'il  s'avoue  coupable  au 
milieu  des  supplices ,  dit  ce  code  ,  il  sera  fait  eunuque  ,  ou 
payera  240  deniers,  qui  font  16  sols.  Son  maître  sera  reçu 
à  dommage  et  intérêt  S'il  ne  veut  rien  avouer,  on  pourra 
maigre'  son  maître ,  le  retenir  au  milieu  des  tortures ,  en 
donnant  en  gage  le  prix  de  lesclave.  Si  la  rigueur  des  tour- 
mens  n'en  peut  rien  obtenir ,  il  restera  entre  les  mains  de 
celui  qui  l'avait  livre  au  supplice.  Son  maître  se  contentera 
d'un  certain  remboursement  (2).  » 

Tracer  un  tableau  complet  et  détaillé  du  droit  civil  et 
criminel  des  peuples  germains,  exigerait  un  travail  parti- 
culier que  ne  pourrait  admettre  le  cadre  de  notre  ouvrage. 
Un  pareil  travail  fournirait  a  lui  seul  la  matière  de  plu- 
sieurs volumes.  D'ailleurs  ce  sujet  a  déjà  été  traité  par  des 
savans  du  plus  haut  mérite,  et  il  serait  par  trop  pré- 
somptueux a  nous  de  prétendre  résoudre  cette  question 
d  une  manière  plus  satisfaisante  que  ne  l'ont  fait  les  Buat, 
les  Toulotte ,  les  Riva  et  les  Raepsaet.  Nous  avons  donc 
borné  notre  tâche  à  donner  une  idée  générale  de  la  légis- 
lation des  Germains  ,  et  à  faire  connaître  l'esprit  qui 
a  présidé  à  la  rédaction  des  codes  germaniques. 

Nous  nous  contenterons  de  citer  encore  deux  lois  du 
code  salique  remarquables  ,  non  par  leur  singularité ,  car 
alors  il  nous  faudrait  transcrire  le  code  salique  pres- 
qu'en  entier  ,  mais  parce  qu'elles  renferment  quelques 
détails  piquans  relatifs  aux  moeurs  et  aux  usages  des  Ger- 
mains :  ces  lois  sont  celles  qui  concernent  les  donations  et 
le  prêt.  On  lit,  au  titre  48,  de  afatomie  (des  donations)  : 
c(  Le  jour  du  plaid ,  indiqué  par  le  comte  ou  le  centenier,  les 


{\)Lex.Sal.,  tit42,  ^  1, 
(2)  Ibid.,  §  4-5. 


—  256  — 

juges  s'y  rendront  portant  leurs  boucliers.  A  leur  arrivée, 
trois  hérauts  feront  trois  proclamations.  Le  donateur  jetera 
une  petite  paille  dans  le  sein  de  celui  à  qui  il  veut  faire  la 
donation,  en  lui  déclarant  ce  c|uil  lui  donne.  Le  donataire 
se  retirera  ensuite  dans  la  maison  du  donateur ,  et  pren- 
dra avec  lui  trois  hôtes  qu'il  nourrira  suivant  ses  facultés. 
Tout  se  passera  devant  témoins.  Mais  avant  c]ue  le  dona- 
taire puisse  jouir  du  don  qui  lui  a  été  fait ,  il  doit,  avant 
douze  mois,  l'appréhender  par  mise  de  fait  et  justice  com- 
pétente ,  formalité  qui  sera  remplie  au  plaid  du  roi  et  de- 
vant tout  autre  tribunal  compétent  avec  les  formalités  déjà 
énoncées.  Il  sera  tenu  de  donner  autant  que  la  première 
fois.  S'il  venait  à  refuser  quelque  chose ,  trois  témoins  doi- 
vent jurer  par  serment,  qu'ils  se  sont  trouvés  au  premier 
plaid,  et  qu'ils  ont  été  témoins  c]ue  tout  a  été  accordé; 
ils  doivent  prononcer  le  nom  du  donateur  et  du  donataire. 
Trois  autres  témoins  attesteront  encore  c|ue  le  donataire  , 
après  s'être  retiré  dans  la  maison  du  donateur,  a  nourri  a 
sa  table  trois  hôtes  qui  y  ont  été  introduits  en  présence 
de  témoins.  Enfin,  trois  autres  témoins  attesteront  l'ap- 
préhension publique ,  faite  devant  le  tribunal  compétent. 
Tout  acte  de  donation  demande  neuf  témoins  (1).  » 


(l)  Lex  Sal,  tit.  48- 

Comme  la  traduction  ne  peut  rendre  fidèlement  les  expressions  du  texte 
de  cette  loi  caractéristique,  nous  croyons  utile  d'ajouter  ici  ce  dernier  même 
malgré  son  étendue  :  Hoc  convenit  ohservare,  ut  tunginus  veî  centenarius 
mallum  indicent,  et  scutum  in  ipso  mallo  haheant,  et  ires  homines  causas  très 
demandare  deheant  in  ipso  mallo,  et  requiratur  postea  homo  gui  ei  non  perti- 
net  et  sic  festucam  in  laisum.  jactet ,  et  ipsi  in  cujiis  laisum  festucam  jaciave- 
rit,  dicat  verhutn  defortunâ  sua  quantum  ei  voluerit  dare.  Postea  ipse  in 
cuj'us  laisum  festucam  jactaverit,  in  casa  ipsius  manere ,  et  hospiies  très  sus^- 
cipere  et  de  facultate  sua,  quantum  ei  datur,  in  potestale  sua  habere  débet  ;  et 
portea  ipse  cui  creditum  est,  ista  omnia  cum  testibus  collectis  agere  débet. 
Postea,  aut  ante  regem,  ant  in  mallo  legitimo  illi  cui  fortunam  suam  depu- 


-  257  — 

L  article  54,  qui  concerne  le  prêt ,  nest  pas  moins  re- 
marquable :  si  quelqu'un  a  fait  un  prêt  a  un  autre,  y  est-il 
dit ,  et  si  ce  dernier  récuse  la  restitution  de  Tobjet  prêté, 
le  bailleur  l'ajournera  de  la  manière  suivante  :  il  se  rendra 
a  la  demeure  du  débiteur,  accompagne  de  témoins,  et  le 
sommera  en  ces  termes  :  puisque  vous  ne  voulez  pas  me 
rendre  ce  que  je  vous  ai  prêté ,  je  vous  somme  de  me  le 
rendre  la  nuit  prochaine ,  suivant  la  loi  salique.  S'il  per- 
siste dans  son  refus ,  le  créancier  continuera  à  le  sommer 
pendant  les  sept  nuits  suivantes.  S'il  ne  se  rend  pas  encore, 
après  avoir  été  sommé  en  présence  des  témoins,  pendant 
sept  autres  nuits ^  outre  le  payement  du  prêt  et  l'intérêt  de 
neuf  sols  dont  le  capital  s'est  accru  pour  chaque  défaut ,  il 
payera  600  deniers  qui  font  15  sols  (1), 

Le  code  salique  et  les  autres  compilations  des  lois  ger- 
maniques contiennent  plusieurs  autres  dispositions  non 
moins  singulières  et  non  moins  intéressantes  comme  docu- 


iavit,  reddere  dehet,  et  accipiat  postea  festucain  in  mallo  ipso  ante  duo- 
decim  menses  ipse  quem  hœredem  depulavit  in  laisum  suiimjactet,  et  nec 
minus,  nec  viajus  nisi  quantum  ei  treditum  est  Et  si  contra  hoc  aliquid 
dicere  voluerit,  dehent  très  testes  jtirati  dicere  quod  ibi  fuissent  in  mallo, 
uhi  tunginus  vel  centenarius  indixerunt ,  et  quod  vidissent  hominem  illum 
qui  fortunam  suam  dédit  in  laisum  illius  quemjam  elegerat.  Festucam  jac- 
iare  et  nominare  illum  dehent  qui  fortunam  suam  in  laisum  electi  jactavit , 
nec  non  et  illum  in  cujus  laisum  festucam  jactavit ,  et  hœredem  appellavit , 
similiter  nominent ,  et  alteri  très  testes  jurati  dehent  dicere  quod  in  casa 
illius  hominis  qui  fortunam  suam  donavit,  ille  in  cujus  laisuin  festucam 
jactavit  ibidem  mansisset ,  et  hospites  très  vel  amplius  collegisset,  et  pavis- 
set ,  et  in  heudo  suo  pultes  manducassent,  et  testes  collegissent.  Ista  omnia 
alii  très  testes  jurati  dicere  dehent,  quoniam  in  mallo  legilimo  vêlante 
regem  ille  qui  accipil  in  laisum  suum  fotiunam  in  mallo  public o ,  hoc  est 
antè  theada  ,  vel  tunginum ,  fortunam  illam  quam  hœredem  appellavit ,  pu- 
hlicè  coram  omnibus  festucam  in  laisum  ipsius  jactasset,  et  hœc  omnia  no~ 
vem  testes  dehent  adfirmare.  » 
(1)  Lex.  Sal,  tit.  54. 

Tome  I.  17 


—  258  — 

mens  pour  Tliistoire  des  mœurs  et  usages  des  peuples  ger- 
mains, mais  qu'il  serait  trop  long  de  rappeler  ici. 

Après  avoir  donné  une  idée  succincte  de  la  législation  des 
peuples  germains ,  il  nous  reste ,  pour  terminer  ce  chapi- 
tre ,  de  faire  connaître  la  manière  dont  se  rendait  la  justice 
dans  la  Germanie  et  chez  les  Germano-Belges. 

Il  y  avait  chez  les  Germains  ,  outre  le  tribunal  extraor- 
dinaire formé  par  l'assemblée  nationale  au  Champ  de 
Mars ,  et  que  nous  pouvons  assimiler  a  nos  hautes  cours  de 
justice,  trois  espèces  de  tribunaux  ordinaires,  celui  du  roi, 
celui  du  grafion  et  celui  des  centeniers. 

Le  tribunal  du  roi  était  composé  des  grands  de  la  cour  et 
des  conseillers  intimes  du  souverain  ;  il  était  présidé  par  ce 
dernier  ou  par  un  grafion  délégué  par  lui.  Devant  ce  tri- 
bunal se  jugeaient  toutes  les  causes  majeures  qui  n'avaient 
pu  l'être  devant  les  deux  tribunaux  inférieurs  ;  telle  était 
toute  cause  dans  laquelle  un  antrustion  était  intéressé. 
Celui-ci  cité  par  un  homme  libre,  non  noble,  devant  le  tri- 
bunal du  grafion,  pouvait  récuser  ce  tribunal  et  en  appeler 
à  celui  du  roi.  C'était  au  tribunal  du  roi  que  se  faisaient 
les  ventes  et  les  transactions  entre  les  hommes  libres  de 
toutes  les  classes ,  afin  de  donner  à  ces  actes  une  plus 
grande  solennité  ;  c'était  la  encore  que  se  décidaient  toutes 
les  causes  matrimoniales  (1).  Lorsqu'un  homme  libre  plai- 
dant devant  le  plaid  du  comte  se  croyait  lésé  dans  son  droit, 
il  pouvait  aussi  en  appeler  au  tribunal  du  roi.  Enfin  c'était 
au  plaid  du  roi  qu'appartenaient  toutes  les  causes  de  ré- 
bellion, sauf  les  cas  majeurs,  les  causes  de  défi,  lorsque  les 
deux  partis  n'avaient  pu  s'entendre ,  les  démêlés  pour  par- 
tage de  biens,  toutes  les  causes  des  personnes  qui  avaient 
obtenu  le  privilège  de  n'être  jugées  qu'à  ce  tribunal,  tout 

(  )  Toulotte  et  Riva,  tom.  2  ,  p.  190.  De  Buat,  tom.  3,  p.  391. 


^  259  — 

délit  pour  lequel  un  liomme  libre  pouvait  être  condamné, 
à  l'exil ,  a  la  prison  ou  à  mort  ;  toutes  les  contestations  éle- 
vées sur  le  sens  des  lois ,  etc.,  (1). 

Le  tribunal  du  roi  se  tenait  ordinairement  une  fois  par 
semaine.  La  loi  salique  condamne  celui  qui  aura  accusé 
a  ce  tribunal  un  homme  innocent  ou  absent  a  une  amende 
de  2500  deniers,  si  laccusation  ne  porte  que  sur  des  simples 
délits ,  et  a  celle  de  8000,  si  l'imputation  est  de  nature  a 
entraîner  la  peine  de  mort  (2). 

Le  tribunal  du  comte  ou  grafion ,  était  présidé  par  ce 
dernier  assisté  par  sept  assesseurs  {rachimburgi ,  tunglni  ^ 
sagibarones ,  scabini)  (3).  C'étaient  ces  derniers  qui  déci- 
daient le  point  litigieux;  car  bien  que  le  grafion  présidât 
le  tribunal ,  il  n'y  constituait  a  proprement  parler  que  le 
ministère  public  (4).  Le  grafion  était  chargé  de  l'instruc- 
tion de  la  cause  soumise  a  son  tribunal,  de  la  poursuite 
des  accusés,  de  faire  arrêter  et  comparaître  en  justice 
ceux  contre  lesquels  des  plaintes  s'étaient  élevées ,  de  met- 
tre à  exécution  les  jugemens  rendus  par  la  cour  et  de  re- 
cueillir les  compositions  et  les  amendes  auxquelles  avaient 
été  condamnés  les  coupables,  tant  ceux  qui  avaient  subi 
leur  jugement  devant  son  propre  tribunal  que  ceux  qui 


(1)  DeBuatjtom.  3,  p.  170. 

Observons  toutefois  que  plusieurs  de  ces  clauses  ne  se  trouvent  dé- 
signées que  dans  les  ordonnances  et  capitulaires  des  rois  francs  de  la 
première  et  de  la  seconde  race,  et  que  nous  n^avons  point  de  preuves  posi- 
tives qu'elles  eussent  déjà  force  de  loi  chez  les  Germains  a  une  époque  plus 
reculée. 

(2)  Tit.  20. 

(3)  Cependant  le  nombre  des  assesseurs  variait  suivant  la  gravite  du  cas, 
mais  au  tribunal  du  comte  ils  ne  pouvaient  jamais  être  moins  de  sept. 

(4)  Recij)ienle  comité,  scahinis  judicantihus,  Lex.  Bav. ,  1.  II,  c.  15,  §  2, 
Alam.,  tit.  41.  Long.^  I.  Il,  c.  47,  §  1.  Capit^  1.  III,  c.  56.  —  Voir  aussi 
Bouquet,  p.  147,  150.  17G. 


—  260  — 

avaient  ëlë  cités  devantle  tribunal  du  roi  (1).  La  loisalique 
porte  que  si  le  grafion,  invite  par  la  partie  inte'ressée,  refuse 
à  se  rendre  auprès  de  celui  qui  a  été  condamné  a  une  com- 
position pour  l'obliger  a  acquitter  cette  dernière  à  l'expi- 
ration du  terme  fixé  pour  le  payement ,  ou  s'il  se  fait  payer 
par  le  coupable  plus  que  ne  porte  la  loi ,  il  sera  lui-même 
condamné  à  la  peine  des  meurtriers  et  obligé  de  composer 
pour  sa  vie  (2).  Elle  oblige  aussi  les  juges  qui,  après  trois 
sommations ,  refuseront  de  juger  une  cause ,  a  payer  tous 
les  sept  120  deniers,  et  600  deniers  s'ils  persistent  dans  leur 
refus,  après  cette  première  condamnation,  ou  s'ils  sont 
convaincus  tous  les  sept  d'injustice  (3).  «Mais,  ajoute  la 
même  loi,  si,  après  avoir  prononcé  avec  équité,  l'on  ne  veut 
point  s'en  tenir  a  leur  jugement,  et  qu'on  le  regarde  même 
comme  injuste,  sans  pouvoir  le  prouver,  on  sera  condamné 
à  600  deniers  qui  font  15  sols^  envers  chacun  des  juges  (4).» 
Sous  les  rois  francs,  un  comte  convaincu  d'avoir  donné  re- 
traite a  un  voleur  ,  au  lieu  de  le  traduire  en  justice,  était 
privé  de  son  office  (5). 

Mais  si  les  lois  des  peuples  germains  se  montrent  sévères 
à  l'égard  des  dépositaires  de  la  loi ,  qui  s'écartaient  de  leur 
devoir  ,  elles  témoignent  d'un  autre  coté  du  respect  qu'on 
portait  a  ceux  c]ui  s'acquittaient  dignement  de  leurs  nobles 
fonctions.  Le  meurtrier  d'un  comte,  ou  d'un  juge  est  con- 
damné par  la  loi  sali  que  à  payer  24000  deniers  (6). 


(1)  Lex.  Rip,,  tit.  32,  |2,  tit.  51,  84,  89.  Sal.  52,  53,  55. 

(2)  Lex.  Sal,  tit.  52,  53.  Voir  aussi  le  Capitul.  de  l'an  779,  c.  11  et  19. 

(3)  Ibid.,  tit.  60,  §  1-3. 

(4)  Ibid.,  ^4.  —  Chez  plusieurs  peuples  germains,  l'accusé  qui  récusait  le 
jugement  du  tribunal  qui  l'avait  condamné,  était  obligé  de  se  battre  en 
champ  clos  avec  chacun  de  ses  juges. 

(5)  Capit.  Chlotharii,  tit.  3,  c.  8.  Capit.  a°.,  789,  c.  24. 
(Gj  Lex  Sal,  tit.  56. 


^  261  — 

Le  comte  avait  une  autorité  illimitée  dans  son  plaid. 
«Quelque  chose  qu'il  fit,  personne  n'était  en  droit  de  le 
contredire,  ni  de  lui  résister;  et  lorsqu'il  s'écartait  de  son 
devoir,  celui  cjui  se  croyait  lésé  devait  s'adresser  au  roi 
pour  en  avoir  justice  (l).))Childebert  ordonna  que  celui  qui 
troublerait  le  plaid  du  comte  serait  puni  de  mort  (2). 

Les  causes  majeures  de  la  compétence  du  comte  étaient 
l'homicide  ,  le  rapt ,  Tincendie ,  la  déprédation  ,  la  mutila- 
tion, le  vol,  le  larcin  et  l'invasion  des  biens  d'autrui  (3). 

Le  comte  avait  sous  lui  un  substitut  qui  portait  le  nom 
de  vi-comte  et  qui  présidait  le  tribunal  des  centeniers.  Ce 
dernier  ne  pouvait  être  composé  que  de  trois  juges  (4), 
qui  jugeaient  en  dernier  ressort,  et  on  ne  pouvait  appeler  de 
leur  sentence  au  grafion  que  lorsque  dans  l'instruction  de 
l'affaire  ils  n'avaient  point  observé  toutes  les  formalités  de 
la  loi  (5). 

Mais  le  vi-comte  et  les  centeniers  ne  connaissaient  que 
des  matières  contentieuses  ,  excepté  les  cas  d'état  et  de 
propriété  (6).  Ils  concouraient  aussi  à  l'exécution  des  or- 


(1)  De  Biiat,  tom.  3,  p.  266  et  les  autorités  qui  y  sont  citées. 

(2)  Recapitul.  legis  sal.  Decretum  Childeb.,^  7. 

(3)  De  Buat,  tom.  3,  p.  3. 

(4)  Lcx.  Sal.,  tit.  56,  §  4.  —  Voir  sur  les  attributs  du  vicomte  sous  les 
rois  francs,  De  Buat,  tom.  3,  p.  114. 

(5)  Ibid. 

(6)  Lejc.  Rip.,  tit.  58,  c.  3.  Cap.  a',  810,  c.  2.  —  Utnullus  homo  in  pla- 
citwin  centenarii  neque  ad  mortem .  neq^ie  ad  libertatem  suam  amittendain 
autres  reddendas  vel  mancipia  judicetur ;  sed  ea  omnia  in prœsetitia  comi- 
ium  vel  missorum  nostrorum  judicentur  (Capitul.  caroî.  M.,  c.  1,^36).  — 
Omnis  contioversia  coram  centenariis  definiri  potest.  excepta  redliibitione 
rerum  immobilium  et  mancipiorum  quœ  non  potest  definiri  nisi  coiam  comité 
(^37). —  Ut  ante  vicarios  nulla  criminalis  actio  definiatur^  nisi  tantùm 
leviores  caussœ  quœ  facile  possnnt  judicari  ^  et  nullus  in  eorum  Jiidicio  ali- 
quem  in  servitio  hominem  conquirat  j;  scd^er  fideijussorem  mittantnr  usque 
ad  prœsentiam  comitis  (§  69). 


—  262  — 

donnanees  ou  bans  du  roi ,  et  c  était  a  ce  titre  qu'ils  étaient 
protecteurs  des  veuves  et  des  orphelins  (1). 

Le  comte  et  les  juges  étaient  élus  par  le  peuple ,  mais 
leurs  fonctions  ne  paraissent  avoir  été  que  temporaires  et 
limitées  à  un  certain  nombre  d'années.  On  les  révoquait 
pour  cause  d'incapacité  et  d'inconduite ,  destitution  qui , 
sous  les  rois  francs  était  de  droit  ordonnée  par  le  souve- 
rain (2),  Pour  pouvoir  prétendre  à  la  charge  de  comte  ou 
de  juge ,  il  fallait  connaître  les  lois  ou  coutumes  de  la  na- 
tion et  être  exempt  de  toute  infirmité.  Les  codes  barbares 
leur  recommandent  de  juger  à  jeûne  (3),  de  défendre  et 
protéger  la  veuve  et  l'orphelin ,  de  se  montrer  justes  et 
humains  et  de  tempérer  la  rigueur  des  lois  en  faveur  des 
pauvres  et  des  opprimés  (4). 

Les  tribunaux  du  comte  et  des  centeniers,  se  tenaient 
chez  les  Francs,  tous  les  huit  ou  quinze  jours,  et  plus 
souvent  dans  des  cas  extraordinaires.  Le  plaid  avait 
lieu  dans  un  lieu  découvert  et  sous  un  arbre,  ordinaire- 
ment un  tilleul  (5).  La  loi  salicjue  ordonne  formellement 
que  les  juges  y  paraîtront  en  armes;  ce  n'est  que  sous  les 
rois  francs  de  la  seconde  race  c]u'on  fit  quelques  modifica- 
tions a  cette  dernière  loi. 

Les  émolumens  des  officiers  de  justice  chez  les  Germains, 
consistaient  uniquement  dans  les  amendes  {freduni)  aux- 
quelles avaient  été  condamnés  les  coupables.  Pour  les  cas 
graves ,  ces  amendes  équivalaient  a  un  tiers  de  la  composi- 

(1)  DeBuat,  tom.  3,  p.  117. 

(2)  Greg.  Tur.,  i.  IV,  c.  42  et  48. 

(3)  Lex.  Long. ,  1.  II,  c.  54,  §  4  et  2.  Sal.  addiL,  c.  1,  c.  15. 

(4)  Lex.  Visig.,  1.  XXII,  c.  1,  §  1.  Long.,  1.  11 ,  c.  43.  Bav.,  1.  VII,  c.  7. 

(5)  Louis-le-Dcbonnaire  ordonna  de  le  tenir  dans  un  lieu  couvert  et  a 
l'abri  des  intempéries  de  lair  [Capit,  a"  819,  c.  14).  Cependant  la  coutume 
d'assembler  les  tribunaux  dans  un  lieu  découvert  et  sous  un  tilleul  prévalut 
dans  la  majeure  partie  de  la  Belgique ,  jusqu'aux  13*  et  14'  siècles. 


-«  263  — 

tion  ;  dans  des  causes  mineures  elles  n'en  égalaient  que  la 
dixième  partie. 

Nous  avons  dit  qu'une  des  attributions  du  comte  était 
d'instruire  les  affaires  civiles  et  criminelles  du  ressort  de 
son  tribunal  et  de  celui  du  roi ,  et  de  faire  comparaître  a 
son  plaid  la  personne  contre  laquelle  s'était  élevée  quel- 
que charge.  Cependant  sous  la  période  germanique  l'inter- 
vention du  comte  n'était  pas  toujours  nécessaire  pour  citer 
quelqu'un  en  justice.  Le  défendeur  pouvait,  sans  le  secours 
du  comte  ,  remplir  lui-même  cette  formalité  ;  il  suffisait 
qu'il  se  rendit  avec  quelques  témoins  a  la  maison  de  celui 
à  la  charge  duquel  il  élevait  la  prétention,  et  qu'il  le  sommât 
de  comparaître  au  tribunal  du  roi ,  du  grafion  ou  des  cen- 
teniers  au  jour  qu'il  lui  désignait.  Si  le  défendeur  était 
absent ,  le  demandeur  pouvait  signifier  l'assignation  à  sa 
femme  ou  a  un  de  ses  domestiques ,  en  déclarant  qu'il  eut 
a  la  communiquer  a  la  personne  assignée  (1).  Dans  la  suite 
les  assignations  faites  avec  ces  formalités ,  furent  réduites 
aux  causes  d  état  ou  de  liberté ,  d'hérédité  ou  de  pro- 
priété. Pour  tout  autre  cas,  le  comte  se  contentait  de 
faire  signifier  par  un  officier  au  défendeur  de  se  présenter 
a  son  tribunal  au  jour  fixé.  Le  refus  de  comparaître  était 
puni  pour  la  première  fois,  par  une  amende  de  15  sols,  et 
pour  second  défaut,  par  le  séquestre  des  biens;  c'est  ce 
qu'on  appelait  mettre  les  biens  du  défaillant  au  ban.  La 
garde  de  ces  biens  était  confiée  aux  administrateurs  de  la 
saisie,  s'ils  étaient  bons  pour  en  répondre.  S'ils  ne  pouvaient 
remplir  cette  dernière  condition,  quelques  personnes  voi- 
sines du  délinquant  étaient  choisies  par  le  comte  ou  les 
centeniers  pour  être  les  gardiens  du  bien  confisqué.  «  C'est 
de  cette  garde ,  dit  De  Buat ,  qu'est  venu  le  mot  de  garant 
et  celui  de  garantie  :  on  appelait  ces  gardiens y/^e/«^^or^^. 

(1)  Lex.  Sal.,  tit  l,c.  3. 


—  204  — 

Celait  un  crime  à  eux ,  de  laisser  rien  détourner  de  tout  ce 
qui  leur  avait  ëtë  confie  ;  c'était  un  crime  au  propriétaire 
d'entrer  dans  sa  maison  et  d'en  enlever  le  moindre  effet  (1).» 

Lorsqu'un  homme  cité  devant  une  cour  de  justice  ,  con- 
tinuait à  faire  défaut,  un  an  et  une  nuit  après  l'assigna- 
tion ^  ses  biens  sécjuestrés  étaient  dévolus  au  fisc,  après 
qu'on  avait  prélevé  sur  leur  valeur  la  somme  qu'il  aurait 
dû  payer  comme  composition  en  cas  de  condamnation  pour 
le  délit  dont  il  était  accusé ,  ou  a  moins  que  le  procès  n'eut 
été  intenté  pour  l'objet  séquestré  lui-même,  qui  alors 
devenait  en  entier  la  propriété  de  la  partie  plaignante ,  si 
elle  prouvait  y  avoir  droit  (2), 

Pour  pouvoir  intenter  une  action  en  j  astice,  on  devait  être 
homme  libre,  sans  reproche,  assez  riche  pour  payer  la 
composition  de  la  calomnie,  en  état  de  répondre  au  défi 
du  défendeur  et  de  se  battre  en  champ  clos  avec  lui. 

Chacun  devait  être  son  avocat  dans  sa  propre  cause  ,  et 
il  n'était  permis  d'emprunter  la  voix  d'une  personne  étran- 
gère pour  soutenir  ou  combattre  l'accusation ,  que  lorsqu'on 
était  malade  ou  hors  d'état  de  parler;  c'était  alors  le  gra- 
fion  lui-même  ou  son  substitut  qui  rendait  compte  de  l'af- 
faire ,  soit  pour ,  soit  contre  le  défendeur.  Cette  exception 
avait  aussi  lieu  nécessairement  h  l'égard  d'un  mineur,  d'une 
femme  et  d'un  esclave ,  les  deux  premiers  étant  en  tutelle, 
temporaire  pour  le  mineur,  et  perpétuelle  pour  la  femme, 
et  l'esclave  étant  sous  la  puissance  de  son  maître.  C'était 
contre  ce  dernier  qu'on  intentait  l'action  lorsque  son  esclave 
ou  serf  se  rendait  coupable  de  quelque  délit,  et  c'était  au 
maître  à  prendre  la  défense  de  l'esclave ,  à  moins  que 
par  un  refus  il  ne  préférât  l'abandonner  à  la  discrétion 
du  plaignant. 

(1)  Caplt.,  a°  819,  c.  U.De  Buat,  tom.3,  p.  26-28. 

(2)  DeBuat,  ibld,,  p.  28. 


—  265  — 

Celui  qui  accusait  quelqu'un  en  justice,  devait  se  pré- 
senter au  plaid  accompagné  de  témoins  qui  attestaient  par 
serment  la  validité  de  l'accusation.  L'accusé  pouvait ,  de  son 
côté ,  opposer  aux  témoins  de  l'accusateur  des  témoins  à 
décharge.  Le  nombre  des  témoins  variait  suivant  la  gra^ 
vite  du  cas  ;  dans  les  causes  majeures  on  exigeait  la  présence 
de  douze  témoins  (1).  Les  témoins  qui  déposaient  dans  la 
cause  d'un  homme  libre ,  devaient  eux-mêmes  être  de  con- 
dition libre  ;  on  recevait  parfois ,  il  est  vrai ,  la  déposition 
d'un  serf  ou  d'un  affranchi ,  comme  on  reçoit  de  nos  jours 
celle  d  un  enfant  ou  d'un  homme  condamné  à  une  peine 
infamante,  mais  non  comme  un  témoignage  légal. 

On  exigeait  de  plus  d'un  témoin  cju'il  ne  fut  point  dans 
l'indigence,  qu'il  eut  atteint  l'âge  de  quatorze  ans,  qu'il 
n'eut  subi  aucune  condamnation  infamante  et  qu'il  fut  do- 
micilié dans  le  canton  ressortissant  du  tribunal  devant 
lequel  il  comparaissait ,  si  ce  n'est  lorsque  l'enquête  devait 
se  faire  hors  de  ce  canton. 

On  ne  pouvait  exiger  d'un  homme  de  témoigner  dans  la 
cause  d'une  personne  de  condition  inférieure  a  la  sienne  , 
excepté  dans  les  causes  majeures  ou  cas  royaux  et  dans  celles 
qui  concernaient  les  veuves  et  les  faibles  (2). 


(1)  Buodecim  personis  se  ex  hoc  sacramento  exuat  (Décret.  Childeb.  ). — 
Cum  XIIjuret{Lex,  Burg.,  tit.  8,  §  1).  Cum  duodecim  manujuret  (Lex. Fris.. 

tit.  14). 

Pour  un  délit  qui  n'encourait  qu'une  légère, amende,  il  suffisait  d'un  seul 
témoin;  pour  celui  dont  la  composition  était  de  trois  sols,  il  fallait  deux  té- 
moins ;  pour  composition  de  six  sols,  ou  quelque  chose  de  plus,  il  fallait 
cinq  témoins:  pour  un  rapt  on  exigeait  cinq  témoins  oculaires  et  sept  témoins 
non  oculaires.  Le  meurtre  d'un  homme  libre  requérait  vingt-quatre  té- 
moins, dont  douze  témoins  oculaires. 

(2)  Sous  les  rois  francs,  l'acte  de  vente  d'une  terre,  devait  se  passer 
devant  trois  témoins,  si  la  terre  était  de  peu  de  valeur;  devant  six,  si  elle 
était  d'une  valeur  médiocre  ,  et  devant  douze  témoins  et  autant  d'enfiins  si 


—  266  — 

Pourétre  témoin  il  ne  fallait  pas  nécessairement  avoir  vule 
fait  dont  on  attestait  la  vérité'  par  serment  :  il  y  avait  deux 
espèces  de  témoins ,  des  témoins  oculaires  et  ceux  qui  étaient 
supposés  avoir  connaissance  de  la  chose  dont  ils  devaient 
rendre  témoignage  ;  mais  dans  lenquéte  qui  précédait  toute 
espèce  de  serment  on  n'entendait  que  les  témoins  oculaires. 
Le  défendeur  pouvait  récuser  les  témoins  appelés  pour  dé- 
poser contre  lui;  le  juge  le  pouvait  aussi,  mais  seulement 
pour  des  motifs  légaux.  Si  l'on  accusait  un  homme  en  son 
absence,  les  témoins  de  l'accusateur  n'étaient  admis  qu'après 
un  ample  examen  du  juge.  Tout  jugement  devait  aussi  se 
rendre  en  présence  d'un  certain  nombre  de  témoins.  En 
un  mot,  chez  les  Germains,  tout  acte,  tout  contrat,  de  quel- 
que nature  qu'il  fut,  exigeait  la  présence  de  témoins,  parce 
que  c'était  le  seul  moyen  d'en  constater  la  validité ,  toute 
transaction,  toute  cause  judiciaire  se  traitant  verbalement. 
C'est  la  la  raison  pour  laquelle  ils  punissaient  le  parjure 
avec  tant  de  sévérité  (1). 

Lorsque  les  dépositions  des  témoins  du  demandeur  et  du 
défendeur  étaient  en  contradiction  manifeste ,  le  juge  ordon- 
nait ordinairement  que  la  chose  se  déciderait  entre  eux,  par 
le  combat  en  champ  clos.  Tous  les  témoins  n'étaient  cepen- 
dant point  contraints  à  cette  épreuve  ;  on  tirait  au  sort  un 


elle  était  d'un  prix  élevé.  I/acheteur  acquittait  laequisitlon  en  leur  pré- 
sence, et  en  prenant  possession  de  la  terre,  il  frappait  sur  la  joue  et  tirait 
les  oreilles  aux  en  fans ,  afin  quils  s'en  souvinssent  et  pussent  un  jour  en 
rendre  témoignage.  Cependant  si  l'acquéreur  d'un  bien-fonds  de  grand  prix 
ne  pouvait  trouver  douze  témoins,  six  ou  sept  suffisaient  (De  Buat,  tom.  3, 
p.  288). 

(1)  Sous  l'époque  franque,  c'était  un  privilège  particulier  au  roi  que  ses 
témoins  ne  fussent  pas  obliges  à  faire  le  serment;  ces  témoins  devaient  être 
pris  parmi  les  notables  du  canton  ou  parmi  ceux  des  voisins  qui  jouissaient 
de  la  meilleure  réputation  de  probité  et  de  bonnes  mœurs  (De  Buat.  tom.  3, 
p.  298). 


-  267  — 

témoin  de  chaque  parti ,  qui  devait  combattre  pour  tous  les 
autres.  Celui  que  le  sort  désignait  jurait  en  ces  termes  :  «le 
sort  a  voulu  c|ue  je  fusse  témoin ,  et  je  prétends  justifier 
son  choix.  «  Il  prétait  ensuite  un  serment  particulier,  en 
levant  la  main ,  et  en  suppliant  les  dieux  de  donner  la  vic- 
toire à  celui  qui  avait  la  justice  de  son  côté.  Puis  il  jurait 
encore  par  ses  armes,  conjoinlement  avec  un  des  autres  lé- 
moins,  de  la  vérité  de  son  témoignage.  Celui  des  champions 
qui  succombait  dans  la  lutte  était  déclaré  parjure,  et  comme 
tel ,  il  perdait  la  main  droite.  Les  témoins  qui  avaient  déposé 
avec  lui ,  subissaient  la  même  peine ,  s'ils  ne  pouvaient 
racheter  leurs  mains.  Les  deux  tiers  de  cette  composition 
revenaient  a  celui  contre  lecjuel  ils  avaient  déposé;  l'autre 
tiers  appartenait  au  roi  à  titre  de  fredum  (1). 

Si  celui  qui  citait  un  homme  libre  devant  les  tribunaux , 
ne  se  présentait  pas  ensuite  pour  soutenir  l'accusation,  ou 
s'il  ne  pouvait  produire  des  témoins ,  qui  prouvassent  la 
culpabilité  de  l'accusé ,  ce  dernier  pouvait  se  libérer  par 
le  serment  (2),  ou  appeler  son  accusateur  a  un  combat  sin- 


(l)DeBuat,  ibid.,  p.  295-297. 

(2)  Toutefois  il  ne  pouvait  pas  faire  le  serment  tout  seul;  «  il  falloit,  dit 
DeBnat,qu"il  trouvât  des  personnes  de  la  même  condition  que  lui ,  qui 
voulussent  jurer  avec  lui.  On  les  appeloit  conjurateurs ,  pour  cette  raison. 
L'accusé  devoit  en  présenter  un  certain  nombre  à  proportion  de  sa  dignité. 
Suivant  un  préjugé  barbare,  on  croyoit  innocent  un  homme  qui  étoit  assez 
accrédité  pour  trouver  un  certain  nombre  de  gens  qui  voulussent  attester  son 
innocence  avecserment.il  est  évident  que  ces  tonjuratcurs  n'ctoient  pas  des 
témoins  oculaires ,  puisque  ce  n'étoit  qu'à  leur  défaut  que  Ton  recevoit  le 
serment  d'un  accusé  et  de  ceux  qui  se  présentoient  pour  jurer  avec  lui  (Cap, 
lib.,  4,  c.  23).  C'ctoit  en  pareil  cas,  qtie  les  personnes  qui  vivoient  sous  la 
loi  Gombette,  faisoient  jurer  des  enfansqui  n'avoient  pas  l'usage  de  la  raison. 
«  Il  y  a  cependant  apparence  que  ces  conjurateurs  ne  se  présentoient  pas 
pour  jurer ,  avant  d'avoir  examiné  ce  dont  il  étoit  question  ;  car  suivant  la 
loi  salique  (Tit.  50),  trois  d'entr'eux  payoient  chacun  15  sols  d'amende,  et 
les  autres  en  payoient  chacun  5.  lorsqu'il  étoit  prouvé  que   celui  avec  qui 


-^  268  — 

gulier,  afin  d'ëcarter  par  sa  victoire  les  soupçons  qui  pla- 
naient sur  sa  personne.  De  même  si  Faccusé  n'amenait  point 
des  témoins  qui  attestassent  son  innocence ,  on  le  prenait 
e'galement  à  son  serment  que  l'accusateur  pouvait  re'cuser , 
mais  alors  il  e'tait  a  son  tour  oblige'  d'accepter  le  combat 
avec  le  défendeur. 

Bien  que  la  loi  admit  le  combat  judiciaire,  comme 
preuve  dans  toute  cause,  tant  civile  que  criminelle,  il 
n'avait  ordinairement  lieu  que  pour  des  cas  graves ,  tels 
que  l'accusation  de  trahison ,  de  meurtre ,  d'adultère , 
d'incendie,  de  sorcellerie,  de  vol  et  autres  crimes  de 
cette  nature  ;  lorsqu'on  contestait  à  un  individu  son  ëtat 
d'homme  libre  et  pour  quelques  autres  causes  d'impor- 
tance (1). 

La  permission  de  se  battre  en  champ  clos  était  accordée 
par  le  roi  ou  le  comte.  Le  duel  avait  lieu  en  leur  présence, 
ou  devant  une  personne  déléguéçpareux;  ils  commençaient 
par  exiger  des  deux  parties  des  gages  de  bataille  ,  afin  de 
s'assurer  qu'elles  se  présenteraient  au  lieu  destiné  à  vider 
leur  différent  à  l'époque  désignée,  cjui  était  suivant  les  pro- 


ils  avoient  juré,  avoitfait  un  faux  serment  (Greg.  Tur.,  Hist.  lib.,  IX,  c.  13). 
Aussi  arrivoit-il  quelquefois  qu'un  accusé  ne  trouvoit  point  de  conjura- 
teurs. 

»  Je  conjecture  qu'il  les  prenoit  ordinairement  dans  sa  famille ,  et  que  de 
là  vint  l'obligation  où  étoient  ses  parens  et  ses  alliés  de  lui  servir  de  conseil. 
Il  se  justifioit  devant  sa  parenté,  et  cette  justification  domestique  devenoit 
publique,  par  le  serment  que  prétoient  douze  d'entr'eux  pour  l'innocenter. 
Comme  les  parens  d'un  défendeur  dévoient  être  ses  conseillers,  ils  ne  pou- 
voient  être  ses  juges  :  et  de  la  vient  encore  l'usage  où  sont  aujourd'hui  nos 
magistrats  de  descendre  de  leur  banc,  lorsqu'un  de  leurs  parens  ou  de  leurs 
alliés  doit  être  jugé  dans  leur  chambre.  »  (  De  Buat,  tom.  3,  p.  275). 

(l)  Lex.  Alam.,  tlt.  44,  ^  1  et 2,  tlt.  84.  Eav.  tit.  2,  c.  2,  tit.  8,  c.  2,  §  6. 
Longob.,  tit.  1,  §  7  et  9.  Rij).,  tit.  57,  §  2,  tit.  67.  Jngl  et  JVerin.  tit.  15  et 
16.  Fris.,  tit.  14,^4  et  5.  Greg.  Tur.,  1.  Yll.c.  15. — Voir  aussi  Haehcnberg, 
Bisscrt.  3,§  18. 


—  269  — 

cédures,  de  quatorze  ou  de  quarante  nuits.  Avant  de  tenter 
répreuve,  on  examinait  soigneusement  les  témoins  pour  se 
convaincre  qu'ils  n'avaient  point  sur  eux  quelque  amulette 
ou  herbe  magique  et  qu'ils  étaient  armes  a  armes  égales  (1). 
Des  peines  étaient  portées  contre  ceux  qui  troublaient  le 
combat,  ou  qui  séparaient  les  combattans  avant  que  le  juge 
du  combat  n'en  eût  donné  le  signal  (2).  L'accusé  avait  le 
droit  de  produire  un  champion  de  même  condition  que  lui 
pour  combattre  en  sa  place  ;  si  c'était  une  femme  ,  elle  y 
était  obligée  ^  à  moins  qu'elle  ne  voulut  combattre  en  per- 
sonne (3).  Quoiqu'on  eut  le  choix  de  se  battre  a  pied  ou  à 
cheval ,  les  personnes  d'un  rang  élevé  n'entraient  en  lice  que 
de  cette  dernière  manière  (4).  Sous  la  période  germanique 
et  sous  les  rois  francs  de  la  première  race  on  se  battait  armé 
de  toutes  pièces  et  à  toute  outrance  (5)  ;  mais  sous  les  rois 
de  la  seconde  race  et  plus  tard  ces  combats  furent  moins 
meurtriers  :  on  n'y  employait  alors  d'ordinaire  que  l'écu  et  le 
bâton  (6).  Celui  qui  sortait  vainqueur  de  cette  épreuve, 
gagnait  sa  cause  :  si  l'accusé  était  vaincu,  il  était  déclaré 
coupable  et  subissait  la  peine  statuée  contre  le  délit  pour 
lequel  il  avait   été   poursuivi  ;    si  c'était  au    contraire , 
l'accusateur  qui  succombait ,  il  payait  l'amende  de  la  ca- 
lomnie. 

11  n'y  avait  que  les  hommes  de  condition  libre  qui  pus- 
sent se  purger  par  le  serment  ou  le  combat  judiciaire  ;  ceux 
qui  avaient  été  condamnés  a  mort  et  avaient  obtenu  leur 


(1)  Toulotte  et  Riva,  tom.  3,  p.  273. 

(2)  Lex.  Bajuv.,  tit.  2,  c.  2. 

(3)  De  Buat,  tom.  3,  p.  280. 

(4)  Idem  et  Aim.,  1.  IV,  c.  108. 

(5)  Lex.  Bajuv.,  tit.  17,  c.  1.  Greg^.  Tur.,  Hist.  lib.  X,  c.  10. 

(6)  Greg.  Tur.,  I.  IV,  c.  23.  Capit.,  a°  819,  c.  15.   Ordonn.  du  Louvre. 
tom.  1,  p.  36.  De  Buat.,  tom.  3,  p.  280. 


—  270  — 

grâce,  les  affranchis,  les  serfs  ou  esclavesde\  aient  subir  une  de 
ces  épreuves  connues  sous  le  nom  d'ordalies  (  plus  lard  aussi 
sous  celui  de  jugemens  de  Dieu)^  et  en  outre  la  question  (1), 
lorsqu'ils  étaient  accusés  d'un  crime  grave.  Un  esclave  pou- 
vait néanmoins  éviter  l'épreuve  et  la  torture,  si  son  maître 
voulait  attester  par  serment  l'innocence  de  l'accusé.  Sous 
la  période  germanicjue  il  y  avait  quatre  espèces  d'épreuves: 
celle  du  fer  chaud ,  celle  de  l'eau  chaude ,  celle  de  l'eau 
froide  et  celle  qui  dans  les  documens  de  ces  temps  porte  le 
nom  de  offa  judicialis  et  de  caseus  execralis.  Celui  qui 
subissait  la  première  de  ces  épreuves  était  contraint  de 
prendre  dans  ses  mains  un  fer  rougi  au  feu  et  béni  par 
un  ministre  du  culte ,  ou  de  marcher  dessus  à  pieds  nus,  en 
présence  des  juges  et  du  peuple.  Si  après  cette  épreuve  ses 
mains  ou  ses  pieds  ne  conservaient  aucune  trace  de  brûlure, 
il  était  déclaré  innocent  du  crime  dont  il  était  accusé.  La 
seconde  épreuve  consistait  à  plonger  le  bras  dans  un  vase 
rempli  d'eau  bouillante.  Les  suites  de  cette  ordalie  étaient 
les  mêmes  que  celles  qui  résultaient  de  l'épreuve  par  le 
fer  ardent.  La  troisième  épreuve  se  faisait  en  jetant  l'ac- 
cusé dans  une  eau  courante  ou  un  étang,  la  jambe  droite 
attachée  au  bras  gauche  et  la  jambe  gauche  au  bras  droit; 
s'il  surnageait  il  était  déclaré  coupable.  La  quatrième 
épreuve  est  moins  connue.  Elle  parait  avoir  été  ana- 
logue à  répreuve  par  l'hostie  consacrée  et  le  pain  béni , 
introduite  après  la  conversion  des  peuples  germains  au 
christianisme.  A  cette  époque  on  ajouta  aussi  aux  épreu- 
ves judiciaires  anciennement  usitées ,   celle  de   la  croix 


(1)  Lex.  Saî.,  tit.  42,  §  1  et  3.  Cependant  la  loi  salique  obli(je  aussi  les 
personnes  libres  a  subir  dans  certains  cas,  surtout  pour  le  soupçon  de  vol, 
l'épreuve  du  fer  chaud  et  de  l'eau  froide  [Le.v.  Sal ,  tit.  55.  Pactum 
^hildeb.  ) 


—  271  — 

qu'il  n'appartient  pas  de  décrire  dans  cet  ouvrage  (1), 
Après  ies  difFe'rens  moyens  employés  par  les  Germains 
pour  constater  la  culpabilité'  ou  Imnocence  d un  accusé  , 
desquels  nous  venons  de  parler ,  ils  se  servaient  encore  sou- 
vent comme  épreuve  judiciaire  du  sort  et  de  la  divination  , 
moyen  tout  aussi  vain  que  ceux  du  combat  en  champ  clos 
et  des  ordalies  (2).  Le  chapitre  suivant  fera  connaître  la 
manière  dont  se  pratiquait  cette  superstition. 

«Lorsqu'un  homme  avoit  perdu  son  procès,  il  donnoit 
caution  pour  le  payement  des  dommages,  inteVét  et  capital; 
et  dès  ce  moment  ce  n'etoit  plus  a  lui  que  l'impétrant  avoit 
affaire  ,  c'éloit  au  répondant.  Le  temps  fixé  pour  le  paye- 
ment étoit  ordinairement  de  quarante  nuits;  mais  on  en 
convenoit  quelquefois  autrement.  Si  au  bout  du  temps 
marqvié  ,  le  répondant  refusoit  de  payer,  l'impétrant  lui 
faisoit  plusieurs  sommations;  après  quoi  il  s'adressoit  au 
juge  (le  comte).  Celui-ci  assembloit  sept  assesseurs  avec  les- 
quels il  se  transportoit  au  domicile  du  répondant,  et  il  le 
sommoit  de  payer  la  somme  pour  laquelle  il  s'étoit  rendu 
caution.  S'il  refusoit  encore ,  les  assesseurs  évaluoient  la 
dette  et  en  prenoient  le  montant  sur  ses  biens  :  c'étoit  à 
celui-ci  à  avoir  son  recours  sur  le  succombant.  Outre  la 
somme  principale ,  on  prenoit  encore  l'amende  encourue 
par  le  refus  de  payer  (3).  » 

§  IX. 

Culte  des   anciens   Germains,  funérailles,    etc. 

Il  n'existe  chez  les  auteurs ,  tant  anciens  que  modernes , 

(1)  Voir  Hachenberg,  Dissert.,  3,  ^  19.  —  24  et  le  P.  Lebrun,  Ilist.  criL 
4e s  superstit. 

(2)  Lex.  Fris.,  tit.  14. 

(3)  DeBuat,  tom.  3,  p.  26. 


—  272  — 

pas  moins  de  contradictions  et  d'erreurs  louchant  le  culte 
des  peuples  germains,  cjue  par  rapport  a  celui  des  Gaulois. 
Suivant  César  les  Germains  ne  rendaient  un  culte  divin 
qu'au  soleil ,  à  Vulcain  (le  feu)  et  a  la  lune  (1).  Gluvier  a 
conclu  que  sous  ces  trois  emblèmes,  les  Germains  adoraient 
la  trinitë  :  ce  Voilà  manifestement ,  dit-il ,  le  seul  vrai  dieu 
et  les  trois  personnes  de  la  trinitë.  Le  soleil  c'est  le  père  ; 
la  lune,  c'est  le  fils  et  le  feu  le  Saint-Esprit  (2).  »  Cette 
interprétation  est  sans  doute  une  des  plus  plaisantes  et  des 
plus  ridicules  ,  qu'ait  jamais  enfantées  la  manie  des  sys- 
tèmes. 

Tacite  avait  des  notions  plus  exactes  que  Cësar ,  sur  la 
religion  des  peuples  du  nord  ;  mais  il  n'entre  pas  dans  plus 
de  détails  sur  ce  sujet  que  cet  auteur.  D'ailleurs  suivant  la 
coutume  des  Grecs  et  des  Romains,  il  confond  les  dieux 
des  barbares  avec  ceux  de  Rome  ;  Mercure ,  Hercule,  Mars , 
Isis  ,  Castor  et  PoUux  sont  les  seules  divinités  qu'il  connaît 
chez  les  Germains  (3). 

Parmi  les  modernes ,  Schedius ,  qui  a  composé  un  traité 
sur  l'ancienne  religion  des  peuples  septentrionaux  de  l'Eu- 
rope (4),  Peloutier  et  Chiniac  ont  sans  cesse  mêlé  le  culte 
des  Celtes  et  des  Germains. 

Pour  acquérir  des  notions  plus  complètes  et  plus  exactes 
sur  la  religion  des  anciens  peuples  du  nord,  c'est  a  l'Edda 


(1)  Deonim  numéro  eos  solos  ducunl  quos  cernunt  et  quorum  apertè  opihus 
j'uvantur,  Solem  etVulcanerrb  et  Lunam  ;  reliquos  ne  fama  quidem  acceperunt 
(Cses.,  I.  VI,  c.  21),  —  Mone  croit  que  par  le  soleil ,  Vulcain  et  la  lune,  on 
pourrait  entendre  Odin,  Tbor  et  Frigg  ou  Freyr  (2*  th.,  p.  29.) 

(2)  Cluverii  Germ.  antiq.,  p.  202  et  ce  que  Mone  dit  sur  ce  passage 
(2«th.,p.3l  ). 

(3)  ïac,  M.  G.,  c.  9.  —  Voir  Mone ,  2«  th.,  p.  25  et  30. 

(4)  Schedius,  de  Diis  Germanis,  sive  de  veteri  Germanorum ,  Galiorum, 
Britannorum^  Vandalorum  religione  sijntagmata  quatuor. 


—  273  — 

€ode  mylliologkjue  des  Scandinaves  et  aux  sagas  ^  poèmes 
de  leurs  anciens  bardes  (1) ,  aux  codes  de  lois  des  peuples 
germaniques,  aux  capitulaiies  des  rois  francs, aux  canons 
des  conciles  tenus  dans  les  contrées  occupées  par  des  Ger- 
mains et  a  quelques  chroniqueurs  du  moyen  âge ,  qu'il  faut 
principalement  avoir  recours. 

Tout  dans  ces  anciens  documens  prouve  que ,  quant  au 
dogme ,  la  religion  de  tous  les  peuples  germains ,  tant  de 
ceux  qui  habitaient  la  Scandinavie  ou  Textrémité  sep- 
tentrionale des  pays  peuplés  par  la  race  leutonique,  que  de 
ceux  du  midi  de  la  Germanie,  des  contrées  voisines  du 
Rhin  et  de  la  Belgique  actuelle ,  était  la  même  (2). 

Suivant  quelques  auteurs  modernes  ,  suédois ,  danois  ou 
allemands  ,  il  exista  dans  l'antiquité  deux  cultes  totalement 
différens  chez  les  peuples  du  nord.  Le  plus  ancien  de  ces 
cultes,  sur  lecjuel  Ton  n  a  point  des  données  certaines,  aurait 
subsisté  jusqu'au  4e  siècle  avant  Tère  vulgaire,  lorsque  les 
Asses  ou  Alains ,  qui  habitaient  dans  la  Circassie  et  le  Cou- 
ban  actuels ,  auraient  passé  de  l'Asie  sur  les  côtes  de  la  mer 
du  nord  et  de  la  mer  baltique ,  où  ils  auraient  introduit 
un  culte  nouveau  ,  le  culte  de  Thor  et  d'Odin  ,  qui ,  dans 
la  suite ,  devint  celui  de  tous  les  peuples  de  la  Germanie. 

(1)  Le  code  mythologique  des  Scandinaves  est  divisé  en  ancienne  et  en  nou- 
velle Edda.  L'ancienne  Edda,  consistant  presqu  entièrement  en  chants  rimes 
et  en  quelques  fragmens  en  prose, fut,  suivant  Topinion  commune, compillée 
au  IP  siècle  par  l'Islandais  Sàmund  le  Sage.  Elle  est  divisée  en  trois  parties  : 
La  première,  appelée  Foluspa  ,  contient  l'histoire  des  dieux  et  du  monde; 
la  seconde  renferme  les  chants  héroïques,  et  la  troisième  les  dogmes  secrets 
ou  les  mythes  de  la  religion.  La  nouvelle  Edda  fut  composée  par  Snorro 
Sturleson,  vers  le  commencement  du  13^  siècle,  et  renferme  l'histoire  des 
dieux  du  nord,  écrite  en  prose  et  entremêlée  de  quelques  pièces  de  vers. 

Les  Sagas  qui  méritent  d'être  particulièrement  consultées  dans  l'étude  de 
la  mythologie  du  nord,  sont  la  Jfiîkina  et  Niflunga  Saga,  la  Volsanga 
Saga  et  la  JVorma  Gests  Saga. 

(2)  Voir  Mallet.  mtroduction   à   VIlisL  [du   Danemarc ,    p.   36    et  suiv. 

Tome  L  18 


^  274  — 

Tout  cela  est  extrêmement  obscur  et  ne  repose  en  majeure 
partie  que  sur  des  conjectures  ou  des  documens  travestis 
par  la  fable  et  les  mythes.  C'est  pourquoi,  sans  nous 
étendre  davantage  sur  cette  question  ,  nous  ne  nous  occu- 
perons dans  ce  qui  concerne  le  culte  des  peuples  ger- 
mains, que  de  faits  positifs  et  appuyés  de  preuves  authen- 
tiques. 

L'Edda  place  dans  l'Olympe  des  peuples  du  nord ,  douze 

dieux  et  douze  déesses  ,  parmi  lesquels  Odin  ou  Wodan  , 
occupe  le  premier  rang  (1).  Ce  dieu  surnommé  le  terrible 
et  le  sévère ,  le  père  des  combats  et  du  carnage  ,  le  dépo- 
pulateur,  l'incendiaire,  l'agile ,  le  bruyant ,  celui  qui  donne 
la  victoire ,  qui  ranime  le  courage  dans  le  combat ,  qui 


Geschiedenis  des  heidendoms  in  Europa  huiten  Griehenland  en  Rome,  naar 
Jiet  hoogd.  van  Mone  en  Munter  (Haarl.  1824).  1®  deel,  hl.  236. 

Suivant  les  uns,  Odin.  ^and  prêtre  et  espèce  de  prophète,  aurait  conduit 
les  Asses,  de  l'Asie  en  Europe,  vers  l'an  70  avant  J.-Ch.  ;  suivant  les  autres, 
il  y  aurait  eu  jusqu'à  quatre  Odins.  Le  plus  ancien,  fils  de  Bor,  venu 
d'Asgard  ou  Asburg,  capitale  des  Asses,  à  l'embouchure  du  Don,  serait  le 
Teut  ou  le  Wodan  des  Germains.  Le  second  Odin ,  fils  d'Hermode ,  serait 
aussi  sorti  du  pays  des  Asses  et  aurait  enseigné  aux  peuples  du  nord  la  doc- 
trine du  Walhalla.  Le  troisième  Odin,  fils  de  Triculef,  aurait ,  cinquante  ans 
avant  l'ère  vulgaire,  fui  devant  Mythridate  et  les  Romains  et  serait  venu 
chercher  un  asile  en  Suède.  Les  quatre  fils  de  cet  Odin,  seraient  devenus 
maîtres  de  la  Norwège,  de  la  Gothie,  du  Danemarc  et  de  l'île  de  Schoonen. 
Enfin  le  quatrième  Odin,  proprement  l'Odin  saxon,  aurait  vécu  au  3' 
ou  au  4"  siècle.  (  Suhm  ,  Geschichte  des  nordisch.  fahelzeit,  iihersetzt  von 
Grûter ,  1  th.,  s.  24). 

Reynier  regarde  l'Odin,  créateur  de  la  religion  des  Scandinaves  et  des 
Germains,  comme  un  personnage  idéal  et  n'y  voit  qu'une  allégorie  du 
soleil  triomphant  (Reynier,  de  VEcon.  publique  et  rurale  des  Celtes,  etc., 
p.  229). 

(l)  «  Il  y  a  douze  dieux  que  l'on  doit  servir;  Odin  est  le  premier  et  le 
plus  ancien  des  dieux  ;  il  gouverne  toutes  choses,  et  quoique  les  autres  dieux 
soient  puissans,  ils  le  servent  tous  comme  des  fils  servent  leur  père  [Edda 
Foluspa,  c.  10,  trad.  de  Mallot). 


--  275  — 

désigne  ceux  qui  doivent  être  tues,  etc.  (1),  était  principa- 
lement vëneré  comme  le  dieu  de  la  guerre  (2). 

Quelquefois  Odin  porte  le  nom  de  Baiilwerk  et  est 
considéré  comme  Fauteur  des  maux  et  des  désordres  et  le 
dieu  des  pendus  ;  c  est  ce  cjui  l'aura  fait  confondre  par  les 
Romains  ,  c[ui  n'avaient  cjue  des  notions  peu  étendues  sur 
la  mythologie  des  peuples  du  nord ,  avec  leur  Mercure , 
dieu  des  voleurs  (3). 

Quoiqu'Odin  fut  vénéré  comme  le  dieu  de  la  guerre  et 
l'auteur  de  tous  les  maux ,  TEdda  ne  laisse  pas  de  le  re- 
connaître ,  en  sa  cjualité  de  dieu  suprême ,  pour  le  père  et 
le  créateur  de  l'univers;  comme  tel  il  portait  le  nom 
à'alvuter  (père commun),  diherian  (le  seigneur),  de  nikar^ 
nikader  (le  prothée) ,  àefiolner  et  une  multitude  d'autres 
dénominations  (4).  «  Il  vit  et  gouverne  pendant  les  siècles, 
dit  TEdda  ,  il  dirige  tout  ce  qui  est  haut  et  tout  ce  qui  est 
bas ,  ce  qui  est  grand  et  ce  qui  est  petit  ;  il  a  fait  le  ciel  et 
l'air  €t  l'homme  qui  doit  toujours  vivre.  Et  avant  cjue  le 
ciel  et  la  terre  fussent ,  ce  dieu  était  déjà  avec  les  géans(5).« 

(1)  Ëdda,  c.  3  et  suiv, 

(2)  JFodan^  id  est  foriior ,  hella  régit  hominiimque  ministrat  virtutem  con- 
ira  principes  (Adam  brem..  Hist.  eccles.,  c.  233). 

(3)  Tac,  M.  G.,  c.  9. 

Jfodan  sane  quem ,  adjecta  littera,  Gwodan  diccerunt ,  ipse  est  qui  apud 
Romanos  MerciuHus  dicitur  et  ab  universis  Germaniœ  geniibus  ut  deusadora- 
iiir,  qui  non  circâ  hœc  tempora ,  sed  longe  anteriiis  nec  in  Germania  scd  in 
Grœcia  fuisse  perhibetur  (Paul.  Dlac,  Hist.  Long.).  Les  derniers  mots  de  ce 
passage  attestent  que  le  culte  d'Odin,  n'était  point  récent  dans  le  nord  de 
l'Europe.  —  Voir  aussi,  Alberici.,  Trium-Fontium,  Chron.  ad.  Ann.,  856. 
Saxo  Gram.,  Hist.  Dan.,\.  VI.  Godefr.  Viterb.  part.  l7.Fredeg.,  Chron.  apud 
Duchesne,  tom.  1 ,  p.  735.  Fita  s.  Cohimbani,  ibid.,  tom.  2,  p.  550.  Peloutier, 
Hist.  des  Celtes,  t.  5,  p.  122. 

(4)  ((Dans  les  anciennes  poésies  islandaises,  dit  Mallet,  on  trouve  le  dieu 
suprême  (Odin)  désigné  de  plus  de  cent  vingt-six  manières  difierentes.  » 
(  Mallet,  Monurnens  de  la  mythol.  et  de  la  poésie  des  Celtes ,  p.  45). 

(5)  Edda  Voluspa^  c.  3. 


-^  276  — 

On  attribuait  a  Odin  une  grande  connaissance  dans  la 
magie ,  au  moyen  de  laquelle  il  pouvait,  par  un  seul  mot, 
e'teindre  un  incendie,  calmer  les  orages,  prendre  toutes 
sortes  de  formes ,  prédire  l'avenir,  etc. 

L'Edda  représente  Odin  ,  la  tête  couverte  d'un  casque 
d'or,  et  le  corps  d'une  cuirasse  d'un  travail  précieux.  Sa 
lance ,  grungnir^  avait  été  travaillée  par  les  Alves  noirs  ; 
son  merveilleux  armillaire ,  drapner ,  produisait  toutes  les 
neuf  nuits  un  nombre  pareil  d'armillaires  semblables.  Il 
montait  le  c\ie.yd\  slèipner  qui  avait  huit  pieds  (1);  il  por- 
tait une  longue  barbe,  un  manteau  couleur  d'azur ,  et  n'avait 
qu'un  œil  au  milieu  du  front  (2).  Deux  loups,  ^eri  et  freki, 
l'accompagnaient  partout  et  étaient  nourris  de  sa  propre 
main  des  mets  qu'on  apportait  sur  sa  table  (3)  :  o  Deux  cor- 
beaux sont  toujours  placés  sur  ses  épaules  et  lui  disent  tout 
ce  qu'ils  ont  vu  et  entendu  de  nouveau;  l'un  s'appelle 
Hugin  (l'esprit),  et  l'autre  munnin  (la  mémoire).  Odin  les 
lâche  tous  les  jours  et  après  qu'ils  ont  parcouru  le  monde, 
ils  reviennent  le  soir  vers  l'heure  du  repos.  C'est  pour  cela 
que  ce  dieu  fait  tant  de  choses  et  qu'on  l'appelle  le  dieu  des 
corbeaux  (4).  » 

Odin  résidait  avec  les  autres  dieux  et  déesses  dans 
VAsgard,  forteresse  bâtie  au  centre  du  monde,  entourée 
de  trois  rivières  et  divisée  en  quatre  palais  ou  grandes  salles. 
Dans  la  première  de  ces  salles  ,  appelée  Kliscialf^  dont  le 
toit  était  d'argent,  Odin  ,  assis  sur  un  trône  d'or,  avec  son 
épouse  Frigga,  contemplait  a  ses  pieds  la  vaste  étendue  de 
l'univers.  Dans  le  second  palais  nommé  Gladheim  (  séjour 

(1)  Edda,  c.  8. 

(2)  Edda,  c.  35. 

(3)  *(  L'illustre  père  des  armées ,  le  victorieux  Odin  ,  rassasie  lui-même 
ses  deux  loups  et  ne  se  nourrit  qu'en  buvant  sans  cesse  du  vin.  )^[Edda,  20). 

(4)  Edda,  c.  20. 


277  — 


de  la  joie)  (1),  Odin  prësidaîL  le  tribunal  des  dieux  qui  se 
tenait  sous  le  fiéne  ydragsil  (2),  et  y  décidait  du  sort  des 


(1)  «  Cette  salle,  dit  TEdda,  est  la  plus  grande  et  la  plus  magnifique  du 
monde,  on  n'y  voit  que  de  Tor  au  dehors  et  au  dedans  (  Edda,  c.  7  ). 

(2)  «  Ce  frêne,  dit  Jafuahar  (  lEdda  est  écrit  en  forme  de  demandes  et 
réponses,  les  premières  faites  par  un  personnage  nommé  Gangler,  et  les 
secondes  par  Harel  Jafnahar  )  est  le  plus  grand  et  le  meilleur  de  tous  les 
arbres  :  ses  branches  s'étendent  surtout  le  monde  et  s'élèvent  au-dessus  des 
cieux.  Il  a  trois  racines  extrêmement  éloignées  les  unes  des  autres  :  l  une 
est  chez  les  dieux;  lautre  chez  les  géans,  là  où  était  autrefois  l'abîme  5  la 
troisième  couvre  le  Niflheim  (les  enfers)  et  c'est  sous  cette  racine  qu'est  la 
fontaine  de  Vergelmer.  Le  monstre  appelé  ISydkoggur  ronge  cette  racine  par 
dessous.  Sous  la  racine  qui  va  chez  les  géans  est  une  célèbre  fontaine  dans 
laquelle  la   sagesse  et   la  prudence  sont  cachées.  Celui  qui  la  possède  se 

nomme  3Iimis ;  il  est  plein  de  sagesse,  parce  qu'il  y  boit  tous  les  jours 

La  troisième  racine  du  frêne  est  dans  le  ciel,  et  sous  cette  racine  est  la 
sainte  fontaine  du  temps  passé.  C'est  dans  cet  endroit  que  les  dieux  pro- 
noncent leurs  sentences.  Tous  les  jours  ils  s'y  rendent  a  cheval,  passant  sur 

l'arc-en-ciel  qui  est  le  pont  des  dieux Pour  Thor,  il  va  a  pied  au  tribunal 

des  dieux,  et  passe  à  gué  les  fleuves  nommés  Kormt,  etc.  Thor  est  obligé 
de  les  traverser  tous  les  jours  à  pied  pour  venir  juger  sous  le  frêne  ydragsil, 
car  le  pont  des  dieux  est  tout  en  feu.  Comment,  interrompt  Gangler,  est-ce 
que  le  pont  de  Bifrost  est  en  feu?  Kar  lui  dit  :  ce  que  vous  voyez  de  rouge 
dans  l'arc-en-ciel  est  du  feu  qui  brûle  dans  le  ciel ,  car  les  géans  des  mon- 
tagnes monteraient  au  ciel  par  ce  pont,  s'il  était  aisé  a  tout  le  monde  d'y 

marcher Il  y  a  un  aigle  perché  sur  les  branches  du  frêne  semant  de 

mauvais  rapports  entre  l'aigle  perché  sur  les  branches  du  frêne  qui  fait  beau- 
coup de  choses ,  mais  il  a  entre  ses  yeux  un  épervier.  Un  écureuil  monte  et 
descend  du  frêne,  semant  de  mauvais  rapports  entre  l'aigle  et  IVidJioggur 
(le  serpent  caché  sous  la  racine).  Quatre  cerfs  courent  a  travers  les  branches 
de  l'arbre  et  en  dévorent  l'écorce.  Il  y  a  tant  de  serpens  dans  la  fontaine  de 
Vergelmer,  qu'aucune  langue  ne  peut  les  compter,  comme  il  est  dit  dans  ce 
vers  :  «  Le  grand  frêne  souffre  plus  de  choses  qu'un  homme  ne  peut  croire. 
Un  cerf  le  gâte  en  haut,  il  pourrit  dans  les  côtés,  un  serpent  le  ronge  par 
dessous.»  Et  dans  ceux-ci  :»  il  y  a  plusieurs  serpens  sous  le  grand  frêne,  etc.» 
On  raconte  de  plus  que  !es  fées  qui  se  tiennent  près  de  la  fontaine  duposse\ 
V  puisent  de  l'eau  dont  elles  arrosent  le  frêne,  de  peur  que  ses  branches  ne 
pourrissent,  ou  ne  se  sèchent.  Cette  eau  est  si  sainte  que  tout  ce  qu'elle 
touche  devient  aussi  blanc  que  la  peau  qui  enveloppe  l'intérieur  de  l'œuf.  Il 
y  a  sur  ce  sujet  de?  vers  très-anciens,   dont  voici  ic  sens:  «  Le  grand  et 


—  278  — 

guerriers  qui  avaient  péri  dans  les  combats.  Le  troisième 
palais  Vingolf,  (  séjour  de  l'amitié)  était  la  résidence  des 
déesses.  Le  quatrième ,  le  fameux  Walhalla ,  servait  de 
demem'e  aux  héros  et  à  ceux  qui  avaient  përi  de  mort  vio- 
lente. Ce  palais  avait  550  portes,  et  sa  toiture  était  formée 
par  des  boucliers  supportés  par  des  piques.  Un  loup  et  un 
aigle  en  étaient  les  gardiens.  L'arc-en-ciel  était  la  route  par 
laquelle  les  dieux  communiquaient  avec  la  terre. 

Odin  était  aussi  parfois  adoré  comme  le  dieu  du  soleil  ; 
c'est  sous  cet  emblème  que  le  reconnaît  l'Edda  de  Snorro 
Sturleson.  Son  œil  unique  était  l'image  de  cet  astre,  le  dis- 
pensateur de  la  lumière.  Considéré  comme  le  dieu  du  jour, 
Odin  doit  avoir  été  vénéré  sous  le  nom  de  Hlôder  ou  Lodin 
(le  feu).  Le  principal  sanctuaire  du  soleil  parait  avoir  été 
à  Leyra  dans  la  Sélande  danoise 

Dans  les  Pays-Bas ,  Odin  était  particulièrement  vénéré  a 
G  and  et  dans  l'île  de  Walclieren  oîi  il  portait  le  nom  de 
Walcher.  Dans  Tancienne  légende  de  Saint-Willebrorde, 
ce  dieu  est  ^  suivant  la  coutume  des  latins,  métamorphosé 
en  Mercure. 

Le  quatrième  jour  de  la  semaine  était  consacré  à  Odin , 
sous  le  nom  de  Gotendag ,  Gutendag ,  Onsdag ,  Fintzdag , 
Wodestag ,  Fadertag.  Ce  même  jour  porte  encore  en  fla- 
mand le  nom  de  fVoensdag.  Le  dimanche  lui  était  aussi 
dédié ,  comme  au  dieu  de  la  lumière ,  sous  le  nom  de 
Sonsdag^  sondagar. 

Odin   avait  plusieurs   épouses,  Jord,   Skade,  Geydur, 


sacre  frêne  est  arrosé  par  une  eau  blanche  d'où  vient  la  rosée  qui  tombe 
dans  les  vallées  et  qui  sort  de  la  fontaine  du  passé.  »  Les  hommes  appel- 
lent cette  rosée,  rosée  de  miel;  c'est  la  nourriture  des  abeilles.  Il  y  a  aussi 
deux  cignes  dans  cette  fontaine  qui  ont  produit  tous  les  oiseaux  de  cette  es- 
pèce. »  [Edda  roluspa ,  c.  8.  ) 


—  279  — 

Rinda  et  Frigga  ou  Freya  ,  (la  femme  par  excellence)  (1). 
Cette  dernière,  fille  de  Fiorgun  (2),  était  la  plus  considérée 
des  femmes  d'Odin  ,  et  tenue  par  les  Danois  pour  la  prin- 
cipale de  leurs  divinités.  Frigg  était  la  même  que  la  terre 
et  THertus  {herta ,  de  aerde)  de  Tacite  (3).  Déesse  des 
hymens ,  elle  était  invoquée  par  les  femmes  enceintes. 
Elle  dispensait  les  plaisirs ,  le  repos  et  les  voluptés  (4).  En 
un  mot  c'était  la  Vénus  des  peuples  du  nord  ;  et,  comme  les 
Latins,  les  Germains  avaient  consacré  le  vendredi  à  la 
déesse  des  amours,  sous  le  nom  de  Freytag  ou  Freydagar. 
On  la  confondait  quelquefois  avec  la  lune ,  qu'on  croyait 
avoir ,  comme  Freya,  de  l'influence  sur  la  génération  et  la 

(i)  a  C'est  d'elle,  dit  lEdda,  que  les  dames  ont  reçu  le  nom  qu'on  leur 
donne  dans  notre  langue.  »  Edda,  c.  13.  En  effet  de  Freya  paraît  dérivé  le 
mot  allemand  frau  et  le  flamand  vrouw. 

(2)  L'Edda,  au  chap.  5,  la  dit  fille  et  femme  d'Odin;  sans  doute  parce 
qu'Odin  étant  considéré  comme  le  plus  ancien  des  dieux  et  le  créateur  de 
toutes  choses,  devait  dans  ce  sens  être  regardé  comme  le  père  de  Frigga. 
Cependant  dans  un  autre  passage  TEdda  donne  à  la  terre  Oner,  pour  père, 
et  pour  mère  la  nuit,  fille  du  géant  IVor. 

«  C'était  l'opinion  de  tous  les  peuples  celtes ,  dit  Mallet ,  des  anciens 
Syriens  et  des  premiers  habitans  de  la  Grèce, que  l'être  suprême,  ou  le  dieu 
céleste  s'était  uni  avec  la  terre  pour  produire  les  divinités  subalternes, 
l'homme  et  toutes  les  autres  créatures.  C'était  la  dessus  qu'étaient  fondés  la 
vénération  qu'ils  avaient  pour  elle  et  les  honneurs  qu'ils  lui  rendaient  »  {in- 
trod.  à  l'Histoire  du  Danem.^  liv.  II,  p.  158). 

Sur  l'allégorie  ou  le  sens  mystique  du  mariage  d'Odin  (principe  actif  de  la 
nature  )  avec  Freya  (principe  passif  de  la  nature) ,  voir  Reynier,  de  VEcon. 
piihl  et  rur.  des  Celtes,  etc.,  p.  14.  —  Il  est  inutile  d'avertir  qu'il  ne  faut 
point  confondre  la  Freya  dont  il  est  ici  question,  avec  son  homonyme  dont 
il  sera  parlé  plus  loin. 

(3)  Hcrthum,  id  est  terram  matrem  colunt,  eamque  intervenire  relus  ho- 
minum  ,  invehi  populis  arbitrantur  (Tac.  M.  G. ,  c.  40). 

Keysier  prétend  à  tort,  que  l'Hertus  de  Tacite  est  le  soleil  [Keysler, 
antiq.  Septeni..  p.  158). 

(4)  «  Elle  exauce  très-favorablement  les  vœux  de  ceux  quilui  demandent 
son  assistance...  Elle  aime  beaucoup  les  poésies  galantes  et  il  est  bon  de 
l'adorer  pour  être  heureux  en  amour.  »  Edda,  c.   13. 


-  280  — 

reproduction  des  êtres;  de  la  vient  que  la  pleine  lune  était 
regardée  comme  le  temps  le  plus  favorable  pour  les  noces. 

Chez  les  peuples  du  nord ,  dont  le  génie,  en  tout  différent 
de  celui  des  peuples  méridionaux,  ne  voyait  partout  et  jus- 
que dans  le  culte ,  que  Timage  de  la  guerre  et  de  la  destruc- 
tion, Frigga,  la  déesse  des  plaisirs,  assistait  avec  son  époux 
Odin,  aux  combats,  et  partageait  avec  lui  les  âmes  de  ceux  qui 
avaient  péri  par  la  guerre  (1).  On  lui  attribuait,  comme  à 
son  époux,  la  connaissance  de  l'avenir .  «Frigga  prévoit, 
dit  TEdda ,  les  destinées  des  hommes ,  mais  elle  ne  révèle 
jamais  l'avenir ,  comme  cela  parait  par  ce  discours  en  vers 
qu  Odin  tint  à  Loke  :  a  insensé  Loke!  comment  veux-tu  con- 
naître la  destinée  ?  Frigga  seule  connaît  l'avenir  ,  mais 
elle  ne  le  découvre  a  personne  (2).»  Frigga  se  transformait 
souvent  en  oiseau ,  pour  mieux  épier  et  découvrir  ce  qui  se 
passait  dans  le  monde,  sans  être  reconnue. 

Elle  avait  la  garde  du  palais  Wingolf^  où  elle  résidait 
avec  les  déesses  subalternes  ;  mais  sa  demeure  ordinaire 
était  le  palais  Faisal ,  où  elle  était  servie  par  Gua  et  Fui- 
ler^  ministres  de  ses  ordres.  Lorsqu'elle  sortait  de  son 
palais  elle  était  assise  sur  un  char  traîné  par  deux  chats. 

Après  Odin ,  le  premier  rang  parmi  les  dieux  des  Scan- 
dinaves et  des  Germains  appartenait  a  Thor  ,  l'aîné  et  le 
plus  vaillant  des  fils  de  ce  dieu  suprême  (3).  Comme  celle  de 
Jupiter,  l'autorité  de  ce  dieu,  dont  le  caractère  propre  était 
une  force  invincible,  s'étendait  sur  les  vents,  les  saisons 
et  particulièrement  sur  la  foudre  (4);  on  le  regardait 

(1)  Edda,  c.  13. 

(2)  Edda,  c.  10. 

(3)  Edda.  c.  7.  —  On  l'appelait  aussi  Asa  Thor  (le  seigneur  Thor)  et 
Jku  T/i  or  (l'agile  Thor). 

(4)  Thor,  inquiunty  prœsidet  in  aère,  qui  tonnitrus  et  fulmina,  venlos 
imbresque,  serena  et  fruges  guhernat  (Adam  brem.  loc.  cit.).  Thor  ctim 
scpptro  jovem  exprimere  videiur  (Ibid.,  p.  223). 


-^  281  — 

comme  le  dieu  tutëlaire  des  hommes,  et  leur  prolec leur 
contre  les  gëans  et  les  mauvais  ge'nies.  C'est  pourquoi  son 
palais  ,  qui  contenait  540  salles ,  était  nomme  Bilskimer, 
asile  contre  la  terreur.  L'Edda  le  considère  encore  comme 
le  défenseur  et  le  vengeur  des  dieux  et  le  plus  intrépide 
Î3uveur  de  ï^sgard  (1);  ce  cjui ,  chez  les  habitans  du  nord, 
n'était  pas  regarde  comme  un  talent  peu  distingue.  Le 
royaumedeThor,  appelé  Trudheim  ou  Trudhwang e r  ser\diil_ 
de  séjour  aux  âmes  du  vulgaire;  il  y  recevait  même  celles 
des  esclaves.  Thor  ouvrait  l'année  dont  le  premier  mois 
lui  était  consacré  ,  de  même  que  le  jeudi  qui ,  en  son  hon- 
neur ,  portait  le  nom  de  Thorsdag ,  en  flamand  Donderdag 
(jour  du  tonnerre).  Le  chêne  était  l'arbre  de  Thor  et  son 
bois  servait  à  nourrir  le  feu  sacré  qui  brûlait  continuelle- 
ment sur  les  autels  de  ce  dieu ,  parce  cju'il  fut  le  premier 
qui  connut  l'emploi  de  cet  élément  (2). 

On  croyait  que  Thor  produisait  le  tonnerre  ,  en  traver- 
sant avec  fracas  l'espace  des  cieux  dans  un  char  traîné  par 
deux  béliers ,  remplacés  plus  tard  par  deux  boucs ,  et  la 
foudre,  en  lançant  le  marteau  Tlfe^o/Z^iV  ou  Miolner.  Il  por- 
tait une  ceinture  ,  emblème  de  l'arc-en-ciel ,  et  des  gante- 
lets de  fer.  a  Le  char  de  Thor,  dit  TEdda,  est  tiré  par  deux 
boucs  ;  c'est  sur  ce  char  qu'il  va  dans  le  pays  des  géans , 
aussi  l'appelle- t-on  le  rapide  Thor.  Il  possède  de  plus  trois 
choses  précieuses  :  la  première  est  une  massue ,  nommée 
Miolner  j  que  les  géans  de  la  gelée  et  ceux  des  montagnes  , 


(1)  Edda,  c.  11,  25  et  26. 

(2)  Gaguin,  parlant  de  Perunns ,  dieu  des  Prussiens  et  probablement 
le  même  que  Thor,  sous  un  nom  différent,  dit  :  m  hiijus  laudem  et  honore  m 
ifjnis  ex  quercubus  construebaiur.  qui  diè  7ioctuque  perpetuo  ardehat  et  nun- 
quam  extinguehatur.  Quod  si  neglir/eiifiâ  ministroriim  ad  hoc  ofjRcium  prœs- 
landiim  depuiandorum ,  igncm  extingui  contingerit ,  capifali  svpplicio  affl- 
ciehantvr  (Gaguini,  descript,  Prtissiœ,  p.  2). 


—  282  — 

reconnaissent  bien  quand  ils  la  voyent  lancée  contre  eux 
dans  les  airs;  et  cela  n'est  pas  étonnant ,  car  ce  dieu  a  sou- 
vent brisé  de  celte  massue  les  têtes  de  leurs  pères  et  de  leurs 
parens.  Le  second  joyau  qu'il  possède  ,  est  ce  qu'on  nomme 
le  baudrier  de  vaillance  ;  lorsqu'il  le  ceint,  ses  forces  s'aug- 
mentent de  moitié.  Le  troisième  qui  est  fort  précieux, 
sont  ses  gants  de  fer ,  dont  il  ne  peut  se  passer  quand  il 
veut  prendre  le  manche  de  la  massue  (1).  » 

Tlior  eut  de  Sief,  son  épouse ,  dont  les  bardes  ont 
souvent  chanté  la  belle  chevelure  dorée,  un  fils  nommé 
Oller  ou  Huiler  qu'on  invoquait  dans  les  duels  et  a  la  chasse, 
et  une  fille  cpi  reçut  le  nom  de  Thruda.  Auprès  delà  géante 
Jarnfane  il  procréa  Mague  et  Mode  qui  seuls  devaient  sur- 
vivre à  la  destruction  du  monde.  Tjalf  el  Rauska  éi2àGni 
les  fidèles  servans  d'armes  de  Thor. 

Odin ,  Frigga  et  Thor  composaient  la  cour  ou  le  conseil 
suprême  des  dieux  germaniques  (2).  Les  divinités  du  second 
rang  dont  FEdda  fait  mention  sont  :  Niord^  Freyr,  Balder^ 
Tyr^  Brage,  Heimdall,  Hoder,  Fidar,  Vile^  Uller  et  Forsete, 
iWorJ régnait  sur  la  mer  et  les  vents  et  était  père  de  Freyr  et 
de  Frigga.  «  On  doit  rinvoc|uer,  dit  TEdda,  pour  c|u  il  rende 
heureuses  la  navigation ,  la  chasse  et  la  pêche.  »  On  invo- 
quait aussi  Niord,  pour  acquérir  des  trésors  et  des  richesses. 
11  n'était  pas  de  la  race  des  dieux,  mais  de  celle  des  vanes. 
Son  épouse,  Skade,  était  fille  du  géant  Thiasse ^  et  habitait 
dans  les  montagnes  avec  son  père,  tandis  que  son  époux 
avait  fixé  sa  demeure  près  delà  mer.  Cependant  ils  étaient 
convenus  de  rester  ensemble  neuf  nuits  dans  les  montagnes 

(1)  Eikla,  cil. 

(2)  Cependant  l'opinion  est  partagée  sur  le  rang  qu'occupait  Frigga  dans 
rOlympe  du  nord.  Plusieurs  auteurs  modernes  mettent  au  rang  des  dieux 
suprêmes  Freyr,  frère  de  Frigga,  duquel  nous  parlerons  tantôt,  et  ne  regar- 
dent Frigga  que  comme  une  divinité  du  second  ordre. 


—  283  — 

et  trois  sur  les  bords  de  la  mer.  Au  reste  Niord  n  était  pas 
le  seul  dominateur  de  la  mer  ;  FOcëan  était  aussi  régi  par  un 
autre  dieu,  ^gii\  ou  Hler^  de  la  race  des  Jettes,  race  plus  an- 
cienne que  celle  des  Asses.  Antérieurement  encore ,  la  mer 
était  le  domaine  d'un  serpent  monstrueux  qui  dans  ses  re- 
plis embrassait  la  terre  entière  et  portail  le  nom  de  Midgar- 
son  et  àe  Jormungaudur  (ceintre  delà  terre).  L'ëpouse  de 
Lher,  s'appelait  ^ûf7^  ou  Rauna.  Ils  avaient  pour  filles  neuf 
nymphes. 

Outre  Niord  les  vents  avaient  pour  maître  Kar.  Ce  dieu , 
Hier  et  Loke  étaient  tous  trois  fils  du  vieux  Get ,  ou  mau- 
vais génie  de  la  terre,  Fainjoter. 

Freyi\  fils  de  Niord,  présidait  aux  saisons  de  Tannée  et 
donnait  la  paix ,  la  fertilité  et  les  richesses.  11  était  en 
même  temps  vénéré  comme  protecteur  des  hyménées.Ea 
général  on  paraît  avoir  attribué  à  ce  dieu  la  force  générative 
et  l'avoir  représenté  avec  les  attributs  du  priape  romain  (1). 

Baldei\  second  fils  d'Odin ,  était  le  dieu  de  l'éloquence  (2). 
«  Il  est ,  dit  l'Edda ,  d'un  très-bon  naturel ,  en  grande  vé- 
nération parmi  les  hommes ,  si  beau  de  sa  figure  et  d'un 
regard  si  éblouissant  qu'il  semble  répandre  des  rayons  :  et 
pour  vous  faire  comprendre  la  beauté  de  ses  cheveux ,  vous 
devez  savoir  que  l'on  appelle  la  plus  blanche  des  herbes  le 
sourcil  de  Baîder.  Ce  dieu  si  brillant  et  si  beau  est  aussi  très- 
éloquent  et  très-bon  ,  mais  telle  est  sa  nature ,  qu'on  ne  peut 
jamais  rien  changer  aux  jugemens  qu'il  a  prononcés  (3).  » 

Tyr,  que  l'Edda  appelle  le  plus  hardi  et  le  plus  intré- 
pide des  dieux,  dispensait  la  victoire.  Pour  désigner  un 

(1)  Tertins  (la  troisième  idole  dans  le  temple  d'Upsal) ,  est  FriggOf  pacem 
volwptate nique  largiens  mortalitus.  Ciijus  eiiam  simulacriiin  pngunt  ingcnti 
Priapo  (Adam  Bremens,  1.  IV,  c.  234). 

(2)  Mallct  croit  quMI  était  le  même  que  le  Belcnus  des  Celtes. 

(3)  Eddo,  c.  12. 


—  284  --. 

Isomme  d'une  valeur  éprouvée,  on  disait  il  esihra^e  com?iie 
Tijr  (V),  Le  troisième  jour  de  la  semaine  lui  était  consa- 
cré et  en  reçut  le  nom  de  Tewes^  Tydes  ou  Tirsdag,  en  fla- 
mand Diensdag. 

Brage,  célèbre  par  sa  sagesse ,  par  son  éloquence  et  son 
air  majestueux,  était  le  dieu  de  la  poésie  :  «  C'est  de  lui,  dit 
TEdda  ^  que  cet  art  est  appelé  Bragiir  et  que  les  poètes  dis- 
tingués ont  reçu  leur  nom.  La  femme,  ajoute-t-elle,  s'ap- 
pela Iduiia.  Elle  garde  dans  une  boite  des  pommes  dont 
les  dieux  goûtent,  cjuand  ils  se  sentent  vieillir,  parce 
qu  elles  ont  le  pouvoir  de  les  rajeunir.  C'est  par  ce  moyen 
qu'ils  subsisteront  jusqu'à  la  fin  des  siècles  (2). « 

Heimdall  ^  ou  le  dieu  aux  dents  d'or ,  fils  de  neuf  vierges 
et  sœurs,  éiuit  le  gardien  des  dieux  ;  il  se  tenait  à  l'entrée 
du  ciel,  au  bout  du  pont  de  Bifrost  (l'arc-en-ciel  ),  dans 
un  château  nommé  le  fort  céleste^  afin  d'empêcher  les  géans 
de  forcer  le  passage  de  l'olympe  germanique.  «  îl  entend 
rherbe  croître  sur  la  terre,  la  laine  sur  les  brebis  et  tout  ce 
qui  fait  le  moins  de  bruit.  îl  a  outre  cela  une  trompette 
qui  se  fait  entendre  par  tous  les  mondes  (3),  » 

«  On  compte  aussi  parmi  les  dieux,  dit  TEdda  ,  Hôd^r, 
qui  est  aveugle,  mais  extrêmement  fort;  les  dieux  et 
les  hommes  conserveront  un  long  souvenir  de  ses  ex- 
ploits. Le  neuvième  dieu  est  le  taciturne  Vidar^  qui  porte 

(1)  Ne  serait-ce  pas  Tvr  que  Tacite  aurait  entendu  sous  le  nom  d'Her- 
cule? fuisse  apud  eos  (Germauos),  et  Herculem  memorant;  primumque 
omnium  virorum  fortium  iluri  in  prœlia  caniint  (  M.  G.,  c.  3). 

Ou  cette  tradition  d'un  Hercule  venu  dans  la  Germanie,  ne  se  rapporterait- 
elle  pas  à  quelque  expédition  des  Tyriens  qui,  comme  on  sait,  trafiquaient 
jusque  sur  les  côtes  de  la  Norwège ,  où  l'opinion  la  plus  vraisemblable  place 
Tile  mystérieuse  de  Thule.  Voir  cependant  ce  que  Mone  dit  sur  cette  tradi- 
tion :  Geschichte  des  heidcnthums  in  nordl.  Evropa,  t  th.,  s.  9. 

(2)  Edda,  c.  14. 

(3)  Edda.  c.  15. 


-  285  — 

des  souliers  fart  ëpals ,  et  si  merveilleux ,  qu  il  peut ,  avec 
leur  secours,  marcher  dans  les  airs  et  sur  les  eaux;  il 
est  presque  aussi  fort  que  le  dieu  Tlior  lui-même,  et  il 
est  d  un  grand  secours  aux  dieux  dans  les  conjectures  cri- 
tiques. 

c(  Le  dixième  dieu,  Vile  ou  f^ali^  est  l'un  des  fils  d'Odin 
et  de  Rinda;  il  est  audacieux  à  la  guerre  et  très-habile 
archer.  Le  onzième  est  Uller ,  fils  de  Si  fia ,  beau-fils  de 
Thor  ;  il  tire  des  flèches  avec  tant  de  promptitude  et  court 
si  bien  en  patins ,  que  personne  ne  peut  combattre  avec 
lui.  Il  est  d'ailleurs  d'une  belle  figure,  et  possède  toutes  les 
qualités  d'un  héros  ;  c'est  pourquoi  il  est  bon  de  l'invoquer 
dans  les  duels. 

«  Forsetc,  fils  de  Balder,  est  le  douzième  dieu  ;  il  possède 
dans  le  ciel  un  palais  qu'on  nomme  Gutner.  Tous  ceux 
qui  le  prennent  pour  juge  dans  leurs  procès  s'en  retour- 
nent réconcilies  (1).» 

Les  déesses  de  l'Asgard  e'taient,  suivant  l'Edda,  Frigga, 
dont  nous  avons  parlé;  Saga;  Eira  qui  faisait  la  fonction 
de  médecin  des  dieux  ;  la  vierge  Géfione  qui  recueillait  les 
âmes  des  filles  mortes  en  état  de  virginité  ;  la  vierge  Fylla^ 
chargée  de  la  toilette  de  Frigga;  Freya  la  plus  illustre  des 
déesses  après  Frigga  et  épouse  d'Oder  dont  elle  eut  Nona, 
«  fille  si  belle,  qu'on  appelle  de  son  nom  tout  ce  qui  est  beau  et 
précieux  ;  »  Siona,  Lôvna  et  Vara  toutes  trois  déesses  favo- 
rables aux  amans  ;  Vora^  prudente ,  sage  et  si  curieuse  que 
rien  ne  pouvait  lui  demeurer  cache  \  Synia,  la  portière  du 
palais  de  Frigga.  Elle  était  aussi  préposée  aux  procès  où  il 
s'agissait  de  nier  quelque  chose  par  serment  (d'où  venait  le 
proverbe  :  Synia  est  près  de  celui  qui  va  ?iier^  ;  Lyra  qui  veil- 
lait sur  ceux  que  Frigga  voulait  délivrer  de  quelque  péril  ; 

(1)  Edda,  c.  15. 


—  286  — 

Snotra ,  déesse  de  la  sagesse  ;  Gua  la  messagère  de  Frigga  ; 
elle  montait  un  cheval  qui  courait  à  travers  les  airs  et  les 
feux;  Soif  BU,  Rinda,  mcre  de  Yalé  et  quelques  autres  ha- 
bitantes de  rOlympe  germanique ,  mais  qui  doivent  être 
plutôt  classées  parmi  les  fées  et  les  génies  ,  que  parmi  les 
déesses. 

Outre  ces  divinités  générales ,  chaque  peuple  germain 
avait  ses  divinités  locales  et  tutélaires.  Dans  le  chapitre 
précédent  nous  avons  énuméré  la  plupart  des  dieux  spé- 
ciaux de  la  Belgique ,  que  Mone  regarde  comme  des  divi- 
nités d'origine  celtique  ,  mais  dont  plusieurs  n'ont  peut- 
être  commencées  à  être  honorées  dans  cette  contrée  que 
sous  la  période  germanique.  Quant  au  dieu  Namiis ^  cjui, 
suivant  quelques  chroniqueurs  du  moyen  âge,  aurait  donné 
son  nom  a  la  ville  de  Namur ,  il  parait  douteux  qu'une  divi- 
nité de  ce  nom  ait  jamais  été  vénérée  en  Belgique.  On 
peut  en  dire  autant  du  diable  (ou  dieu)  Ehroin  qui,  à  ce  que 
prétend  Cousin  ,  aurait  reçu  un  culte  a  Tournai, 

Les  peuples  germains  adressaient  aussi  leurs  vœux  aux 
sources  et  aux  fontaines,  aux  lacs,  aux  rivières  et  aux 
fleuves ,  parmi  lesquels  on  vénérait  particulièrement  le 
Rhin  (1) ,  aux  arbres ,  aux  rochers  et  aux  montagnes  (2). 


(1)  ïacit.,  Hist,  1.  IV.  Procop.,  5eZZ.  Goth.,  1.  II,  c.  25. 

(2)  Arborum  illis  (  Alemmanis),  cultus  et  amnium  colliumque  et  vallum 
(  Agath.,  Hist.  Just,  1.  I  ).  Grégoire  de  Tours  parle  du  culte  rendu  par  les 
Francs  aux  artres,  aux  fontaines,  aux  oiseaux  et  aux  quadrupèdes  {Hist. 
Franc.,  I.  11,0.  10  et  Adam  Brenn.). 

C'était  surtout  au  chêne,  l'arbre  de  Tlior,  que  les  Germains,  comme  les 
Gaulois,  vouaient  un  culte  particulier  :  Alii  (Hessl)  etiam  lignis  et  fontihus 

vlaneuh,  alii  apertè  sacrificahant arborent  qiiamdam  mifœ  magnitudinis, 

quœ  prisco  paganorum  vocahulo  appellatur  rohur  jovis ,  in  loco  qui  dicitur 
Gicesmere,  servis secumadstantibus,  succindere  teiiiavit  {Vf  ïWihalàus,  Fitas. 
Bonifacii  in  act.  ss.  ord.  Bened.  sœc.  3  pars.,  2°  et  Kejsler,  Jntiq.  septent. , 
|)ag.  63  ). 


-  287  - 

Cette  superstition  se  soutint  même  longtemps  après  Tin- 
troduction  du  christianisme  en  Belgique,  comme  il  conste 
par  les  nombreuses  défenses  faites  par  des  conciles  et  les 
rois  francs  (1).  Ce  n'e'taient  pas  ces  objets  matériels  mêmes 
que  vénéraient  les  peuples  du  nord ,  mais  les  génies  dont 
ils  les  croyaient  animés  ;  car  dans  leur  opinion  tout  objet 
dans  la  nature  avait  une  ame.  On  prétendait  que  ces  intel- 
ligences étaient  douées  d'une  parfaite  connaissance  de  l'ave- 
nir ,  qu  elles  avaient  le  pouvoir  d'empoisonner  les  eaux , 
d'exciter  les  tempêtes,  en  un  mot  quelles  étaient  toute  puis- 
santes dans  l'élément  auquel  elles  étaient  identifiées. 

Les  esprits  qui  animaient  les  eaux  étaient  appelés  Nikkers. 
On  croyait  qu'ils  se  présentaient  sous  la  forme  de  feux  fol- 
lets pendant  les  fortes  chaleurs  de  l'été.  Depuis  Tinlroduc- 
tion  du  christianisme  en  Belgique  ,  le  vulgaire  est  dans  la 
croyance  que  ces  émanations  phosphoriques  sont  les  âmes 
des  enfans  morts  avant  le  baptême. 

Les  esprits  ou  génies  des  bois,  auxquels  les  Germains 
croyaient ,  comme  les  Gaulois,  ainsi  qu'il  a  été  dit  dans  le 
chapitre  précédent,  étaient  censés  rechercher  le  commerce 
des  femmes.  Ces  esprits  étaient  donc  (2) ,  sous  un  nom 
différent ,  les  incubes  et  les  succubes  qui  effraient  encore 
aujourd'hui  l'imagination  du  vulgaire  (en  flamand,  Nacht- 
maeren  ou  NacJitmerrien).  «  C'était  surtout  à  Fheure  de 
midi,  dit  Mallet,  qu'on  redoutait  ces  esprits  malins,  et  en 
quelques  endroits  on  se  fait  toujours  un  devoir  de  tenir 

(1)  De  arhoribus  vel  pétris  vel  fontibus  ubi  aliqui  stulti  luminarîa  vel 
alias  observationes  faciunt,  omnitio  mandemus  vt  iste  pessimus  usits  et 
deo  execrabilis ,  ubiciimque  invenitur ,  lollatur  et  destruatur  (  Capitul.,  I. 
a°  789,  c,  63). —  Si  quis  ad  fontes  aut  arbores  vel  lacos  votiiin  fecerit,  aut 
aliquis  more  gentiUum  ohtalerit  et  ad  honorem  de moniorum comme derit,  etc. 
(  Ibid. ,  c.  21  ). — simili  modo  qui  ad  arborent  quem  ruslicï  sanctum  (  Al., 
Sanguinum)  vocant,  atque  ad  fontanas  adoraverit,  aut  sacrilegium  vel  in~ 
(2)  Aiigust.  €iv.  Bei,  1.  XV,  c.  22, 


—  288  — 

compagnie  à  cette  heure  aux  femmes  en  couche ,  de  peur 
que  le  démon  du  midi  ne  les  attaque ,  s'il  les  trouve  seu- 
les (1).  >>  On  divisait  les  esprits  (Jlven)  en  esprits  blancs 
et  noirs  ;  et  les  génies  ou  fces  {Nornen)  en  bons  génies  ou 
génies  lumineux  et  en  génies  des  ténèbres  :  a  Les  génies 
lumineux,  dit  FEdda,  sont  plus  brillans  que  le  soleil ,  mais 
les  noirs  sont  plus  noirs  que  la  poix.  «Les  premiers  avaient 
leur  demeure  dans  le  ciel;  elle  s'appelait  Halfheim.  Celle 
des  derniers  était  dans  l'intérieur  de  la  terre.  Parmi  les 
bons  génies  on  distinguait  les  fées  Urda  (le  passé )^  Ve- 
randi  (le  présent)  et  Skulda  (l'avenir).  Ces  trois  vierges 
dispensaient  l'âge  des  hommes;  d'autres  assistaient  à  la 
naissance  des  enfans  pour  décider  de  leur  destinée  (2). 

Les  peuples  du  Nord  accordaient  un  grand  pouvoir  aux 
géanset  aux  nains  qui,dans  leur  croyance,  séjournaient  dans 
les  cavernes  et  les  souterrains ,  s'habillaient  de  peaux  ,  vi- 
vaient  de  la  chasse,  déchiraient  la  chaire  crue  des  animaux 
avec  leurs  dents,  attaquaient  leurs  ennemis  pendant  la  nuit, 
les  assassinaient  et  les  dévoraient.  «  Cette  espèce  de  créatu- 
res s'était  formée  dans  la  poudre  de  la  terre,  comme  les  vers 
naissent  dans  un  cadavre.  En  effet  c'était  dans  le  corps  du 

caniatlonem  fecerit,  simiîiter  médium  pretii  sui  componat  in  sacro  palatio 
(  Leg.  Lultprandi. ,  1.  Il,  tit.  38,  ^  1).  —  Suwmo  decertare  debent  studio 
episcopi  et  eorum  ministri,  ut  arbores  dœmonibus  consecratœ ,  guas  vulgus 
colit  et  in  tanta  veneratione  habet ,  ut  nec  raniiim  nec  furculum  inde  audeat 

amputare ,  radicitus  excidantur  atque  comburantur Ut  lapides  quoque 

quos  in  ruinosis  locis  et  silvesiribus  dœmonwm  ludifiationibus  decepti  vene- 
raniur  ubi  et  vota  votent  et  deferunt  funditus  effodiantur,  atque  in  tali  loco 
projiciantur ,  ubi  nunquam  à  cultoribus  suis  inveniri  possint  (  Concil  Nannet. 
can.  20  ).  —  IVon  licet  compensas  in  domibus  propriis  nec  pervigilia  festi- 
vitatibus  sanctorum  facere  ;  nec  inter  sentes  aut  ad  arbores  sacrivos  vel  ad 
fontes  vota  absolvere  (Concil.  Autodun.  a°,  578).  Voir  aussi  le  22^  Canon  du 
Conc.  de  Tours,  en  567.  Capit.  Carol.,  M.  ann.,  769. 

(1)  Mallet,  Notes  sur  VEdda,  c.  9, 

(2)  Edda,  c.  8, 


—  289  — 

géant  Fme  quils  s'étaient  engendrés,  et  qu'ils  avaient  reçu 
le  mouvement  et  la  vie.  Dans  le  principe  ils  n'étaient  que 
des  vers  ;  mais  par  l'ordre  des  dieux  ,  ils  participèrent  à  la 
raison  de  l'homme  et  à  sa  figure ,  habitant  toujours  cepen- 
dant dans  la  terre  et  entre  les  rochers.  Modsogner  est  le 
premier  et  le  plus  considérable  d'en tr 'eux;  le  second  se 
nomme  Djrin  (1).  »  On  supposait  aux  nains  une  grande 
habileté  à  travailler  les  métaux  ;  ils  avaient  des  cavernes 
pleines  de  trésors  à  leur  disposition.  Comme  ils  étaient 
faibles  et  peu  courageux,  on  se  les  figurait  rusés,  artifi- 
cieux et  déloyaux;  on  disait  qu'ils  tombaient  sur  leurs  en- 
nemis pendant  la  nuit  et  cju'après  les  avoir  tués ,  ils  dévo- 
raient leurs  cadavres. 

Les  géans  ne  jouent  pas  un  rôle  moins  grand  dans  la  my- 
thologie du  Nord  que  dans  celle  de  l'Orient.  De  même  que 
chez  les  Grecs,  les  géans ,  dans  la  croyance  des  Scandinaves 
et  des  Germains,  étaient  les  ennemis  des  dieux  et  continuel- 
lement en  guerre  avec  eux.  Le  pays  qu'ils  habitaient  s'appe- 
lait Jo/2mAe//72  ou  demeure  des  Jettes.  Nor ,  le  plus  ancien 
des  geans,  eut  pour  fille  la  nuit,  noire  comme  toute  sa  fa- 
mille. Elle  procréa  à'Onar  la  terre  et  de  DagUnger  le  jour, 
brillant  et  beau ,  parce  que  son  père  était  de  la  race  des 
dieux.  Comme  dans  la  croyance  des  peuples  du  nord  la 
nuit  est  censée  précéder  le  jour,  la  première,  faisant  jour-' 
nellement  le  tour  du  monde  sur  son  cheval  Rinfaxa  (  cri- 
nière gelée),  dont  1  écume  qui  dégouttait  de  son  frein  (la 
rosée  )  arrosait  la  terre ,  était  suivie  du  jour  porté  par  le 
cheval  Skinfaxa  (crinière  lumineuse),  dont  la  crinière  bril- 
lante éclairait  l'air  et  la  terre.  Une  géante,  vieille  magicienne, 
qui  demeurait  dans  la  foret  de  Jarnvid  (aux  arbres  de  fer), 

(1)  Edda,  c.  7.  et  note  e  de  Mallet,  sur  ce  chapitre. — Voir  sur  la  croyance 
actuelle  de  nos  paysans  aux  nains ,  nos  Essais  hist.  sur  les  usages ,  les  croy., 
les  tradit.,  etc.,  des  Belges  anc.  etmod.,  V"  partie,  p.  230. 

Tome  I.  -  19 


—  290  — 

a  l'orient  de  Midgard,  donna  le  jour  à  plusieurs  géans,  qui 
avaient  tous  la  forme  de  bétes  féroces,  et  a  deux  loups,  dont 
1  un  poursuit  continuellement  le  soleil  qu  il  doit  dévorer  à 
la  fin  du  monde;  Fautre,  appelé  M anag  armer  (^monstre  qui 
s'engraisse  des  hommes  prêts  a  mourir)  s'attache  a  la  pour- 
suite de  la  lune.  Lorsqu'il  y  avait  éclipse  d^  lune ,  les  Ger- 
mains croyaient  que  ce  loup  était  prêt  à  la  dévorer  (1). 
Pour  l'effrayer  et  lui  faire  lâcher  prise,  ils  jetaient  de  grands 
cris  et  frappaient  sur  des  instrumens  de  cuivre.  Cette  super- 
stition subsistait  encore  en  Belgique  au  milieu  du  8^  siècle, 
comme  nous  le  verrons  dans  la  seconde  partie  du  liv.  1  de 
cet  ouvrage. 

Un  géant ,  sous  la  forme  d'un  aigle,  produisait  le  vent  du 
nord,  en  battant  des  ailes.  Le  géant  5w^5wr,  était  regardé 
comme  l'auteur  de  Télé;  Stormer  et  Wasedur,  pour  ceux 
de  l'hiver. 

Le  plus  terrible  ennemi  des  dieux  parmi  les  géans  était 
Loke ,  le  calomniateur  des  dieux ^  V artisan  des  tromperies^ 
V  opprobre  des  dieux  et  des  hommes.  Ce  géant,  le  mauvais 
principe  ou  le  démon  des  Germains,  était  fils  du  géant 
Tarhante  et  de  Laufeja.  «  Loke,  dit  l'Edda ,  est  beau  et 
bienfait ,  mais  il  a  Vesprit  mauvais ,  léger  et  inconstant;  il 
surpasse  tous  les  hommes  dans  cette  science  qu'on  nomme 
ruse  et  perfidie.  Il  a  souvent  exposé  les  dieux  aux  plus 
grands  périls ,  et  les  en  a  souvent  tirés  par  ses  artifices.  »  Il 
eut  de  sa  femme  Sigiiie  ,  Nar^  et  plusieurs  autres  fils,  et  de 
la  géante  Angerhode  (messagère  de  malheur),  trois  enfans , 
le  loup  Fenris ,  le  grand  serpent  de  Midgard  et  la  déesse 
Hela  (la  mort)  (2).  Les  dieux  cherchèrent  tous  les  moyens 
pour  se  défaire  de  Lolie ,  qui ,  pour  échapper  à  leur  pour- 

(1)  Edda,  e.  10. 

(2)  Edda,  c.  16. 


-~  291  — 

suite  ,  se  transforma  en  saumon  et  se  cacha  sous  une  mon- 
tagne où  il  se  bâtit  ime  maison  ouverte  de  quatre  cotes  , 
d'où  il  voyait  tout  ce  cjui  se  passait  dans  le  monde  et  épiait 
les  stratagèmes  que  les  dieux  imaginaient  pour  le  perdre. 
Odin  et  Kuafer,  le  plus  pénétrant  de  tous  les  habitans  de 
l'Olympe,  ne  purent  y  parvenir;  mais  Thor  réussit  a  se 
rendre  maître  de  Loke.  On  le  traîna  alors  dans  une  caverne; 
et  les  dieux  s'étant  saisis  de  ses  fils,  Vale  et  Narfe ,  changè- 
rent le  premier  en  béte  féroce  qui  déchira  et  dévora  le 
second,  a  Les  dieux  firent  de  ses  intestins  des  chaînes  à 
Loke,  le  liant  à  trois  pierres  aiguës,  dont  l'une  lui  pressait 
les  épaules ,  l'autre  les  côtés ,  la  troisième  les  jarrets  ;  et  ces 
liens  furent  ensuite  changés  en  chaînes  de  fer.  Skada  sus- 
pendit de  plus  sur  sa  télé  un  serpent  dont  le  venin  lui  tombe 
goutte  à  goutte  sur  le  visage.  Sa  femme  Signie ,  est  assise  à 
côté  de  lui  et  reçoit  ces  gouttes  dans  un  bassin  qu'elle  va 
vider  lorsqu'il  est  rempli;  durant  cet  intervalle,  le  venin 
tombe  sur  Loke ,  ce  qui  le  fait  hurler  et  frémir  avec  tant 
de  force  que  toute  la  terre  en  est  ébranlée,  et  c'est  ce  qu'on 
appelle  parmi  les  hommes  tremblement  de  terre\  il  restera 
la  dans  les  fers  jusqu'au  jour  des  ténèbres  des  dieux  (1).  » 
Les  Germains ,  comme  les  Celtes ,  les  Scythes  et  les  Sar- 
mates ,  n'élevaient  ni  temples  ni  statues  a  leurs  dieux  : 
«  confiner  les  dieux  dans  un  temple ,  dit  Tacite ,  les  repré- 
senter sous  une  figure  humaine,  rien  suivant  eux  ne  dégrade 
autant  des  êtres  d'une  matière  céleste  ;  les  bois ,  les  forets , 
voila  ce  qu'ils  consacrent  a  chaque  divinité ,  dont  ils  don- 
nent le  nom  à  ces  retraites  profondes;  et  dans  leur  opinion, 
c'est  assez  les  voir  que  de  les  respecter  (2).  »  Seulement  dans 

(1)  Edda,  c.  30et  31. 

(2)  Tacit,  i)!for.  Germ.,  c.  9,  39,  40,  43.  Annal,  1.  1,  c.  51,  1.  II,  c.  12, 1.IV, 
c.  73.  Hist,  1.  IV,  c.  14.  Amm.  Marcel.,  1.  XXI.  Adam  Brem.  1.  I.  Claudian. 
de  Laudïb.  Stilic,  1.  I. 


—  292  — 

les  forets  sacrées  de  petites  cabanes  en  bois  et  de  forme  cir- 
culaire, ou  simplement  un  toit,  couvert  en  chaume  et  sou- 
tenu par  quatre  poteaux ,  défendait  contre  les  intempe'ries 
de  Fair,  l'autel  et  lembléme  du  dieu  qu'on  y  adorait.  Ces 
huttes  portaient  le  nom  de  Harah  ,  Hearg  et  Havrgr  (1). 
Les  bois  sacres  étaient  ordinairement  entourés  d'un  fossé, 
d'une  baye  vive  ou  d'une  palissade  en  bois  ,  qu'il  était  dé- 
fendu de  briser  sous  peine  de  mort.  Les  lois  punissaient  aussi 
avec  sévérité  ceux  qui  coupaient  ou  même  élaguaient  les 
arbres  de  la  foret  ;  ceux  qui  y  entraient  armés  pendant  les 
sacrifices  et  ceux  qui  y  auraient  lancé  une  flèche  ou  toute 
autre  arme.  Le  sacrificateur  seul  pouvait  pénétrer  dans  l'en- 
droit le  plus  secret  du  bois  et  qui  était  sensé  la  demeure 
du  dieu.  Il  y  avait  même  des  forets  sacrées  où  il  n'était 
permis  a  ceux  qui  venaient  offrir  leurs  vœux  à  la  divinité 
du  lieu ,  que  de  s'y  présenter  les  bras  liés  ;  et  s'ils  tom- 
baient ,  ils  étaient  obligés  d'en  sortir  en  se  traînant  par 
terre  (2). 

Les  bois  sacrés  n'étaient  pas  exclusivement  destinés  aux 
cérémonies  du  culte  ;  on  y  tenait  aussi  souvent  les  assem- 
blées nationales  et  on  y  rendait  la  Justice  (3).  Ils  servaient 
encore  de  dépôt  aux  étendards  militaires  (4).  Le  criminel 
qui  y  cherchait  un  asyle  devenait  inviolable  (5). 

(1)  Mone,  2«  th.,  s.  95  et  126.  Lex  Rip.,  tit.  30,  §  2.  Tit,  41,  §  1 ,  tit.  72  , 
§  77.  Indicul.  swperst.  et  pagan.,  §  4. 

(2)  Tac,  M.  G.,  c.  38. 

(3)  Lex.  Sal,  tit.  40,  43,  §  4,  6,  tît.  48,  §  1,  tit.  76,  §  1.  Lex.  Rip.,  t.  30, 
§  1,2,  tit.  33,  §1. 

Les  Prussiens  avaient  encore  au  12^  siècle  un  bois  sacré  dans  lequel  on 
rendait  annuellement  la  justice  a  un  jour  désigné.  Personne ,  a  l'exception 
du  prêtre,  ceux  qui  venaient  y  apporter  leurs  offrandes  et  les  agonisans  , 
n'avaient  accès  dans  le  sanctuaire  qui  était  séparé  du  reste  de  la  forêt  par 
une  clôture  en  bois  (Helmold.,  Chron.  Slav.y  1.  1,  c.  83). 

(4)  Tac,  Hist. ,  1.  IV. 

(5)  Edda,  c  17.  Helmold.,  1.  1,  c.  88. 


—  293  ~ 

Les  autels  des  dieux  du  nord  étaient  ordinairement  en 
pierre  et  semblables  à  ceux  des  Celtes.  Ils  étaient  formes  de 
deux  pierres  énormes  cjui  en  soutenaient  une  troisième  en 
forme  de  table.  D'autres  pierres  colossales  étaient  dispo- 
sées en  cercle  autour  de  l'autel.  Au  centre  de  celui-ci  on 
voit  ordinairement  un  trou  qui  parait  avoir  été  destiné  a 
recueillir  le  sang  des  victimes  (1).  Il  est  donc  incertain  si 
l'autel  druidique,  qui  existe  encore  près  de  Namur,  fut  élevé 
par  des  Celtes  ou  par  des  Germains. 

Les  simulacres  des  divinités  germaniques  comme  ceux 
des  dieux  des  Celtes,  consistaient  dans  le  tronc  d'un  arbre 
ou  dans  l'arbre  même  ,  dans  une  épée  ou  dans  une  pierre 
brute  et  informe  (2). 

(1)  Mone,  2^  tli.,  s.  48.  et  ce  que  nous  avons  dit  des  temples  gaulois  au  cha- 
pitre précédent. 

(2)  ....  Simulacraque  mœsta  deorum 

Arte  curent ,  cœsisque  exstant  informia  truncis 

(Lucan.,  1.  III,  v.  4i2), 
Robora  numinis  instar  (  Claudian,  de  laudih.  Stilic).  Le  célèbre  Irmensul 
des  Saxons  ne  consistait  qu'en  un  tronc  d'arbre  :  Truncum  quoqiie  ligneum 
non  parvœ  magnitudinis  in  altum  erectum  suh  dio  locabant,  patriâ  eum  lin- 
guâ  irminsiil  appellantes  (Willibaldus,  Vita  s.  Bonif.).  Adam  de  Brème 
qui  rapporte  textuellement  ce  passage,  dit  qu'Irminsul  signifie  en  latin 
colonne  universelle  [universaïis  coîumna)  (Adam.  Brem.,1.  1,  c.  3).  Crantzius 
prétend  au  contraire ,  que  llrminsul  n'était  pas  un  simple  tronc  d'arbre , 
mais  représentait  un  guerrier  armé  de  pied  en  cap,  tenant  de  la  main  droite 
un  étendard  sur  lequel  était  gravée  une  rose,  et  de  la  main  gauche  une  ba- 
lance ,  emblème  de  l'issue  incertaine  des  combats  ;  que  sur  sa  poitrine  était 
sculpté  un  ours,  allégorie  relative  aux  âmes  des  héros  morts  les  armes  à  la 
main,  et  sur  son  bouclier  un  lion,  emblème  de  la  force  et  de  la  valeur; 
que  le  champ  sur  lequel  était  posé  cette  statue,  était  semé  de  fleurs  pour 
désigner  que  rien  ne  paraissait  plus  agréable  aux  hommes  vaillans  que  de 
montrer  de  l'intrépidité  dans  les  combats  (Crantzius,  Saxonia,  1.  II,  c.  9). 
Werner  Rolevinc  avance  que  sur  l'ïrminsul  étaient  sculptées  les  images  de 
Mars,  de  Mercure,  d'Hercule  et  d'Apollon,  toutes  divinités  inconnues  aux 
Germains  (  Wern.  Rolev.,  Desitu  et  morib.  TFestph.y  1.  II,  c.  3).  Tout  cela 
contraste  trop  avec  les  mœurs  des  Germains,  pour  que  tout  homme  sensé 
ne  préfère  au  récit  de  ces  deux  auteurs,  celui  de  Willibald,  écrivain  qui 
leur  fut  antérieur  de  plusieurs  siècles.  Witikind,  ancien  annaliste  saxon, 


—  294  — 

Cësar  a  montre  une  grande  ignorance  de  ce  qui  concerne 
le  culte  des  Germains,  en  avançant  dans  ses  commen- 
taires ,  que  les  Germains  ne  connaissaient  ni  prêtres  ni  cé- 
rémonies religieuses  (1);  tandis  que  Tacite  parle  dans  plus 
d'un  endroit  de  ses  ouvrages  des  prêtres  germains  (2) ,  ce 
en  c]uoi  il  est  d'accoi'd  avec  tous  les  auteurs  et  documens 
postérieurs.  Mais  dans  la  Germanie,  l'organisation  du  sacer- 
doce, était  toute  dififérente  de  celle  des  prêtres  gaulois. 
Le  nom  de  druter  ou  droter^  chez  les  Saxons  dry  (maître  )  , 
que  portaient  les  prêtres  germains ,  était  la  seule  ressem- 
blance qui  existait  entre  ces  derniers  et  les  druides  des 
Gaules.  En  Germanie  on  ne  voit  ni  hiérarchie,  ni  théo- 
cratie oppressive  de  la  liberté  du  peuple.  La  il  n'y  avait 
ni  caste  sacerdotale  ni  suprême  pontife  (3).  Chaque  peu- 

rapporte  que  Tétendard  des  Saxons ,  sur  lequel  étaient  peints  un  lion ,  un 
dragon  et  un  aigle  les  ailes  déployées,  était  fixé  au  haut  de  l'Irminsul  (Al- 
bert! stad., ,  Chron.  p.  100  ). 

Les  opinions  des  modernes  varient  sur  la  divinité  dont  Tlrminsul  était 
Temblême  :  il  y  en  a  qui  prétendent  que  cette  colonne  était  dédiée  à  Odin  ; 
d'autres  au  célèbre  Arminius,  qui  défit  les  légions  romaines  commandées 
par  Vanis,  ou  U  Mars,  h  Mercure,a  Hermion,  fils  de  Mann ,  etc.,  (Mone, 
2«  tli.,  s.  49.  Hachenberg,  p.  182). 

Charlemagne  renversa  l'Irminsul  en  772 ,  et  le  fit  déposer  dans  l'église 
d'Hildesheim,  où  l'on  prétend  encore  le  conserver,  quoique  plusieurs  auteurs 
modernes  soient  d'avis  que  ce  qu'on  y  montre  comme  llrminsul  n'est  qu'un 
ancien  candélabre. 

Chez  les  Cattes ,  l'emblème  de  Thor,  était  un  chêne  d'une  dimension  mon- 
strueuse [Mirœ  mugnitudînis  arhor  jovis).  Cet  arbre  fut  renversé  par  ordre 
de  Saint-Boniface  (  Willibalt,  Vita  s.  Bonifacii,  §  34). 

(1)  IVeque  druides  liaient ,  qui  rébus  divinis  prœsint;  neque  sacrifciis 
student  (Cses.,  1.  VI,  c.  21). 

(2)  Tac,  y¥.  6?.,  c.  10,  11,  40,  43. 

(3)  Quoiqu'il  n'existât  point  dans  Ja  Germajiie  un  souverain  pontife  comme 
dans  les  Gaules ,  chez  quelques  peuplades  les  prêtres  paraissent  avoir  été 
présidés  par  un  chef.  Ammien  Marcellin  fait  mention  des  grands  prêtres  des 
Bourguignons  qu'il  appelle  sinistes.  Ils  possédaient  cette  dignité  à  vie  et  leur 
pouvoir  surpassait  même  celui  du  roi,  au  dire  du  même  auteur  (Amm. 
Marcel!.,  1.  XXVItL  c.  5). 


—  295  — 

plade  avait  ses  prêtres  particuliers  et  qui  ne  formaient 
point  corps  avec  les  prêtres  d'aucune  autre  peuplade. 

Cependant,  bien  que  les  lois  des  Germains  n'accordas- 
sent point  aux  ministres  du  culte ,  un  rang  aussi  distin- 
gué et  un  pouvoir  aussi  étendu  que  ceux  que  posse'daient 
les  prêtres  gaulois,  ils  ne  laissaient  point  d exercer  une 
grande  influence  sur  les  affaires  publiques  et  particulières , 
par  la  vêne'ration  et  le  respect  que  leur  témoignait  le  peu- 
ple (1).  Ils  jouissaient  en  outre  de  plusieurs  prérogatives 
assez  remarcjuables ,  tels  que  celui  de  présider  les  assem- 
blées nationales  et  d'y  maintenir  le  bon  ordre ,  et  de  pou- 
voir^ comme  ministres  des  dieux,  infligera  des  hommes 
libres  les  peines  auxquelles  ils  avaient  été  condamnés  par 
la  loi  (2). 

Les  bardes  étaient-ils  comptés  au  nombre  des  prêtres  ? 
la  chose  parait  vraisemblable  si  l'on  observe  cjue  ce  sont 
ces  poètes  qui  mirent  en  vers  l'histoire  des  dieux  et  la 
doctrine  mystérieuse  d'Odin  ,  connaissances  qui  étaient 
exclusivement  du  domaine  de  personnes  sacrées.  Mais  chez 
les  Germains  il  faut  distinguer ,  comme  chez  les  Gaulois , 
deux  espèces  de  bardes  ,  les  bardes  sacrés  et  les  bardes  pro- 
fanes (3), 

(1)  «  Le  pouvoir  des  princes  eux-mêmes,  dit  Mallet,  ne  les  mit  pas  tou- 
jours à  l'abri  des  prétentions  ambitieuses  des  pontifes  dn  nord,  et  Ton  pous- 
sait si  loin  le  respect  pour  leurs  décisions,  que  quand  ils  demandaient  aux  peu- 
ples le  sang  de  leurs  rois,  on  n'hésitait  pas  à  le  répandre.  »  {Introd.  à  VHist. 
du  Banemarc,  p.  89).  Helnioldus  témoigne  aussi  du  respect  que  les  anciens 
Prussiens  avaient  pour  leurs  prêtres  iRex  apud  eos  7nodicœ  œsiimationis  est, 
comparatione  flamims  (  Helmold.,  Chron.  Slav.). 

Le  même  auteur  dit  des  Labitans  de  l'île  de  Rugen:  Flaminem  suum  non 
minus  quam  regem  venerantur. 

(2)  Tacit,  i/.  G.,  c.  7et  11. 

(3)  Voir  sur  les  bardes  germains,  Tacit,,  31.  C,  c.  2  et  3.  Ilist. ,  1.  II, 
c.  22,  1.  IV,  c.  18.  Jnn.,  1.  I,  c.  65, 1.  HT,  c.  47.  Amm.  Marcell.,  1.  XXXÏ  , 
c.  7.  Jornandes,  de  Reh.  Gel.,  c.  5  et  41.  ^Eliain. ,  Var.  HisL,  1.  XII,  c.  23. 
Paul  Warnefr.,  de  Gest.  Lnngob.,  1.  I,  c.  27. 


—  296  — 

Le  culte  des  Germains  admettait  aussi  des  prêtresses  (1). 
Mone  prétend  que  la  différence  cjui  existait  entre  elles  et 
les  prêtres  consistait  en  ce  qu'elles  se  livraient  exclusive- 
ment à  la  divination  et  à  l'interprétation  des  augures  et 
quelles  n'immolaient  point  des  victimes  aux  dieux.  Toute- 
fois nous  lisons  que  dans  la  guerre  des  Cimbres  et  des 
Teutons  contre  les  Romains ,  ces  pré  tresses  barbares  égor- 
geaient les  prisonniers  de  guerre  offerts  en  holocauste  à 
Odin  (2). 

Les  Germains  regardaient  les  femmes  en  général  comme 
des  êtres  animés  d'un  esprit  divin  et  douées  de  qualités 
surnaturelles  (3).  Ils  ajoutaient  une  foi  aveugle  aux  prédic- 
tions de  toute  femme  qui  s'érigeait  en  prophétesse ,  et  ils 
n'auraient  osé  tenter  le  sort  des  armes  sans  avoir  consulté 
ces  devineresses,  connues  sous  le  nom  de  Truden  (magi- 
dennes)  et  d'Haîruner  (4) ,  sur  le  jour  et  l'heure  les  plus 
favorables  pour  attaquer  l'ennemi  (5). 

5 

(1)  Tac,  31.  G.,  c.  8. 

(2)  Strab.,  1.  IV.  Tacit,  Jnn.,  I.  XIV. 

(3)  Inesse  quin  etiam  sacrum  aliquid  et providum  putant ;  nec  mit  consi- 
lia  earuni  aspernantur  autresponsa  negligunt  :  vidimus  suh  divo  Vespasiano  , 
Velledam  diù  apud plerosque  numinitt  loco  habitant;  sed  et  olim  Jturiniam 
et  complures  alias  venerati  siint,  non  adulatione  nec  tamquam  facerent  deas 
(  Tac,  31.  G.,  c.  8). 

On  avait  surtout  une  grande  confiance  dans  les  songes  des  vieilles  femmes, 
idée  superstitieuse  qui  reste  encore  de  nos  jours  empreinte  dans  l'esprit  de 
la  plupart  des  gens  du  peuple. 

(4)  De  hali,  saint,  ou  a?/,  tout,  et  de  runa  mystère.  Le  nom  de  la  prêtresse 
Aurinia,  chez  Tacite,  est  probablement  mis  par  corruption  pour  Alruner. 
Voir  aussi  Jomandes,  de  Reh.  Get,  c.  24.  —  Chez  les  Francs ,  les  prophètes 
s'appelaient  TFizagon,  et  les  prophétesses  Wizaga.  Aujourd'hui .  un  diseur 
de  bonne  avanture  porte  encore  en  flamand  le  nom  de  waerzegger.  —  Voir 
sur  les  différentes  classes  et  dénominations  des  devins  chez  les  Germains , 
Mone,  Geschichte  des  heidenthttms .  2^  th.,  p.  127  et  229. 

(5)  Quum  ex  captivis  quœreret  Cœsar,  quamohrcm  jiriovisius  prœlio  non 
decertaref ,  hanc  reperiehat  caussam  :  quod  apud  Germanos  ea  consuetudo 


_  297  - 

L  extrême  confiance  que  les  Germains  avaient  dans  les 
décisions  des  augures  prouvent  bien  l'ignorance  et  la  su- 
perstition de  cette  nation.  Dans  toute  affaire  publique  ou 
prive'e  de  quelque  importance ,  leur  première  pensée  était 
de  recourir  aux  devins.  Si  la  réponse  de  ceux-ci  était  con- 
forme à  leurs  désirs ,  ils  ne  doutaient  plus  de  la  réussite 
de  leur  entreprise ,  et  si  l'issue  de  l'affaire  ne  répondait  pas 
à  leurs  espérances,  ce  n'était  point  au  charlatanisme  de 
l'augure  qu'ils  l'imputaient ,  mais  à  leur  propre  mala- 
dresse. «  Leur  manière  de  consulter  le  sort  est  très-simple , 
dit  Tacite  :  on  coupe  en  plusieurs  morceaux  une  baguette 
d'arbre  fruitier ,  et,  après  les  avoir  distingués  par  certaines 
marques,  on  les  jette  pêle-mêle  sur  une  étoffe  blanche; 
puis  le  prêtre  de  la  cité,  dans  les  affaires  publiques,  le 
père  de  famille ,  dans  les  discussions  particulières ,  ayant 
invoqué  les  dieux ,  les  yeux  tournés  vers  le  ciel ,  lève  trois 
fois  chaque  morceau  l'un  après  l'autre;  lorsqu'il  les  a  tous 
enlevés,  l'ordre  dans  lequel  se  montrent  les  premières 
marques,  est  le  sujet  de  son  interprétation  :  quand  elle  n'est 
pas  propice ,  on  n'interroge  plus  de  la  journée  le  sort  tou- 
chant la  même  affaire  ;  si  elle  est  favorable ,  on  cherche 
encore  a  la  confirmer  par  les  auspices  (1). 

«  De  plus ,  ils  sont  comme  nous  dans  l'usage  de  consulter 
le  chant ,  le  vol  des  oiseaux  ;  ce  qui  leur  est  propre ,  c'est 
d'observer  aussi  les  chevaux  pour  en  tirer  des  présages  (2). 
Au  sortir  de  ces  bois  mystérieux  où  la  cité  nourrit  de  ces 
animaux,  d'autant  plus  éclatans  de  blancheur  qu'aucun 

esset .  ut  maires familiœ  eorum  sortibus  et  vaticinationïbus  declararent,  utrum 
piœlium  committi  ex  usu  esset,  necne  ;  eas  ita  dicere  :  non  esse  fas  Germanos 
siiperare .  si  anle  novam  lunam  prœlio  contendissent  (  Cœs.,  1.  1,  c.  50). 

(1)  Cette  manière  de  consulter  le  sort,  était  aussi  d'usage  chez  les  Huns. 
11  en  est  également  parlé  dans  les  lois  frisonnes .  tit.  14,  et  chap.  V  du  liv.  IIj 
de  cet  ouvrage. 

(2)  Saxo  Gram.,  1.  IV. 


—  298  — 

mortel  n'en  tire  jamais  de  service ,  on  les  attelle  au  char 
sacré  qu  accompagnent  le  prêtre ,  le  roi  ou  le  chef  du  can- 
ton ,  qui  étudient  leur  soufle  et  leur  hénissement  ;  et  point 
d'augures  plus  décisifs  dans  l'esprit,  non-seulement  du  peu- 
ple, mais  même  des  grands  et  des  prêtres;  car  dans  leur 
croyance ,  ils  sont  les  ministres  de  la  divinité ,  ces  animaux 
ses  confidens. 

»  Ils  ont  encore  une  autre  façon  de  présager ,  l'issue  des 
guerres  importantes  :  a  peine  sur  la  nation  ennemie  ont^ 
ils  fait,  n'importe  comment,  un  prisonnier,  que  l'animant, 
lui  et  le  plus  brave  de  leurs  guerriers,  à  la  manière  chacun 
de  son  pays ,  ils  les  font  battre  ensemble  ;  la  fortune  du 
vainqueur  semble  pronostiquer  celle  de  son  parti  (1)  » 

Dans  les  présages  par  le  vol  des  oiseaux,  on  employait  de 
préférence  le  corbeau  et  la  chauve-souris.  On  regardait 
comme  un  présage  heureux,  si  ces  oiseaux  volaient  de  gauche 
à  droite  et  en  jetant  des  cris;  le  contraire  avait  lieu,  s'ils 
volaient  de  droite  à  gauche  et  sans  se  faire  entendre.  Enfin, 
on  consultait  encore  le  sort  par  les  entrailles  des  victimes 
offertes  aux  dieux  ,  par  le  vent ,  la  chute  des  feuilles ,  le 
murmure  et  le  courant  des  eaux  (2) ,  et  généralement  par 
tous  les  accidens  de  la  nature  et  tous  les  objets  matériels. 

Comme  les  Celtes,  les  Germains  croyaient  honorer  les  dieux 
en  leur  ofifrantdes  victimes  humaines,  qui  étaient  ou  des  pri- 
sonniers de  guerre,  ou  des  criminels  ou  des  esclaves  (3).  Mais 
on  ne  voit  point  qu'ils  aient  sacrifié  des  hommes  libres , 
comme  cela  avait  lieu  dans  la  Celtique.  C'était  principalement 
à  Odin  et  à  Thor  qu'on  offrait  des  victimes  humaines  (4).  Les 

(1)  Tac,  M.  G.,  c.  10.  Adam  Brem.,  1.  l. 

(2)  C'est  da  murmare  des  eaux  que  les  devineresses,  dans  l'armée  d'Areo- 
vlste.  tirèrent  des  présages  (Plutarch ,  in  Cies.,  c.  19). 

(3)  Episi.  Greg.  II,  ad  Bonifac.^   circâ  Ann.  731. 

(4)  Tacit,  m.  G.,  c.  9.  Annal.  lîist,  1.  IV,  c.  61.  Procop,,  Bell  GotJt., 
1.  II.  Jornand,  de  Reb.  Get.,  Helmold.,  Chron.  Sîav.,  1.  1,  c.  53. 


--^  290  — 

guerriers  en  marchant  au  combat  faisaient  vœu  d^envoyer 
à  Odin  ,  un  certain  nombre  de  prisonniers  de  guerre  qui 
étaient  regardés  comme  un  tribut  du  h  l'arbitre  de  la  vic- 
toire (1).  A  Thor  on  offrait  aussi  de  préférence  des  tau- 
reaux (2)  et  des  béliers  ,  et  a  Odin  des  chevaux  et  des  porcs. 
Quand  la  victime  était  immolée  à  des  dieux  célestes  , 
elle  était  égorgée  ,  la  tête  tournée  vers  le  ciel;  le  contraire 
avait  lieu  lorsque  le  sacrifice  se  faisait  aux  divinités  infer- 
nales. Alors  on  sacrifiait  l'animal  au-dessus  dune  fosse,  des- 
tinée à  recevoir  son  sang.  Dans  les  sacrifices  aux  divinités 
dun  ordre  supérieur,  le  sang  de  la  victime  était  recueilli 
dans  une  cuve  ;  on  en  arrosait  l'autel ,  Tembléme  du  dieu ,  le 
teu  sacré,  les  assistansetle  sacrificateur  lui-même.  La  tête  de 
l'animal  restait  ordinairement  suspendue  à  un  arbre  voisin 
dusanctuaire.  On  mettait  toujours  à  part  quelques  morceaux 
de  sa  chair  qu'on  faisait  cuire  au  feu  après  les  avoir  couverts 
de  rameaux,  et  qu'on  mangeait  ensuite  assaisonnés  de  gâ- 
teaux et  d'hydromel  ou  debierre.  Les  sacrificateurs  étaient 

(1)  Les  Saxons  vouaient  à  Odin  la  dixième  partie  des  prisonniers  de 
guerre  (  Marcellini,  Vita  s.  Stviberli,  c.  18-2L  Beda,  1.  V,  c.  12.  Mono, 
2''th,  p.  58  ).  Lharlemagne  leur  défendit  cette  horrible  superstition  sous 
peine  de  mort  (  C.  M.  Capit.  VIII,  de  partib.  Sax.  ).  Arminius  sacrifia  sur 
les  autels  d'Odin,  tous  les  prisonniers  romains  qu'il  avait  faits  lorsqu'il  tailla 
en  pièces  les  légions  de  Varus.  Tacite  rapporte  que  dans  une  guerre  des 
Hermondures  contre  les  Cattes  ,  toute  l'armée  de  ces  derniers  obligée  de  se 
rendre  à  discrétion  fut  immolée  aux  dieux  (Tac.  Ann.,  1.  XIII).  Au  6®  siècle, 
les  Francs,  quoique  convertis  au  christianisme,  n'avaient  point  encore  re- 
noncé a  cette  coutume  barbare  (Procop.,  Bell.  Goth.,  1.  II,  c.  25).  Tous  les 
neuf  ans  les  Danois  célébraient  une  fête  dans  laquelle  ils  sacrifiaient  à  leurs 
idoles  99  hommes,  et  un  nombre  pareil  de  chiens,  de  chevaux  et  de  coqs 
(  Dithmar,  Chron.  Ban.,  1.  1).  Cette  superstition  dura  jusqu'au  règne  de 
l'empereur  Henri  lOiseleur.  Encore  au  12'=  siècle,  les  Prussiens  immolaient 
aux  dioux  tous  les  chrétiens  qui  leur  tombaient  entre  les  mains  (  Helmold, 
1.  I,  c.  53,  1.  II,  c.  12). 

(2)  Mono  croit  que  rorncmcnt  en  or.  figurant  une  fétc  de  taureau,  trouvé 
dans  le  tombeau  de  Chilperic  h  Tournai,  en  1653.  pourrait  avoir  rapport  au 
culte  de  Thor. 


—  300  ^ 

Yetus  de  blanc  en  sacrifiant  à  des  dieux  célestes,  et  en 
noir  en  desservant  les  autels  des  divinités  terrestres  et  in- 
fernales. Les  victimes  oflfertes  aux  dieux  maritimes  étaient 
sacrifiées  au  bord  de  la  mer  et  englouties  dans  les  flots  de 
rOcéan. 

Après  avoir  assisté  a  une  cérémonie  funèbre  ;  après  avoir 
goùlé  les  plaisirs  de  l'amour  et  dans  quelques  autres  cas,  on 
ne  pouvait  sacrifier  aux  dieux  qu'après  s'être  préalablement 
purifié. 

Le  mercredi  et  le  jeudi  étaient  des  jours  sacrés  pour  les 
Germains.  Les  époques  de  l'année  le  plus  solennelles  étaient 
la  pleine  lune ,  le  nouvel  an ,  le  printemps,  l'été  et  les  sols- 
tices que  les  Francs  célébraient  par  la  fête  du  Maliens.  Les 
deux  fêtes  les  plus  connues  sont  celles  de  Joël  et  à^Eostur. 

La  fête  de  Joèl  ou  du  nouvel  an ,  était  fixée  entre  le 
21  octobre  et  le  14  janvier.  «  On  célébrait  autrefois,  rap- 
porte Mallet ,  une  fête  au  solstice  d'hiver,  pour  témoigner 
la  joie  qu'on  avoit  de  voir  le  soleil  se  rapprocher  de  cette 
partie  du  ciel.  On  lui  sacrifioit  des  chevaux,  emblème ,  dit 
Hérodote,  delà  rapidité  de  cet  astre.  G'étoitla  plus  grande 
solennité  de  l'année;  on  l'appeloit  en  plusieurs  endroits 
Joie  ou  Joui ,  du  mot  de  Hiauloxx  Houl ,  qui  signifie  encore 
aujourd'hui  le  Soleil  dans  les  langues  de  la  Basse-Bretagne 
et  de  Cornouailles  (1).  Quand  la  religion  celtique  (2)  céda 
à  la  chrétienne,  les  réjouissances ,  les  festins ,  les  assemblées 
nocturnes ,  que  cette  fête  autorisait ,  ne  furent  point  sup- 
primées ,  toute  indécentes  qu'elles  étaient.  On  eut  craint 


(1)  Suivant  d'autres,  le  nom  de  Giulet  Juel  dérive  de  Geolden  (retourner), 
parce  que  cette  fête  se  célébrait  vers  l'époque  où  le  soleil  remonte  sur  Tho- 
rizon.  Les  Anglo-Saxons  donnaient  au  mois  de  janvier  le  nom  de  Giuli 
ei'ra  et  Giuli  cftera. 

(2)  Mallet  confond,  comme  tant  d'autres,  le  paganisme  des  Celtes,  avec 
celui  des  Germains. 


—  301  — 

de  tout  perdre  en  voulant  tout  gagner;  il  fallut  se  contenter 
d'en  sanctifier  le  but  en  les  appliquant  à  la  naissance  de 
Notre  Seigneur ,  dont  l'anniversaire  tomboit  sur  un  temps 
peu  éloigné.  Dans  les  langues  du  Nord,  Jaul^  signifie  au- 
jourd'hui la  fête  de  Noël,  et  la  manière  dont  le  peuple  la 
célèbre  en  divers  endroits  ,  rappelle  aussi  bien  que  ce 
nom,  diverses  circonstances  de  sa  première  origine  (1).  » 

Pendant  la  fête  de  Joèl,  on  avait  coutume  de  renouveler 
les  traités  et  les  alliances.  Elle  commençait  par  un  grand 
festin  auquel  assistait  la  majeure  partie  du  peuple,  chacun 
apportant  avec  soi  les  mets  dont  il  voulait  se  régaler.  Le 
lendemain ,  après  avoir  pratiqué  nombre  de  cérémonies 
superstitieuses,  on  immolait  le  porc  le  plus  gras  du  canton 
auquel  on  donnait  le  nom  de  Guilîing  buste;  on  offrait  en 
même  temps  un  grand  gâteau ,  Jullegalt ,  dont  on  conser- 
vait une  partie  qu'on  mêlait  aux  semences  pour  avoir  une 
récolte  abondante.  Le  reste  était  distribué  aux  domestiques 
des  champs  (2). 

La  fête  d'Eostur,  ou  du  printemps ,  avait  lieu  en  l'hon- 
neur de  Freya,  a  la  fin  de  mars  ou  au  commencement 
d'avril  (3).  La  coutume  d'allumer  des  feux  de  joie,  la  veille 

(1)  Mallet,  notes  sur  l'Edda  ,  p.  48. 

(2)  Olafs  saga ,  c.  69.  Biscipulus  de  iempore ,  apud  Ryskium ,  in  expos. 
Evang.,  pars.,  1.  Vita  s.  Eligii. — Sicut  affirmant  se  vidisse  annis  singulis  hiro- 
mana  urbe  etjuxta  ecclesia,  in  die  nocteque,  quando  Tialendœ  januarii  intrant^ 
paganorum  consuetudine  (  Alemannos ,  Bajuvaros  et  Francos  )  choros  ducere 
perplateas,  et  acclamationes,  ritu  gentilium^  et cantationes  sacrilegas  celebrare, 
et  mensas  illâdie  velnocte  dapïbus  onerare,  et  nullum  de  domo  suâvel  ignem 
vel  ferramentum,  vel  aliquid  commodi  vicino  suo  prœstare  velle.  Dicunt 
quoque  se  vidisse  ihi  mulieres  pagano  ritu  phylacteria  et  ligaturas  et  in 
brachiis  et  cruribus  ligatas  liabere  ,  et  publiée  ad  vendendum  vœnales  aliis 
offerre  (Epist.,  Bonifacii  Zacharise  Papse). 

(3)  Eosturmonath  quœ  nunc paschalis  mensis  interpretatur,  quondamadea 
illorum  (  Anglorurn) ,  quœ  Eostre  vocabatur ,  et  cui  in  illo  festa  celebrabant , 
nomen  habuit  (Beda  venerab.,  Hist  écoles.  Angliœ). 


—  302  — 

de  pàques,  coutume  existant  jadis  en  Belgique  et  connue  en 
Allemagne  sous  le  nom  à'Osterfeuer,  est  probablement  un 
reste  de  la  fête  d'Eostur.  Cette  fête  ne  serait-elle  pas  encore 
la  même  que  celle  que  Tacite  dit  avoir  été  célébrée  en 
honneur  d'Herta,  chez  les  Semnones  ,  et  qu'il  décrit  de  la 
manière  suivante  :  «  Dans  le  sacré  bocage  d'une  île  de 
lOcéan ,  on  dédie  à  Herta ,  un  char  couvert  d'une  étoffe  et 
auquel  un  prêtre  unique  a  la  permission  de  porter  la  main  ; 
lui  seul  sait  quand  la  déesse  entre  dans  le  sanctuaire  ;  et 
deux  génisses  qu'on  y  attelle ,  traînent  la  déesse,  qu'il  suit, 
qu'il  accompagne  avec  le  recueillement  le  plus  respectueux: 
des  réjouissances  ont  alors  lieu  tous  les  jours,  des  fêtes  dans 
tous  les  endroits  où  elle  daigne  passer  et  séjourner;  plus  de 
guerre,  personne  sous  les  armes;  la  paix,  le  repos,  point 
d'autre  idée,  point  d'autre  affection,  jusqu'à  ce  que  la 
déesse,  rassasiée  de  plaisirs  dans  ce  commerce  avec  les 
mortels ,  soit  reconduite  par  le  même  prêtre  dans  son  tem- 
ple ;  puis  le  char ,  sa  couverture  et,  si  vous  les  en  croyez ,  la 
déesse  elle-même,  sont  purifiés  dans  les  eaux  d'un  lac 
écarté.  La  déesse  est  servie  par  des  esclaves,  qu'aussitôt  le 
même  lac  engloutit  :  de  là  une  mystérieuse  frayeur,  une 
sainte  résolution  d'ignorer  en  quoi  consiste  ce  que  personne 
n'entrevoit  que  dans  les  ombres  de  la  mort  (1).  » 

Le  mois  de  février  était  consacré  au  soleil.  Dans  la  fête 
solennelle ,  célébrée  en  honneur  de  ce  dieu ,  on  lui  sacri- 
fiait un  cheval  blanc  et  on  lui  offrait  des  gâteaux. 

Les  feux  qu'on  allume  dansles campagnes  à  la  Saint- Jean, 
sont  propablement  un  reste  de  la  fête  du  solstice  d'été. 
Court  de  Gebelin,  en  fait  dériver  l'origine  des  feux  sacrés 
allumés  par  les  orientaux  à  minuit ,  au  moment  du  solstice. 
Ces  feux  étaient  accompagnés  de  vœux ,  de  sacrifices  et  de 

(l)  Tac.  M.  G.,  c.  39. 


—  303  — 

danses  autour  du  bûcher,  dont  chacun,  en  se  retirant,  em- 
portait un  tison.  Les  cendres  étaient  jete'es  au  vent,  céré- 
monie superstitieuse  par  laquelle  on  croyait  écarter  tous  les 
maux  qui  pouvaient  affliger  la  nation. 

Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  les  Germains  réglaient 
leurs  fêtes  suivant  les  phases  de  la  lune.  On  les  célébrait 
principalement  la  14^,  la  40-  et  la  80^  nuit  (1). 

Les  fêtes  religieuses  (Freoldâgas)^  donnaient  lieu  en 
même  temps  aux  assemblées  nationales  (^  Folkgemotu)  et 
aux  cours  extraordinaires  de  justice  (^Domdâgas).  C'est  pour 
cette  raison  que  les  premiers  missionnaires  chrétiens  en 
Allemagne  et  en  Belgique,  défendirent  les  rassemblemens 
populaires  le  jour  du  dimanche.  Des  processions,  des  chants 
(leoth)  et  des  danses  (appelées  par  les  chrétiens  Deo  Jles 
gaman  ou  sauts  diaboliques) ,  accompagnaient  ces  fêtes , 
mais  particulièrement  des  festins  publics ,  dans  lesquels  on 
s'enivrait  en  l'honneur  du  dieu  pour  lequel  avait  lieu  la 
solennité  (2). 

L'opinion  c[ue  les  peuples  du  Nord  se  formaient  sur  la 
création  du  monde  est  des  plus  singulières.  Voici  comme  il 
en  est  parlé  dans  l'Edda  :  «Les  fils  de  Bore  tuèrent  le  géant 
Yme,  ^  et  il  coula  tant  de  sang  de  ses  plaies,  c[ue  toutes  les  fa- 
milles des^fc-'a^z^  de  la  gelée  y  furent  noyées,  à  l'exception 


(1)  Mone,  2«  th.,  s.  133. 

(2)  Stahant,  cum  compotationes  sacrœ  peragerentur,  circa  ignem.  in  me- 
dio  templi  accensum ,  cum  mulsum  vel  cerevisi-a  liberalissime  in  pateris  vel 
poculis  exhibere7itur  (Snorro,  vita  Haquini  Adalst.).  Unicuique  deo  poculum. 
suum  Specialisigno consecrabatur,  sic  Odini  crwce  (Snorro,  ibid.,c.  18). — Ex 
eoo  mari  Veniens  oîaus  ad  insulam  ISorrigiœ,  Mostar  nominatam,  applicuit  ; 
hic  noctu  innotuit  ipsi  sanctus  Martinus  episcopus,  dicens  illi  :  moris  in  his 
terris  esse  solet ,  cum  convivia  celehrentur  in  meiiioriam  Thoreri ,  Odini  et 
aliorum  Asarnm,  scyphos  evacuare  ;  Imnc  ut  mutes  volo,  atque  lit  in  meime- 
moriam  in  posterum  bibatur,  tua  cura  efjficias  ;  vêtus  autem,  illa  consue^ 
tudo  deponatur  conveniens  est  (Oddo  mon.,  vita  s.  Oîai,  c.  24). 


—  304  — 

d'un  seul  géant  qui  se  sauva  avec  tous  les  siens  :  onlappelle 
Bergelmer.  Étant  monté  sur  sa  barque,  il  échappa,  et  par  lui 
s'est  conservée  la  race  des  géans  de  la  gelée.  Les  fils  de  Bore 
traînèrent  le  corps  de  Yme  au  milieu  de  l'abîme  et  ils  en 
firent  la  terre  :  l'eau  et  la  mer  furent  formées  de  son  sang, 
les  montagnes  de  ses  os ,  les  pierres  de  ses  dents  ,  et  de  ses 
os  creux  mêlés  avec  le  sang  qui  coulait  de  ses  blessures ,  ils 
formèrent  la  vaste  mer  au  milieu  de  laquelle  ils  affermi- 
rent la  terre.  Ensuite  ayant  fait  le  ciel  de  son  crâne ,  ils  le 
posèrent  de  tous  côtés  sur  la  terre,  le  partagèrent  en  quatre 
parties  et  placèrent  un  nain  a  chaque  angle  pour  le  soute- 
nir. Ces  nains  se  nomment  Est,  Ouest,  Sud  et  Nord.  Après 
cela  ils  allèrent  prendre  des  feux  dans  le  Muspelheim 
(monde  enflammé  au  midi  )  et  les  placèrent  dans  l'abîme 
en  haut  et  en  bas  dans  le  ciel,  afin  qu'ils  éclairassent  la  terre. 
Ils  assignèrent  des  places  fixées  a  tous  les  feux.  De  là 
les  jours  furent  distingués  et  les  années  comptées.  Cest 
pourquoi  il  est  dit  dans  le  poème  de  la  Voluspa  :  «  Aupar- 
avant le  soleil  ne  savait  point  où  était  son  palais  ;  la  lune 
ignorait  ses  forces  ;  les  étoiles  ne  connaissaient  point  la 
place  qu'elles  devaient  occuper.  «  —  La  terre  est  ronde  et 
autour  d'elle  est  placée  la  profonde  mer  dont  les  rivages 
ont  été  donnés  aux  géans  pour  y  habiter.  Mais  plus  avant 
sur  la  terre,  dans  cet  endroit  qui  est  également  éloigné  de 
tous  côtés  de  la  mer ,  les  dieux  bâtirent  un  fort  contre  les 
géans,  qui  fait  le  tour  du  monde.  Pour  cela  ils  employèrent 
les  sourcils  d'Yme  et  appelèrent  ce  lieu  la  Midgcird  (séjour 
du  milieu  ).  Ils  jetèrent  ensuite  sa  cervelle  dans  les  airs  et 
en  firent  les  nuées  (1).  » 

Ce  que  l'Edda  dit  de  la  création  de  l'homme  n'est  pas 
moins  poétique  :  elle  rapporte  que  les  dieux  se  promenant 

(l)  Edda,  c,  4. 


--  305  — 

un  jour  sur  le  rivage  ,  trouvèrent  deux  morceaux  de  bois 
flottans  dont  ils  firent  Thomme  et  la  femme  ;  que  le  pre- 
mier reçut  le  nom  à!Aske  (frêne)  et  la  seconde  celui  à'Em- 
blâ  (aulne)  (1). 

Suivant  les  mythes  du  nord ,  la  destruction  de  l'univers 
sera  annoncée  par  un  grand  hiver,  pendant  lequel  la  neige 
tombera  des  quatre  parties  du  monde;  trois  hivers  pareils  se 
succéderont  sans  être  tempères  par  les  chaleurs  de  1  été.  Trois 
autres  années  se  passeront  de  même,  pendant  lesquelles  le 
monde  entier  sera  en  guerre  et  en  discorde  :  «  Les  frères  se 
tueront  les  uns  les  autres  et  deviendront  meurtriers.  Les  pa- 
rens  oublieront  les  droits  du  sang  ;  la  vie  sera  a  charge ,  on  ne 
verra  qu'adultères.  Âge  barbare  !  âge  d'épée  !  âge  de  tem- 
pêtes! âge  des  loups î  les  boucliers  seront  mis  en  pièces,  et 
les  malheurs  se  suivront  juscjua  la  chute  du  monde.  »  Le 
loup  Fenris  dévorera  le  soleil  ;  un  autre  monstre  anéantira 
la  lune  ;  les  étoiles  tomberont  du  ciel  ;  la  terre  tremblera  ; 
les  arbres  seront  déracinés;  les  montagnes  s'écrouleront; 
les  liens  et  les  fers  des  prisonniers  seront  brisés  ;  la  mer 
couvrira  la  terre  de  ses  flots  ;  le  serpent  Midgars  sortira 
de  sa  caverne  et  empoisonnera  Tair  et  l'eau  ;  alors  paraîtra 
aussi  le  loup  Fenris  ,  lançant  la  flamme  par  les  yeux  et  les 
naseaux  ,  et  dont  la  mâchoire  d'en  bas  touchera  la  terre  et 
celle  d'en  haut  s'étendra  jusqu'au  ciel  «  et  irait  au  delà 
encore  s'il  était  possible.  »  Dans  ce  tumulte,  le  ciel  se  fen- 
dra, et  par  cette  ouverture  sortiront  les  fils  de  Muspel,  les 
géans  du  feu ,  ayant  a  leur  tête  Surtur ,  précédé  et  suivi 
d'un  feu  ardent ,  et  armé  d'une  épée  plus  brillante  que  le 
soleil  même.  L'armée  de  ces  génies  passera  le  pont  Bifrost 
et  le  mettra  en  pièces;  de  la  ils  se  rendront  dans  une  vaste 
plaine  où  ils  seront  joints  par  le  loup  Fenris,  par  le  grand 


(l)  Edda,  c.  5. 

Tome  I.  20 


—  306  — 

serpent  Midgars,  par  Loke,  accompagne  des  gëans  de  la 
gelëe  et  par  le  géant  Rymer,  le  pilote  du  vaisseau  Naglefare 
construit  des  ongles  des  hommes  morts.  Alors  Heimdal,  le 
messager  des  dieux ,  se  lèvera  et  les  appellera  au  combat  au 
son  de  sa  trompette.  A  l'approche  de  ce  terrible  événement 
Tarbre  Ydragsil  s'agitera ,  la  terreur  et  la  consternation 
rempliront  les  cieux  et  la  terre.  Tous  les  dieux  s'armeront  : 
Odin ,  après  avoir  consulté  la  fontaine  Minis  ,  sur  ce  qu'ils 
doivent  faire,  lui  et  son  armée,  se  couvrira  d'un  casque  d'or 
et  d'une  brillante  cuirasse  ;  il  prendra  son  épée  Gagner  et 
marchera  droit  au  loup  Fenris.  Thor  combattra  le  grand 
serpent;  Frey  tiendra  tête  à  Surtur;  Tyr  sera  assailli  par 
le  chien  G  armer;  Loke  sera  aux  prises  avec  Heimdal.  Dieux 
et  monstres,  tout  périra  dans  le  combat.  Surtur  seul  sur- 
vivra à  cette  sanglante  catastrophe;  il  lancera  des  feux  sur 
le  monde,  et  le  monde  sera  anéanti. 

Cependant  tout  n'a  point  péri  :  Vidar  et  Vale  ont  sur- 
vécu à  la  destruction.  Ils  habiteront  dans  les  plaines  d7^a, 
où  était  auparavant  la  demeui*e  des  dieux  et  y  seront  joints 
par  les  fils  de  Thor,  Mode  et  Mague  ,  par  Balder  et  par 
Hunder,  qui  sortiront  du  séjour  des  morts.  Du  sein  de  la 
mer  surgira  une  terre  nouvelle  brillante  de  verdure  et  pro- 
duisant spontanément  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie  de 
l'homme.  Un  homme  et  une  femme  Z^/(lavie)  et  Llfthra- 
/èr,  qui,  pendant  l'embrasement  de  l'univers,  s'étaient 
cachés  sous  une  colline  ,  oii  ils  se  nourrissaient  de  rosée , 
procréeront  une  si  nombreuse  postérité ,  que  bientôt  la 
terre  régénérée ,  regorgera  d'habitans.  Une  fille  enfantée 
par  le  soleil  Sunna  avant  qu'il  ne  fut  dévoré  par  le  loup 
Fenris,  continuera  a  éclairer  la  terre  avec  autant  d'éclat  que 
son  père,  (ou  sa  mère ,  en  adoptant  le  langage  des  peuples  du 
nord  chez  lesquels  le  mot  soleil  est  du  genre  féminin)  (1). 

{!)  Edda,  c.  32  et  33. 


—  307  — 

Les  peuples  du  nord  croyaient ,  comme  les  Celtes,  a  une  vie 
future,  à  des  peines  et  des  récompenses  après  la  mort.  La 
demeure  des  justes  était  dans  un  superbe  palais,  bâti  d'or 
pur,  sur  les  montagnes  d'Inda,  et  dans  Himle  (le  ciel);  dans 
le  Wingolf  (  palais  de  Tamitié  ) ,  placé  dans  le  troisième 
ciel  nommé  le  vaste  (1),  lieu  plus  brillant  que  le  soleil 
même  et  où  Ion  trouvait  toutes  sortes  de  boissons  ;  dans  le  pa- 
lais Brymer  (salle  bien  cliaufifée)  situé  dans  le  pays  d'Okolm 
(endroit  inaccessible  au  froid).  La  demeure  d'Odin,  le  palais 
Walhalla^  dans  lequel  on  pénétrait  par  560  portes,  était 
le  séjour  des  guerriers  morts  dans  les  combats  et  de  tout 
homme  qui  avait  péri  de  mort  violente;  c'est  pourquoi 
tous  les  Germains  désiraient  finir  leurs  jours  de  cette 
manière ,  et  beaucoup  d'entr'eux ,  lorsqu'ils  devenaient 
vieux  et  qu'ils  ne  pouvaient  plus  chercher  la  mort  dans  les 
combats ,  la  recevaient  comme  un  bienfait  de  la  main  de 
leurs  proches  ou  de  leurs  amis^  (2), 

Lorsqu'un  nouvel  élu  arrivait  dans  le  palais  d'Odin ,  les 
bancs  étaient  ornés ,  le  pavé  jonché  de  paille  hachée ,  les 
héros  ,  hôtes  du  dieu ,  se  levaient  a  son  approche,  et  les 
Walkiers,  vierges  d'une  beauté  parfaite,  venaient  lui  offrir 
une  coupe  remplie  de  bière  ou  d'hydromel. 

Les  élus  d'Odin  passaient  leur  temps  à  dormir,  à  se 
battre  entr'eux ,  ou  a  manger  de  la  chair  du  sanglier 
Serimner,  c|ui  était  préparée  chaque  jour  par  le  cuisinier 
Audhrimer  dsixis  le  vase  Eldhrimery  et  a  boire  de  l'hydromel 
qui  coulait  en  abondance  des  mamelles  d'une  chèvre  qui  se 
nourrissait  des  feuilles  de  l'arbre  Lerada  :  «  Tous  les  jours, 
dit  l'Edda,  lorsqu'ils  sont  habillés,  ils  prennent  leurs  armes, 
entrent  en  lice ,  et  se  mettent  en  pièces  les  uns  les  autres  ; 

(1)  Edda,  c.  1,  9  et  33. 

(2)  Procop.,  Belh  Goth. ,  l.  II.  Nous  avons  observé  la  même  chose  par  rap- 
port aux  Gaulois. 


—  308  — 

c*est  leur  principal  divertissement  ;  mais  aussitôt  que 
l'heure  du  repas  approche ,  ils  remontent  tous  a  cheval , 
sains  et  saufs,  et  s'en  retournent  boire  au  palais  d'Odin  (1).» 
Les  autres  lieux  destine's  à  la  demeure  des  gens  de  bien , 
étaient  le  Trydheim  de  Thor ,  le  palais  de  Frigga,  celui  de 
Forsette  et  le  Bredalik  de  Balder. 

Les  me'chans  étaient  relègues  dans  le  Niflheim  ou  Nas- 
trand ^  gardé  par  Hela  (la  mort)  (2).  Dans  ce  lieu  de  ré- 
probation ,  situé  en  bas  dans  le  neuvième  monde ,  et  d'où 
il  était  impossible  aux  reprouvés  de  sortir ,  les  coupables 
essuyaient  les  tourmens  les  plus  aflfreux  :  le  serpent  Nid- 
hoggur  et  sa  nombreuse  progéniture ,  qui  formaient  la  toi- 
ture de  ce  palais  des  ténèbres,  les  tourmentaient  sans 
cesse  en  leur  dardant  leur  venin.  Avant  d'arriver  au  Nifl- 
heim ,  les  morts  traversaient  le  fleuve  Gialar  dont  la  garde 
était  confiée  SiMod-Godur  (l'adversaire  des  dieux). 

Tacite  rapporte  que  les  Germains  ne  déployaient  au- 
cune pompe  aux  funérailles  :  «  seulement,  dit-il,  on 
choisit  certains  bois  pour  brûler  les  corps  des  personnes 
distinguées  :  ils  n'entassent  sur  le  bûcher  ni  parfums ,  ni 
vêtemens  ;  on  livre  aux  flammes  avec  les  morts,  leurs  armes 
et  cjuelquefois  leur  cheval  de  bataille  (3).  Le  tombeau  est  une 
éminence  de  gazon.  Quant  à  ces  monumens  élevés  avec  tant 
de  peine  en  l'honneur  des  mânes  des  défunts,  ils  leur  dé- 
plaisent. On  s'abandonne  peu  aux  larmes,  aux  lamenta- 
tions, longtemps  a  la  douleur  ,  a  la  tristesse;  la  décence 


(1)  Edda,  c.  20. 

(2)  De  Hela  dérive  le  mot  flamand  Hel,  qui  désigne  encore  aujourd'hui 
l'enfer. 

(3)  Chez  les  Scandinaves  on  suspendait  les  cadavres  des  souverains  et  des 
personnes  de  distinction  aux  branches  d'un  arbre:  Morts  antiquorum  erat , 
cadavera  j)rincipum  in  frondosis  arhorihus,  prœsertini  quercinis ,  tanquam 
sacris  loci  numinibus  consecratis  suspendere  (Olaus  Magnus,  lib.  XVI,  c.  37). 


—  309  — 

condamne  les  femmes  aux  sanglots,  les  hommes  a  un  pro- 
fond souvenir  (1).  » 

D'autres  documens  anciens  confirment  la  plupart  des 
faits  rapportes  dans  ce  passage.  Le  tombeau  de  Chilperic , 
de'couvert  à  Tournai,  au  17^ siècle,  témoigne  qu'au  5^  siècle, 
les  Germains  n'avaient  point  perdu  la  coutume  de  brûler 
avec  le  cadavre  du  défunt ,  ses  armes  et  son  cheval  de  ba- 
taille ,  comme  les  objets  qui  lui  avaient  été  les  plus  chers. 
La  coutume  de  brûler  les  cadavres  était  encore  en  vogue 
chez  les  Saxons  au  8^  siècle  ;  Charlemagne  la  proscrivit  sous 
peine  de  mort  (2).  Anciennement  on  brûlait  même  avec 
le  défunt  sa  femme  et  ses  esclaves;  et  ce  n'est  qu'a  cette  con- 
dition qu'ils  étaient  admis  dans  le  Walhalla  (3).  Le  bois 
dont  on  formait  le  bûcher  des  personnes  de  distinction 
paraît  avoir  été  le  chêne  et  l'érable  (4),  Il  existe  de  nos 
jours  en  Belgique  une  foule  de  ces  tertres  artificiels ,  qui 
servaient  de  tombeaux  aux  chefs  des  Germains;  mais  comme 
les  Celtes  érigeaient  des  tombeaux  semblables,  nous  ignorons 

(1)  Tac.  M.  G.,  c.  27.  — Il  paraît  cependant  que  les  femmes,  peat-être  des 
pleureuses  gagées  a  cet  effet,  accompagnaient  les  morts  à  leur  dernière  demeure 
en  sanglotant  et  en  exprimant  leur  douleur,  vraie  ou  feinte,  par  des  cris  et 
deshurlemens,  comme  l'indique  un  capitulaire  qui  dit  :  admonemus  fidèles  ut 

ad  suos  mortuos  non  agant  ea   quœ  de  paganorum  ritu  remanseruni et 

quando  eos  ad  sepuliuramportaverint,  ululatum  excelsum  non  faciant  (Capit., 
lib.  VI,  c.  197). 

(2)  Si  quis  corpus  defuticti  hominis  secundum  ritum  paganorum  flaTuma 
consumi  fecerit  et  ossa  ejus  ad  cinerem  redegerit,  capife  punietur  (Capitul. 
Car.  M.,  de  partib.  Sax.,  §  7). 

(3)  Herulo  autem  viro  defuncto ,  necesse  eratuxorem,  quœ virtutis  existi- 
mationem  consequi  gloriamque  apud  posteros  relinquere  vellet,  laque o  apud 
viri  sepulcJirum  non  longe  post  vicamfinire,  Quœ  hoc  facere  reciisaret,  huic 
ignominiœ  nota  manehat,  et  à  mariti  propinquis  infestatio  (Procop.,  de  bell. 
Goth.,  1.  II). 

(4)  Hacbenberg,  Dissert. ,  XII,  ^  3, 

Les  bûchers  sur  lesquels  on  brûlait  les  cadavres  des  rois  Goths,  étaient 
faits  de  bois  de  genévrier  (  Olaus  M.,\.  XVI). 


^  310  — 

si  les  monumens  de  celte  espèce  que  Ton  voit  près  de  Tir- 
lemont  et  ailleurs,  furent  élevés  par  des  Celto-Belges  ou 
des  Germano-Belges.  Il  en  est  de  même  de  ces  tombeaux 
formés  de  deux  pierres  placées  perpendiculairement  et  sur- 
montées d'un  linteau ,  qui  étaient  en  usage ,  tant  chez  les 
Celtes,  que  chez  les  Germains  (1).  Les  tertres  artificiels 
étaient  ordinairement  entourés  d'un  cercle  de  pierres.  En 
les  fouillant ,  on  trouve  souvent  dans  l'intérieur  de  ces 
tombeaux,  un  caveau  formé  de  grosses  pierres  et  renfer- 
mant une  urne  avec  les  cendres  du  défunt  et  des  objets  brû- 
lés avec  lui.  On  y  observe  surtout  des  haches  ou  marteaux 
en  pierre  (ordinairement  en  jaspe)  appelés  marteaux  du 
tonnerre  (  donder  hamers  ) ,  qu'on  croit  avoir  désigné 
le  marteau  de  Thor  (2).  Les  lois  des  Germains  punis- 
saient sévèrement,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  la  des- 
truction de  ces  monumens  et  la  violation  des  tombeaux. 
La  peine  ordinaire  était  une  forte  amende  et  l'exil  (3).  Si 

(1)  Mone,  2®  th  ,  s.  47. — Mone  croit  que  les  tombeaux  en  pierre  désignent 
des  personnes  de  moindre  condition,  mais  libres  et  mortes  les  armes  à  la 
main  (ibid.,  p.  48). 

(2)  Quelquefois,  mais  rarement,  les  vases  trouvés  dans  ces  tombeaux  sont 
en  cuivre ,  en  bronze  et  en  oricalque ,  ou  alliage  de  cuivre,  de  zinc  et  de  quel- 
ques autres  demi-métaux.  On  y  découvre  aussi  des  pointes  de  flèclie  et  des 
lames  en  silex.  Dans  les  tombeaux  de  femme  on  remarque  parfois  des  mi- 
roirs, des  aiguilles  a  cheveux,  des  ciseaux  et  autres  objets  à  l'usage  du  sexe. 
On  mettait  aussi  quelquefois  à  côté  du  défunt  des  pièces  de  monnaie.  Les  tom- 
beaux dans  lesquels  on  trouve  des  lampes  funéraires,  des  haches  d'armes 
de  différentes  espèces,  des  agrafes,  des  strigiles  et  autres  instrumens  en  cui- 
vre, ne  datent  évidemment  que  de  Tépoque  romaine.  Mone  attribue  un  sens 
mystique  à  chaque  objet  déposé  dans  les  tombeaux  des  Germains  (voir  son 
ouvrage  sur  le  paganisme  des  peuples  du  nord  .  2^  partie ,  p.  158). 

(3)  Si  quis  aristatonem,  hoc  est  siapîum  super  mortuum  missum,  capula- 
verit,  aut  mandualem,  quod  est  structura,  sive  selave  (  al.  quod  est  ea  struc- 
tura sicut  Salive  s,  sillabe),  qui  est  ponticulus ,  sicut  more  antiquorum  fa- 
ciendum  fuit,  qui  hoc  destruxerit  aut  mortuum  ex  inde  expoliaverit ,  de 
unaquaque  de  istis,  600  denar.  qui  faciunt  sol.  15  culpahilis  judicetur  (Lex 
Sal.f   tit.    57,   §  3).  Si  quis  corpus  jam  sepultum  exfoderit  aut   expolia- 


—  311  — 

îe  criminel  était  une  personne  de  condition  servile  ,  il  su- 
bissait le  dernier  supplice ,  après  avoir  été  battu  de  verges. 

Le  linceul  dans  lequel  on  enveloppait  le  mort,  portait  le 
nom  de  Walaraupa  ou  Walaurapa\cdmc\^\  était  con- 
vaincu de  ravoir  soustrait,  était  condamné  a  en  payer  la 
valeur  au  double  (1). 

Les  cadavres ,  lorsqu'on  ne  les  brûlait  point,  étaient  dé- 
posés en  terre  couchés  sur  le  côté  droit,  placés  de  Test 
à  l'ouest  et  le  visage  tourné  au  soleil  levant ,  ce  qui  tenait 
au  système  des  Germains,  sur  l'immortalité  de  l'ame  :  ils 
croyaient  que  le  Valhalla  était  situé  près  de  l'orbite  du  soleil. 

Les  funérailles  étaient  terminées  par  un  repas  funèbre  ^ 
qui  avait  lieu  le  troisième,  le  septième  et  le  trentième  jour 
après  le  décès  ,  et  auquel  assistaient  les  parens  et  les  amis 

verit ,  unargus  sit  iisque  cum  parentihus  ipsius  defuncti  convenerit ,  ut  et 
ipsis  parentes  rogati  in  pro  eo,  ut  liceat  ei  infrà  patriam  esse  ^  et  qui- 
cumque  antea  ei  aut  panem,  aut  liospitalitatem  ei  dederit^  etiam  si  uxor 
ejus  hoc  fecerit ,  600  denar.qui  faciuntsol.  15  culpahilis  judicetur,  etc.  (Lex 
Sal.,  tit.  58,  §  5).  Si  quis  hominem  moriuum  exfoderit  et  expoîiaverit,  tnal- 
hergum  Turnichail  [Turni,  vox  Gallis  et  Germanis  communis ,  monticulum, 
collem  cacuminatum  et  rotundum  denotans  ) ,  <S00O  den.  qui  faciunt  soli- 
dos  200.  Çulpahilis  judicetur;  etpostea  parentes  defunctijudicem  rogare  dehenf^ 
ut  inter  honiities  non  hahitei  auctor  sceleris;  et  qui  ei  hospitium  dederit,  an- 
tequam  parentihus  satisfaciat ,  600  den.  qui  faciunt  solid.  15  çulpahilis  judi- 
cetur (Lex  Sal.,  tit.  17,  c.  2  et  3  ). 

Si  quis  moriuum  effodere  prœsumpserit ,  200*0?.  multetur  aut  cum  duode- 
cim  juret  (  Lex  Rip.,  tit  54,  ^  2).  Mais  celui  qui  avait  dépouillé  un  cadavre 
avant  qu'il  ne  fut  mis  en  terre ,  ne  payait  que  100  sols  et  ne  devait  jurer 
qu'avec  six  témoins  (ib.,  §  1  )•  La  loi  des  Bayarois  est  de  toutes  les  lois  bar- 
bares la  moins  sévère  à  l'égard  du  voleur  qui  avait  dépouillé  un  cadavre  : 
elle  ne  le  condamne  qu'à  quarante  sols  d'amende  (tit.  18,  c.  1). 

(1)  Lex  Bajuv.f  tit.  18,  c.  3. 

Le  cadavre  d'un  ancien  Cauque ,  découvert  au  village  d'Elzel ,  en  Oost 
Frize,  en  1817,  était  vêtu  d'un  habit  d'étolTe  grossière,  sans  coutures  ni  bou- 
tons, et  simplement  percé  de  deux  trous  pour  passer  les  bras.  Les  jambes  du 
défunt  étaient  enveloppées  d'un  morceau  d'étoile  pareille  h  celle  de  l'habit. 
Les  souliers  consistaient  en  une  pièce  de  cuir  non  tanné,  attaché  par  des 
courroies  (Mone,  2*=  th.,  s.  64]. 


—  312  -~ 

du  défunt.  Suivant  Keysler ,  les  mets  qu'on  servait  à  ces 
repas,  consistaient  en  fèves,  pois,  lentilles,  miel,  sel  et 
œufs.  Maigre'  les  canons  des  conciles  d'Arles,  de  Tours  et  de 
Leptines ,  et  plusieurs  capitula  ires  qui  défendaient  cette 
cére'monie  d  origine  payenne  ,  on  ne  put  parvenir  a  la  sup- 
primer entièrement ,  et  les  repas  funèbres  sont  encore  au- 
jourd'hui généralement  en  vogue  dans  les  villages  de  la 
Belgique.  Charlemagne  voyant  l'impossibilité  de  faire 
exécuter  les  lois  qu'il  avait  porte'es  contre  cette  an- 
cienne coutume,  voulut  au  moins  lui  donner  une  cou- 
leur religieuse ,  en  ordonnant  que  les  repas  des  morts  se- 
raient accompagnes  de  messes  et  de  prières  pour  l'ame  du 
défunt  ;  delà  nos  trentaines  et  les  messes  appelées  en 
Flandre  troisièmes  et  septièmes  (clerde  ensevenste)  (1).  Char- 
lemagne borna  aussi  les  repas  des  morts ,  a  un  seul  repas 
qui  devait  se  faire  le  jour  même  de  l'enterrement ,  usage 
qui  s'est  maintenu  jusqu'à  nos  jours  dans  presque  tous  les 
villages  de  la  Belgique.  Ce  repas  est  même  prescrit  par  les 
coutumes  du  moyen  âge  ,  qui  en  font  supporter  les  frais  à 
la  veuve  du  défunt  et  a  ses  héritiers  (2).  On  renouvelait  la 
même  cérémonie  le  22  février  de  chaque  année.  On  dépo- 
sait aussi  de  la  nourriture  sur  les  tombeaux  et  on  venait  y 
sacrifier  aux  mânes  des  défunts,  surtout  si  ces  derniers 
avaient  été  des  chefs  de  guerre  célèbres  ou  des  héros  re- 
nommés pour  leur  bravoure  et  morts  les  armes  à  la  main. 

§x. 

Xtat  des  sciences  ,  des  lettres ,  des  arts  et  de  l'industrie  chez  les  Germains 

ou  les  Germano-Selges. 

Nous  ne  possédons  qu'un  très-petit  nombre  de  documens 

(1)  Raepsaet,  Mem.  sur  l'origine  des  Belges,  p.  72.  Keysler.  p.  353. 

(2)  Raepsaet.  ibid. 


—  313  — 

anciens  sur  1  état  des  sciences  et  des  lettres  chez  les  peviples 
germains  ;  mais  par  la  barbarie  où  étaient  plonges  ces 
peuples,  moins  avances  encore  en  civilisation  que  les  Celtes, 
il  nous  est  aise  de  juger  du  peu  de  progrès  qu'ils  ont  du  y 
faire. 

Plusieurs  auteurs  modernes  ont,  d'après  un  passage  de 
l'ouvrage  de  Tacite  sur  les  mœurs  des  Germains ,  qui  dit  que 
les  hommes  et  les  femmes  germains  ignoraient  le  secret  des  let- 
tres il),  conclu  que  les  Teutons  ne  savaient  point  écrire.  Ce- 
pendant d'autres  ont  prétendu,  d'après  le  contenu  du  chapi- 
tre de  l'ouvrage  de  Tacite ,  qui  contient  ce  passage ,  que  cet 
auteur  avait  voulu  faire  entendre  uniquement  que  les  Ger- 
mains ne  connaissaient  pas  l'usage  des  billets  doux.  Duron- 
deau  soutient  a  son  tour,  cjue  Tacite  n'a  point  voulu  dire  que 
les  Germains  ignoraient  l' visage  de  l'alphabet,  mais  que  l'éru- 
dition et  les  belles-lettres  leurs  étaient  inconnues  (2).  Cette 
explication  nous  parait  peu  naturelle.  Au  reste  personne 
ne  doute  aujourd'hui  que  les  peuples  germains ,  surtout 
les  Scandinaves,  ne  possédassent  l'usage  de  l'écriture,  celle 
connue  sous  le  nom  de  7  unes.  Toutefois  ce  nom  dérivé  de 
runa,  mystère,  semblerait  indiquer  cjue  les  caractères 
runiques  n'étaient  employés,  comme  l'alphabet  druidique 
chez  les  Celtes ,  cjue  dans  des  écrits  cabalistiques ,  ou  ceux 
qui  concernaient  les  mystères  de  la  religion ,  si  l'on  ne  trou- 
vait encore  de  nos  jours  des  inscriptions  runiques  gravées 
sur  les  rochers  pour  rappeler  c|ueîque  événement  remar- 
quable ,  et  surtout  si  ces  caractères  n'avaient  servi  à  confec- 
tionner des  espèces  d'almanachs  qui  marquaient  les  phases 
de  la  lune ,  les  mois  et  les  jours  de  l'année  et  cjui  probable- 
ment étaient  d'un  usage  populaire. 

(1)  Litferarum    sécréta  viri  pariter  ac  fœmxnœ  ignorant  (Tac.   M.  G., 
e.  19). 

(2)  Durondeau,  Mém.  précité .  p.  100. 


—  314  — 

Quoique  les  documens  anciens  ne  nous  apprennent  point 
qu'il  existât  chez  les  Germains  ces  communautés  de  per- 
sonnes vouées  au  culte ,  qui ,  chez  les  Gaulois ,  s'occupaient 
de  lëtude  de  la  théologie  et  des  sciences  naturelles ,  les 
prêtres  germains  devaient  également  s'appliquer  a  con- 
naître les  dogmes  et  les  mythes  du  culte  dont  ils  étaient  les 
interprètes. 

Si  nous  ne  nous  attachons  qu'au  sens  littéral  de  l'Edda  et 
d'autres  écrits  anciens,  qui  renferment  les  dogmes  delà 
religion  des  anciens  Scandinaves  et  Germains,  nous  n'y 
verrons  qu'un  amas  de  fables  absurdes;  mais  des  criti- 
ques modernes  ont  cru  y  apercevoir  des  symboles  basés 
sur  les  lois  qui  régissent  l'univers ,  sur  les  trois  forces  mo- 
trices et  coopérantes  de  la  nature  (1).  Si  c'est  la  le  vérita- 
ble sens  des  mythes  des  peuples  du  nord,  il  faudrait  recon- 
naître aux  Germains  plus  de  pénétration  et  de  philosophie 
qu'on  ne  s'attendrait  à  en  trouver  chez  une  nation  que,  en 
ne  jugeant  que  d'après  sa  manière  de  vivre  inculte  et  bar- 
bare ,  on  ne  semble  pouvoir  placer  qu'au  dernier  degré  de 
Tordre  social. 

L'étude  des  simples  et  de  la  médecine  ne  paraît  avoir  été , 
comme  chez  les  Celtes,  qu'un  empyrisme  enveloppé  de  for- 
mules magiques  et  exercé  par  les  devins  et  les  magi- 
(  iennes. 

Nous  possédons  des  notions  plus  exactes  sur  la  poésie  des 
anciens  peuples  du  nord.  Les  Sagas  des  bardes  germains 
consistaient  en  marches,  dits  populaires,  contes  locaux, 
sagas  de  famille,  sagas  de  héros  et  chants  héroïques.  Par 
le  petit  nombre  de  poèmes  des  bardes  germains,  qui  sont 
parvenus  jusqu'à  nous,  nous  voyons  c[ae  la  poésie  des  peu- 
ples septentrionaux  avait  toutes  les  qualités  et  les  défauts  que 

(1)  Mone,  2'--  th.,  s,  276  et  passim. 


—  315  — 

nous  avons  atlribuës,  dans  le  chapitre  précèdent,  à  celle  des 
Celtes  (1).  Au  reste  comme  cette  matière  demanderait  des 
explications  plus  étendues  que  ne  le  permettrait  le  cadre  de 
notre  ouvrage,  nous  n'en  dirons  pas  davantage  sur  ce  sujet 
et  nous  nous  contenterons  de  renvoyer  ceux  qui  désireraient 
approfondir  cette  matière  ,  à  l'histoire  du  paganisme  dans 
le  nord  de  l'Europe ,  par  M.  Mone  ;  mais  particulièrement 
à  l'excellent  ouvrage,  que  ce  savant  illustre  a  publie  récem- 
ment sur  la  littérature  ancienne  des  peuples  du  nord. 

De  toutes  les  sciences,  celle  que  les  prêtres  germains  pa- 
raissent avoir  étudiée  avec  le  plus  de  prédilection ,  après 
la  théologie ,  est  l'astronomie ,  parce  que  la  connaissance  du 
cours  des  astres  était  intimement  liée  à  l'interprétation 
des  augures  et  à  la  magie.  Ils  doivent  même  y  avoir  fait 
quelque  progrès ,  à  juger  de  la  division  régulière  des  temps 
chez  les  Germains.  Leur  année,  était  lunaire,  comme 
celle  des  Celtes  ;  ils  la  partagèrent  d'abord  en  deux  sai- 
sons ,  l'été  et  l'hiver  (2) ,  parce  qu'à  cause  de  la  rigueur  du 
climat  de  la  Germanie,  il  n'y  existait  véritablement  que 
ces  deux  saisons.  L'année  avait  douze  mois  et  commençait 
au  21  décembre ,   mois  qui  portait  le  nom  de  Giuli  ou 


(1)  Les  chants  héroïques  des  bardes  germains  qu'on  possède  aujourd'hui 
sont  au  nombre  de  vingt,  dont  trois  concernent  les  Francs  et  seize  les  Goths. 
Le  plus  remarquable  est  le  poëme  des  Nihelungen,  mais  dont  on  n'a  retrouvé 
jusqu'ici  que  des  fragmens ,  découverts ,  vers  la  fia  du  siècle  dernier,  dans  l'ab- 
baye de  Saint-Gall.  On  croit  ce  poëme  du  6^  siècle  de  lère-vulgaire.  (Voir  sur 
les  nihelungen^  un  article  de  M.  Edgard  Quinet.  Revue  de  Paris,  1831,  t.  4). 

Eginhard  rapporte  que  Charlemagne  fit  rassembler  et  mettre  par  écrit 
tous  les  poëmcs  des  anciens  bardes  germains,  dans  lesquels  étaient  célébrés 
les  exploits  et  gestes  des  rois  :  Barbara  et  antiquissima  carmina  quibus  vc- 
terum  requm  actus  ethella canebantur scripsit  memoriœque  mandavit {¥,^mh.^ 
Vita  C\  k). 

(2)  L'hiver  commençait  au  21  septembre  ou  au  mois  d'octobre  (  winter 
fijUilh),  c'cst-k~dire  a  la  pleine  lune  après  le  solstice  d'automne. 


—  316  -~ 

A  fiera  Geola  ,  a  cause  de  la  fêle  de  Joël  qui  se  célébrait 
dans  ce  mois.  Le  mois  de  janvier  s'appelait  Wolfs  et 
Thorsmanoth  ;  celui  de  février  Joh  Goia  et  Fosto^an^s 
Manoth;  celui  de  mars,  Retth  et  Thurrmmanoth ;  celui 
d'avril,  Eoster ,  Ostdr  et  Koemmanoth]  etc.  (1). 

Au  reste ,  si ,  relativement  à  d  autres  branches  des  connais- 
sances humaines,  Fastronomie  a  fait  quelque  progrès  dans  la 
Germanie,  il  est  plus  que  probable  que  ces  connaissances 
étaient  exclusivement  du  domaine  des  prêtres ,  et  que , 
comme  les  druides,  qui  leur  servirent  peut-être  de  maîtres, 
ils  n'en  ont  communiqué  au  peuple  cjue  ce  qui  pouvait 
leur  servir  à  lui  inspirer  encore  davanlage  la  crainte  des 
dieux  et  la  soumission  à  leurs  ordres.  Nous  venons  de  voir, 
en  effet,  dans  le  §  précédent,  quelles  idées  étranges  et  su- 
perstitieuses le  commun  des  Germains  attachait  aux  éclip- 
ses du  soleil  et  de  la  lune ,  à  la  prétendue  influence  des 
astres  et  des  planètes ,  à  celle  de  certaines  époques  et  de 
certains  jours  de  l'année. 

Faute  de  documens ,  nous  ignorons  quelles  étaient  les 
notions,  tant  vraies  qu'erronées ,  que  les  Germains,  ou  plutôt 
leurs  prêtres,  avaient  acquises  dans  d'autres  sciences,  telles 
que  la  physique  et  la  botanique.  Ce  que  l'Edda  et  les 
Sagas  rapportent  de  l'essence  de  l'être  suprême ,  de  luni- 
vers  et  de  l'homme  est  trop  enveloppé  de  fables  et  de 
mythes ,  pour  que  nous  puissions  nous  former  une  idée 
exacte  du  système  philosophique  et  métaphysique  des  Ger- 
mains; car  toutes  les  explications  dans  lesquelles  dessavans 


(1)  Charlemagno  changea  la  dénomination  de  tous  les  mois  de  l'année  : 
on  les  appela  par  son  ordre,  Wintarmanoth ,  Hornung ^  Lenzinmanotli , 
Ostarmanotli ,  Heuvemanoih ,  Aranmanoili ,  llerbisltnanoth,  Jfinmanoth  , 
et  Ileilagmanoih  (Eginh.,  Vita  C.  M.,  c.  29  ).  —  Les  autres  mois  conservè- 
rent leurs  anciennes  dénominations.  Voir  Mone.  l"  tli.  s.  107. 


-  317  — 

modernes  sont  entres  à  ce  sujet  ne  nous  paraissent  que  des 
hypothèses  plus  ou  moins  spécieuses. 

Les  beaux-arts  étaient  encore  moins  connus  des  Ger- 
mains que  des  Gaulois  ;  et  d'après  ce  qu'on  a  lu  dans  le  cha- 
pitre V  sur  l'ëtat  des  arts  dans  la  Celtique ,  c'est  dire  que 
leur  ignorance  à  cet  égard  était  aussi  complète  que  celle  des 
peuples  les  plus  sauvages  qui  habitent  de  nos  jours  les  dé- 
serts de  l'Amérique  et  le  centre  de  l'Afrique,  Le  §  III ,  du 
présent  chapitre  a  fait  connaître  qu'entre  l'architecture 
des  Celtes  et  celle  des  Germains ,  la  différence  était  fort 
légère ,  la  manière  de  se  loger  des  uns  et  des  autres  ,  étant 
celle  de  l'homme  inculte  et  vivant  dans  l'état  de  nature.  Les 
monnaies,  statues  et  bas-reliefs  germains,  indiquent  l'ab- 
sence complète  des  moindres  notions  de  l'art  :  ils  sont  plus 
barbares ,  plus  informes  encore  que  ceux  des  Celtes. 

Les  airs  sur  lesquels  les  bardes  germains  entonnaient 
leurs  hymnes  et  leurs  chants  de  guerre,  n'offraient  sui- 
vant les  auteurs  grecs  et  romains ,  que  des  sons  rudes  et 
discordans  (1).  Nous  ne  doutons  point  que  telle  ne  fut  en 
effet  l'impression  que  la  musique  des  peuples  du  nord  pro- 
duisait sur  les  oreilles  délicates  des  peuples  les  plus  civi- 
lisés du  globe ,  accoutumés  à  n'entendre  que  les  sons  doux 
et  suaves  de  la  langue  la  plus  harmonieuse  connue  ;  mais 
certes  à  des  guerriers  barbares,  a  une  nation  aussi  étran- 
gère a  toutes  les  voluptés  de  la  civilisation  que  l'étaient  les 
Germains ,  il  fallait  une  musique  et  des  chants  en  harmonie 
avec  leurs  sens  et  leur  intelligence  grossiers.  Aussi  les  anciens, 
tout  en  traitant  de  barbares  et  de  monstrueuses  les  concep- 
tions et  la  musique  des  bardes  germains  ,  conviennent-ils 
de  l'effet  que  produisaient  sur  l'esprit  du  Germain,  les 
chants  de  ces  poètes  sacrés  ou  profanes ,  surtout  sur  le  champ 

(1)  Juliani,  Misop.,  Cses.,  Tacit.,  Amm.  Marcell.,  loc,  cit. 


--  318  — 

<le  bataille  ,  où  la  présence  des  bardes  était  jugée  aussi  né- 
cessaire que  celle  du  chef  d'armée  lui-même,  et  où  souvent 
ils  contribuèrent  plus  que  ce  dernier  à  soutenir  la  bra- 
voure des  guerriers  et  à  la  défaite  de  Fennemi. 

Ce  que  nous  pouvons  dire  de  l'état  de  l'industrie  et  du 
commerce  chez  les  Germano-Belges  se  borne  à  un  très-petit 
nombre  de  données.  En  effet  lorsque  Thistoire  nous  apprend 
que  chez  les  peuples  de  race  leutonique,les  hommes  avaient 
conçu  le  plus  profond  mépris  pour  toute  autre  profession 
que  celle  des  armes,  et  quils  chargeaient  leurs  épouses, 
condamnées  aux  travaux  les  plus  rudes ,  de  pourvoir  a  tous 
leurs  besoins ,  il  est  aisé  de  juger  du  peu  de  progrès  que 
l'industrie  à  du  faire  chez  ces  peuples.  Les  détails  dans  les- 
quels nous  sommes  entrés,  dans  un  des  paragraphes  précé- 
dens ,  sur  l'économie  rurale  des  Germains ,  nous  dispense 
de  nous  occuper  davantage  de  cette  matière  (1).  Ce  que 
nous  avons  dit  du  costume  des  Germains  a  du  faire  con- 
clure c[ue  cette  nation  dut  posséder  quelques  notions  sur 
la  fabrication  des  draps  et  de  la  toile. 

Les  documens  anciens  nous  font  connaître  que  les  Ger- 
mains fabriquaient  quelques  étoffes  grossières  de  laine  dont 
étaient  confectionnés  leurs  vétemens  ;  ils  tissaient  aussi  des 
toiles  de  lin ,  dont  les  plus  fines  étaient  portées  par  les 
femmes.  Tacite  dit  qu'elles  les  coloraient  en  pourpre  , 
preuve  cjue  Fart  des  teintures  était  connu  des  Germains 
comme  des  Celtes  (2).  La  couleur  bleue  était  particulière- 


(1)  Nous  ajouterons  seulement,  d'après  Reynier,  que  l'écobuage  était  pra- 
tiqué chez  les  peuples  germains,  comme  chez  les  Gaulois;  et  que,  d'après 
un  passage  de  Yopiscus,  Durondeau  a  conclu  que  les  Germains  se  servaient 
de  bœufs ,  pour  cultiver  leurs  champs  ;  mais  ce  passage  paraît  trop  vague 
pour  en  tirer  une  preuve  concluante.  La  chose,  au  reste,  est  d'assez  peu 
d'importance  (  voir  Durondeau ,  p.  71  ). 

(2)  Tac,  M.  G.,  c.  17.  ' 


^319  — 

ment  estimée  des  peuples  du  nord.  Ils  l'extraiaient,  suivant 
Pline,  dune  plante  nommée  Glastum  ,  que  Reynier  prend 
pour  le  pastel  (1).  Cet  auteur  assure  aussi  que  les  Germains 
connaissaient  l'art  du  feutrage  (2).  Si  Ion  y  ajoute  la  fabri- 
cation du  savon ,  du  sel  (3) ,  de  la  bière  et  de  l'hydromel  ; 
la  tonnellerie ,  le  charronnage  (4),  l'extraction  de  la  marne 
et  l'exploitation  de  quelques  mines  de  fer  ,  dont  le  produit 
n'était  guère  employé  qu'a  la  fabrication  des  armes,  on 
aura  à  peu  près  épuise'  la  nomenclature  de  tous  les  genres 
d'industrie  connus  des  Germains  et  des  Germano-Belges. 
Le  commerce  de  la  Belgique  dut  être  beaucoup  plus  flo- 
rissant lorscjue  cette  partie  des  Gaules  était  encore  occupe'e 
par  les  Celtes ,  qu'après  l'invasion  des  Germains  ;  car  alors 
le  commerce  d'importation  et  d'exportation  cessa  entière- 
ment dans  la  partie  centrale  de  la  Belgic]ue.  Nous  avons  vu 
plus  haut  que  les  Nerviens ,  la  peuplade  la  plus  puissante 
de  la  Belgique,  avaient  proscrit  sévèrement  tout  commerce 
avec  l'étranger  et  qu'ils  ne  permettaient  à  aucun  marchand 
de  mettre  le  pied  sur  leur  territoire.  Nous  ignorons  quelles 
étaient  à  cet  égard  les  idées  des  Eburons ,  des  Atuatiques 
et  des  autres  peuplades  de  la  Belgique  centrale.  Il  parait 
que  le  commerce  eut  quelques  chances  plus  heureuses  chez 
les  Ménapiens  qui  habitaient  les  côtes  de  la  mer.  Nous 
voyons  dans  les  commentaires  de  César,  que  ce  peuple  avait 
des  navires  sur  le  Rhin  et  qu'il  prit  une  part  active  à  la 


(1)  Pline,  1.  XX,  c.  55,  1.  XXIÏ,  c.  2.  Reynier,  p.  319. 

(2)  Reynier,  p.  316. 

(3)  Desroches  croit  qu'il  y  avait  des  sauneries  chez  les  Ménapiens  et  les 
Morins.  On  lit  en  effet  dans  le  recueil  de  Gruter,  p.  1090,  deux  inscriptions 
(mais  datant  du  règne  de  Yespasien),  où  il  est  question  des  saUnatores  civi- 
tatis  Menapioriim  et  civitaiis  Morinorum. 

(4)  liCs  roues  de  leurs  chariots  étaient,  comme  celles  des  voitures  gau- 
loises ,  de  grande  dimension  et  à  jour  (Reynier,  p.  331). 


—  320  — 

ligue  maritime  formée  par  les  Venétes  (1).  Le  commerce 
par  terre  fut  aussi  assez  actif  chez  les  Mënapiens  et  chez  les 
Morins  leurs  voisins ,  mais  il  paraît  que  le  commerce  d'ex- 
portation se  bornait  uniquement  a  la  vente  de  salaisons  et 
doies  engraissées  dans  les  marais  de  la  Flandre.  C'étaient  la 
au  moins  les  objets  dont  les  Ménapiens  trafiquaient  avec  les 
Romains  au  premier  et  au  second  siècle  deTère  vulgaire.  Il 
est  probable  cju'avant  la  conquête  de  la  Belgique  par  César, 
les  Ménapiens  et  les  Morins  se  livraient  à  cette  même  indus- 
trie ,  mais  qu'alors  ils  n'importaient  les  produits  de  leur 
sol  que  dans  la  Grande-Bretagne  et  une  partie  des  Gaules. 
Voila  à  quoi  se  bornent  toutes  les  notions  que  nous  avons 
pu  recueillir  sur  l'état  des  lettres  ,  des  arts  et  de  l'industrie 
chez  les  Germano-Belges  avant  la  domination  romaine.  Si 
ce  que  nous  venons  de  dire  sur  ce  sujet  n'offre  qu'un  tableau 
vague  et  incomplet,  c'est  au  défaut  de  documens  anciens 
qu'il  faut  l'attribuer ,  non  moins  qu'a  celui  de  la  matière 
même.  Que  dire  en  effet  des  sciences,  des  arts  et  de  l'in- 
dustrie d'une  nation  sauvage  et  nomade,  telle  que  l'étaient 
véritablement  les  Germains  aux  temps  reculés  dont  nous 
nous  occupons  dans  cette  partie  de  notre  ouvrage. 

(1)  César,  en  décrivant  la  forme  des  navires  des  Venêtes ,  n'ayant  pas 
fait  une  distinction  de  ceux  des  Ménapiens ,  il  est  probable  qu'ils  ne  diffé- 
raient point  dans  leur  construction.  Les  Ménapiens  se  servaient  en  outre  de 
canots  creusés  dans  un  tronc  d'arbre ,  comme  les  prouvent  plusieurs  de  ces 
canots  découverts  au  fond  des  tourbières  de  la  Flandre  et  a  une  grande  dis- 
tance de  la  mer  (voir  le  chap.  V,  de  la  2^  partie  du  liv.  I,  de  cel  ouvrage). 


321 


CHAPITRE  VI. 


JÊtat  physique  et  aspect  de  la  Belgique    avant  la    domination  romaine. 

Tout  prouve  dans  la  constitution  géologique  de  la  Bel- 
gique, que  la  majeure  partie  de  cette  contrée,  c'est-à-dire 
les  vastes  plaines  de  la  Flandre,  du  Brabant,  duLimbourg 
et  de  la  province  d'Anvers ,  fut  dans  l'origine  couverte  par 
les  flots  de  la  mer.  Ces  plaines  ne  forment  presque  partout 
qu'une  terre  d'alluvion  dans  laquelle  on  découvre  à  plus  ou 
moins  de  profondeur  les  anciens  sables  de  la  mer  remplis  de 
coquillages ,  de  débris  de  poissons  et  d'autres  substances 
marines,  tantôt  dans  leur  état  naturel,  tantôt  changés, 
pétrifiés  ou  incrustés  ,  selon  la  nature  des  sucs  qui  y 
abondent  (1).  Les  parties  de  la  Flandre  voisines  de  la 
mer  sont  presque  partout  de  trois  à  dix  pieds ,  et  même , 
dans  les  environs  de  Dunkerque,  à  dix-huit  pieds  au-dessous 
des  hautes  marées.  L'abbé  Mann  trouve  au  pays  entre  G  and 
et  Alost ,  une  parfaite  ressemblance  avec  les  bancs  de  sable 
sur  la  côte  de  la  Flandre,  appelés  bancs  flamands  ^  et  dont 
une  partie  est  à  découvert  pendant  les  basses  marées. 


(1)  L'abbé  Mann  ,  Mémoire  sur  V ancien  état  de  la  Flandre  maritime ,  dans 
les  anc.  wiewi.  de  VAcad.  de  Brux.,  t.  l,p.  7^.  Abrégé  de  l'histoire  ecclés. , 
civ.  et  tiaturelle  de  la  ville  de  Bruxelles,  3*  part.,  chap.  2  et  3,  et  le  chap.  VIII 
de  la  2**  partie  de  notre  ouvrage. 

Verstegen  rapporte  que  lorsqu'on  creusa  le  canal  de  Bruxelles ,  on  trouva 
beaucoup  de  débris  et  de  dépouilles  de  la  mer,  comme  ancres  et  os  de  pois- 
sons et,  entre  autres,  le  squelette  d'un  hippopotame,  qu'il  appelle  éléphant  marin 
et  qu'il  dit  avoir  vu  lui-même.  On  conservait  encore  au  siècle  dernier  une 
côte  de  baleine  trouvée  dans  une  carrière  près  de  Vilvorde,  à  plus  def)0  pieds 
sous  terre. 

Tome  I.  21 


—  322  -- 

Lorsque  les  plaines  de  la  Belgique  étaient  encore  cou- 
vertes par  les  eaux ,  la  chaîne  de  collines ,  qui  borde  ces 
plaines  du  sud  à  l'ouest ,  formait ,  dans  l'opinion  de  l'abbé 
Mann  et  de  M.  Belpair ,  la  côte  de  l'Océan.  L'abbé  Mann , 
avance  que  si  l'on  voulait  parcourir  la  Belgique,  on  y 
reconnaîtrait  facilement  les  cotes  de  la  mer  ,  ses  promon- 
toires et  ses  caps ,  ses  baies  et  ses  golfes  avec  leurs  entrées 
et  enfoncemens  au  dedans  de  l'ancienne  côte  élevée  ;  «  l'on 
voit  partout,  dit-il ,  que  cette  élévation  de  terrain  n'est  pas 
comme  les  montagnes  ordinaires ,  dont  la  déclivité  s'étend 
communément  à  quelques  lieues  dans  le  pays  ;  ici  le  change- 
ment est  subit,  et  l'ascente  commence  tout  d'un  coup, 
comme  on  le  voit  presque  partout  aux  bords  de  la  mer.  Ce 
qui  peut  encore  servir  a  faire  connoître  l'ancienne  côte 
élevée,  c'est  la  grande  différence  qui  se  trouve  entre  le 
terrain  qui  est  dans  l'intérieur  de  cette  côte  et  celui  qui  est 
entre  elle  et  la  côte  nouvelle ,  l'un  étant  ou  sablonneux  ou 
marécageux;  l'autre  élevé,  pierreux  et  inégal  (1).  «  Sui- 
vant le  même  auteur,  l'ancienne  côte  de  la  Belgique  com- 
mençait entre  Calais  et  Boulogne ,  passait  sur  la  droite  de 
Guines  et  d'Ardres  par  le  mont  de  Buminghem  jusqu'à 
Watte ,  où  du  temps  de  César  et  jusqu'au  10^  siècle,  il  y 
^vait  un  golfe  qui  s'étendait  jusqu'à  Saint-Omer,  Blandè- 
que  et  Wisernes.  De  Watte ,  la  côte  se  dirigeait  sur  Cassel 
par  Ravesberg ,  Balemberg ,  Domberg  ;  ensuite  elle  passait 
par  Eeke ,  Catsberghe  ,  Crainberg ,  Locre ,  Swartsberg , 
Mont-Kemele ,  Witsecatte ,  Messine ,  Rosenberg  ,  la  Hutte , 
jusques  vers  Warneton.  De  la ,  côtoyant  la  gauche  de  la 
Lys ,  elle  passait ,  par  Houtem ,  Holbeck ,  Ghelewe ,  Mont- 
Dadzeele,  Wincapelle,  à  Courtrai.  Au  midi  de  la  Lys ,  la 
chaîne  commençait  vis-a-vis  de  Messine,  par  Mont-Verwick, 

(l)  Mém.  sur  Vanc.  état  de  la  Flandre  maritime,  p.  74. 


—  323  — 

Mont-Haliewyn,  Pottelberge  jusqua  Courtrai.  De  Cour  Irai 
elle  se  dirigeait  sur  Audenaerde  par  Clytberg,  Suevelghem, 
Wulsberg,  Castre,  Spyteberg  et  Moeregliem.  La  chaîne 
tourne  a  environ  une  lieue  d'Alost  ,  près  d'Afïligliem , 
oh  Ton  trouve  encore  quantité  de  substances  marines  ;  de 
là  vers  Merchtem  ,  Grimbergen  ,  Laeken ,  etc. ,  jusqu'à 
Vilvorde,  oii  il  doit  y  avoir  eu  un  golfe,  et  jusqu  a  Bruxelles 
par  FAllée- Verte  :  «  Le  parc ,  l'endroit  le  plus  élevé  de  la 
ville ,  dit  l'abbé  Mann  ,  contient  presqu'à  la  surface  de  la 
terre  ,  des  pierres  numuculaires ,  des  osselets  d'étoiles  de 
nier  et  d'autres  débris  marins  en  quantité.  »  De  Vilvorde 
là  cote  passait  par  Cortenberg,  etc.,  jusque  près  de  Louvain 
vers  l'abbaye  de  Parc  et  le  château  d'Heverlé  ,  où  il  doit  y 
avoir  eu  de  même  un  golfe  (1).  De  Louvain  elle  tournait  vers 
le  nord  jusqu'à  Aerschot.  De  là  elle  tendait  vers  Sichem  , 
Diest,  Leau,  Borchloon,  Tongres^  Maastricht ,  Vàlckenberg , 
Aix-la-Chapelle,  Dueren  ,  Lechenich,  jusque  vers  Hersel, 
sur  les  bords  du  Uhin ,  entre  Bonn  et  Cologne. 

L'époque  où  les  parties  inférieures  de  la  Belgique  étaient 
encore  le  domaine  de  l'Océan  ,  doit  remonter  à  l'antiquité  la 
plus  reculée.  Il  en  est  de  même  de  celle  où  la  mer  se  retira 
de  ces  lieux  (2).  Certes  cet  événementne  peut  être  attribué, 
comme  l'ont  prétendu  quelques  auteurs ,  au  déluge  cim- 
brique ,  puisque  ce  dernier  n'eut  lieu  que  vers  Fan  150 , 
avant  l'ère- vulgaire  ;  et  l'on  sait  qu'alors  les  plaines  de  la 
Belgique  étaient  déjà  habitées  depuis  plusieurs  siècles. 
L'hypothèse  la  plus  vraisemblable,  relativement  à  la  re- 
traite de  la  mer  du  territoire  belge ,  est  celle  qui  en  attri- 
bue la  cause  à  la  rupture  de  l'isthme ,  qui,  selon  toute  pro- 
babilité, unissait  jadis  la  France  à  l'Angleterre  (3). 

(1)  Voir  lechap.  VIII  de  la  2"  partie  du  liv.  1"  de  cet  ouvrage. 

(2)  Desroches,  Hist.  anc.  des  Pays-Bas  Autrich.,  p.  2i. 

(3)  L'abbé  Mann,  Mémoire  sur   Vanc.  état  de  la  Flandre  marit.  Bel  pair, 


_  324  — 

Mais  comme  ces  faits  obscurs  appartiennent  à  un  âge  an- 
térieur aux  temps  historiques ,  nous  ne  nous  étendrons  pas 
davantage  sur  cette  question  ;  nous  devons  descendre ,  au 
dernier  siècle  avant  Tère- vulgaire ,  pour  trouver  quelques 
documens  authentiques  sur  la  topographie,  comme  sur  l'his- 
toire primitive  de  la  Belgique.  Cësar  étant  le  plus  ancien  au- 
teur qui  ait  connu  et  décrit  la  Belgique,  c'est  a  ses  commen- 
taires que  nous  aurons  uniquement  recours  pour  nous  former 
une  idée,  tant  soit  peu  exacte,  de  l'ëtat  physique  et  de  l'as- 
pect de  ce  pays  ,  avant  la  domination  romaine.  C'est  donc 
la  topographie  de  la  Belgique ,  au  moment  de  l'expédition 
de  César ,  que  nous  allons  présenter  ;  en  remontant  à  une 
époque  antérieure,  on  ne  rencontrerait,  nous  le  répétons,  que 
conjectures  vagues  et  hypothèses  sans  fondement ,  à  moins 
qu'on  ne  soit  assez  crédule  pour  ajouter  foi  aux  fables  débi- 
tées par  un  Lucius  de  ïongres  et  un  Jacques  de  Guyse  ;  ou 
qu'on  ne  veuille  bien  supposer  avec  le  bon  M.  de  Grave , 
qu'en  dépeignant  les  Champs-Elysées  des  Grecs,  Hésiode  et 
Homère  n'ont  eu  en  vue  que  de  décrire  la  Belgique  ac- 
tuelle (1). 

La  Belgique ,  de  nos  jours  un  des  pays  les  plus  beaux ,  les 
mieux  cultivés  et  les  pi  us  populeux  de  l'Europe,  était  au  temps 
de  sa  conquête,  et  on  peut  dire  de  sa  découverte ,  par  César, 
une  contrée  mal  peuplée,  d'un  aspect  sauvage  et  inculte, 
couverte  de  marais  et  hérissée  de  forets  impénétrables.  On 
ne  peut  mieux  se  figurer  l'aspect  ancien  de  ces  lieux ,  que 
par  celui  que  présentent  encore  de  nos  jours  les  déserts  de 
l'Amérique.  Ce  qui  ajoute  encore  à  leur  conformité ,  c'est 
la  grande  ressemblance  de  moeurs  des  sauvages  de  l'Amé- 


Mémoire  sur  les  changemens  que  la  côte  d'Anvers  à  Boulogne  a  subis,  etc., 
dans  les  mémoires  couron.  de  TAcad.  de  Brux..  1826-1827. 
(1)  Les  Champs  Elysées ,  par  de  Grave. 


\ 


—  325  -^ 

rique  ,  avec  celles  des  anciens  Germains  de  la  Belgique.  De 
même  que  dans  cette  partie  du  globe ,  l'Ocëan  et  les  fleuves 
que  l'industrie  humaine  n'avait  pas  encore  su  dompter  et 
captiver  dans  leurs  lits,  transformaient  en  marais  et  en  îlots 
les  plaines  de  la  Belgique ,  tandis  que  des  forêts  aussi  an- 
ciennes que  le  monde  couvraient  de  leur  ombre  les  mon- 
tagnes et  les  lieux  élevés  où  les  flots  n'avaient  pu  pénétrer. 
Cette  vaste  étendue  de  forêts  connue  sous  le  nom  dUAr- 
diienna  silva  (1) ,  couvrait  tout  l'espace  compris  entre  le 
Rhin ,  la  Meuse  et  l'Escaut  et  s'étendait  jusqu'au  de  là  des 
frontières  méridionales  des  Nerviens  (2).  César  donne  à 
cette  forêt,  plus  de  cinq  cents  milles  de  longueur;  mais  il  est 
propable,  ainsi  que  l'observe  Cluvier,  que  César  a  compris 
sous  le  nom  d'Ardennes  et  les  Vosges  et  autres  forêts,  jus- 
qu'aux sources  du  Rhin.  La  forêt  des  Ardennes,  n'était  elle- 
même  qu'une  suite  et  un  prolongement  de  l'immense  forêt 
hercynienne,  qui  occupait  toute  l'étendue  de  la  Germanie 
et  une  partie  de  la  Sarmatie  où  elle  se  terminait  dans 
des  régions  inconnues  aux  anciens.  Comme  la  forêt  hercy- 
nienne, celle  des  Ardennes  nourrissait  des  animaux  sau- 
vages, tels  que  des  rennes,  des  élans,  des  ours  et  des  bi- 
sons (3).  Le  territoire  des  Eburons,  des  Nerviens  et  des 

(1)  Ar-denn  signifie  en  langue  celtique  profond,  épais  (  Thierry,  Hist. 
des  Gaulois,  2^  partie,  c.  1  ).  Le  nom  d'Ardenne  paraît  générique;  car  deux 
diplômes  de  l'empereur  Henri  l'Oiseleur,  datés  de  l'an  1001  et  de  1003,  don- 
nent cette  dénomination  a  un  canton  de  la  Westphalie,  et  le  glossaire  de  Baxter, 
mentionne  une  forêt  d'Ardenne  dans  le  Warwickshire  en  Angleterre  (Dan- 
ville,  Notice  de  la  Gaule ,  p.  90). 

(2)  Profectus  per  Arduennam  sylvam,  quœ  est  totius  Galliœ  maxima , 
atque  ah  ripis  Rheni  finibusque  Treveronimad  Nervios  pertinet,  millihusque 
amplius  500  m  longitudine  patet  (  Cses.,  1.  VI,  c.  29).  Silvam  Arduennam 

quœ  ingenti  magniludine  per  medios  fines  Trevirorum  à  flumine  Rlieno 

ad  initium  Rhemorum  jtcrlinet  (id.  1.  Y,  c.  3  et  33).  Voir  aussi  Desroches, 
Hist  anc.  des  Pays-Bas  Autrichiens ,  p.  89  et  90. 

(3)  Cses.,  1.  VI,  c.  26  et  le  chap.  VIll  de  la  seconde  partie  de  notre  ouvrage. 


~-  326  — 

Atuatiques  était ,  comme  la  partie  la  plus  élevée  de  la 
Belgique  ,  presqu  entièrement  couvert  par  la  forêt  des 
Ardennes  (1).  La  fraction  de  cette  foret  ,  qui  s'éten- 
dait sur  le  territoire  des  Nerviens  ,  fut  connue  plus 
tard  sous  le  nom  de  Silva  carhonaria ,  comme  nous  le 
verrons  plus  amplement  dans  la  seconde  partie  de  cet  ou- 
vrage. 

Les  bords  des  fleuvçs  et  des  rivières  étaient,  a  lepoque 
des  conquêtes  de  César,  convertis  en  vastes  marécages, 
parce  que  les  eaux,  alors  beaucoup  plus  abondantes  qu'au- 
jourd'hui,  à  cause  delà  quantité  de  pluie  et  de  neige  qui 
tombait  dans  un  pays  aussi  couvert  que  l'était  la  Bel- 
gique,  n'étant  point  contenues  dans  le  lit  des  rivières, 
couvraient  toutes  les  plaines  voisines.  Ce  sont  ces  marais 
où  César  rapporte  que  les  Nerviens  cachèrent  leurs  femmes 
et  leurs  enfans ,  lorsqu'ils  se  virent  sur  le  point  d'être  atta- 
qués par  les  Romains  (2).  Pour  conduire  son  armée  de  la 
Moselle  au  bas  Escaut,  César  dut  faire  un  fort  grand  dé- 
tour pour  n'être  pas  arrêté  dans  sa  marche  par  les  obstacles 
naturels  qu'offrait  unpays  rempli  de  fondrières  et  d'épaisses 
forêts. 


(1)  Cses.j  1.  IV)  1.  VI,  c.  34  et 35.  Quorum {J^hnx:omim)  pars  in  Ardiiennam 
sdvam,  pars  in  continentes  paludes  perfugit  Id.,  1,  VI,  c.  8î» 

Les  bois  et  les  marais  dont  il  est  question  dans  ce  passage ,  se  trouvaient 
surtout  dans  l'espace  compris  entre  le  Yahal,  la  Meuse,  leDemeret  l'Escaut, 
où  le  bois  est  assez  rare  aujourd'hui. 

(2)  Mulieres  quique  per  œtaiem  ad  pugnam  inutiles  viderentur ,  in  eum 
locum  conjecisse,  quo  propter  paludes  exercitui  aditus  non  esse^  (Cses.,  1.  II, 
c.  43).  Quos  (senes)  ^mà  cumpueris  tnulierihusque  in  œstuaria  et  paludes 
conlaios  dixeramus,  ïd.  1.  II ,  c.  28. 

Il  y  a  des  auteurs  qui  prétendent  que  le  terme  œstuaria  indique  les  débor- 
demens  de  la  mer;  mais  celle-ci  se  trouvant  trop  éloignée  du  territoire  ner- 
vien.  il  est  plus  naturel  de  croire  qu'il  s'agit  des  débordemens  des  fleuves- 
Eyndius  est  dans  l'erreur  lorsqu'il  prétend  que  ces  œstuaria  désignent 
les  îles  de  îa  Zclandc  (Eyndius,  Vhron,  Zelandiœ  ,  1.  1). 


>^  327  -« 

Tels  étaient,  un  demi  siècle  avant  Fère-vulgaire,  les  pays 
des  Éburons ,  des  Nerviens  et  des  Atuatiques  :  de  vastes 
marais  et  des  flaques  d'eau  dans  les  plaines  ;  des  forets  im- 
pénétrables dans  les  lieux  élevés. 

La  Flandre  et  la  Zélande ,  oii  de  nos  jours  les  lacs  et  les 
marais  ne  sont  guère  plus  abondans  que  les  forets,  étaient 
alors  couvertes  des  uns  et  des  autres  (1).  Ici  ce  n'étaient  pas 
seulement  les  débordemens  de  l'Escaut  et  de  la  Meuse,  qui 
formaient  ces  eaux  stagnantes ,  en  envahissant  les  plaines 
voisines  de  leurs  lits,  mais  c'était  l'Océan  qui  causait  le  plus 
de  ravages;  car  n'étant  point  encore  contenus  par  des  digues 
ou  des  dunes  assez  élevées  et  assez  fortes  pour  leur  rompre 
leurs  efforts  (2),  les  flots  de  la  mer  ne  cessaient  de  pénétrer 
dans  les  basses  terres  a  chaque  marée  haute.  En  parlant  de 
la  mer  du  Nord ,  Tacite  observe  que  le  rivage  n'en  bor- 
nait point  le  flux  ou  le  reflux;  mais  quelle  se  répandait 
dans  l'intérieur  et  a  la  circonférence  des  terres,  qu'elle  s'é- 
tendait même  dans  les  bas-fonds  et  les  vallées ,  comme  dans 
son  propre  lit  (3).  César   rapporte  que  les   oppida   des 

(1)  Continente  s  que  silvas  ac  païudes  habehant.  Cses. ,  î.  VI ,  'perpetuis  pa- 
ludibus  silvisque  muniii.  Id.,  1.  III.  Deinde  Menapios ,  qui  sibi  propler 
immensas  paludes  atqne  inpeditissimas  silvas  munitis s imi  videbantur,  tri- 
bus agminibus  invadit.,  Oros.,  Hist  Rom,,  1.  VI,  c,  10. 

(2)  On  n'a  pas  de  justes  données  sur  l'époque  où  se  formèrent  les  dunes 
actuelles  des  côtes  de  la  Flandre,  mais  le  témoignage  de  César,  de  Pline, 
de  Tacite  et  du  rhéteur  Eumène  semblent  prouver  que  lors  de  la  conquête 
romaine,  et  même  au  5°  siècle,  elles  n'étaient  point  encore  capables  d'arrêter 
les  débordemens  de  la  mer.  «  Il  y  a  lieu  de  croire,  dit  l'abbé  Mann,  que  la 
côte  moderne  de  la  Flandre  a  été  originairement  un  grand  et  large  banc  de 
sable  dans  la  mer.  et  qu'après  la  retraite  de  la  mer  de  toute  l'étendue  du 
pays,  entre  ce  banc  et  l'ancienne  côte,  il  a  été  couvert  de  dunes  peu  à  peu  , 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  venu  au  point  où  nous  le  voyons.  Ce  qui  nous  le  fait 
penser,  c'est  que  la  plaine  au  pied  des  dunes  est  plus  élevée  de  dix  à  douze 
pieds  qu'elle  ne  Test  à  trois  ou  quatre  lieues  en  dedans  du  pays  par  une  pente 
imperceptible.  »  (  Mém.  sur  fane,  état  de  la  Flandre  marit.,  p.  95.  ) 

(3)  ...  Neclitore  tenus  accrescere  mit  resorbcri,  scd  infîuere  penitus  atquc 


^  328  — 

Venetes ,  peuple  de  la  Bretagne  dans  le  diocèse  de  Vannes, 
places  sur  des  promontoires  et  des  lieux  élevés,  étaient  deux 
fois  par  jour  entourés  par  les  eaux  de  la  mer  et  se  présen- 
taient alors  sous  la  forme  d'îlots  (1).  Pline  fait  la  même 
observation  à  l'égard  des  habitations  des  Cauques  (2).  Les 
plaines  de  la  Flandre  voisines  de  la  mer  étant  à  plusieurs 
pieds  au-dessous  des  hautes  marées,  ce  que  ces  deux  auteurs 
observent  du  pays  des  Venetes  et  de  l'Oost-Frise,  doit  éga- 
lement avoir  eu  lieu  de  leur  temps  dans  la  plus  grande 
partie  de  la  Flandre, 

On  ne  peut  donc  considérer  comme  une  hyperbole  et  une 
simple  Jleur  de  rhétorique^  ce  que  Eumène  ,  rhéteur  du 
4^  siècle,  disait  de  la  Flandre ,  que  la  terre  n y  était  pour 
ainsi  dire  pas  de  la  terre ,  mais  de  l'eau  :  pœne  terra  non 
est  (3).  En  un  mot,  on  ne  pourrait  mieux  dépeindre  l'état 
ancien  de  la  Flandre  que  par  ces  vers  de  Lucain. 

Çuaque  jacet  littus  duhium  quod  terra  fretumque 
Vindicat  alternis  vicibus ,  quum  funditur  ingens 
Oceanus ,  vel  quum  refugis  de  fluctibus  aufert  (4). 

Ce  sont  les  terres  élevées  sortant  en  forme  d'îlots  du  sein 


ambire^  etiam  jugis  atque  montibus  itiseri  velut  in  suo  (  Tac,  Vita  Agri- 
colae,  c.  10). 

(1)  Erant  ejusmodi  ferè  situs  oppidorum  (Venetorun) ,  ut  posita  in  extre- 
mis cinguîis  promontoriisque,  neque  pedibus  aditum  haberent,  quum  ex  alto 
se  œstus  incitavisset,  quod  bis  accidit  seniper  horarum  XII  spatio;  neque 
navïbus ,  quod  rur sus ,  minuente  œstu,  naves  in  vadis  adflictarentur  (Cses,, 
1.  III,  c.  12).  Frustra  adgressus  (Venetos).  dit  Orose ,  en  parlant  de  César . 
quippe  cum  hostes  per  interfusa  ex  Oceano  œstuaria  atquè  innaccessus  re- 
cessus  tutis  terrarum  finibus  [Sïmhus^  immirentur ,  naves  longas  œdiûcari 
in  Ligeri  fluvio  jubet  (Oi'os.,  Hist.   Rom.,  1.  VI ,   c.  8). 

(2)  Plin.,  Hist.  IVat.,  1.  XVI,  c.  1  et  le  chap.  VIII  de  la  2"=  part,  de  notre  ouvrage. 

(3)  Eumen.,  Panegyr.  Constantio  Cœs.  dictus,  et  le  chap.  VIII  de  la  2*=  partie 
de  notre  ouvrage.  C'est  aussi  par  cette  expression  pœwè  non  terra  que  Dan- 
ville  désigne  la  côte  de  la  Flandre  sur  sa  carte  des  Gaules. 

(4)  Lucan.;  Pharsal 


~  329  — 

des  lacs  et  des  marais  formes  par  les  débordemens  de  la  mer 
et  des  fleuves  dans  toute  l'e'tendue  de  la  Flandre ,  que  Stra- 
bon  désigne,  lorsqu'il  rapporte  des  Morins,  qu  ils  habitaient 
des  îles  au  milieu  des  marais  (1)  ;  c  est  dans  ces  iles  que  se 
réfugièrent  les  Eburons,  lorsque  César  procéda  a  l'extermi- 
nation de  ce  peuple  (2).  Ce  fut  la  aussi  que  se  retirèrent 
avec  leurs  familles  les  Ménapiens  et  les  Morins,  quand  l'ar- 
mée romaine  s'avançait  pour  conquérir  leur  territoire. 

Plusieurs  auteurs  ont  prétendu  que  jadis  la  Zélande  était 
jointe  à  la  Flandre  et  formait  une  terre  ferme ,  mais  il  se- 
rait plus  vrai  de  dire  que  la  Flandre  elle-même  n'était  pas 
un  continent.  D'ailleurs,  César  rapporte  qu'à  l'embouchure 
de  la  Meuse  et  du  bras  gauche  du  Rhin  ou  le  Yahal,  on  trou- 
vait de  son  temps ,  comme  aujourd'hui ,  plusieurs  iles  ;  car  il 
nous  semble  que  lorsqu'en  décrivant  le  cours  du  Rhin,  c'est- 
à-dire  le  bras  gauche  du  fleuve ,  il  dit  qu'à  son  approche 
de  l'Océan  ,  ce  fleuve  forme  plusieurs  embouchures  et  de 
grandes  îles  habitées  par  des  peuples  barbares  ,  dont  quel- 
ques-uns ne  se  nourrissaient  que  de  poisson  et  d'œufs 
d'oiseaux ,  ces  îles  ne  peuvent  être  autres  que  celles  de  la 
Zélande  et  de  la  Hollande  méridionale  (3) . 

(1)  Insulas  hahent  in  paludibus  exiguas.  Strab.,  Georg.,  I.  IV. 

(2]   Çui  proximi  oceano  fuerant,  hi  insulis  sese  occuUaverunt  quos  œslus 
effîcere  consueverunt  Cses.,  1.  VI ,  c.  3. 

(3)  [Chenus]  ubi  oceano  adpropinquat ,  in-plures  diffluit  partes,  multis- 
que  ingentibusque  insulis  effectis,  quarum  pars  magna  à  feris  barbarisque 
natioîiibus  ineolitur  {ex  quibus  sunt  qui  piscibus  atque  avis  avium  vivere 
exislimantur)  ^  muîtisque  capitibus  in  oceanum  influit  (  Caes,,  1.  IV,  c.  10). 
Il  y  en  a  qui  prétendent  que  les  îles  dont  parle  ici  César,  se  trouvaient  à 
l'embouchure  du  troisième  bras  du  Rhin  et  qu'elles  occupaient  remplace- 
ment du  Zuiderzee  ;  mais  à  l'époque  où  vivait  César  ce  bras  du  Rhin  n'exis- 
tait pas  encore  puisqu'il  doit  son  existence  a  Drusus  qui  joignit  par  un 
canal  le  Rhin  à  TYssel.  Il  ne  peut  pas  non  plus  y  être  question  du  bras  du 
Rhin  qui  avait  son  embouchure  à  Catwyck,  parce  que  là  le  Rhin  ne  se  dé- 
charge dans  la  mer  que  par  une  seule  embouchure  et  non  par  plusieurs 
comme  le  porte  le  texte  de  César. 


-^  330  — 

Ici  se  bornent  les  documens  que  fournissent  les  commen- 
taires de  César  sur  1  état  physique  de  la  Belgique  a  Te'poque 
de  la  conquête  de  cette  partie  des  Gaules ,  par  les  armées 
romaines  ;  nous  ne  pourrions  étendre  davantage  ce  chapitre 
saiis  recourir  a  des  documens  postérieurs  à  cette  dernière 
époque,  documens  auxquels  nous  avons  largement  puisé 
pour  la  composition  du  chapitre  VIII ,  de  la  2^  partie  de 
ce  livre ,  dans  lequel  nous  donnerons  le  tableau  le  plus  com- 
plet possible  de  l'état  physique  de  la  Belgique ,  et  de 
l'aspect  sous  lequel  s'offrit  ce  pays ,  depuis  le  commence- 
ment de  l'ère  vulgaire,  jusquau  12^  siècle. 

Ce  qui  proave  encore  que  du  temps  de  César  la  Zélande  ne  formait  pas  un 
continent,  mais  était  divisée  en  plusieurs  îles,  c'est  que  cet  auteur  confond  Tem- 
houclmre  de  la  Meuse  avec  celle  de  l'Escaut,  h  cause  des  îles  qui  obstruaient 
l'embouchure  de  ce  dernier  fleuve  :  ipse  cum  reliquis  tribus  legionibus  ad 
flumen  Scaldim  quod  influit  in  Mosanv ire  constituit  (Caes,,  I.  VI), 

L'île  de  Walcheren  est  désignée  positivement  dans  des  documens  du 
""  siècle  (voir  le  chapitre  Vîll  de  la  seconde  partie  du  livre  1"  de  notre 
ouvrage  ). 


—  331 


CHAPITRE  VII. 


Xieoherches  historique&  sur  l'état  de  la  population  de  la  Selgique  avant 
la  domination  romaine  et  sur  la  population  comparée  des  temps  anciens 
et  modernes. 


Une  des  questions  historiques  les  plus  intéressantes,  mais 
une  des  questions  les  plus  controversées  et  les  plus  difficiles  a 
résoudre,  est  celle  qui  concerne  l'ëtat  de  la  population  chez  les 
peuples  de  l'antiquité'.  C'est  que  la  statistique,  cette  science 
qui  seule  nous  procure  des  données  exactes  sur  les  ressources, 
les  richesses  *et  la  force  des  nations ,  science  inconnue  aux 
anciens,  est  une  branche  des  connaissances  humaines  toute 
récente  et  qui  ne  commença  guère  à  être  appréciée  et  cul- 
tivée que  vers  le  milieu  du  siècle  dernier.  Ce  n'est  qu'alors 
que  les  gouvernemens  des  états  civilisés  de  l'Europe  ordon- 
nèrent de  dresser  a  des  époques  fixes,  des  tableaux  officiels 
de  la  population  (1).  Anlérieurement  au  18^  siècle ,  on  ne 
faisait  des  dénombreniens  que  lorsqu'il  s'agissait  d'une  levée 
d'hommes  de  guerre  ou  d'établir  de  nouveaux  impôts  et 
d'en  faire  la  juste  répartition.  Encore  ces  listes  statistiques, 
dont  les  plus  anciennes  connues  ne  remontent ,  pour  la 
Belgique  ,  qu'au  15^  siècle ,  n'offrent-elles  que  des  résultats 
incomplets  ,  parce  qu'on  n'y  trouve  point  le  relevé  du 


(1)  Le  plus  ancien  cdit  pour  le  dénombrement  des  habitans  du  Brabant, 
qui  se  trouve  dans  la  collection  des  placards  de  cette  province,  est  daté  du 
27  décembre  I7^i {Pîacaerien  van  Brahant,  9*=  dccl,  bl.  340). 


—  332  — 

nombre  des  habitans  de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  coQime 
cela  a  lieu  de  nos  jours ,  mais  simplement  celui  des  foyers 
ou  maisons ,  d'après  lequel  on  ne  peut  supputer  la  popu- 
lation que  d  une  manière  plus  ou  moins  arbitraire,  surlout 
lorsqu'il  s'agit  de  temps  un  peu  recules  (1). 

Si  nous  sommes  si  peu  instruits  sur  l'ëtat  de  la  population 
de  l'Europe  a  des  époques  comparativement  modernes,  est-il 
étonnant  que  nous  ne  le  soyons  pas  davantage  sur  le  nombre 
des  habitans  dans  les  temps  anciens,  même  sur  celui  des 
contrées  les  plus  célèbres  de  i'anticjuité.  Certes,  les  historiens 
et  les  géographes  grecs  et  latins ,  nous  auraient  rendu  vm 
tout  autre  service ,  si ,  a  la  place  de  ces  descriptions  minu- 
tieuses de  batailles  et  de  sièges  de  villes  qui  remplissent  leurs 
ouvrages,  ils  fussent  entrés  dans  quelques  détails  sur  la  statis- 
tique et  l'économie  politiquedes  peuples  fameuxdont  ils  ont 
écrit  les  annales.  Des  savans  modernes  ne  seraient  pas  tombés 
alors  dans  ces  exagérations,  ces  contradictions  et  ces  erreurs 
où  ils  ont  été  induits  par  leur  aveugle  enthousiasme  pour 
les  anciens.  Combien  d'hypothèses  absurdes  n'a-t-on  pas  vu 
soutenir  par  des  érudits  estimables  du  16«  et  du  17^  siècle 
sur  la  population  prétendue  immense  de  l'Egypte  ancienne, 
de  la  Grèce ,  de  l'Italie  et  d'autres  pays  célèbres  de  l'anti- 
quité. Ce  n'est  que  depuis  le  milieu  du  siècle  dernier  lors- 
que la  statistique  fut  réduite  en  science  et  qu'un  esprit  phi- 
losophique et  une  saine  critique  commencèrent  a  présider 
aux  études  historiques ,  qu'il  se  répandit  un  peu  plus  de 
lumières  sur  l'histoire  des  peuples  anciens.  De  Paw ,  dans 
ses  recherches  philosophiques  sur  les  Grecs  et  les  Egyp- 
tiens, et  le  célèbre  historien  et  philosophe  anglais  Hume  , 

(1)  Nous  ne  connaissons  point  de  dénombrement  des  foyers  de  quelque 
province  de  la  Belgique  antérieur  h  celui  du  Brabant.  de  l'an  14.36,  qui  ,'i 
été  publié  dans  la  hibîiothcquc  des  .antiquités  belgiques  ,  par  MM.  Marshall 
et  Bojjaerts. 

m 


—  333  — 

dans  ses  discours  politiques  ,  ont  les  premiers  réfute 
ces  exagérations  et  contribué  à  dissiper  les  erreurs  des 
savans  du  16^  et  du  17^  siècle  sur  la  statistique  et  la  popu- 
lation des  peuples  les  plus  célèbres  de  l'antiquité  (1).  Ces 
auteurs  furent  suivis  par  Bureau  de  Lamalle  et  Letronne  , 
dont  les  savans  et  judicieux  travaux  ont  répandu  un  si  grand 
jour  sur  l'état  de  la  population  de  Tltalie  et  de  la  Grèce 
anciennes.  Picot  et  Desrocîies  sont,  à  notre  connaissance, 
les  premiers  auteurs  modernes  qui  se  soient  livrés  a  des  re- 
cberches  sur  la  population  des  Gaules  et  de  la  Belgique 
romaine.  Le  résultat  de  nos  propres  recherches,  non-seule- 
ment diffère  totalement  du  leur  ,  mais  nous  avons  encore 
le  premier  donné  un  relevé  du  nombre  des  habitans  de  la 
Belgique  ancienne  réduite  à  ses  limites  actuelles  (2). 

La  méthode  que  nous  avons  adoptée  dans  cet  ouvrage , 
exigerait  sans  doute  que  nous  commençassions  par  donner 
le  tableau  de  la  population  de  la  Belgique  sous  les  Celto- 
Belges;  mais  comme  il  ne  nous  est  point  parvenu  le  moin- 
dre document  ancien  qui  put  jeter  quelque  jour  sur  cette 
matière ,  et  que  dans  une  question  de  ce  genre ,  les  simples 
conjectures  ne  sauraient  suppléer  aux  données  historiques 
et  ne  serviraient  qu'à  nous  engager  dans  des  discussions 
oiseuses  qui  n'offriraient  aucun  résultat  positif,  force  nous 
est  de  laisser  la  question  indécise  et  de  borner  nos  recher- 
ches aux  temps  historiques  qui  ne  commencent  pour  la  Bel- 


(1)  Hume  composa  son  dixième  discours  politique,  dans  lequel  il  traite  de 
la  population  dans  les  temps  anciens,  pour  réfuter  Wallace  et  les  hypo- 
thèses singulières  que  Montesquieu  a  formées  sur  la  population  du  monde 
ancien  dans  un  chapitre  de  Y  Esprit  des  lois. 

(2)  Quand  nous  écrivions  ceci,  M.  de  Reiffenberg  n'avait  point  encore 
fait  paraître  la  seconde  partie  de  son  excellent  Essai  sur  la  statistique  an- 
cienne de  la  Belgique^  dans  lequel  ce  savant  distingué  a  donné  un  tableau 
de  la  population  ancienne  de  la  Belgique,  mais  différent  du  nôtre. 


—  334  — 

gique,  qu  à  la  conquête  de  nos  provinces  par  César.  Il  est 
probable  quà  cette  époque  même,  les  Germano-Belges 
n'étaient  guère  mieux  instruits,  que  nous  ne  le  sommes 
aujourdliui ,  sur  léiat  des  forces  numériques  des  peuples 
celtes  dont  ils  avaient  envahi  le  territoire.  Tout  ce  qu'on 
peut  présumer  de  plus  vraisemblable ,  c'est  que  la  popula- 
tion celto-belge,  dut  être  plus  faible  que  celle  des  peu- 
plades germano  -  belges ,  qui  la  remplacèrent  ,  parce 
qu'une  nation  aussi  belliqueuse  et  aussi  vaillante  que  l'était 
les  Celtes,  ne  se  fut  pas  laissé  ainsi  expulser  si  elle  avait  été 
aussi  puissante  que  ses  adversaires. 

Lorsque  César,  après  avoir  en  peu  de  mois  conquis 
l'Helvétie  et  une  grande  partie  des  Gaules ,  se  prépara  'a 
envahir  la  Belgique ,  les  Belges  sentirent  le  danger  qui  me- 
naçait leur  liberté  et  leur  indépendance  et  combien  il  leur 
serait  difficile  de  résister  a  un  ennemi  aussi  formidable. 
Mais  l'imminence  du  péril ,  loin  d'abattre  leur  courage , 
accrut  encore  leur  énergie  et  leur  fierté.  Une  assemblée 
générale  fut  convoquée ,  à  laquelle  se  rendirent  les  députés 
des  dififérens  peuples  qui  occupaient  la  Belgique  dans  sa 
plus  grande  étendue.  Là  les  Germano-Belges  et  les  Celto- 
Belges,  faisant  trêve  a  leurs  éternelles  dissentions,  et  ou- 
bliant, pour  le  salut  de  tous,  leurs  vieille  haine  nationale, 
résolurent  d'unir  toutes  leurs  forces  pour  résister  de  con- 
cert à  l'ennemi  commun  :  tous  jurèrent  de  défendre  la 
liberté  et  l'indépendance  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Un 
seul  peuple  belge ,  les  Remois,  qui  par  leur  position  terri- 
toriale auraient  dû  former  l'avant-garde  de  la  confédéra- 
tion, non-seulement  refusa  opiniâtrement  de  se  dévouer  à 
une  cause  aussi  glorieuse  que  celle  cjui  avait  pour  but  d'af- 
franchir les  Gaules  de  la  domination  étrangère  ,  mais 
il  eut  encore  l'insigne  lâcheté  d'envoyer  à  César,  avant 
même  que   l'armée  romaine  n'eut  entamé  le   territoire 


—  335  — 

remois,  des  députes  pour  mendier  son  amitié  et  sa  protec- 
tion, c'est-à-dire,  pour  se  soumettre  bëneVolement  au  triste 
sort  que  les  Romains  réservaient  à  tout  peuple  qu'ils  con- 
traignaient de  subir  leur  loi ,  comme  à  celui  qu  ils  trai- 
taient de  peuple  ami  et  d'allié. 

César  était  trop  habile  pour  ne  pas  accueillir  favo- 
rablement la  supplique  des  Remois;  et  mettant  tout 
d'abord  à  profit  les  bonnes  dispositions  et  les  offres  obli- 
geans  de  ces  nouveaux  alliés,  il  s'informa  auprès  d'eux 
quel  était  le  nombre  et  le  nom  des  peuples  qui  constituaient 
la  ligue  belge;  quelles  étaient  leurs  forces  militaires  et  le 
nombre  d'hommes  qu  ils  pouvaient  mettre  en  campagne  (1)= 
Les  Remois  charmés  de  trouver  une  occasion  aussi  oppor- 
tune de  prouver  leur  dévouement  et  leur  servilité  au  géné- 
ral romain ,  répondirent  avec  joie  à  César  que  leur  qua- 
lité de  Belges  et  leur  aflfinité  avec  les  confédérés  ,  les  ayant 
mis  en  état  de  connaître  toutes  les  ressources  de  ces  derniers, 
ils  étaient  prêts  a  lui  fournir  tous  les  renseignemens  qu'il 
pouvait  désirer  sur  ce  sujet(2).  C'est  d'après  ces  révélations 
des  Remois  ,  que  César  a  composé  le  tableau  de  la  popula- 
tion mâle  en  état  de  porter  les  armes  chez  les  diiférens 
peuples  qui  occupaient  l'espace  compris  entre  le  Rhin, 
l'Océan,  la  Seine  et  la  Marne.  Les  peupladesde  la  Belgique 
actuelle,  qui  figurent  dans  ce  relevé,  que  César  a  placé  au 
livre  II  de  ses  commentaires ,  sont  au  nombre  de  sept. 
Leur  force  numérique  y  est  désignée  comme  suit  : 


(1)  Quœ  civitates  ^  quantœque  in  armis  essent,  et  quid  in  bello  passent 
(Cœs.,  l.  II,  c.  4). 

(2)  De  numéro  eorum  omnia  se  habere  ea-plorata,  Rémi  dicehant  ^  propterea 
quod  propinquitatihus  adfimtatihusque  conjuncti,  quantum  quisque  multi- 
tudinem  in  communi  Belgarum  concilio  adid  hélium  pollicitus  sit^  cognove- 
rint  (id.,  ibid.  ). 


-^  336  — 

LesNerviens,  50,000         hommes  (1). 

Les  Ménapi^ns ,  9,000  » 

Les  Atuatiques ,  19,000  (2) .        » 

Les  Eburons,  Les  Condru- 

siens  ,   les  Pemaniens  et 

les  Cërësiens,  ensemble,  40,000  » 

Total     118,000. 

Ce  tableau  statistique ,  outre  qu'il  est  le  seul  document 
qui  nous  fasse  connaître  Tëtat  de  la  population  de  la  Bel- 
gique dans  les  temps  anciens ,  nous  révèle  en  même  temps 
quelles  étaient  les  forces  respectives  des  différentes  peu- 
plades qui  occupaient  alors  le  sol  de  notre  patrie.  Les  Ner- 
viens  y  apparaissent  comme  le  peuple  le  plus  puissant  et 
le  plus  nombreux  de  la  Belgique.  Viennent  ensuite  les 
Atuatiques,  et  après  ces  derniers,  les  Eburons,  leurs  tri- 


(1)  Dans  ce  nombre  sont  probablement  compris  les  cinq  peuplades  qui 
vivaient  sous  la  protection  des  Nerviens.  A  la  célèbre  bataille  que  ces  der- 
niers livrèrent  à  César,  aux  bords  de  la  Sambre,  leur  armée  montait  h 
60,000  hommes,  mais  il  faut  probablement  y  comprendre  les  troupes  auxi- 
liaires que  leur  fournirent  les  Atrebales  et  les  Vermandois,  dont  les  forces 
militaires  s'élevaient  à  dix  mille  hommes,  suivant  le  tableau  statistique  de 
César. 

(2)  Quelques  éditions  des  commentaires  de  César,  portent  7000  Ména- 
pîens  au  lieu  de  9000,  et  29,000  Atuatiques  à  la  place  de  19,000;  mais 
ce  texte  est  évidemment  corrompu ,  comme  le  prouvent  les  plus  anciens  ma- 
nuscrits où  les  chiffres  sont  conformes  aux  nôtres,  et  particulièrement  l'ou- 
vrage d'Orose,  historien  du  5°  siècle,  où  le  dénombrement  donné  par  César, 
étant  écrit  en  toutes  lettres  et  non  par  chiffres ,  n'a  pu  être  corrompu  par 
les  copistes,  comme  il  l'est  dans  quelques  manuscrits  des  commentaires  ; 
Nervii.....  quinquaginta  millia.  Menapii  novem  milita.  Condrusi  ,  Ebii- 
rones  f  Cœresif  Pœmani ,  qui  uno  nomine  Germani  vocantur ,  quadraginta 
millia  (  Oros.,  Hist^  1.  Vï,  c.  7  ).  —  Sauf  le  nombre  octodecitn  millia  pour 
la  population  atuatique ,  au  lieu  de  XIX  millia ,  que  portent  les  commen- 
taires de  César, ce  dénombrement  est  en  tout  conforme  à  celui  des  meilleures 
éditions  de  ces  derniers. 


—  337  — 

bulaires,  puis  les  Menapiens.  Il  est  probable  que  dans  les 
40,000  hommes,  auxquels  César  e'value  le  nombre  des 
Eburons,  desCondrusiens,  des  Pemaniens  et  des  Cérësiens 
en  état  de  porteries  armes,  les  Eburons  ne  figurent  que  pour 
un  quart ,  et  que  leur  population  mâle  et  pubère  ne  s'élevait 
guère  qu  a  dix  ou  douze  mille  âmes  ;  car ,  suivant  César, 
c'était  une  des  peuplades  les  plus  faibles  de  la  Bel- 
gique (1).  C'est  encore  un  fait  a  remarquer  que  les  Ebu- 
rons et  les  Menapiens,  qui  de  tous  les  peuples  de  la  Belgique 
at:tuelle  possédaient  le  territoire  le  plus  étendu,  fussent 
néanmoins  les  plus  faibles  en  nombre.  Cependant  la  chose 
paraîtra  moins  étrange  ,  si  l'on  réfléchit  qu'à  cette  époque 
les  trois  quarts  de  cette  contrée,  surtout  le  pays  des 
Menapiens,  étaient  encore  inhabitables. 

Les  Romains,  et  les  Grecs  surtout,  ne  manquaient  ja- 
mais d'exagérer  étrangement  les  forces  de  leurs  ennemis 
afin  de  donner  plus  d'éclat  à  leurs  victoires.  Il  est  à  pré- 
sumer que  César,  assez  vain  de  sa  nature,  n'aura  point 
dérogé  à  cette  coutume.  En  effet  on  a  vu  dans  le  ta- 
bleau précédent,  qu'il  porte  a  19,000  hommes  le  contin- 
gent que  les  Atuatiques  fournirent  a  la  confédération  belge, 
force  numérique  qui  certes  doit  paraître  étonnante ,  si  l'on 
réfléchit  que  lorsque  les  Cimbres  passèrent  le  Rhin ,  pour 
envahir  les  Gaules ,  Tan  113  avant  l'ère  vulgaire ,  le  nom- 
bre des  Atuatiques  ne  dépassait  pas  6000  (2).  Si ,  à  l'époque 
de  l'invasion  de  la  Belgique  par  les  Romains,  ce  nombre 
s'élevait  à  19,000 ,  ainsi  que  le  prétend  César  ,  la  popula- 


(1)  En  parlant  de  la  révolte  des  Eburons,  lorsqu'ils  vinrent  investir  le 
camp  de  Salinus  et  de  Cotta,  lieutenans  de  César,  ce  dernier  dit  :  maxime 
hac  re  permovebantiir  (Sahinus  et  Cotta)  quod  civitatem  ignobilem  atque 
humilem  Eburonum  sua  sponte  populo  Romanobellum  facere  ausamvix  erat 
credendum,  (  Caes.,  1.  V,  c.  8). 

(2)  Caes.,  1.  II,  c.  29. 

Tome  I.  22 


lion  Atuatique  aurait  du  se  tripler  en  moins  d'un  demi- 
siècle  ,  la  première  campagne  de  César  en  Belgique  da^ 
tant  de  Tan  57  avant  J.  -  Ch .  Un  accroissement  de  population 
aussi  prodigieux  paraît  de  toute  impossibilité,  surtout  chez 
un  peuple  barbare  et  toujours  en  guerre  avec  les  peuples 
limitrophes;  à  moins  qu'on  ne  veuille  justifier  le  calcul  de 
César,  en  supposant  que  cette  progression  vraiment  extraor- 
dinaire de  population  ait  été  produite  par  les  alliances  que 
les  Atuatiques  auront  pu  contracter  avec  d'autres  peuples, 
les  Eburons,  par  exemple,  qu'ils  avaient  rendus  tribu- 
taires et  dont  ils  Occupaient  une  partie  de  territoire;  ou 
qu'elle  puisse  être  attribuée  à  ce  que  les  Cimbres,  dé- 
bris de  la  grande  horde  défaite  par  Marius  ,  seront  venus 
chercher  un  asile  auprès  de  leurs  compatriotes  qulls 
avaient  laissés  sur  les  rives  du  Rhin  a  la  garde  de  leurs 
bagages.  L'une  ou  l'autre  de  ces  conjectures  peut  pa- 
raître vraisemblable ,  mais  n'étant  point  appuyées  par  des 
preuves  historiques ,  elles  n'en  restent  pas  moins  des  hypo- 
thèses qui  ne  feront  pas  entièrement  absoudre  César  du 
reproche  d'inexactitude  et  d'exagération  par  rapport  à  la 
population  atuatique;  car,  nous  le  répétons,  ce  serait  là 
émettre  la  plus  absurde  des  hypothèses ,  que  de  prétendre 
qu'un  peuple  sauvage,  sans  industrie  et  n'ayant  d'autre 
occupation  que  la  guerre  ou  la  chasse ,  ait  triplé  sa  popula- 
tion en  un  demi  siècle,  malgré  la  perte  considérable  d'hom- 
mes qui  a  du  résulter  de  ces  combats  sanglans  cju'il  était 
obligé  de  soutenir  journellement  contre  les  peuplades  en- 
nemies qui  ne  lui  laissaient  aucun  repos  ;  qu'un  tel  peuple, 
disons-nous ,  soit  devenu  trois  fois  plus  nombreux  qu'il  ne 
l'était  cinquante  ans  auparavant,  c'est  à-dire  dans  un  espace 
de  temps  pendant  lequel  des  peuples  civilisés ,  industrieux 
et  vivant  à  l'ombre  de  la  paix ,  voient  à  peine  doubler 
leur  population. 


—  339  — 

Quoiqu'il  en  soit,  pour  ne  pas  étre^  à  notre  tour,  accusé 
d'exagération,  dans  un  sens  contraire,  par  ceux  que  les 
déclamations  des  admirateurs  outrés  de  l'antiquité  ont  pu 
induire  en  erreur  sur  l'état  de  la  population  aux  temps 
anciens,  nous  admettrons  avec  César  le  chiffre  118,000, 
comme  étant  celui  de  la  population  mâle  en  état  de  porter 
les  armes  chez  les  différentes  peuplades  de  la  Belgique 
actuelle,  désignées  par  cet  auteur  dans  le  relevé  statistique 
rapporté  plus  haut« 

Parvenu  à  l'âge  de  puberté  ,  tout  Gaulois ,  tout  Germain 
devenait  homme  de  guerre  et  portait  les  armes  jusqu'à  ce 
que  l'extrême  vieillesse  l'eut  condamné  à  se  livrer  au  re- 
pos (1).  Tout  tendant  dans  l'éducation  d'un  Gaulois  et  d'un 
Germain  à  en  faire  un  guerrier  robuste  et  valeureux,  les 
forces  du  corps  devaient ,  ainsi  qu'il  a  été  dit  dans  un  cha- 
pitre précédent,  se  développer  de  bonne  heure,  et,  par 
la  manière  de  vivre  de  ces  peuples,  se  conserver  dans 
une  robuste  vieillesse.  De  là  nous  pouvons  conclure  que 
tout  Belge  était  propre  au  maniement  des  armes  depuis 
seize  jusqu'à  soixante-dix  ans.  Il  n'y  a  même  que  peu  de 
siècles  que  les  personnes  de  cet  âge  étaient  encore  as- 
treintes au  service  militaire  en  Belgique  (2).  Ceci  posé , 

(1)  Ammien  Marcell.,  1.  XV,  c.  12.  Seneca ,  Epist. ,  36,  Hirtius  de  hello 
Gall,  1.  VIII 5  c.  12  et  le  cliap.  V,  §  6  de  la  V^  partie  du  liv.  1  de  cet 
ouvrage. 

(2)  Van  den  Bogaerde,  Statistike  beschryving  van  het  Imid  van  Waes , 
V  deel. 

Chez  les  Francs,  tout  homme  de  l'âge  de  16  a  60  ans  était  obligé  déporter 
les  armes  :  Quilihet  homo  œtatis  inter  sexdecim  et  sexaginta  amios  Jurabit  et 
assidebiturad  arma[MiitihxusVar\s'iens\s.  Chron.,  p.  149.  Van  hoon^Aloude 
regeringswyze  van  Holland,  ^  deel,  bl.  335).  Suivant  Luitprand  ,  les  Saxons 
étaient  propres  a  la  guerre  dès  l'âge  de  treize  ans  :  est  enim  mos  laudandtis 
atque  imitandus  /  quatenus  annum  post  untim  atque  duodecim  nemini  mili- 
tumbello  déesse  contingat.  (Luitprand,  Ilist.   Longoh.,  lib.  II,  c.  8). 

M.  de  Reifienberg  prouve    très-bien  que  l'organisation  toute   militaire 


--  340  — 

nous  établissons  que  les  118,000  Belges,  designés  par  César 
comme  constituant  la  population  mâle  et  en  état  de  porter 
les  armes,  formaient  le  quart  de  la  population  totale.  Nous 
citerons  deux  faits  qui  viennent  a  l'appui  de  cette  suppu- 
tation :  en  premier  lieu,  César  rapporte  que  lorsqu'il  vain- 
quit les  Helvétiens  et  qu'il  s'empara  de  leur  camp ,  il  y 
trouva  des  tablettes  qui  contenaient  un  relevé  officiel  de 
toute  la  population  helvétienne,  oîi  était  spécifié  le  nombre 
des  habitans  en  état  de  porter  les  armes.  Le  nombre  des 
Helvétiens  de  tout  âge  et  de  tout  sexe  y  était  porté  ,  y 
compris  leurs   alliés,  les  Tulingiens,  les  Latobriges,  les 
Rauraciens  et  les  Boiens ,  à  368,000  âmes ,  et  celui  des 
guerriers  à  92,000,  chiffre  qui  équivaut  exactement  au 
quart  de  x:elui  de  la  population  totale  (1).  En  second  lieu , 
Paterculus  dit  que  sous  le  règne  de  Tibère,  la  population 
de  la  Pannonie  et  de  la  Dalmatie  s'élevait  a  800,000  âmes, 
et  le  nombre  d'hommes  en  état  de  porter  les  armes,  a 
200,000;  ce  qui  constitue,  comme  chez  les  Helvétiens,  le 
quart  de   la  population  totale  (2).  Nous  pouvons  croire 

des  anciens  Belges  simplifiait  extrêmement  les  moyens  d'arriver  h  un  dénom- 
brement exact  de  la  population  [Essai  sur  la  statist.  anc.  de  la  Belgique,^.  43). 

(1)  Quitus  in  tabulis  nominaiim.  ratio  confecta  erat,  qui  numerus  domo 
exisset  eorum ,  qui  arma  ferre  passent;  et  item  separatim  pueri,  senes  mul- 
ieresque.  Ouarum  omnium  rei^m  summa  erat ,  capitum  Helvetiorum  mi- 
lia  CCLXIII,  Talingorum  milia  XXXVI ,  Latohrigorum  XIV,  Rauraco- 
rum  XXIII,  Bojorum  XXXII  ;  ex  his  qiii  arma  ferre  passent,  ad  milia  XCII. 
Summa  omnium  fuerunt  ad  milia  CCCLXIIX  (Cœs.,  1.  I.  c.  29). 

Polyène  porte  le  nombre  des  Helvétiens  et  de  leurs  alliés  à  300,000,  dont 
200.000  en  état  de  porteries  armes  :  erant  in  summa  irecenta  millia  capitum, 
ex  quitus  arma  ferebant  ducenta  millia  arma  ferentes  (Polyeni  Stratag.). 
Plutarque  n'évalue  la  population  belvétienne  qu'a  190,000  âmes.  Ces  deux 
calculs  sont  évidemment  faux,  comme  s'éloignant  de  celui  de  César,  dont 
Polyène  et  Plutarque  ou  leurs  copistes  ont  altéré  le  texte. 

(2)  Geniium  nationumque  quœ  rehellav erant  omnis  numerus  amplius 
DCCC  millibus  explehat.  Ducenta  ferè  coîligebantur  armis  habilia  (  Pater- 
cul, /^^5^  iJom,,  l.  Il,  c.  110). 


—  341  -- 

cVaiUanl  mieux ,  sur  cette  question,  César  et  Paterculus , 
que  ces  deux  auteurs  ont  écrit  en  témoins  oculaires ,  César 
pendant  son  expédition  contre  les  Helvétiens,  et  Pater- 
culus  dans  la  campagne  de  Tibère  contre  les  Dalmates  et 
les  Pannoniens,  à  laquelle  cet  historien  prit  une  part 
active. 

Ainsi  nous  croyons  donc  pouvoir  en  toute  sûreté  appli- 
quer ce  résultat  à  celui  de  la  population  belge,  et  en  induire 
que  les  hommes  en  état  de  porter  les  armes  formaient  aussi 
le  quart  du  nombre  total  des  Belges,  dont  les  mœurs  et  le 
genre  de  vie  étaient  en  presque  tout  point  conformes  à 
ceux  des  Helvétiens ,  des  Pannoniens  et  des  Dalmates.  Si 
donc  nous  regardons  les  118,000  hommes  en  état  de  porter 
les  armes  chez  les  Belges  ,  suivant  le  relevé  statistique  de 
César,  comme  formant  le  quart  de  la  population  totale, 
cette  dernière  s'élèvera  a  472,000  âmes  ;  savoir  :  200,000 
Nerviens,  76,000  Atuatiques,  36,000  Ménapiens  et  160,000 
Eburons,  Condrusiens,  Pemaniens  et  Céresiens,  de  tout 
âge  et  de  tout  sexe  (1). 

C'était  la,  dira-t-on  ,  une  population  bien  peu  considé- 
rable pour  un  pays  qui  compte  de  nos  jours  quatre  mil- 
lions d'habitans.  Bien  plus,  le  nombre  des  habitans  de  la 
Belgique  actuelle  était  même  loin  de  s'élever  à  470,000 

(1)  La  comparaison  statistique  des  lois  de  la  population  donne  1/8  dindi  v 
vidus  de  l'âge  de  20  à  27  ans  et  1/3  de  l'âge  de  27  a  50  ans  :  en  tout 
11/24.  En  prenant  la  moitié  de  ce  nombre  pour  les  mâles,  nous  aurons 
5  1/2/12  ou  à  peu  près  un  quart  d'individus  mâles  de  20  à  50  ans  (voyez 
Jomard,  Population  comparée  de  V Egypte  ancienne  et  moderne ,  note  G, 
dans  le  grand  ouvrage  de  l'institut  d'Egypte,  2^  édit.  ).  Comme  nous  avons 
calculé  que  chez  les  Belges  les  individus  mâles  de  16  à  70  ans  constituaient 
la  population  en  état  de  porter  les  armes ,  ils  devraient  former  plus  du  quart 
du  nombre  total  des  habitans.  Mais  comme  César  a  pris  pour  le  quart  des 
habitans  de  l'Heîvétie  les  hommes  en  état  de  porter  les  armes,  nous  avons 
cru  devoir  suivre  le  même  calcul  pour  la  population  belge;  ainsi  notre  éva- 
luation est  loin  de  pêcher  par  faiblesse. 


—  342  — 

arnes  à  l'époque  de  la  conquête  de  César  ;  car ,  outre  la 
Belgique  actuelle,  les  Nerviens  et  autres  peuples  désignés 
dans  le  tableau  occupaient  encore  une  grande  étendue  de 
pays  en  dehors  des  limites  de  ce  royaume  ;  ainsi  la  ma- 
jeure partie  des  Eburons  (pars  maxima  )  demeur2ât  entre 
la  Meuse  et  le  Rhin,  dans  le  diocèse  actuel  de  Cologne. 
Les  Nerviens  s'étendaient  jusqu'à  l'extrémité  du  Cambresis 
et  du  Hainaut  français;  enfin  les  Ménapiens  occupaient, 
outre  la  Flandre  actuelle,  la  Gueldre  prussienne  ,  le  duché 
de  Clèves,  une  partie  du  Brabant  septentrional  et  une 
grande  partie  du  département  du  nord.  L'étendue  de  toutes 
ces  contrées  équivaut  presque  à  celle  de  la  Belgique  (ac- 
tuelle) entière ,  et  c'était  la  que  vivait  la  population  la  plus 
compacte  des  Nerviens,  des  Ménapiens  et  des  Eburons;  car 
le  Hainaut  français,  oii,  sous  la  domination  romaine,  se  trou- 
vait le  chef-lieu  des  Nerviens,  Bavai,  devait  être  la  partie 
la  plus  peuplée  du  territoire  de  ce  peuple.  Il  en  était  de 
même,  pour  les  Ménapiens  ,  de  la  Gueldre  et  du  duché  de 
Clèves ,  avant  que  les  Tenclitres  et  les  Usipètes  ne  les  eus- 
sent chassés  de  ces  lieux.  La  plus  grande  partie  des  Eburons 
habitait  aussi  entre  la  Meuse  et  le  Rhin  comme  nous  l'avons 
écrit  plus  haut.  Il  paraît  donc  qu'on  pourrait  fort  bien 
réduire  le  chiffre  470,000  à  celui  de  230,000  pour  avoir 
le  nombre  le  plus  probable  des  habilans  de  la  Belgique  a 
l'époque  de  l'expédition  de  César. 

Cependant  il  est  à  observer  que  dans  le  dénombrement 
des  peuples  de  la  Belgique  actuelle ,  César  n'a  point  com- 
pris les  Tréviriens  qui  habitaient  dans  le  diocèse  de  Trêves 
et  le  Luxembourg  actuel.  Nous  ne  pouvons  supputer  la  popu- 
lation ancienne  de  cette  dernière  province  que  parla  compa- 
raison de  la  population  ancienne  et  moderne  de  la  Belgique 
entière  avec  la  population  actuelle  du  Luxembourg.  Le 
nombre  des  habitansde  la  Belgique,  non  compris  leLuxem- 


~  343  — 

bourg,  étant  aujourd'hui  d'environ  3,800,000  âmes,  et  du 
temps  de  César  seulement  de  230,000  (d'après  notre  calcul 
précèdent),  ce  dernier  chiffre  forme  à  peu  près  un  dix-neu- 
vième du  premier.  Si  de  même  nous  prenons  pour  les  temps 
anciens  le  dix-neuvième  de  la  population  actuelle  du  Luxem- 
bourg ,  celle-ci  étant  aujourd'hui  d'environ  225,000  âmes, 
nous  aurons  un  peu  plus  de  12,000  habitans;  ce  qui  joint 
aux  230,000  âmes  que  nous  avons  compte'es  pour  le  reste  de 
la  Belgique ,  forme  un  total  de  242,000  âmes  ou ,  en  nom- 
bres ronds,  250,000  pour  toute  la  Belgique  actuelle  a 
l'époque  de  la  conquête  de  Cësar  (1).  C'est  là  le  chiffre  le 
plus  êleve'  que  nous  assignons  à  la  population  de  la  Bel- 
gique à  cette  e'poque  (2). 

On  pourrait  nous  demander  si  parmi  les  Belges  en  ëtat 
de  porter  les  armes ,  Cësar  a  compris  les  esclaves  ou  plutôt 
les  serfs,  parce  qu'à  cette  ëpoque  il  n'y  avait  encore  que 
très-peu  d'esclaves  proprement  dits  chez  les  peuples  d'ori^ 
gine  germaine.  Plusieurs  auteurs  pensent  qu'il  n'y  avait  que 
les  hommes  libres  qui  portassent  les  armes  chez  les  Germains; 
nous  croyons  le  contraire  et  nous  pensons  c[ue  dans  des 


(1)  César  nomme  dans  ses  commentaires,  mais  une  seule  fois,  une  petite 
peuplade  de  la  Belgique ,  les  Ambivarites.  11  n'a  point  donné  le  dénombre^ 
ment  de  leur  population  mâle.  Peut-être  cette  petite  peuplade  aura-t-elle 
été  comprise  dans  le  dénombrement  des  grandes  peuplades,  comme  auront 
été  également  compris  dans  le  dénombrement  des  Nerviens ,  les  Levaciens, 
les  Centrons  ,  les  Pleumosiens  ,  les  Grudiens  et  les  Gorduniens  ,  peu- 
plades dépendantes  des  Nerviens.  En  tout  cas  la  population  de  ces  petites 
tribus  devait  être  très-faible. 

(2)  M.  de  Reiffenberg  élève  a  700.000  la  population  de  la  Belgique  actuelle 
au  temps  de  César.  Nous  croyons  que  cet  auteur  aurait  porté  ce  cbifTre  moins 
haut,  si,  comme  nous,  il  avait  fait  entrer  dans  ses  calculs  le  relevé  de  la 
population  des  Helvétiens  donné  par  César,  et  celui  des  Pannoniens  conservé 
par  Patercnlus.  Il  n'aurait  peut-être  pas  multiplié  alors  le  nombre  des  hommes 
armes  par  5,  mais  par  4,  surtout  s'il  avait  considéré  Tâge  auquel  on  était 
apte  à  porter  les  armes  chez  les  Germains  et  les  Gaulois. 


—  3^4  ~ 

expéditions  importantes  et  des  momens  critiques ,  comme 
celui  oii  l'indépendance  des  Belges  fut  menacée  par  César, 
les  peuples  germains,  tels  que  Tétaient  les  Belges,  menaient 
avec  eux  au  combat  des  hommes ,  qui  étant  moins  des  es- 
claves que  des  colons  ,  avaient ,  comme  leurs  maîtres,  une 
famille  et  un  foyer  à  défendre  (1).  Ce  qui  le  suppose,  c'est 
que  César  assure  qu'il  n'y  eut  que  les  vieillards,  les  femmes 
et  les  enfans  des  Nerviens  qui  ne  prirent  point  part  à  la  mé- 
morable bataille  qu'il  gagna  contre  ce  peuple  (2).  Il  semble 
aussi  par  le  relevé  de  la  population  helvétienne  donné 
par  César ,  que  les  esclaves  aussi  bien  que  les  personnes 
libres  étaient  comptés  au  nombre  des  hommes  en  état  de 
porter  les  armes  (3).  Paul  Diacre  dit,  en  parlant  des  Lom- 
bards ,  peuple  d'origine  germaine  comme  les  Belges ,  qu'à 
la  guerre  la  bravoure  et  les  hauts  faits  d'armes  faisaient  la 
seule  distinction  entre  les  hommes  libres  et  les  esclaves  (4). 
La  loi  salique  permet  aux  esclaves  d'aller  à  la  guerre ,  mais 
seulement  armés  de  massues  et  non  de  la  lance.  La  loi  des 
Bourguignons  ordonne  formellement  à  tout  Bourguignon 
de  mener  avec  lui  a  la  guerre  le  tiers  de  ses  serfs.  Au  temps 
de  la  féodalité,  dont  l'origine  remonte  jusqu'aux  anciens 
Germains,  les  serfs  combattaient  avec  leurs  maîtres,  à  la 
seule  différence  qu'ils  devaient  se  battre  à  pied,  tandis  que 
leurs  maîtres  montaient  d'excellens  coursiers  ;  et  même  de 
nos  jours ,  les  paysans  serfs  ne  forment-ils  pas  le  noyau  et 
la  force  des  armées  russes  ? 

(1)  Suam  quîsque  (Servus)  sedem,  suas  pénates  régit  :  frumenti  modum 
dominus  aut  pecoris  aut  vestis  ut  colono  injungit  et  servus  hactenùs  parel 
(Tacit.  Mores  Germ.,  c.  25). 

(2)  Mulieres  quique per  œtatem  inutiles  viderentur  (Cses..  lib.  2 ,  c.  16  et  27). 

(3)  C'est  aussi  l'avis  de  Hume  rutous les lionimes,  dit-il,  capables  déporter 
les  armes  chez  les  Helvétlens  faisaient  le  quart  de  tous  les  habitans:  témoi- 
gnage manifeste  que  tout  homme  fait  y  portait  les  armes.» 

(4)  Paul.  Diac.  Hist.  Longob. 


—  345  — 

Au  reste ,  au  temps  de  Cësar ,  le  nombre  des  serfs  ne 
paraît  pas  avoir  été  fort  grand  chez  les  Germano-Belges. 
Les  Celtes  qui  habitaient  la  Belgique  avant  l'invasion  des 
peuples  germains  ne  furent  point  réduits  en  esclavage  par 
ces  derniers ,  mais  expulsés  du  territoire  belge ,  comme  le 
rapporte  César,  d'après  les  renseignemens  que  lui  fourni- 
rent les  Belges  eux-mêmes.  Ainsi,  quand  même  cet  auteur 
n'aurait  pas  compris  les  serfs  dans  le  dénombrement  de  la 
population  mâle  de  la  Belgique ,  ces  derniers  n'étaient  pas 
en  assez  grand  nombre  pour  annuler  notre  calcul  sur  le 
nombre  des  habitans  de  cette  partie  des  Gaules  (1). 

Qu  on  ne  s'étonne  pas  que  la  population  de  la  Belgique 
n'était ,  il  y  a  dix-neuf  siècles,  que  d'un  dix-neuvicme  de  la 
population  actuelle  ;  nous  voyons  par  un  dénombrement 
officiel  de  Fan  1472 ,  que  la  population  du  Brabant ,  qui 
s'élève  aujourd'hui  à  plus  de  560,000  âmes ,  n'était  à  cette 
époque  que  d'environ  210,000  (2).  Un  pays  aussi  peu  civi- 

(1)  Wallace  a  étrangement  exagéré  le  nombre  des  esclaves  de  la  Belgique 
ancienne  (dans  sa  plus  grande  étendue).  Tl  élève  la  population  de  cette  con- 
trée à  8j000,000  d'araes ,  ce  qui  ferait  plus  de  ù^ois  millions  et  demi  pour  la 
Belgique  dans  sa  circonscription  actuelle  (  Essai  sur  la  statist.  aiic.  de  la 
Belgique ,  2*  partie,  p.  12). 

(2)  Voyez  notre  mémoire  sur  la  'population  du  Brahant  en  1472  et  1480, 
comparée  à  celle  d'aujourd'hui,  dans  le  Messager  des  sciences  et  des  arts  de 
la  Belgique,  2«  série,  tome  1".  La  ville  de  Bruxelles  qui  renferme  aujour- 
d'hui plus  de  13000  maisons,  n'en  contenait  alors  que  6731.  Anvers  en 
avait  4510,  et  en  1826,  9131,  non  compris  les  faubourgs.  lia  rédaction 
du  Messager  des  sciences  et  des  arts  n'a  pas  été  de  notre  avis  lorsque  nous 
avons  calculé  la  population  du  Brabant  en  1472,  sur  le  pied  de  cinq  per- 
sonnes par  maison  ou  foyer;  ce  nombre  lui  a  paru  trop  faible.  Elle  aurait 
peut-être  changé  d'avis,  si  elle  avait  remarqué  qu'Anvers,  dont  les  maisons 
sont  aujourd'hui  bien  plus  spacieuses  que  ne  l'étaient  les  chétives  demeures 
du  15®  siècle,  ne  compte  que  65980  habitans  pour  9131  maisons,  et  si  elle 
s'était  rappelé  les  anciens  dénombremens  de  la  population  du  pays  de  Waes 
donnés  par  Vandenbogaerde  et  ceux  des  habitans  de  la  Hollande  en  1515 
1632  et  1732  [Tegenw.  staat  der  JSederlanden).  La  jjopuîation  y  est  toujours 
portée  sur  le  pied  de  cinq  personnes  par  foyer.  • 


—  346  — 

lise  que  l  était  la  Belgique  avant  la  domination  romaine  , 
un  pays  presque  inculte ,  sans  industrie,  couvert  sur  toute 
sa  surface  de  forets  et  de  marais  impénétrables,  et  dont  les 
sauvages  habitans  ne  pouvaient  devenir  fort  nombreux  à 
cause  de  dissentions  civiles  sans  cesse  renaissantes  (1)  et  de 
leurs  guerres  continuelles  contre  les  peuples  voisins  ;  un  tel 
pays,  ne  devait  et  ne  pouvait  avoir  cjuune  bien  faible 
population. 

Quoicjue  cjuelques  provinces  de  la  Belgicjue  aient  aujour- 
d'hui une  population  triple  de  celle  de  ce  pays  tout  entier 
du  temps  de  César  ;  quoique  le  vaste  territoire  occupé  an- 
ciennement par  les  Ménapiens  compte  actuellement  une 
population  de  plus  de  2,500,000  habitans,  tandis  cju'il  y  en 
avait  à  peine  36,000  l'an  57  avant  l'ère  vulgaire ,  250,000 
habitans  formaient  encore  une  population  considérable 
pour  la  Belgique ,  vu  l'état  inculte  et  désert  oii  se  trou- 
vait cette  contrée  aujourd'hui  si  belle,  si  industrieuse,  si 
bien  cultivée.  Il  est  des  parties  de  l'Amérique  habitées  par 
les  sauvages,  lesquelles,  avec  une  surface  plus  de  vingt  fois 
plus  considérable  que  celle  de  la  Belgique ,  sont  encore 
loin  de  compter  autant  d'habitans ,  et  nos  anciens  Belges, 
n'en  déplaise  a  certains  auteurs ,  étaient-ils  plus  civilisés  et 
moins  barbares  que  ne  le  sont  les  tribus  sauvages  du  Nou- 
veau-Monde ? 

Les  autres  contrées  des  Gaules  n'étaient  pas  plus  peu- 


(1)  In  Galliâ,  non  solum  in  oyinibus  pagis  y  partibusque ,  sedpœnè  etiam 
in  singulis  domibus  factiones  sunt  (Caes.,  bel.  Gai.,  lib.  VI,  c.  11  ).  Ingrata 
genti  quies  (Tacit.  Mores  Germ.^c.  14).  César  rapporte  que  les  peuples  ger- 
mains se  faisaient  une  grande  gloire  d'avoir  réduit  en  déserts  les  contrées 
voisines  de  leurs  frontières.  Civitaiibus  (Germanise)  maxima  laus  est  qiiatn 
latîssimas ,  circum  se  raslalis  finihus ,  solitudines  habere  (Cœs.,  lib.  6,  c.  2  3). 
Polybe  rapporte  quau  retour  d'une  expédition  militaire,  les  Gaulois  s'en- 
trctuaient  souvent  pour  le  partage  du  butin  (Polyb..  Ilist.,  lib.  II). 


—  347  - 

plëes  que  la  Belgique ,  quelques-unes  Tétaient  même  beau- 
coup moins  ;  par  exemple ,  THelvëtie ,  quoique  aussi  éten- 
due que  la  Belgique  ne  comptait  que  263,000  âmes  (1). 
Toute  l'étendue  de  pays  bornée  par  la  Seine ,  la  Marne 
et  rOcéan  ,  comprise  anciennement  sous  la  dénomina- 
tion générale  de  Belgique  et  formant  la  troisième  partie 
des  Gaules,  contenait,  selon  le  relevé  donné  par  César, 
288,000  hommes  en  état  de  porter  les  armes ,  ce  qui ,  pris 
pour  le  quart  de  la  popu^lation  totale ,  donne  pour  cette 
dernière  1,152,000  âmes  (2).  En  supposant  un  nombre 
double  pour  les  deux  autres  tiers  des  Gaules ,  non  compris 
la  Provence,  le  Dauphiné  et  le  Languedoc  qui  consti- 
tuaient la  pros>incia  romana ,  on  trouvera  que  cette  vaste 
région ,  correspondant  à  la  France ,  à  une  grande  partie 
de  la  Suisse ,  à  la  Belgique  et  au  pays  entre  Meuse  et 
Rhin ,  ne  contenait  pas  au  delà  de  3,456,000  âmes ,  ou 
4,608,000  en  y  comprenant  la  provincia  romana,  for- 


(1)  La  population  de  l'Helvétie,  comme  celle  de  la  Belgique,  fut  presque 
anéantie  par  César.  Le  nombre  des  Helvétiens  qui,  avec  celui  des  Raura- 
ciens  ,  des  Latobriges,  des  Boiens  et  des  Tulingiens  ,  montait  à  368,000  âmes, 
fut  réduit  par  la  conquête  romaine  a  110,000.  Un  siècle  après,  l'armée  de  Vi- 
tellius  extermina  encore  une  grande  partie  de  ces  faibles  débris  échappés  à  la 
fureur  de  César,  dont  on  exhalte  à  tort  la  clémence.  Pendant  plusieurs  siècles 
la  Suisse  ressembla  à  un  désert.  Des  documens  officiels  et  authentiques  nous 
apprennent  qu'au  14"  siècle  la  population  de  cette  république  ne  montait 
pas  à  600,000  âmes.  Le  canton  de  Zurich,  qui  compte  de  nos  jours  plus  de 
200,000  habi tans,  n'en  avait,  en  1467,  que  51,892.  Ceux  de  Neufchâtel  et  de 
Grisons  n'étaient  en  grande  partie  que  des  déserts ,  au  IS*"  siècle.  Celui  de 
Berne  a  doublé  sa  population.  Il  en  est  de  même  de  presque  tous  les  autres 
cantons  (  voir  Picot ,  Statislique  de  la  Suisse  ). 

(2)  Cœs.,  1.  II,  c.  4,  Strabon  dit,  d'après  César,  que  la  Belgique  ancienne 
contenait  300,000  hommes  en  état  de  porter  les  armes  :  qiiod  olim  irecenta 
7nillia  hominum  arma  ferre  valeniium  sunt  ccnsita  y  Strabo  geogr.,  lib.  4). 
Par  le  mot  olim,  il  désigne  l'époque  antérieure  à  la  conquête  de  César  qui 
avait  anéanti  une  grande  partie  de  cette  population. 


--  34S  — 

mant  la  quatrième  partie  des  Gaules  (1).  Certes,  cette 
population  diiFère  de  beaucoup  de  celle  que  certains  au- 
teurs modernes  assignent  a  la  Gaule  ,  et  que  Wallace ,  le 
plus  outré  de  tous,  porte  jusqu'à  quarante  millions  d'ha- 
bitans  (2)  ;  de  manière  que  ce  pays  encore  habité  par  des 
peuples  à  moitié  sauvages,  rempli  de  forêts  et  de  lieux 
incultes ,  aurait  eu  une  population  aussi  considérable  qu  au- 
jourd'hui qu'il  a  subi  une  métamorphose  complète  par  les 
travaux  de  dix-neuf  siècles  de  civilisation  ,  qu'il  est  couvert 
de  cités  florissantes ,  de  bourgs ,  de  villages  innombrables  , 
que  les  forets  ont  été  extirpées ,  les  marais  desséchés ,  les 
déserts  défrichés  pour  faire  place  à  la  culture  la  plus 
soignée  ,  a  l'industrie  la  plus  active. 

Une  des  causes  principales  de  l'exagération  des  auteurs 
modernes  par  rapport  a  la  population  dans  les  temps  an- 


(1)  Le  professeur  Mone ,  un  des  écrivains  les  plus  savans  et  les  plus  judi- 
cieux de  r Allemagne,  élève  la  population  des  Gaules  du  temps  de  César, 
à  5,000,000  d'ames  ;  mais  comme  il  n'a  pris  les  Gaulois  en  état  de  porter  les 
armes  que  pour  un  cinquième  de  ta  population  totale,  son  calcul  est  le  même, 
pour  le  fond,  que  le  nôtre  (Mone,  historica  adumbratio  statisticœ).  Hume 
a  porté  la  population  des  Gaules  h  6,000,000  d'ames,  et  celle  de  la  Belgique 
ancienne  (dans  sa  plus  grande  étendue;  à  2,000,000  (Hume,  Discours  poli- 
tiques, preuve  10,  sect.  3,^  4).  Picot  estime  la  population  des  Gaules  a 
9,000,000,  mais  son  calcul  est  évidemment  erroné  (Picot,  Histoire  des  Gau- 
lois,  tom.  3,  p.  162).  On  peut  encore  consulter  Desroches,  Histoire  ancienne 
des  Pays-Bas  autrichiens,'  et  de  Reiffenberg,  ^^sai  swr  la  statistique  an- 
cienne de  la  Belgique. 

(2)  Wallace,  Essai  sur  la  différence  du  nombre  d'hommes  dans  les  temps 
anciens  et  modernes,  p.  143  de  la  traduction  française.  Wallace  se  réfute 
lui-même,  lorsqu'il  dit,  dans  cet  ouvrage,  en  parlant  des  Gaulois  :  «  un 
pays  sans  arts  et  sans  agriculture  ne  pouvait  être  que  faiblement  peu- 
plé. Au  lieu  de  s'appliquer  a  éclaircir  leur  sol,  à  dessécher  leurs  marais,  à 
rendre  leur  pays  capable  de  sulFire  h  une  population  croissante,  il  était  plus 
conforme  aux  habitudes  martiales  des  Gaulois  et  h  leur  humeur  impatiente, 
daller  en  d'autres  climats  chercher  des  vivres,  du  pillage  et  de  la.gloire.  » 
Voir  aussi  Malthus ,  Essai  sur  le  principe  de  jiopulation .  tom.    1,  chap  6. 


—  349  — 

ciens ,  c'est  qu  ils  ont  fait  une  comparaison  peu  judicieuse  de 
ces  armées  de  trois  à  quatre  cent  mille  hommes  que  les  peu- 
ples barbares  de  Tantiquité  mettaient  quelquefois  sur  pied, 
s'il  faut  en  croire  les  anciens  e'crivains ,  avec  les  armées 
des  temps  modernes ,  et  qu'ils  ont  conclu  de  la  qu'ancien- 
nement l'Europe  devait  être  plus  peuplée  que  de  nos  jours. 
Ces  auteurs  n'ont  pas  réfléchi  que  ces  hordes  innombra- 
bles de  Scythes,  de  Germains  et  de  Gaulois  étaient  formées 
du  quart  de  la  population  mâle  de  ces  nations,  tandis 
que  chez  les  peuples  modernes ,  les  armées  ne  sont  compo- 
sées généralement  que  de  la  quarantième  ou  cinquantième 
partie  des  habitans. 

Ce  sont  ces  essaims  de  barbares ,  sortis  du  fond  du  nord, 
aux  3e,  4^  et  5^  siècles,  pour  venir  envahir  l'empire  romain, 
x|ui  ont  fait  donner  improprement  à  cette  partie  de  l'Europe 
l'épithète  de  Vugina  gentium^  fabrique  du  genre  hu- 
main (1)  ;  comme  si  ces  hordes  de  Scandinaves,  de  Scythes 
et  de  Germains,  n'avaient  été  forcées  de  s'expatrier  qu'a 
cause  d'une  population  trop  considérable,  tandis  que  c'était 
uniquement  la  soif  du  pillage  et  le  désir  de  vivre  sous  des  cli- 
mats plus  heureux  qui  les  y  engageaient,  ou  parce  qu'elles  se 
voyaient  contraintes  d'abandonner  leurs  anciennes  demeures 


(1)  Ce&t  JoriiDndes,  écrivain  gotîi  du  6®  siècle,  qui ,  le  premier,  a  donné 
cette  qualification  aux  pays  du  nord. 

«  Quand  une  nation  entière,  dit  Hume,  ou  la  moitié  d'une  nation  quitte 
les  lieux  de  sa  demeure  pour  se  transporter  ailleurs,  il  est  aisé  de  concevoir 
quelle  prodigieuse  multitude  elle  doit  former,  avec  quel  courage  désespéré 
elle  doit  assaillir  ceux  qui  lui  font  obstacle.  De  là  la  terreur  qui  frappe  les 
esprits  des  nations  envahies  ;  de  là  les  exagérations  des  forces  et  de  la  valeur 
des  conquérans.  L'Ecosse,  par  exemple,  n'est  ni  fort  étendue,  ni  fort  peuplée: 
mais  s'il  en  sortait  la  moitié  des  habitans  pour  aller  chercher  de  nouvelles 
demeures,  ils  formeraient  une  multitude  aussi  grande  que  les  Cimbres  et  les 
Teutons  et  mettraient  toute  V Europe  en  allarme  ,  supposé  qu'elle  ne  fut  pas 
en  une  meilleure  posture  de  défense  qu'autrefois  »  {Discours polit,  cité). 


—  350  — 

a  des  peuples  plus  puissans.  «  Le  grand  nombre  des  essaims 
de  barbares  ,  dit  Roberlson,  qui  fondirent  successivement 
sur  l'empire  romain,  depuis  le  commencement  du  qua- 
trième siècle  jusqu'à  l'ane'anlissement  de  la  puissance  ro- 
maine ,  a  fait  croire  que  les  pays  d'où  ils  sortaient  étaient 
surchargés  d'habitans  ;  et  l'on  a  imagine  différentes  hypo- 
thèses pour  expliquer  cette  population  extraordinaire^  qui 
a  fait  donner  à  ces  mêmes  pays  le  nom  de  fabrique  du 
genre  humain  ;  mais  si  nous  faisons  réflexion  que  les  terres 
occupées  par  ces  peuples  étaient  prodigieusement  étendues 
et  couvertes  en  grande  partie  de  bois  et  de  marais  ;  que  les 
tribus  les  plus  considérables  de  ces  barbares  subsistaient 
par  la  chasse  et  le  pâturage  ,  et  que  dans  ces  deux  états  de 
société ,  il  faut  de  grands  espaces  de  terrain  pour  nourrir 
un  petit  nombre  d'habitans;  enfin  qu'aucun  de  ces  peuples 
n'avait  ni  les  arts ,  ni  l'industrie  ,  sans  lesquels  la  popula- 
tion ne  peut  jamais  faire  de  grands  progrès;  on  verra  évi- 
demment que  les  pays  qu'ils  habitaient  n'ont  pas  pu  être 
anciennement  aussi  peuplés  qu'ils  le  sont  aujourd'hui  ;  quoi- 
qu'ils le  soient  encore  moins  que  les  autres  parties  de 
l'Europe  (1).  » 


(1)  Kohertson,  Histoire  du  règne  de  Charles  Quint,  introduction.  Voir  aussi 
Mallet,  Introduction  à  Vhistoire  du  Danemarc.  Wallace  s'exprime  à  peu 
près  de  même  que  Robertson  ;  «  un  peuple  rude  et  barbare ,  dit-il ,  qui  ne 
vit  que  de  chasse,  de  pêche,  de  pâturage  ou  du  produit  naturel  de  la  terre, 
sans  arts,  ne  peut  jamais  être  aussi  nombreux  qu'un  peuple  adonné  a  l'agri- 
culture et  civilisé  par  le  commerce ,  quoiqu'ils  habitent  l'un  et  l'autre  un 
climat  semblable,  puisque  des  terres  incultes  ne  peuvent  jamais  nourrir  un 
aussi  grand  nombre  d'habitans  que  des  terres  cultivées.  »  (Wallace ,  Essai 
sur  la  différence  du  nombre  dliommes,  etc.,  p.  27).  Et  c'est  ce  même  auteur 
qui  donne  aux  Gaules  une  population  de  40,000,000  d'ames! 

On  a  calculé  qu'un  demi  arpent  de  terre  mis  en  culture  suffit  à  la  subsis- 
tance dun  homme  pendant  toute  une  année,  tandis  que  huit  cents  arpens 
de  bois  fournissent  à  peine  aux  besoins  d'un  homme  vivant  uniquement  de 
la  chasse. 


—  351  — 

Ceci  ne  se  rapporte  pas  seulement  aux  pays  habite's  par 
les  anciens  Scythes  ,  Cimbres  et  Scandinaves  ,  mais  encore 
à  la  Germanie ,  aux  Gaules,  a  la  Grande-Bretagne,  la  Pan- 
nonie  ,  TEcosse  ,  Tlrlande  ,  la  Dalmatie^  F  Albanie  ,  la 
Tlirace,  la  Cantabrie  et  autres  pays  de  l'Europe  habite's 
par  des  nations  barbares  au  commencement  de  l'ère  vul- 
gaire. 

On  se  tromperait  encore  si  Ton  se  figurait  c{ue  certains 
pays  dont  les  anciens  auteurs  grecs  et  latins  vantent  la 
grande  population,  fussent  en  effet  très-peuple's.  Le  nombre 
des  habitans  étant  presque  partout  moindre  que  de  nos 
jours  ,  une  population  réputée  aujourd  hui  très-faible  était 
souvent  considérée  alors  comme  très-forte.  Les  îles  Baléares 
(  Maiorque  et  Minorque  )  où  Ton  compte  aujourd'hui  au 
delà  de  deux  cent  mille  habitans ,  passaient  pour  très-peu- 
plées sous  le  règne  d'Auguste^  quoicju  au  rapport  de  Diodore 
de  Sicile  elles  n'eussent  alors  qu'une  population  de  trente 
mille  âmes.  César  et  Strabon  attribuent  l'émigration  des 
Helvétiens  a  l'impossibilité  où  ce  peuple  était  de  pouvoir 
subsister  dans  un  pays  qui  ne  pouvait  nourrir  une  popu- 
lation aussi  considérable  que  la  leur.  Cependant ,  comme 
nous  l'avons  vu  plus  haut ,  la  population  totale  de  l'Helvétie 
ne  s  élevait  qu'a  263,000  âmes,  nombre  d'habitans  qui 
passait  alors  pour  très-grand  et  qui  ne  pouvait  trouver  sa 
subsistance  dans  un  pays  qui  en  nourrit  facilement  de  nos 
jours  un  nombre  plus  que  sextuple  (1).  Les  anciens  ont  pu 

(1  )  Quand  bien  même  l'émigration  des  Helvétiens  aurait  eu  une  toute 
autre  cause  que  celle  que  lui  assignent  César  et  Strabon,  et  que,  comme  le 
disait  Divitiacus ,  chef  des  JEduens ,  dans  son  discours  à  César ,  elle  eut  été 
motivée  par  l'invasion  des  Germains  (  Caesar,  Bel.  Gai.,  lib.  l,  c.  21  ),  il 
n'en  conste  pas  moins  que  263,000  âmes  étaient  réputées  par  César  et  Strabon, 
une  population  êxborbitante  pour  un  pays  de  l'étendue  de  l'Helvétie  et 
dans  l'état  où  se  trouvait  cette  contrée ,  puisqu'ils  n'ont  pas  hésité  d'avancer 
que  l'Helvétie  ne  pouvait  point  nourrir  un  pareil  nombre  d'habitans. 


~  352  — 

ilire  de  méine  cjue  les  Gaules  étaient  bien  peuplées ,  quoi- 
qu'on n'y  comptât  pas  cinq  millions  d'iiabitans.  Tite-Live  et 
Plutarque  rapportent  que  sous  le  règne  de  ïarquin  le  Su- 
perbe, trois  cent  mille  Gaulois  e'migrèrent  en  Italie  et  dans 
la  Germanie,  parce  que  les  Gaules  étaient  chargées  d'une 
population  trop  considérable  ;  aujourd'hui  un  nombre 
d'émigrans  vingt-cinq  fois  plus  grande  ne  laisserait  aucun 
vide  dans  les  contrées  correspondant  aux  Gaules  anciennes. 
Mais  à  l'époque  dont  parlent  Tite-Live  et  Plutarque ,  de 
l'émigration  de  300,000  Gaulois ,  devait  résulter  une  di- 
minution sensible  dans  la  population  des  Gaules  et  un 
soulagement  considérable  pour  les  habitans  d'un  pays  cou- 
vert en  majeure  partie  de  forets,  de  marais ,  sans  industrie 
et  peu  cultivé.  Un  tel  pays  pouvait  avoir  trop  de  cinq  mil- 
lions d'habitans  quand  de  nos  jours  il  en  nourrit  aisément 
plus  de  quarante  millions. 

L'Egypte,  n'en  déplaise  a  l'illustre  Bossuet  et  à  d'autres 
auteurs  modernes ,  n'eut  jamais ,  même  dans  les  temps  de 
sa  plus  grande  splendeur,  plus  de  cinq  millions  d'habitans; 
ce  qui  est  encore  une  population  extraordinaire  pour  un 
pays  qui  n'avait  pas  quatorze  cents  lieues  carrées  de  terres 
cultivables (1).  Sous  le  règne  d' Auguste,  la  population  de 


(l)  Voyez  Jomard,  mémoire  précité,  et  de  Pauw,  Recherches  philos,  sur 
les  Egyptiens  et  les  Chinois. 

Il  y  a  cependant  des  auteurs  modernes  qui  ont  porté  la  population  de 
l'Egypte  ancienne  jusqu'à  quarante  et  cinquante  millions  d'habitans ,  et  qui 
ont  cru  débonnairement  aux  30,000  villes  du  bon-homme  Hérodote.  Le  cé- 
lèbre voyageur  Paul  Lucas  ,  qui  a  conversé  en  Egypte  avec  le  diable  Astarod 
et  trouvé  sur  la  côte  d'Afrique  une  ville  de  géans,  va  jusqu'à  assigner  rem- 
placement de  ces  trente  mille  villes  répandues  sur  un  espace  de  quatorze 
cent  lieues  carrées  dont  les  deux  tiers ,  ou  même  les  trois  quarts  devaient 
être  occupés  par  des  champs  cultivés,  des  canaux,  des  villages,  etc.,  ô  lepi- 
dum  caput!  Derigny  {V Egypte  ancienne)  est  tombé  dans  les  mêmes  exa- 
gérations. 


-^  353  — 

TEgypte  ne  montait  même  dëja  plus  à  un  chiffre  plus  élevé 
que  de  nos  jours.  Diodore  de  Sicile  qui  avait  lui-même 
voyage  dans  ce  royaume  ne  la  portait  de  son  temps  qu  a 
trois  millions  d'ames.  Les  autres  parties  de  l'Afrique  ro- 
maine ,  la  Pentopole ,  la  Byzacène ,  la  Mauritanie  et  la  Nu- 
midie,  ne  pouvaient  avoir  au  delà  de  dix  millions  d'habi- 
tans  au  6®  siècle  de  l'ère-vulgaire  (1). 

Volney  calcule ,  dans  ses  leçons  d'histoire ,  que  la  Ju- 
dée n'eut  jamais  800,000  habitans,  et  la  Grèce  plus  de 
4,000,000,  et  dans  les  temps  encore  où  ces  pays  joui- 
rent de  la  plus  grande  prospérité  (2)  ;  car  les  longues 
guerres  qui  désolèrent  ces  contrées  les  avaient  réduites, 

(1)  Procope  dit  dans  ses  Anecdotes  ^  en  parlant  de  Justinien  :  u  il  a  fait 
un  tel  dégât  en  Afrique,  qui  est  d'une  étendue  prodigieuse,  qu'il  faut  faire 
beaucoup  de  chemin  pour  y  trouver  un  habitant  ;  il  y  avait  cent  soixante 
mille  Vandales  en  état  de  porter  les  armes,  sans  compter  leurs  femmes,  leurs 
enfans  et  leurs  esclaves!  qui  pourrait  jamais  dire  combien  il  y  avait  d'Afri- 
cains qui  habitaient  les  villes,  qui  cultivaient  les  campagnes  ou  qui  trafi- 
quaient par  mer?  Il  a  encore  détruit  un  plus  grand  nombre  de  Maures, 
avec  leurs  femmes  et  leurs  enfans.  Il  y  avait  aussi  quantité  de  Romains,  tant 
soldats  qu'autres  qui  y  étaient  allés  de  Constantinople  ;  de  sorte  que  je  crois 
-que  quiconque  dirait  qu'il  y  est  mort  cinq  millions  d'hommes  n'en  dirait  pas 
çncore  assez.»  (  Procop. ,  Historia  arcana ,  c.  18). 

L'extermination  de  cinq  millions  d'habitans  aurait-elle  pu  causer  une  telle 
dépopulation  sur  la  vaste  côte  de  l'Afrique  septentrionale  qu'il  fallait  faire 
beaucoup  de  chemin  pour  y  trouver  un  habitant,  si  cette  grande  étendue 
de  pays  avait  été  aussi  peuplée  que  le  supposent  certains  auteurs  modernes? 
Procope  avait  accompagné  Belisaire ,  dans  son  expédition  contre  les  Vandales  ; 
ainsi  il  parlait  en  témoin  oculaire.  Mais  en  supposant  même  que  ce  n'est  que 
par  un  calcul  vague  qu'il  a  porté  la  perte  de  la  population  africaine  à  cinq 
millions  de  personnes,  il  n'en  restera  pas  moins  prouvé  que  Procope,  n'a  fait 
cette  estimation  que  d'après  la  population  réelle  de  l'Afrique  qu'il  devait  con 
naître.  Si  cette  population  avait  été  de  vingt-cinq .  de  vingt  ou  même  de  quinze 
millions  d'habitans,  aurait-il  été  assez  irréfléchi  pour  dire  que  la  perte  de 
cinq  millions  d'hommes  avait  presque  réduit  en  un  désert  l'Afrique  romaine 
et  qu'il  fallait  faire  de  longues  marches  pour  rencontrer  un  seul  habitant. 

(2)   «  Les  douze  tribus  d'Israël ,  dit  Volney ,  n'occupaient  que  deux  cent 
soixante  quinze  lieues  carrées,  de  manière  que  Salomon,  dans  toute  sa  gloire 
n'en  posséda  jamais  plus  de  quatre  cents  à  moitié  désertes  et  ne  commanda 
Tome  I.  23 


—  354  ~ 

dès  le  premier  siècle  de  Tère  vulgaire ,  a  un  état  de  dé- 
populatit)n  presque  semblable  a  celui  où  elles  se  trouvent 
de  nos  jours.  Beaucoup  d'auteurs  modernes  avaient , 
d'après  un  passage  fautif  d'âlhenée ,  supposé  plusieurs 
millions  d'habitans  à  l'Attique  qui  n'avait  pas  plus  de  76 
lieues  carrées  d'étendue;  mais  le  savant  Letronne  a  dé- 
montré de  la  manière  la  plus  évidente,  dans  un  mé- 
moire de  l'académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  de 
France ,  que  la  population  de  cette  partie  la  plus  floris- 
sante et  la  plus  peuplée  de  la  Grèce  ne  s'éleva  jamais 
au-dessus  de  220,000  âmes.  Un  savant  du  premier  ordre, 
Juste  Lipse,  n'a  pas  craint  d'évaluer  la  population  de  la 
ville  de  Rome,  sous  les  empereurs ,  à  cinq  millions  d'habi- 
tans (1).  Vossius  la  porte  même  a  treize  millions  d'habi- 

jatnais  h  huit  cent  mille  âmes ,  ni  par  conséquent  a  deux  cent  mille  soldats.  » 
[Leçons  d'histoire,  3®  édit,  p.  207).  Après  le  retour  de  la  captivité  de  Ba- 
bylone,  la  population  de  la  Judée  ne  s'élevait  qu'a  106,000  âmes,  et  celle 
de  Jérusalem, l'an  451  avant  J.-Ch.,  ne  dépassait  pas  5000  habitans  (Mone, 
Opus  citai.). 

La  Laconie  et  la  Messénie  qui  avaient  ensemble  150  milles  géogr.  carrés, 
ce  qui  formait  à  peu  près  la  moitié  de  l'étendue  du  Péloponèse ,  ne  renfer- 
maient dans  les  temps  les  plus  florissans  de  la  Grèce  que  320,000  âmes,  de  sorte 
que  la  population  de  la  Péninsule  entière  ne  pouvait  s'élever  a  plus  de  700,000 
âmes.  La  terre  ferme  de  la  Grèce  proprement  dite,  comprenant  l'Attique, 
la  Béotie,  la  Phocide,  la  Locride,  l'Acarnanie  et  l'Etolie,  n'avait  en  sur- 
face que  217  milles  géogr.  carrés  ou  environ  les  deux  tiers  du  Péloponèse. 
La  plus  célèbre  de  toutes  les  provinces  de  la  Grèce,  l'Attique,  contenait , 
comme  nous  l'avons  dit,  220,000  âmes  ,  dont  70,000  pour  la  ville  d'Athènes. 
De  sorte  que  le  Péloponèse  et  la  Grèce  proprement  dite  ne  comptaient  pas 
au  delà  d'un  million  d'habitans,  et  avec  la  Macédoine ,  l'Epire  ,  la  Thessalie 
et  l'Archipel  a  peu  près  quatre  millions  d'ames  (*).  A  juger  de  l'état  de  dé- 
solation et  de  ruine  où  se  trouvait  la  Grèce  du  temps  de  Strabon  et  de  Pau- 
saniaS;  le  nombre  des  habitans  de  cette  contrée  célèbre  ne  pouvait  pas  être 
alors  beaucoup  plus  grand  qu'il  ne  l'est  de  nos  jours. 

(1)  La  ville  de  Rome  n'avait  dans  sa  plus  grande  étendue,  selon  le  calcul 
de  Dureau  de  Lamalle,   que  les  deux   cinquièmes   de  Paris   en    surface. 

(*)  Hume  en  porte  la  population  à  environ  1,380:000  âmes  j  mais  ici  le  calcul  de  ce  cri- 
tiques! judicieux  «st  évidemmeut  trop  faible. 


oo   

tans ,  population  qui  égalait ,  dit-il ,  celle  de  la  moitié  de 
FËurope,  au  commencement  du  17«  siècle  (1).  Cependant 
les  savantes  et  laborieuses  recherches  de  Bureau  de  Lamalle 
ont  prouvé  que  l'Italie  ancienne,  depuis  le  Rubicon  jusqu'au 
détroit  de  Messine  ,  n'avait  toute  entière ,  en  l'an  de  la  fon- 
dation de  Rome  529 ,  c'est-à-dire  à  l'époque  la  plus  bril- , 
lante  de  la  république,  que  3,592,447  habitans  de  tout 
seie  et  de  tout  âge,  libres  ou  esclaves.  Aujourd'hui  malgré 
l'état  désert  du  Latium  et  d'une  partie  du  royaume  de 
Naples ,  la  population  y  est  de  plus  de  huit  millions  d'ames. 

«  Quant  à  la  population,  dit  l'abbé  de  Feller,  Rome  n'a  jamais  eu  cinq  cent 
mille  habitans.  Les  maisons  de  Rome  étaient  isolées  comme  des  îles;  elles 
n'étaient  que  peu  élevées  (*)  ;  ses  cirques,  ses  bains,  ses  jardins,  ses  amphi- 
théâtres,  ses  places  étaient  immenses,  ses  temples  sans  nombre.  Il  est  presque 
certain  que  ses  citoyens  ne  furent  jamais  en  plus  grand  nombre  qu'aujour- 
d'hui, malgré  les  déserts  de  Rome  moderne....  Suétone  rapporte  [in  ISerone)^ 
comme  la  preuve  d'une  peste  terrible,  que  durant  un  automne  il  mourut 
trente  mille  personnes ,  et  le  texte  montre  assez  que  tous  les  morts  durant 
cet  espace  de  temps  y  sont  compris  :  pestilentiâ  unius  autumni  triginta  fu- 
nerum  millia  in  rationem  Libitinœ  veneriint  On  sait  que  ces  calculs  sont 
toujours  exagérés;  mais  s'il  était  vrai  que  Rome  eut  eu  un  million  d'habi- 
tans,  il  en  serait  mort  à  peu  près  quarante  mille  par  an,  lors  même  qu'il  ne  ^  0.  i^ 
régnait  aucune  maladie  ;  le  dégât  de  la  peste  n'eût  par  conséquent  pas  été 
très-grand,  en  emportant  trente  mille  âmes  en  trois  mois.  C'est  au  reste  le 
ravage  que  fait  une  peste  tant  soit  peu  violente  dans  les  villes  de  cent  mille 
habitans.  Quand  il  n'y  périt  pas  le  quart  du  monde  qui  les  habite,  on  ne 
juge  pas  qu'elle  soit  fort  destructive.  C'est  sur  l'horrible  libertinage  des 
Romains  qu'il  faut  juger  de  la  dépopulation  de  l'ancienne  Rome  et  de  celle 
de  Vem^'ire.)^  {Observations  sur  Véte7idue  de  Rome,  sa  population,  etc.,  tom.  1" 
de  V Itinéraire  de  Vahhé  de  Feller). 

(1)  Quoique  l'Europe  fut  bien  moins  peuplée  au  commencement  du  17« 
siècle  que  de  nos  jours,  le  nombre  des  habitans  y  dépassait  certainement 
de  beaucoup  celui  de  vingt-six  millions  d'ames,  et  la  France,  quoi  qu'en 
dise  Yossius ,  en  avait  plus  de  cinq  millions.  La  population  de  ce  royaume 
pouvait  monter  alors  a  huit  ou  neuf  millions  d'habitans. 

(*)  ceci  est  vrai  pour  les  premiers  temps  de  Rome ,  mais  dans  la  suite  on  donna  aux 
malsons  une  si  grande  élévation  qu'elles  rendaient  fort  obscures  les  rues  étroites  de  cette 
ville.  Auguste  défendit  de  leur  donner  plus  de  soixante  pieds  de  hauteur. 


—  356  — 

Sous  Alphonse  I ,  en  1465,  la  population  du  royaume  de 
Naples  ,  n était  encore  que  de  1,597,376  âmes,  tandis 
qu'elle  s'élève  actuellement  à  plus  de  cinq  millions  d'habi- 
tans. 

Maigre  tout  ce  que  ces  déclamateurs  qui  ont  ajoute'  une 
foi  si  aveugle  aux  récits  mensongers  des  chroniqueurs  du 
moyen  âge,  ont  dit  de  la  grande  population  de  TEspagne 
dans  les  temps  anciens  et  de  Ja  prétendue  dépopulation 
causée  par  les  émigrations  d'un  grand  nombre  d'Espagnols 
en  Amérique ,  il  n'en  est  pas  moins  prouvé  qu'a  quelques 
provinces  près,  ce  royaume  est  aujourd'hui  plus  peuplé 
qu'il  ne  le  fut  jamais ,  même  sous  la  domination  des  Ara- 
bes. Ce  qu'on  a  dit  de  la  grande  population  de  l'Espagne 
sous  la  domination  romaine  ne  repose  que  sur  des  conjec- 
tures hasardées  et  sur  un  passage  très-vague  de  Cicéron , 
qui  ne  prouve  pas  davantage  (1)  ;  car  Strabon ,  Diodore  de 
Sicile  et  Justin  ,  rapportent  qu'a  l'exception  de  quelques 
parties  du  midi  de  l'Espagne,  le  reste  de  cette  vaste  pénin- 
sule ,  était  fort  mal  peuplé  et  habité  par  des  peuplades 
vivant  dans  la  plus  grande  barbarie  (2).  C'est  par  des  calculs 
exacts,  des  données  officielles  et  par  des  raisons  déduites  de 
l'état  politique  et  des  mœurs  d'un  peuple  qu'il  faut  juger 

(1)  Nec  numéro  Hispanos..,.  superavimus  (Cicero,  de  Auspicium  respon- 
sis  f  cap.  9). 

(2)  Ejus  (Hlspaniae)  magna  pars  incommodé  habitatur  :  quippè  montes  et 
sylvas  et  campos  terra  prœditos  exili  nec  œqualiter  aquis  irriguos  magna  ex 

parte  incolunt Id  accedit  ^  quod  nulla  ejus  incolis   sunt   cum  aliis  ho- 

minibus  commercial  itaque  ibi  pessimè  degitur agrestis  autem  eorum 

humanitas  non  solum  ex  ipso  bellandi  usu ,  verùm  ex  aliâ  aliorum  longui- 

quilate  provenit et  omnem  exuerunt  humanitatem tt  ritu  belluarum 

sœviores Ora  (Hispaniae)  ad  oceanum  septentrionalem  objecta  caret  ob 

frigus  oleis ,  etc.,  Reliqua  itideni,  m,agis  tamen  ob  incuriam  hominum,  qui 
non  ad  jucunditatem  aliquam,  sed  necessitatem  et  belluinos  appetitus  vitam 
malè  moratam  instituunt  nec  fortitudine  tantum  sed  crudelitate  etiam  et 
furore  feras  twifon^m*  (Strabo,  Geographia.  lib.  III}. 


—  357  ^ 

de  sa  population;  aussi  Strabon  raille -t- il  avec  raison 
Polybe,  qui  avance  que  Tibérius  Gracchus  avait  pris 
et  détruit  trois  cents  villes  des  Celtiberiens  ,  et  ceux  qui 
prétendaient  que  l'Espagne  avait  renfermé  anciennement 
jusqu'à  mille  villes;  il  prouve  fort  bien  que  la  nature 
du  pays  et  la  manière  de  vivre  des  habitans  rendaient  ces 
faits  impossibles  (1). 

Un  auteur  moderne ,  Semperé ,  s^est  exprimé  plus  sage- 
ment que  Mariana  et  ses  copistes,  sur  l'état  ancien  de 
l'Espagne  :  «  l'intérieur  de  la  Péninsule ,  dit-il ,  était  habité 
par  des  peuples  sauvages ,  se  nourrissant  de  glands  et 
d'autres  fruits  grossiers,  et  constamment  en  guerre  avec  les 
étrangers  ou  entre  eux.  Il  y  avait  sur  les  bords  du  Tage 
seul  trente  tribus  différentes ,  aussi  sauvages  que  les  bétes 
les  plus  féroces  (2).» 

11  conste  par  des  dénombremens  officiels  qu'en  1368  la 
Catalogne  et  le  Roussillon  n'avaient  ensemble  que  365,000 
habitans ,  tandis  qu'en  1797  on  y  comptait  964,989  âmes. 

(1)  Polyhius  trecentas  urhes  celtiberorum  à  Tiberio  Graccho  subversas 
esse  tradit ,  quod  ritu  coniico  in  Tiberii  Gracclii  graiiam  dictum  est  ab  eo 
gui  tmres  urbes  appellat  ut  in  triumphalibus  pompis  fieri  mos  est;  quod  ab 
re  nequaquam  dictum  esse  crediderim ;  nam  imperatores  et  rerum  gestarum 
scriptores,  ut  ornatiora  effîciant  negoiia ,  ad  hoc  mentiendi  genus  feruntur ; 
cum  etiam  qui  urbes  Hispaniœ  plures  quant  mille  fuisse  dicunt  eo  adducii 
videntur,  quod  magnos  pagos  urhium  loco  censerent  :  nam  ,  neque  regionis 
natura  multarum  est  capax  urbium  ob  arriditatem  vel  longinquitatem  vel 
feritatem  hominum,  neque  Hispanomm  vita  et  actiones  quicquam  taie  si- 
gnificant,  si  oram  versus  nostrum  mare  demas  :  nam  qui  vicos  habitant ^ 
quod  faciunt  plerique  Hispanorum ,  agrestes  sunt;  acné  ipsœ  quidem  urbes 
facile  mansuetos  reddunt,  ubi  ahundant  qui  vicinas  infestandi  causa  sylvas 
incolunt.  (  Strabo,  lib.  III).  Un  commentateur  de  Strabon  ajoute  judicieu- 
sement h  ces  paroles  :  Hispania  arcibus  etcastellis  olim  abundabat ,  serbes  in 
eâ  non  ita  multœ  nec  magnœ  ;  nndè  apud  nos  manavit  proverbium  de  castellis 
hîspanicis.  Trvpycuç  autem,  id  est  turres ,  sœpe  ah  historiarum  scripioribus 
urbium  appellafione  honestari  facile  Straboni  concesserim. 

(2)  Semperé ,  Considérations  sur  les  causes  de  la  grandeur  et  de  la  déca- 
dence de  la  monarchie  espagnole  (Paris  1826,  tom.  1,  p.  21). 


—  358  >- 

C'est  un  nombre  triple  pour  la  seconde  époque.  De  même, 
en  1510  le  royaume  de  Valence  n'était  peuplé  que  de 
54,555  familles  (272,775  âmes).  En  1797  on  y  comptait 
165,012  familles  ou 825,059  âmes,  population  presque  qua- 
druple de  celle  de  1510.  La  population  totale  du  royaume 
d'Aragon  n  était,  au  seizième  siècle,  que  de  1,052,775  âmes  ; 
aujourd'hui  elle  est  évaluée  a  plus  de  2,500,000.  Celle  de 
toute  la  Castille  ne  s'élevait  sous  le  règne  de  Philippe  II  qu'à 
4,601,560  habitans,  dont  le  nombre  s'est  accru  aujour- 
d'hui jusqu'à  7,500,000,  même  sans  la  population  de  la 
Navarre  et  de  la  Biscaye  d'Aragon,  qu'on  avait  comprise 
dans  le  premier  dénombrement  (1).  Qu'on  juge  d'après  ce 
tableau  si  l'Espagne  était  plus  peuplée  avant  la  découverte 
de  l'Amérique  que  de  nos  jours. 

L'Angleterre  et  le  pays  de  Galles  ne  contenaient  sous  le 
règne  d'Edouard  III ,  au  13^  siècle ,  qu'une  population  de 
2,350,000  âmes,  et  avant  cette  époque  le  nombre  des  habi- 
tans y  était  encore  moins  considérable  (2). 

Pour  en  venir  aux  Pays-Bas ,  la  province  de  Hollande 
qui  ne  renfermait  en  1515  que  45 ,000  maisons  et  172,000 
habitans  payant  la  capitation ,  comptait  en  1732,  162,462 
maisons  et  900,000  âmes.  Au  commencement  du  17e  siècle, 
on  ne  portait  encore  la  population  de  cette  province  qu'à 
550,000  âmes.  Le  nombre  des  maisons ,  des  villes  seules  de 
la  Hollande  méridionale  surpassait  en  1632 ,  d'un  tiers  celui 
des  maisons ,  tant  des  villes  que  des  campagnes ,  de  la  Hol- 
lande méridionale  et  septentrionale  en  1515  (3). 

(1)  Economie  politique  de  l'Espagne.  Dissertât.  10,  sect.  1'*. 

(2)  Sir  Matthieu  Haie  a  prouvé,  d'après  un  dénombrement  des  villes, 
bourgs  et  villages  de  la  Grande-Bretagne ,  fait  sous  le  règne  de  Guillaume  le 
conquérant,  qu alors  la  population  y  était  vingt  fois  moins  considérable  que 
de  son  temps. 

(3)  Tegenwoordigen  staat  der  Nederlanden^  et  Van  Kampen ,  iS^aa^  der 
jyederlanden. 


-.  359  — 

Nous  avons  fait  plus  haut  la  comparaison  de  la  popula- 
tion du  Brabant  en  1472  avec  celle  d'aujourd'hui  (1).  On 
pourra  faire  un  pareil  rapprochement  de  la  population  de 
la  Flandre ,  par  la  comparaison  suivante  de  celle  du  pays 
de  Waes  en  1480  et  en  1825.  A  la  première  époque  on  n  y 
comptait  que  4000  hommes  en  état  de  porter  les  armes , 
c  est-à-dire  de  l'âge  de  18  ans  à  70  ;  ce  qui  suivant  notre 
calcul  ne  suppose  qu'une  population  de  16000  âmes.  En 
1825,  la  population  de  cette  belle  partie  de  la  Flandre  était 
de  100,000  âmes  (2). 

Le  grand  accroissement  de  la  population  en  Europe  est 
d'une  date  très-rëcente  ;  il  est  du  au  perfectionnement  de  la 
médecine  et  de  l'hygiène ,  à  la  disparition  de  la  peste  et  de 
la  lèpre,  à  la  manière  moins  barbare  de  faire  la  guerre  qui 
épargne  et  ne  confond  plus  avec  un  ennemi  armé ,  une 
population  faible  et  inofifensive  ;  enfin  à  l'extension  de  l'agri- 
culture et  aux  défrichemens  des  terres  incultes  qui  empê- 
chent de  voir  renaître  ces  terribles  famines  qui  jadis 
décimaient  plusieurs  fois  en  un  siècle  la  population  des 
différens  pays  de  l'Europe  (3).  C'est  depuis  que  la  civili- 
sation et  la  philosophie  nous  ont  procuré  ces  bienfaits  inap- 
préciables ,  que  nous  voyons  des  exemples  si  étonnans  de 


(1)  On  doit  consulter  sur  les  dénombremens  de  la  Belgique  au  moyen  âge, 
le  Messager  des  sciences  et  des  arts ,  tom.  l,  2^  série,  Y  Essai  de  M.  Reiffen- 
berg,  sur  la  statistique  ancienne  de  la  Belgique  et  la  Bibliothèque  des  anti- 
quités belgiques ,  par  MM.  E.  Marshall  et  F.  Bogaerts,  tom.  1  et  2. 

(2)  Van  den  Bogaerde,  Het  land  van  Wcies,  1*  deel. 

(3)  L'existence  de  Tesclavage,  les  dissentions  civiles,  les  guerres  conti- 
nuelles et  plus  destructives  que  celles  de  nos  jours,  l'état  d'enfance  où  se 
trouvaient  le  commerce  et  toute  industrie  sont  autant  de  causes  qui  ont  re- 
tardé Taccroissement  de  la  population  dans  les  pays  même  les  plus  floris- 
sans  de  l'Antiquité.  Voyez  sur  ce  sujet  Hume,  Discours  sur  le  nombre  des 
habitons,  etc.,  et  Malthus,  Essai  sur  le  principe  de  population^  tom.  1, 
cbap.  13  et  14. 


—  360  — 

laccroissement  de  la  population  dans  cette  partie  du  globe. 
Ainsi  la  France  qui ,  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV,  n'était 
peuplée  que  de  quinze  millions  d'habitans ,  en  compte 
aujourd'hui  jusqu'à  trente-trois  (1).  La  population  des 
îles  britanniques  de  14,181,000  âmes  en  1791,  s'élevait 
h  22,000,000  en  1825.  L'Angleterre  qui  n'avait  en  1700, 
que  5,475,000  âmes,  en  possède  aujourd'hui  au  delà  de 
14,000,000.  La  population  des  villes  de  ce  royaume  a  pris 
un  développement  non  moins  prodigieux. 

Le  nombre  des  habitans  de  Manchester ,  n'était  que  de 
19,837  âmes  en  1757,  et  en  1824  il  s'élevait  déjà  à  163,888. 
Aujourd'hui  il  monte  à  plus  200,000.  Liverpool  n'avait 
en  1720  que  11,833  habitans;  en  18241a  population  s'y 
élevait  à  135,000  âmes  et  aujourd'hui  à  plus  de  160,000. 
Vers  le  milieu  du  siècle  dernier  Londres  ne  contenait  que 
676,050  habitans.  Actuellement  cette  ville  en  renferme 
15,00,000(2). 


(1)  Au  14«  siècle  Paris  ne  comptait  que  50,000  mille  habitans.  Sa  super- 
ficie qui  est  aujourd'hui  de  9.858  arpens,  n'en  dépassait  pas  alors  739.  (Du- 
laure,  Histoire  de  Paris  y  tome  l"). 

(2)  Il  est  curieux  de  comparer  l'état  de  la  population  des  principales 
villes  de  l'Angleterre  pendant  le  moyen  âge  avec  celle  de  ses  grandes 
cités  au  temps  présent.  Yorck ,  la  plus  grande  ville  de  l'Angleterre  pendant 
la  domination  romaine  et  sous  THeptarchie,  ne  contenait  sous  le  règne 
d'Edouard  le  confesseur,  au  11'  siècle,  que  1617  maisons  (environ  8,085 
habitans).  Lors  de  la  conquête  de  l'Angleterre  par  les  Normands,  Yorck 
était  peuplée  de  10,000  âmes.  Peu  de  temps  après  cet  événement,  elle  ne 
renfermait  plus  que  967  maisons  ou  environ  4,835  habitans.  Sous  Guillaume 
le  Conquérant  le  nombre  des  maisons  à  Oxford  était  de  721  ;  après  l'inva- 
sion des  Normands  il  n'était  plus  que  de  283  (1,415  habitans).  A  la  pre- 
mière époque  Derby  renfermait  243  maisons,  et  a  la  seconde  seulement  140. 
Chestre  qui  en  comptait  487,  au  moment  de  la  conquête,  n'en  renfermait 
plus,  après  cet  événement,  que  282.  Londres  alors  la  plus  grande  ville  de 
l'Angleterre ,  n'avait  pas  plus  de  trente  à  quarante  mille  âmes.  Le  dénombre- 
ment de  1377  lui  en  donne  35000.  (Hallam ,  V Europe  au  moyen  Age,  tom.  II- 
P  59  et  171). 


—  361  -^ 

L'accroissement  de  la  population  dans  les  villes  de 
TEcosse  n'est  pas  moins  étonnant.  Edimbourg  ,  qui  ne 
comptait  en  1687  que  20,000  habitans,  avait  en  1821,  une 
population  de  112,235  âmes,  et  en  1833,  de  130,000.  La 
population  de  Glasgow  qui  n'était  que  de  14,000  âmes  en 
1707,  s'élevait  a  147,000  en  1821,  et  à  plus  de  160,000 
en  1833. 

L'Irlande  voit  tous  les  ans  sa  population  augmenter  de 
200,000  âmes.  Le  nombre  de  ses  habitans  n'était  que  de 
850,000  âmes  en  1656 ,  et  de  2,544,276  en  1767.  Il  s'éle- 
vait en  1821 ,  a  sept  millions ,  et  sera  de  quatorze  millions 
en  1851  ,  si  la  population  continue  à  s'accroître  dans  la 
même  proportion.  Et  cependant  il  sort  annuellement  des 
royaumes  unis  plus  de  cent  mille  personnes ,  qui  vont  s'é- 
tablir en  Amérique,  principalement  dans  le  Canada  et 
dans  les  Etats-Unis ,  dont  la  population  s'est  élevée  en 
moins  d'un  demi-siècle,  de  trois  a  quatorze  millions  d'habi- 
tans  !  il  est  des  parties  de  cette  vaste  république  ou  l'on  ne 
voyait  pas  un  seul  habitant  blanc  il  y  a  trente  ans  et  qui 
en  comptent  aujourd'hui  plus  de  500,000.  Tel  est  en  par- 
ticulier l'état  de  l'Ohio  (1). 


(l)  Voici  le  tableau   de  la  population  des  principales  villes  des  États- 
Unis,  depuis  le  commencement  du  18*  siècle.    • 

Boston  avait   en  1700.     .     .     .         7,000  habitans. 

17,574 
24,937 
61,392 

4,302 
10,381 

60,489 
203,007 

5,934 
13,503 
62,738 
80.625 


— 

en  1752. 

— 

en  1800. 

—  ■ 

en  1830. 

New-York 

en  1696. 

— 

en  1756. 

— 

en  1800. 

— 

en  1830. 

Baltimore 

en  1775. 

— 

en  1790. 

— 

en  1820. 



en  1830. 

—  362  ~ 

La  Russie  offre  encore  un  des  exemples  les  plus  frappans 
de  raccroissement  extraordinaire  de  la  population  euro- 
péenne. Ce  vaste  empire  où  l'on  comptait  à  peine  vingt 
millions  d'habitans  sous  le  règne  de  Pierre-le-Grand ,  en 
renferme  aujourd'hui  au  delà  de  soixante-deux  millions. 
Sa  population  s'accroît  annuellement  de  600,000  personnes 
du  rit  grec  seul. 

Nous  nous  arrêtons  ici.  Nous  croyons  que  ces  exemples 
suffissent  pour  convaincre  tout  homme  de'nuë  de  préjuges 
que  la  population  est  dans  presque  tous  les  pays  de  la  terre 
infiniment  plus  grande  de  nos  jours  qu'elle  ne  le  fut  dans 
les  temps  anciens.  Notre  unique  but  a  été  de  réfuter 
ces  écrivains  superficiels  qui  jugent  de  la  population  an- 
cienne du  globe  par  celle  des  temps  modernes,  et  de 
démontrer  la  nullité  des  preuves  de  ces  admirateurs  en- 
thousiastes des  anciens ,  de  ces  laudatores  temporis  acti 
qui  exaltent  sans  cesse  le  passé  aux  dépens  du  présent. 
Nous  avons  voulu  démontrer  qu'il  ne  faut  nullement  s'é- 
tonner que  la  Belgique  fut  jadis  si  peu  peuplée,  puisque 
d'autres  pays  bien  plus  florissans  et  plus  civilisés,  avaient 


La  Nouv.  Orléans 

en  1802.     .     . 

.       10,000 

— 

en  1810.     .     . 

17,242 

— 

en  1820.     .     . 

27,176 

— 

en  1830.     .     . 

.      46,310 

Washington 

en  1810.     .     . 

8,208 

— 

en  1820.     .     . 

13,247 

— 

en  1830.     .     .     . 

18,827 

Philadelphie 

en  1731.     .     .     . 

12,000 

— 

en  1790.     .     .     . 

49,520 

— 

en  1800.     .     .     . 

70,287 

— 

en  1830.     .     .     . 

167.811 

Philadelphie,  non  compris  les  faubourgs,  contenait  en  1793,  G327  maisons, 
en  1810,  15,814  et  en  1830,  27,968. 


—  363  — 

eux-mêmes  a  cette  époque  une  population  si  peu  considé- 
rable (1). 

(l)  Moreau  de  Jones  a  supputé  dans  ses  Recherches  statistiques  sur  Vac- 
croissement  de  la  'population  en  Europe  (1828),  en  combien  d'années  le 
nombre  des  habitans  double  dans  chaque  état  de  cette  partie  du  monde. 
Voici  le  résultat  de  ses  observations  : 

Temps  de  redoublement.  Époque  du  redoublement. 

Autriche     .     .    44  ans en    1872,  74,500,000 

Russie  d'Europe  48) 1879,93,000,000 

Pologne     .     .     50) 

Danemarc.     .50        1869,     3,000,000 

IlesBritanniq.     52 1872,    41,000,000 

Suède  ...     56  j jg^g^      7,354,000 

Norwége    .     .     56 ) 

Suisse  ...     56 1883,      4,000,000 

Portugal    .     .     56 1874,      7,360,000 

Espagne    .     .     62 1870,    25.500,000 

Italie    ...     68 1873,    40,000,000 

Turquie  d'Eu-  ) jggg     20,000,000 

rope  et  Grèce.     70) 

Pays-Bas  .     .     84       1912,     12,200,000 

Allemagne.     .120 1947,    74,000,000 

France.     .     .  125 1951,    63,000,000 


Ma 

^^-r^  r»iy^       ^yp  ^j^    '^^^  '  M^^  <st^  @Èi^  ^Jk  /ly*^^. 


AVANT  ET  DURANT 


LA 


LIVRE  PREMIER. 

J>EUXIÈBIE  PARTIE. 

LA  BELGIQUE  PENDANT  LA  DOMINATION  ROMAINE. 

CHAPITRE  PILEMZEIL. 

Conquête  de  la  Belgique  par  César.  Éclaircisseznens  de  plusieurs  points 

obscurs  de  cet  événement. 

Notre  but  n'étant  point  de  faire  dans  cet  ouvrage  un 
re'cit  circonstancié  et  suivi  de  tous  les  éve'nemens  dont  la 
Belgique  fut  le  the'àtre  sous  la  domination  romaine  (tâche 
qui  a  été  remplie  de  la  manière  la  plus  complète,  par 
Boucker,  Desroches,  Dew€zi  et  plusieurs  autres  histo- 
riens (1));  mais  de  tracer  un  tableau  de  l'e'tat  politique  et 
civil  de  noire  patrie  à  cette  époque ,  et  de  considérer  sim- 
plement les  faits  par  rapporta  l'influence  qu'ils  exercèrent 
sur  la  civilisation  des  Belges,  nous  ne  donnerons  ici  une  rela- 
tion rapide  et  concise  de  l'expédition  de  César  en  Belgique, 
que  comme  une  introduction  nécessaire  pour  l'intelligence 
de  la  suite  de  notre  ouvrage  et  en  même  temps  pour  éclair- 

(l)  Bucheri,  Belgium  Romanum.  Desrocbes ,  Hist.  anc.  des  Pays-Bas 
Autrichiens.  Dewez ,  Histoire  générale  de  la  Belgique. 


^  366  — 

cir  plusieurs  faits  obscurs  ou  mal  compris  par  quelques 
auteurs  modernes  relatifs  à  la  conquête  de  la  Belgique 
par  les  Romains. 

Antérieurement  a  cet  événement  mémorable  les  Romains 
ne  possédaient  aucune  notion  sur  les  peuples  de  la  Belgique, 
ils  ignoraient  jusqu'à  Texistence  de  cette  contrée  (1). 
«  Notre  génëFal ,  dit  Cieéren,  en  parlait  de  GésâT,  notre 
général  et  les  armées  du  peuple  romain  ont  conquis  des  pays 
et  fait  la  guerre  a  des  peuples  dont  jusqu'ici  rien  ne  nous 
avait  révélé  l'existence.  Nous  ne  possédions  auparavant 
qu'un  point  imperceptible  des  Gaules;  le  reste  de  cette 
vaste  région  était  au  pouvoir  de  peuples  ennemis  du  nom 
romain  ou  habité  par  des  peuplades  inconnues  et  barba- 
res (2).  »  Ce  qui  prouve  combien  la  Belgique  était  incon- 
nue aux  Romains  avant  l'expédition  de  César,  c'est  que 
trois  ans  après  la  conquête  du  pays  des  Nerviens  par  ce 
général,  Cicéron  écrivait  encore  à  son  frère  Quintus  Cicé- 
ron  qui  lui  avait  envoyé  une  relation  de  ce  qui  s'était  passé 
\  l'attaque  de  son  camp  dans  la  révolte  de  ce  peuple  : 
«  j'ignore  oii  habitent  ces  Nerviens  dont  vous  me  parlez, 
et  à  quelle  distance  ils  se  trouvent  de  nous  (3).  >» 

Au  sortir  de  son  consulat ,  l'an  58  avant  l'ère  vulgaire , 
César  brigua  et  obtint  du  sénat  le  gouvernement  delà  Gaule 
cisalpine  et  de  l'Illyrie,  et  peu  de  temps  après  celui  de  la 


(1)  Quidquid  inter  Tanaim  et  Narhonem  ad  septentriones  vergii  haciemis 
nabis  est  ignotum  (Poljb.,  Hist.,  1.  III). 

(2)  Quas  regiones,  quasque  gentés  nullœ  nobis  antea  litter(É  y  nulla  voxy 
nulla  fraus  notas  fecerat,  has  noster  imperator  nosterque  exercitus  ac  popuîi 
romani  arma  peragrarunt.  Semitem  tantum  Galliœ  tenehamus  antea  ;  cœterœ 
partes  à  geniibus  aut  inimicis  huic  imperio,  aut  infidis,  aut  incognilis,  aut 
certe  immanihus  etharharis  et  bellicosis  tenebantur  (C'icero ,  de  Prov.  consu- 
larib.y 

(3)  Ubi  sint  isti  Nervii  et  quam  longe  absint,  nescio.  (Cicero,  Epist., 
\.  III.  Epist.  8 ,  ad  Quintum  fratrem). 


—  367  — 

Gaule  transalpine.  La  partie  des  Gaules  qui  appartenait 
alors  a  la  république  romaine ,  et  qui  avait  été  conquise 
soixante-sept  ans  auparavant  par  les  consuls  Fulvius  et 
C.  Sextius,  se  bornait  à  la  Savoie,  au  Dauphiné,  a  la  Provence 
et  au  Languedoc.  Les  Romains  avaient  donné  à  ces  diffé- 
rentes contrées  le  nom  àeprovincià  romana.  C'est  le  gouver- 
nement de  celte  province  que  César  ambitionnait  le  plus 
ardemment ,  parce  que  son  but  était  de  trouver  quelque  oc- 
casion de  faire  déclarer  la  guerre  aux  peuples  encore  indé- 
pendans  de  la  Gaule  et  de  soumettre  cette  région  toute 
entière  au  joug  romain ,  afin  d'accroître  sa  popularité  et  sa 
gloire  militaire,  d'acquérir  des  richesses  et  une  armée 
brave ,  aguerrie ,  enflammée  par  ses  succès  et  dévouée  à  son 
général.  Fort  de  tous  ces  moyens ,  il  devait  éclipser  la  re- 
nommée de  Pompée  et  en  triomphant  de  ce  puissant  rival, 
donner  un  maître  a  la  république  romaine  «  parvenue  à 
ce  point  de  corruption ,  dit  Desroches  ,  oii  elle  devait  être 
nécessairement  asservie  par  un  de  ses  concitoyens ,  et  où 
il  ne  s'agissait  plus  que  de  savoir  par  qui  elle  le  serait.  >» 

La  fortune  seconda  merveilleusement  les  desseins  de 
César.  A  peine  eut-il  obtenu  le  gouvernement  de  la  Gaule 
transalpine  que  deux  événemens  concoururent  à  Texécu- 
tion  du  plan  qu'il  avait  formé.  Le  premier  fut  l'émigration 
des  Helvé  tiens. 

Ce  peuple  soit  qu'il  se  trouvât  trop  à  l'étroit  dans  l'es- 
pace compris  entre  le  Rhin ,  le  mont  Jura ,  le  Rhône  et  le 
lac  de  Genève,  soit  qu'il  se  voyait  dans  l'impossibilité  de 
résister  plus  longtemps  aux  irruptions  des  Germains,  ré- 
solut d'abandonner  son  ancienne  patrie  et  de  s'établir  dans 
une  partie  plus  centrale  des  Gaules.  Mais  pour  parvenir 
jusque-là,  les  Helvétiens  étaient  obligés  de  traverser  le 
territoire  romain  ou  celui  des  Eduens,  alliés  des  Romains. 
Ils  tentèrent  d'abord  de  passer  par  la  province  romaine,  soit 


—  368  — 

3e  gré,  soit  de  force.  Ce  projet  ayant  e'chouë  ,  ils  se  tour- 
nèrent vers  le  territoire  des  Eduens;  ils  n'y  réussirent  pas 
davantage;  car  les  Eduens  ayant  invoqué  le  secours  des 
Romains ,  César  marcha  contre  les  Helvétiens ,  les  vainquit 
dans  une  bataille  sanglante  et  contraignit  ceux  qui  avaient 
survécu  à  cette  catastrophe,  à  retourner  dans  le  pays 
qu  ils  venaient  d'abandonner  et  qu'il  réduisît  en  province 
romaine  (1). 

Le  second  événement  qui  servit  de  prélude  a  la  conquête 
des  Gaules ,  fut  l'expédition  de  César  contre  Arioviste.  Ce 
roi  ou  chef  germain  commandait  à  une  ligue  composée  de 
différentes  peuplades  germaniques ,  qui ,  a  l'exemple  des 
Nerviens ,  des  Atuatiques ,  des  Eburons ,  des  Treviriens  et 
d'autres  peuples  teutons,  avaient  formé  le  projet  de  s'éta- 
blir dans  les  Gaules  et  s'étaient  rendus  maîtres  d'une  grande 
partie  du  territoire  des  Sequanois  et  des  Eduens.  Ces  peu- 
ples supportantavec  impatience  les  vexations  et  la  tyrannie 
des  Germains ,  mais  trop  faibles  pour  secouer  eux-mêmes 
le  joug ,  implorèrent  l'assistance  des  Romains.  César,  auto- 
risé par  un  décret  du  sénat  porté  trois  ans  auparavant ,  sous 
le  consulat  de  Menala  et  de  Pison ,  décret  par  lequel  il  était 
enjoint  atout  gouverneur  de  la  Gaule  transalpine  de  pren- 
dre la  défense  des  Eduens  et  de  tout  autre  peuple  gaulois 
allié  des  Romains  ,  accéda  sans  difficulté  à  leur  demande. 
Outre  qu'il  y  voyait  un  nouveau  moyen  de  mettre  a 
exécution  les  vastes  projets  qu'il  méditait  depuis  long- 
temps, ses  principes  politiques  le  portaient  à  ne  pas  souf- 
frir qu'aucune  peuplade  germanique  vint  encore  s'établir 
de  son  propre  mouvement  dans  les  Gaules,  de  crainte 
que  les  Germains  n'en  devinssent  les  maîtres  absolus  et 
qu'ensuite  ils  ne  convoitassent  l'Italie  même ,  comme  la 

(l)  Ct£S.,Bell.  Gall,  II. 


--  369  - 

chose  avait  eu  lieu  un  demi  siècle  plus  lot,  lors  de  l'invasion 
des  Cimbreset  des  Teutons.  César  s'empressa  donc  de  venir 
au  secours  des  Eduens.  Il  défit  les  Germains  et  obligea 
toute  la  horde  à  repasser  avec  précipitation  le  Rhin.  Cette 
victoire  empêcha  peut-être  les  Gaules  entières  d'être  con- 
quises par  les  Germains  ,  mais  ce  fut  pour  devenir  la  proie 
des  Romains.  Dès  ce  moment  leur  domination  y  fut  assurée. 

La  défaite  des  Helvétiens  et  rexpulsion  des  Germains 
furent  les  exploits  qui  signalèrent  la  première  campagne 
de  César  dans  les  Gaules ,  et  il  ne  paraît  pas  qu'alors  il  eut 
déjà  manifesté  quelqu'intention  hostile  contre  les  Belges. 
Ceux-ci  cependant  ne  se  dissimulèrent  pas  le  danger  dont 
était  menacée  leur  indépendance  et  comprirent  que ,  maître 
du  reste  des  Gaules,  l'ambitieux  conquérant  ne  s'arrêterait 
pas  aux  limites  de  la  Belgique. 

César  avait  mis  ses  troupes  en  quartiers  d'hiver  dans  l^e 
pays  des  Sequanois(la  Franche  Comté),  Les  Belges  profitè- 
rent de  ce  temps  de  repos  pour  convoquer  une  assemblée 
générale  de  tous  les  peuples  habitant  l'espace  compris  entre 
le  Rhin,  l'Océan ,  la  Seine  et  la  Marne.  Il  y  fut  décidé  qu'à 
rentrée  de  la  campagne,  les  confédérés  réuniraient  toutes 
les  forces  dont  ils  pourraient  disposer,  pour  s  opposer  en  com- 
mun aux  projets  que  les  Romains  trameraient  contre  leur 
indépendance.  Ils  devaient  mettre  ainsi  sur  pied  une 
armée  de  300,000  hommes  dont  le  commandement  fut 
donné  à  Galba,  roi  des  Soissonais. 

De  son  coté  César  ,  instruit  de  ces  mouvemens ,  saisit  ce 
prétexte  pour  procéder  sans  plus  de  délai  a  l'envahissement 
du  nord  des  Gaules.  Il  augmenta  son  armée  de  deux  nouvel- 
les légions,  et  dès  que  le  printemps  fut  venu ,  il  s'avança  vers 
la  Belgique.  A  peine  fut-il  arrivé  aux  frontières  du  pays  des 
Remois,  que  ce  peuple  trahissant  ses  sermons  ,  abandonna 
lâchement  la  cause  nationale  et  se  soumit  aux  Romains. 

Tome  I.  24 


—  370  — 

Les  confédérés  déclarèrent  les  Rémois  traîtres  a  la  patrie 
et  vinrent  mettre  le  siège  devant  Bibrax,  le  chef  lien  de  ce 
peuple.  César  marcha  au  secours  de  cette  place,  livra  ba- 
taille aux  assiégeans  et  les  défit  complètement  sans  laisser 
aux  vaincus  le  temps  de  se  rallier  ;  puis  il  pénétra  inconti- 
nent dans  le  pays  des  Amienois  et  dans  le  Beauvoisis  et  s'en 
empara  sans  coup  férir.  Les  Vermandois  et  les  Àtrebates  ne 
résistèrent  pas  davantage ,  parce  qu  ayant  réuni  toutes  leurs 
forces  à  celles  des  Nerviens,  ils  avaient  laissé  leur  territoire 
sans  défense.  Il  n'y  eut  que  les  Soissonais  qui  se  défen- 
dirent quelque  temps  dans  leur  oppidum  principal ,  Novio- 
dunum  (1). 

Cette  partie  de  la  Belgique  soumise ,  César  marcha  contre 
les  Nerviens.  Ce  peuple,  après  avoir  mis  en  sûreté  dans  des 
lieux  inaccessibles  les  personnes  qui  par  leur  âge  ou  leur 
sexe  ne  pouvaient  contribuer  a  la  défense  delà  patrie,  s'était 
retranché  sur  une  colline  au  bord  de  la  Sambre  ,  avec  la 
ferme  résolution  d'y  braver  tous  les  efforts  de  l'ennemi  et 
de  s'y  défendre  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  La  haine  que 
portaient  les  Nerviens  a  leurs  injustes  agresseurs,  aces 
Romains  qui  dans  leur  orgueil  prétendaient  à  l'empire  du 
globe  entier ,  ne  leur  permit  même  pas  de  se  tenir  sur  la 
défensive;  dès  qu'ils  apprirent  que  l'armée  romaine  n'était 
plus  qu'à  une  légère  distance,  ils  sortirent  de  leur  camp, 
marchèrent  fièrement  à  Tennemi ,  et  sans  lui  laisser  le 
temps  de  se  reconnaître,  l'assaillirent  de  toutes  parts  (2). 

(1)  In  fines  Arfihianoriif/i  pe^venit ,  qui  se  suaque  omnia  sine  inore  dedi- 
derunt.  (Caes.,  1.  II,  c.  15j.  —  Ce  passage  prouve  Terreur  où  est  tombé  Tile- 
Live  ou  Tabréviateur  de  cet  historien,  lorsqu'il  dit  que  les  Amienois  ne  se 
rfendirent  à  GéSâf  qu'après  qu'il  les  eut  vaincus  en  bataille  rangpée  :  Cœsar 
Ainbianos  f  Suessiones,  Veromanduos  ^  Atrehates  Belgartim  2>opulos ,  quo- 
rum ingens  multitudo  erat,  prœlio  vicios  in  deditionem  accepit.  (Epitome. 
Tile-ïiive,lib.  CIV). 

(2)  Les  opinions  des  savans  varient  beaucoup  sur  le  lieu  où  se  livra  cette 


—  371  — 

Cette  brusque  attaque  a  laquelle  les  Romains  étaient  loin 
de  s  attendre,  les  déconcerta  et  jeta  le  trouble  et  la  con- 
fusion dans  leurs  rangs;  il  y  eut  un  instant  où  l'armée  ro- 
maine fut  menacée  d'une  défaite  complète  et  où  ks  grands 
projets  et  les  rêves  brillans  de  César  allaient  être  réduits 
au  néant.  Mais  la  fortune  n'abandonna  pointée  conquérant; 
son  génie  et  son  sang-froid  triomphèrent  de  la  bravoure  in- 
disciplinée des  Nerviens ,  qui  malgré  les  prodiges  de  valeur 
quils  déployèrent  dans  cette  mémorable  journée,  succom- 
bèrent enfin.  Les  ténèbres  de  la  nuit  mirent  fin  au  com- 
bat, et  tel  fut  le  courage  indomptable  avec  lequel  les  Ner- 
viens défendirent  leur  liberté  et  Tindépendance  de  leur 
territoire  ,  que ,  de  soixante  mille  hommes  dont  se  compo- 
sait leur  armée,  y  compris  les  troupes  fournies  par  les 
Atrebates  et  les  Vermandois ,  après  la  bataille  à  peine 
en  resta- t-il  cinq  cents  qui  ne  fussent  mis  hors  de  com- 


«éièbrc  bataille.  Le  père  Boucher  le  place  a  Berlaimont .  au  midi  de  Bavai, 
et  M.  Achalntre  (dans  son  édition  des  commentaires  de  César)  à  Valencien- 
nes.  M.  Roulez  a  refuté  cette  opinion.  L'auteur  anonyme  d'un  mémoire  sur 
les  campagnes  de  César  en  Belgique,  dont  il  a  été  question  dans  le  chap.  III 
delà  P°  partie  du  livre  I  de  notre  ouvrage,  fixe  l'emplacement  de  cette 
bataille  près  du  village  de  la  Bussière,  à  une  lieue  de  Thuin.  Il  en  donne 
pour  preuve,  la  dénomination  de  château  de  César  que  portent  les  ruines 
d^un  ancien  édifice,  celle  de  chêne  des  batailles ,  donné  a  un  arbre  de  ce 
vjUage,  enfin  la  profondeur  et  la  largeur  de  la  Sambre  en  cet  endroit  (p.  59). 
L'opinion  qui  s'appuie  sur  les  preuves  les  plus  plausibles,  nous  paraît  être 
toutefois  celle  du  marquis  de  Chasteler,  de  Desrocbes  et  de  Dewez.  Ces  au- 
teurs s'accordent  à  désigner  comme  l'emplacement  où  César  défit  les  Ner- 
viens, les  villages  de  Prêle  (prœîiiim,  combat),  et  de  Vitrival  (victrix  ou 
victoriœ  vallis)  près  de  la  ville  de  Fosses,  dans  la  province  de  Namur,  ville 
qui  tirerait  son  nom  des  retranchemens  formés  par  les  combattans  ou  des 
fosses  où  ils  ensevelirent  leurs  morts.  On  2l  trouvé  dans  les  environs  de 
Fosses,  des  ossemens,  des  débris  d'armes  anciennes  et  autres  objets  anti- 
ques. Voir  Desroches,  Hist.  anc.  des  Pays-Bas  autrichiens ,  p.  291.  Dewez 
Mémoire  sur  les  endroits  de  l'ancienne  Belgique  dont  il  est  parlé  dans  César. 
Nouv.  Mém.  de  TAcad.,  tom.  2,  p.  235.  M.  Lcglay,  archiviste  de  Cambrai, 


_  372  ^ 

bat  (1).  Ce  qui  prouve  encore  combien  celte  victoire  coula 
aux  Romains  et  combien  grand  e'tait  l'effroi  que  l'attaque 
des  Ner viens  leur  avait  causé  y  c'est  que  le  sénat ,  a  la  nou- 
velle de  la  défaite  de  ces  derniers,  ordonna  que  pendant 


a  publié  en  1830  un  opuscule  intitulé  :  Nouvelle  conjecture  sur  l'emplace- 
ment du  champ  de  bataille  où  César  de'ût  l'armée  des  JVerviens.  Nous  n'avons 
pas  lu  cette  dissertation. 

(1)  Hoc  prœlio  facto  etprope  ad  internicionem,  ge^te  ac  nomme  Nervîorum. 
redacto,  majores  natu  quos  unà  cum  pueris  mulierihusque  in  œstuaria  et 
paludes  collectas  dixeramus,  hâc  pugnâ  nunciafâ,  quum  victorihus  nihil  im- 
peditum,  victis  nihil  tutum  arbitrarenturf  omnium  qui  supererant  consensu ^ 
legatos  ad  Cœsarem  miserunt,  seqae  ei  dediderunt,  et  in  commemorandâ  civita- 
tis  calamitate,  ex  DC  ad  III  senatores,  ex  hominum  miUibus  LX  vix  adD  qui 
arma  ferre  passent,  sese  redactos,  esse  dixerunt  [Cxs.^  I.  II,  c.  28).  —  Nous  ne 
croyons  pas,  commeM.  Raepsaet,  qu'à  l'exception  de  500 hommes,  toute  l'ar- 
mée des  Nerviens  avait  été  passée  au  fil  de  l'épée  ;  les  termes  dont  se  sert 
César  nous  paraissent  seulement  désigner  que  tous  les  Nerviens  avaient  été 
mis  hors  de  comhat,  hormis  cinq  cents.  D'ailleurs,  lorsque  dans  la  relation 
d'une  bataille  nous  lisons  que  l'une  ou  l'autre  armée  a  perdu  tel  nombre 
d'hommes ,  on  y  comprend  toujours  non-seulement  les  morts  ,  mais  aussi  les 
blessés  (et  souvent  les  prisonniers)  ,  qui  ardinairement  sont  trois  fois  plus 
nombreux  que  les  premiers. 

Après  avoir  interprété  d'une  manière  aussi  arbitraire  le  passag"e  précité 
de  César,  M.  Raepsaet,  supposant  que  par  l'extermination  des  Nerviens.  leur 
pays  avait  été  réduit  en  désert,  conjecture  que  César  le  repeupla  en  y  fixant 
les  Soissonais,  les  Amiénois,  les  Atrebates  et  les  Vermandois,  qui,  suivant 
M.  Raepsaet.  auraient  combattu  avec  les  Nerviens;  et  de  ces  peuples  celtes 
succédant  à  un  peuple  germain ,  serait  provenue  la  langue  walonne  qu'on 
parle  dans  une  partie  du  territoire  occupé  anciennement  par  les  Ner- 
viens. Cet  auteur  est  tombé  ici  dans  plus  d'une  erreur.  D'abord,  il  n'est 
question  nulle  part  dans  les  commentaires  de  César  d'un  repeuplement  du 
pays  des  Nerviens  par  des  colonies  gauloises;  au  contraire,  cet  auteur  dit 
formellement  qu'après  la  défaite  des  Nerviens  ,  il  pardonna  au  reste  de  la 
nation  et  qu'il  lui  conserva  la  possession  intégrale  de  son  territoire  :  Dili- 
gentissimè  eos  conservavit ,  suisque  finihus  et  oppidis  utijussit,  et  fnitimis 
imperavit  ut  ab  injuria  abstinerent  et  malefciis  se  suosque  prohibèrent. 
(Cses.,  Loc.  cit.).  Voilà  la  raison  pour  laquelle  on  voit  les  Nerviens  reparaître 
dans  les  campagnes  suivantes  de  César,  quoique  fort  affaiblis  par  leur  pre- 
mière défaite.  En  second  lieu ,  M.  Raepsaet  a  été  induit  en  erreur  par  l'abré- 
viateur  de  Tite-Live,  lorsqu'il  dit  que  les  Soissonais  et  les  Amiénois  com- 


->  373  — 

quinze  jours  des  actions  de  grâce  seraient  adressées  aux 
dieux  pour  ce  triomphe,  chose  inusitée  jusqu'alors  dans 
des  cas  semblables  (1). 


battirent  avec  les  Nerviens  à  la  bataille  livrée  par  ce  peuple  h  César.  Il  n'y 
eut,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  que  les  Atrebates  et  les  Vermandois  qui 
se  trouvèrent  à  cette  action ,  et  les  armées  de  ces  peuples  déjà  assez  faibles 
par  elles-mêmes,  et  qui  souffrirent  autant  que  les  Nerviens  dans  la  bataille 
livrée  près  de  la  Sambre,  étaient  tout-a-fait  insuffisantes  pour  repeupler  le 
vaste  territoire  des  Nerviens.  D'ailleurs,  César  ne  devait-il  pas  sentir  qu'en 
transférant  ces  peuplades  sur  le  territoire  nervien,  il  allait  dépeupler  leur 
propre  pays. 

D'un  autre  côté ,  en  supposant  que  l'armée  entière  des  Nerviens  fut  anéan- 
tie par  César,  le  peuple  nervien  était  encore  loin  de  l'être  par  cette  cata- 
strophe; il  n'aurait  perdu  tout  au  plus  que  le  quart  de  sa  population,  le 
nombre  des  enfans ,  des  femmes  et  des  vieillards ,  devant  s'élever  encore  à 
plus  de  150,000  âmes.  M.  Raepsaet  est  obligé  lui-même  d'admettre  ce  fait, 
et  de  contredire  par  là  ce  qu'il  avait  avancé  précédemment;  mais  il  de- 
mande comment  cette  débile  multitude,  abandonnée  a  elle-même,  eut  pu 
pourvoir  à  sa  subsistance  et  à  sa  sûreté.  L'auteur  ne  paraît  pas  se  rappeler 
ici  les  paroles  de  César  et  de  Tacite  qui  disent  que  parmi  les  Germains  et 
tous  les  peuples  barbares,  les  femmes  et  les  personnes  mâles  hors  d'état  de 
porter  les  armes  étaient  seules  chargées  des  travaux  ruraux  et  de  fournir 
aux  besoins  des  guerriers.  Quant  a  l'autre  argument  de  M.  Raepsaet,  qu'en 
abandonnant  les  restes  du  peuple  nervien  à  leur  propre  défense,  César  les 
mettait  à  la  merci  des  peuples  limitrophes,  il  ne  nous  paraît  guère  plus 
solide;  car  les  Nerviens  ne  devaient-ils  pas  trouver  une  protection  et  des 
défenseurs  dans  les  armées  romaines  lorsque  les  Gaules  auraient  été  entière- 
ment conquises  par  les  Romains.  En  un  mot,  aucun  document  ancien  ne 
nous  apprend  et  rien  ne  prouve  qu'après  la  défaite  des  Nerviens ,  leur  pays 
ait  été  repeuplé  par  des  colonies  gauloises.  Loin  d'avoir  contracté  des  al- 
liances avec  des  familles  gauloises,  les  Nerviens  étaient  fiers  de  leur  origine 
germanique  et  conservaient  encore  du  temps  de  Tacite  cette  vieille  haine 
de  nation  a  nation  qui  existait  entre  le  Germain  et  le  Celte.  (Voir  notre 
dissertation  'intitulée:  Ré futatio7i  de  l'opinion  de  M.  Raepsaet,  qui  attribue 
au  repeuplement  du  pays  des  Ehurons ,  des  Nerviens  et  des  Atuatiques  par 
des  Ambianois  et  des  Vermandois ,  l'origine  de  la  langue  walonne ,  dans  les 
Archives  hist.  de  M.  Reiffenberg,  t.  5,  p.  276,  et  les  Mémoires  de  MM.  Meyer 
et  Raoux  sur  l'origine  de  la  langue  walonne  dans  les  Nouveaux  Mémoires  de 
l'Acad.  de  Bruxelles). 

(l)  Plutarch.,  Fita  Cœs. 


—  374  ~ 

A  la  nouvelle  de  la  sanglante  défaite  des  Nerviens ,  les 
Atualiques  qui  marchaient  au  secours  de  ce  peuple , 
retournèrent  dans  leur  pays ,  et  se  réfugièrent  avec 
leurs  familles  et  leurs  effets  dans  celui  de  leurs  op- 
pida  qui  était  le  mieux  fortifié  par  l'art  et  par  la  na- 
ture. César  vint  les  y  assiéger.  Il  commença  par  entou- 
rer ce  fort ,  bâti  siu*  des  rochers  escarpés,  d'un  rempart  de 
douze  pieds  de  hauteur  et  de  quinze  mille  pieds  de  circuit. 
Il  fit  ensuite  construire  des  tours  et  des  béliers  pour  atta- 
quer la  place  de  vive  force.  Lorsque  tout  fut  prêt  pour 
l'assaut ,  les  barbares ,  frappés  de  terreur  à  la  vue  de  cet 
appareil  de  guerre  qui  leur  était  entièrement  inconnu ,  de- 
mandèrent à  capituler.  Ils  se  reconnurent  sujets  du  peuple 
romain,  demandant  pour  toute  grâce  qu'on  leur  laissât 
leurs  armes,  afin  de  pouvoir  repousser  les  attaques  des  peu- 
ples ennemis  dont  ils  étaient  partout  entourés ,  surtout 
les  Eburons,  qui  n'attendaient  que  le  moment  propice 
pour  s'affranchir  du  tribut  qu'ils  leur  avaient  imposé. 
César  consentit  à  pardonner  aux  Atuatiques,  mais  il  ne  leur 
permit  pas  de  garder  leurs  armes.  Feignant  d'obéir  a  cet 
ordre  ,  ils  en  déposèrent  une  partie  et  cachèrent  le  reste 
avec  soin. 

La  nuit  venue  ,  ils  s'armèrent  de  nouveau ,  sortirent  en 
silence  de  leur  oppidum  et  tentèrent  de  surprendre  le 
camp  romain.  Mais  César  qui  soupçonnait  leur  dessein , 
avait  placé  aux  abords  du  camp  des  sentinelles  avec  ordre 
de  sonner  l'alarme  a  la  moindre  démonstration  de  l'ennemi. 
Les  assaillans  qui  croyaient  de  leur  côté  trouver  ensevelis 
dans  le  sommeil  les  Romains  fatigués  des  travaux  de  la 
veille ,  se  virent  trompés  dans  leur  attente.  Au  premier 
signal ,  toute  l'armée  de  César  se  trouva  sur  pied  ;  elle  sou- 
tint vigoureusement  l'assaut  des  ennemis,  qui,  après  avoir 
perdu  plus  de  quatre  mille  hommes ,  furent  obligés  de 


-^  375  — 

se  retirer  dans  leur  fort.  Le  lendemain  César  en  fit  enfoncer 
les  portes ,  sans  que  les  Atuatiques  osassent  lui  opposer 
la  moindre  re'sistance ,  et  pour  les  punir  de  leur  perfidie  il 
les  réduisit  tous  en  esclavage  et  les  fit  vendre  a  lencan^tant 
les  guerriers  que  les  vieillards ,  les  femmes  et  les  enfans, 
au  nombre  de  53,000  (1). 

Cësar  libéra  alors  les  Eburons  du  tribut  qu  ils  étaient 
obliges  de  payer  annuellement  aux  Atuatiques  (2).  Ce 
peuple  n'y  gagna  rien  ;  car  en  cessant  d'être  les  vas- 
saux des  Atuatiques ,  les  Eburons  subirent  le  joug  des 
llomains. 

Les  57,000  Atuatiques  qui  périrent  ou  furent  réduits  en 
esclavage  par  les  Romains  ne  formaient  point  la  totalité 
de  la  population  atuatique ,  comme  le  prétendent  a  tort  la 
plupart  des  historiens  modernes,  puisque  d'après  le  tableau 
de  la  population  belge  donné  par  César,  les  Atuatiques 
pouvaient  mettre  sur  pied  19,000  hommes,  ce  qui  pris 
pour  le  quart  de  la  population  totale,  porterait  cette  der- 
nière à  76,000  âmes.  Il  restait  donc  encore  19,000  Atuati- 
ques, de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  après  les  57,000  exterminés 
ou  vendus  a  l'encan  par  César.  Ce  sont  ceux  là  qui  prirent 


(1)  Les  auteurs  modernes  ne  s'accordent  point  sur  la  position  de  Yoppidum 
où  les  Atuatiques  se  retirèrent  après  la  défaite  des  Nerviens.  Le  P.  de  Marne 
et  l'auteur  anonyme  du  mémoire  sur  les  campagnes  de  César,  le  fixent  près 
de  Tongres ,  confondant  cet  ojjpidum  avec  le  castra  Atuatuca  dont  il  sera 
question  plus  loin.  M.  Roulez  dans  une  note  stir  ce  dernier  mémoire  le  place 
aux  environs  de  Montaigu  et  Banville  au  village  de  Fallaix  sur  la  Mehagne. 
La  conjecture  la  plus  heureuse  nous  paraît  être  celle  de  Desroclies  et 
deDewez,  qui  assignent  pour  position  à  Voppidum  en  question,  la  montagne 
d  Hastedon  près  de  Namur  où  Ton  a  trouvé  quantité  d'armes  anciennes  et  un 
tombeau  romain.  Cet  emplacement  est  parfaitement  conforme  h  celui  de  Vop- 
pidum des  Atuatiques,  tel  que  l'a  dépeint  César.  (  Voir  César,  1.  II,  c.  29. 
Dewez,   Mém.  prcc.  Desroclies,  Ilist.  anc.  des  Pays-Bas  Autrich.,  p.  142). 

(2)  Ca3s.,  1.  V. 


—  376  — 

part  clans  la  suite  à  la  révolte  des  Eburons  contre  les 
Romains,  et  non  pas  de  prétendus  colons  gaulois ,  par  les- 
quels, suivant  l'opinion  de  MM.  Raepsaet  et  Dewez,  César 
aurait  repeuplé  le  pays  des  Atuatiques  et  celui  des  Ner- 
viens  (1). 

La  conquête  du  pays  des  Nerviens  et  des  Atuatiques  fut 
le  principal  fait  d'armes  qui  signala  la  première  campagne 
de  César  en  Belgique  et  sa  seconde  campagne  dans  les 
Gaules.  Le  bruit  de  ces  exploits  jeta  l'épouvante  jusque 
parmi  les  peuples  de  la  grande  Germanie  et  plusieurs  peu- 
ples des  Gaules  que  les  armes  romaines  n'avaient  point 
encore  atteints,  s'empressèrent  d'envoyer  des  députations 
à  César,  pour  lui  faire  leur  soumission  et  implorer  son 
amitié.  De  ce  nombre  furent,  sans  doute,  les  Eburons  et  les 
petites  peuplades  voisines  ;  car  il  n'est  nulle  part  question 
dans  les  commentaires  de  César  ,  d'une  première  conquête 
a  main  armée  du  pays  des  Eburons  ;  et  dans  la  quatrième 
campagne  de  César,  on  voit  apparaître  pour  la  première 
fois  les  Eburons,  et  comme  un  peuple  en  révolte  contre  les 
Romains;  par  conséquent  ils  devaient  déjà  avoir  été  soumis 
antérieurement  (2). 

La  première  campagne  de  César  en  Belgique  étant  ter- 

(1)  Voir  Desroches,  p.  306. 

(2)  Comme  les  Tréviriens  ne  figurent  point  dans  le  tableau  des  peuples  qui 
formèrent  la  ligue  belge,  et  parce  que  César  ne  nous  apprend  nulle  part  qu'il  ait 
conquis  de  vive  force  le  territoire  de  ce  peuple,  Desroches  conclut  avec  assez 
de  raison  qu'ils  contractèrent  alliance  avec  les  Romains  avant  que  César  n'eut 
entamé  le  territoire  belge.  César  nous  apprend  en  effet  dans  le  premier  livre 
de  ses  commentaires,  que  les  Tréviriens  lui  envoyèrent  des  députés  pour  im- 
plorer son  secours  contre  les  Suèves  qui  avaient  envahi  leur  territoire  (Caes., 
1.  I,  c.  37)  ;  et  nous  lisons  que  dans  la  bataille  qu'il  livra  aux  Nerviens ,  la 
cavalerie  trévirienne  servit  en  qualité  de  troupe  auxiliaire  dans  l'armée 
romaine...  Equités  Treviri,  quorum  infer  Gaîlos  virtuiis  opinio  est  singu- 
laris,  qui  auxilii  caussa  ab  civilafe  missi ,  ad  cœsarem  renerant,  etc.  (Cœs., 
1.  II,  c.  24).  —  Voir  Desroches,  p.  270. 


—  377  — 

minée  ,  il  mit  ses  légions  en  quartiers  d'hiver  dans  le  pays 
Charlrain,  TAnjou  et  la  Touraine,  contrées  voisines  de 
celles  qui  venaient  d  être  le  théâtre  delà  guerre,  afin  qu'en 
cas  de  soulèvement  des  peuples  nouvellement  domptés, 
elles  pussent  réprimer  aussitôt  la  sédition.  Après  avoir 
pris  ces  mesures,  César  repassa  les  Alpes  et  se  rendit  à 
Rome, 

La  tranquillité  des  Gaules  fut  de  courte  durée.  A  peine 
César  eut-il  abordé  la  ville  de  Rome ,  qu'il  reçut  la  nou- 
velle du  soulèvement  général  de  tous  les  peuples  maritimes 
entre  la  Seine  et  la  Loire ,  peuples  que  Crassus  à  la  tête 
d'une  seule  légion  avait  soumis  Tannée  précédente ,  tant 
était  grande  alors  la  terreur  qu'inspirait  le  nom  de  César, 
Celui-ci  se  hâta  de  repasser  les  Alpes  et  après  avoir  fait 
équiper  une  flotte  considérable  dont  il  donna  le  commande- 
ment a  Decimus  Brut  us,  il  marcha  contre  les  Venetes  qui  se 
trouvaient  à  la  tête  de  la  nouvelle  ligue.  D.  Brutus  ayant  en- 
tièrement défait  et  détruit  leur  flotte ,  composée  de  220  voi- 
les et  supérieure  de  beaucoup  en  forces  à  celle  des  Romains , 
les  Yenetes  furent  obligés  de  se  rendre  a  discrétion. 
César  se  montra  inexorable  ;  voulant  intimider  par  un 
acte  de  sévérité  les  autres  peuples  qui  faisaient  partie 
de  la  nouvelle  ligue  formée  contre  lui ,  il  condamna  au 
supplice  tous  les  sénateurs  (ou  chefs)  des  Venetes  et  rédui- 
sit le  peuple  entier  en  esclavage.  Ce  moyen  paraît  avoir 
rempli  le  but  qu'en  attendait  le  général  romain  ;  car  tous 
les  peuples  armoricains,  après  une  courte  résistance,  mi- 
rent bas  les  armes  et  subirent  de  nouveau  le  joug  qu'ils 
venaient  de  secouer.  Il  n'y  eut  que  les  Morins  et  les  Ména- 
piens ,  les  seuls  parmi  tous  les  peuples  des  Gaules  qui  jus- 
qu'alors n'eussent  point  envoyé  des  délégués  a  César  pour 
demander  son  amitié  et  se  mettre  sous  sa  protection,  ou, 
en  d'autres  termes ,  pour  se  déclarer  les  sujets  du  peu- 


—  378  — 

pie  romain  (1);  il  n'y  eut,  disons  nous,  que  les  Moiins  et 
les  Me'napiensqui,  lorsque  la  confédération  armoricaine  fut 
entièrement  dissoute ,  osèrent  se  maintenir  en  état  d'hos- 
tilité contre  César.  Irrité  de  voir  tant  d'audace  chez  deux 
peuplades  aussi  faibles  quand  les  peuples  les  plus  puissans 
de  la  Gaule  avaient  reconnu  la  suprématie  romaine  , 
César  ne  voulut  point  terminer  cette  campagne  sans  avoir 
puni  les  Morins  et  lesMénapiens  de  ce  qu'il  devait  regarder 
comme  une  folle  et  arrogante  présomption.  Cependant  le 
vainqueur  de  tant  de  peuples  puissans  échoua  devant  les 
obstacles  de  la  nature  et  la  ruse  d'une  des  peuplades  les 
moins  puissantes  de  la  Belgique. 

Les  Ménapiens  et  les  Morins,  instruits  par  la  défaite  des 
Nerviens ,  et  voyant  combien  l'armée  romaine ,  grâce  à  la 
tactique  militaire ,  avait  de  l'avantage  dans  une  bataille 
rangée  sur  des  ennemis  plus  nombreux  mais  indisciplinés, 
se  retirèrent  avec  leurs  familles  et  leurs  troupeaux  dans  les 
îles  formées  sur  leur  territoire  par  les  dëbordemens  de  la 
mer,  dans  les  marais  et  les  forêts  dont  leur  pays  était  cou- 
vert de  toutes  parts.  César  tenta  en  vain  de  les  y  atteindre  ; 
après  avoir  employé  son  armée  pendant  plusieurs  jours  à 
se  frayer  une  route  a  travers  ces  lieux  impraticables ,  il  se 
vit  contraint  par  de  nouveaux  obstacles  de  renoncer  à 
cette  expédition  dont  le  résultat  fut  l'incendie  et  la  dévas- 
tation de  quelques  pauvres  villages  et  dans  laquelle ,  s'il 
faut  en  croire  Dion  Cassius ,  il  essuya  de  la  part  des  enne- 
mis plus  de  dommage  qu'il  ne  put  leur  en  causer  (2). 


(1)  Omni  Galliâ  paccatâ,  Morini  Mcnapiique  supererant  giii  in  armis 
essent,  neque  ad  eum  (Gaesarem)  umquam  legatos  de  pace  misissent.  (Cres,, 
1.  III,  c.  28). 

(2)  Nam  illi,  quia  non  in  urbibus  sed  in  tnguriis  habitabant ,  rébus  suis 
pvetiosissimis  in  densissimas  silvas  collaiis  ^  plus  damni  invadentibus  Roma- 
nis intulere  qimm  ab  iis  accepere  (I)io.  Cass.,  Hist.  Rom.,  1.  XXXIX,  c.  44). 


-^  379  - 

Après  cette  expédition  qui  termina  la  seconde  campagne 
de  Ce'sar  en  Belgique ,  ce  dernier  avait  mis  ses  troupes  en 
quartiers  d'hiver  dans  les  contrées  les  plus  voisines  de  celles 
où  il  venait  de  porter  la  guerre.  A  peine  ses  troupes  com- 
mençaient-elles a  se  reposer  des  rudes  travaux  cju'elles 
venaient  de  supporter,  c[ue  Cësar  apprend  soudain  que  les 
Tenchtres  et  les  Usipètes ,  chassés  de  leur  patrie  par  les 
Suèves ,  viennent  de  passer  le  Rhin  au  nombre  de  420,000 
(y  compris  sans  doute  les  personnes  de  tout  âge  et  de  tout 
sexe),  qu après  avoir  expulsé  les  Ménapiens  du  territoire 
que  ce  peuple  occupait  sur  les  deux  rives  du  Rhin,  ils  sont 
parvenus  jusqu'aux  frontières  des  Eburons  et  des  Condru- 
siens.  11  rassembla  aussitôt  toutes  ses  forces  et  marcha 
à  la  rencontre  de  Fennemi.  Après  quelcjues  négociations 
infructueuses  ,  que  les  Tenchtres  et  les  Usipètes  entamè- 
rent avec  le  général  romain  ,  ce  dernier  leur  livre  bataille, 
et  remporte  une  victoire  complète.  L'armée  des  Germains 
fut  presque  entièrement  exterminée ,  ceux  qui  purent 
échapper  à  la  mort  par  la  fuite ,  gagnèrent  la  rive  droite 
du  Rhin.  Une  partie  de  la  cavalerie  des  Tenchtres  et  des 
Usipètes  qui  n'avait  point  pris  part  au  combat,  parce  qu'au 
moment  de  l'action  elle  était  occupée  au  pillage  du  terri- 
toire des  Ambivarites ,  ayant  appris  la  défaite  des  siens,  se 
hâta  également  de  repasser  le  Rhin  et  trouva  un  asile  au- 
près des  Sicambres ,  qui  lui  cédèrent  l'angle  de  terre  formé 
par  rissel  et  le  Rhin. 

Plusieurs  motifs  engagèrent  César  a  passer  lui-même  le 
Rhin  et  a  faire  une  irruption  dans  la  Germanie  pour  punir 
les  Sicambres  qui  avaient  recueilli  les  ennemis  des  Ro- 
mains ,  pour  secourir  contre  les  Suèves,  les  Ubiens  ,  peuple 
germain,  habitant  alors  la  contrée  correspondant  en  partie 
au  duché  de  Berg  actuel ,  et  nouveaux  alliés  des  Romains, 
et  enfin  pour  prouver  aux  Germains  cpie  le  fleuve  qui  scr- 


—  380  — 

vait  de  limitesentre  les  Gaules  et  la  Germanie,  n'était  point 
un  obstacle  qui  put  arrêter  les  armées  de  la  république  , 
et  que  si  désormais  les  hordes  germaniques  renouvelaient 
encore  leurs  invasions  dans  une  contrée  que  ses  armes  vic- 
torieuses venaient  de  soumettre  a  la  domination  romaine, 
il  ne  se  contenterait  plus  de  les  rejeter  au  delà  du  Rhin , 
mais  qu'il  viendrait  les  poursuivre  jusque  sur  leur  propre 
territoire.  Mais  la  raison  la  plus  puissante  qui  fit  entre- 
prendre cette  expédition  a  l'ambitieux  conquérant,  fut  pro- 
bablement la  gloire  d'avoir  le  premier  de  tous  les  généraux 
romains  planté  les  étendards  de  la  république  dans  une 
contrée  oii  jamais  Romain  n'avait  pénétré  et  d'où  étaient 
sorties  un  demi  siècle  auparavant,  ces  hordes  formidables  de 
Cimbres  et  de  Teutons  dont  le  souvenir  faisait  encore  trem- 
bler l'Italie.  Il  passa  donc  le  Rhin,  à  la  tète  de  son  armée , 
sur  un  pont  qu'il  fit  bâtir  entre  Andernach  et  Bonn.  Il 
marcha  d'abord  contre  les  Sicambres;  mais  ce  peuple 
instruit  de  son  projet,  avait,  à  la  persuasion  des  Tench- 
tres  et  des  Usipètes  auxquels  il  venait  de  donner  asile , 
abandonné  ses  foyers,  et  s'était  retiré,  avec  tout  ce 
qu'il  put  emporter,  dans  les  bois  et  les  lieux  inaccessibles. 
César  sachant,  par  le  résultat  infructueux  de  son  expédition 
récente  contre  les  Ménapiens ,  combien  il  aurait  d'obstacles 
à  vaincre  pour  les  y  atteindre ,  et  combien  même  il  y  avait 
du  danger  à  le  tenter  dans  un  pays  inconnu  et  oii  il  était 
partout  entouré  de  populations  ennemies,  se  contenta  de 
briller  les  moissons  et  les  chaumières  désertes  des  Sicam- 
bres ;  après  quoi  il  se  rendit  dans  le  pays  des  Ubiens ,  dans 
le  but  de  secourir  ce  peuple  contre  les  Suèves ,  ainsi  qu'il 
a  été  dit  plus  haut. 

Mais  lorsqu'il  connut  les  vastes  moyens  de  défense  que 
les  Suèves  avaient  organisés  pour  lui  résister,  il  renonça 
bien  vite  à  ce  projet ,  et  ne  songeant  plus  qu'à  sa  propre 


—  381  - 

sûreté,  il  repassa  le  Rhin  le  dix-huilième  jour  de  son  expé- 
dition contre  les  Germains. 

Le  peu  de  succès  qu'il  avait  eu  dans  cette  entreprise,  ne 
Tempécha  pas  de  former  le  projet  d'une  autre  conquête  non 
moins  difficile ,  celle  de  la  Grande-Bretagne,  dont  les  liabi- 
tans  s'étaient  montrés  hostiles  aux  Romains  en  fournissant 
de  nombreux  secours  aux  Gaulois  dans  les  campagnes  pré- 
cédentes. Mais  préalablement  il  résolut  de  tenter  de  nou- 
veau la  conquête  du  pays  des  Morins  (  le  département  du 
Pas-de-Calais  )  ,  parce  que  de  la  le  trajet  pour  la  Grande- 
Bretagne  était  le  moins  long  et  le  moins  difficile. 

Cette  fois  il  fut  plus  heureux  que  dans  sa  première  cam- 
pagne contre  ce  peuple.  S'il  faut  en  croire  César  lui-même, 
ceux  des  Morins  c[ui  habitaient  le  territoire  de  la  ville  actuelle 
de  Boulogne ,  dès  qu'ils  furent  instruits  de  son  dessein,  n'at- 
tendirent pas  même  qu'il  eut  commencé  les  hostilités  pour 
faire  leur  soumission  ;  mais  il  n'en  fut  pas  de  même  des 
Ménapiens  et  des  Morins  qui  habitaient  dans  des  lieux  plus 
écartés ,  plus  couverts  et  oii  il  était  moins  facile  de  les  at- 
teindre ;  ils  confièrent  de  nouveau  leur  défense  à  leurs  forêts 
et  à  leurs  marais.  César  chargea  Q.  Titurius  Sabinus  et 
L.  Aurunculeius  Cotta  de  les  réduire ,  et  sans  attendre 
l'issue  de  cette  expédition  ,  il  embarqua  ses  troupes  sur  la 
flotte  qu'il  avait  équipée  dans  le  pays  des  Atrebates  et  partit 
du  port  d'Ictius  (Boulogne)  pour  la  conquête  de  la  Grande- 
Bretagne. 

Le  cadre  de  cet  ouvrage  nous  défend  d'entrer  dans  des 
détails  sur  cette  expédition.  Au  reste  elle  n'eut  pas  un  ré- 
sultat plus  satisfaisant  que  celle  que  César  venait  d'entre- 
prendre dans  la  Germanie.  Son  armée  qui  n'était  composée 
que  de  deux  légions  et  de  quelques  troupes  auxiliaires,  four- 
nies principalement  par  les  Atrebates ,  étant  trop  peu 
nombreuse  pour  se  rendre  maître  d'un  pays  aussi  vaste 


>-  382  — 

que  la  Grande-Bretagne,  la  campagne  de  César  dans  cette 
lie  se  borna  à  quelques  combats  livrés  contre  les  peuples 
qui  habitaient  la  côte  la  plus  voisine  des  Gaules ,  combats 
dans  lesquels  la  discipline  de  l'armée  romaine  l'emporta 
encore  sur  la  valeur  impétueuse  et  désordonnée  des  bar- 
bares. L'approche  de  Thiver  l'obligea  à  mettre  fin  à  ces 
escarmouches  inutiles  et  sans  but ,  et  content  d'avoir  le 
premier  des  Romains  fait  triompher  les  armées  de  la  ré- 
publique dans  une  partie  du  globe  que  les  Grecs  et  les 
Romains  regardaient  alors  comme  un  autre  hémisphère 
et  une  quatrième  partie  du  monde  connu ,  il  rembarqua 
son  armée  et  rentra  au  port  d'Ictius. 

Deux  vaisseaux  de  transport  qui  avaient  à  bord  300  sol- 
dats romains ,  s'étant  écartés  de  la  flotte  pendant  l'obscu- 
rité de  la  nuit ,  abordèrent  à  quelques  lieues  plus  bas  que 
le  port  d'Ictius.  A  peine  les  soldats  eurent-ils  mis  pied  à 
terre ,  qu'ils  se  virent  soudain  assaillis  et  enveloppés  par 
un  corps  nombreux  de  Morins,  quoiqu'ils  se  trouvassent 
dans  le  canton  qui  s'était  naguère  soumis  a  César.  Quelque 
inférieures  que  fussent  leurs  forces  a  celles  de  l'ennemi , 
ils  ne  laissèrent  pas  de  lui  résister  pendant  plus  de  quatre 
heures.  Pendant  ce  temps,  César  instruit  par  leurs  émis- 
saires du  danger  qu'ils  couraient ,  envoya  a  leur  secours 
toute  sa  cavalerie  qui,  tombant  à  l'improviste  sur  les  Mo- 
rins ,  les  mit  en  fuite  et  en  tua  un  grand  nombre. 

Le  lendemain  César  envoya  Labienuis  a  la  tête  de  deux 
légions  pour  ravager  le  territoire  des  rebelles  et  les  obliger 
à  mettre  bas  les  armes.  Non-seulement  ce  général  exé- 
cuta avec  succès  cet  ordre ,  mais ,  comme  les  chaleurs  de 
leté  avaient  desséché  les  vastes  marais  qui  avaient  servi 
de  refuge  a  une  partie  des  Morins  dans  la  dernière  cam- 
pagne de  César,  il  pénétra  jusqu'à  l'extrémité  de  leur 
territoire ,  et  força    prescjue  tous  ceux   qui  avaient  ré- 


—  383  — 

sisté  jusqu'alors,  a  reconnaître  la  suprématie  romaine  (1). 

L'expédition  de  Q.  Titurius  et  de  L.  Cotta  contre  les 
Me'napiens  eut  un  résultat  moins  décisif  :  elle  se  borna  à 
l'incendie  de  leurs  villages  et  de  leurs  moissons  ;  la  profon- 
deur des  bois  déroba  encore  une  fois  les  Me'napiens  eux- 
mêmes  à  la  poursuite  de  leurs  ennemis  (2).  Chose  étrange , 
la  peuplade  la  moins  nombreuse  de  la  Belgique  fut  celle 
qui  opposa  la  résistance  la  plus  énergique  et  la  plus  heu- 
reuse a  l'ambition  d'un  peuple  qui  ne  prétendait  à  rien 
moins  qu'à  la  conquête  du  monde  entier. 

L'expédition  de  Titurius  et  de  Cotta  termina  la  qua- 
trième campagne  de  César  dans  les  Gaules.  Après  avoir 
mis  ses  troupes  encjuartiers  d'hiver  dans  difFérens  endroits 
de  la  Belgique  où  il  croyait  leur  présence  le  plus  néces- 
saire,  César,  suivant  sa  coutume,  partit  pour  l'Italie.  Il 
resta  peu  de  jours  a  Rome  et  se  rendit  dans  son  gouverne- 
ment d'Illyrie.  Après  y  avoir  réglé  l'administration  civile 
et  militaire,  il  repassa  les  Alpes  avant  la  fin  de  l'hiver 
pour  inspecter  la  flotte  qu'il  y  avait  fait  éc[uiper  dans  le 
dessein  d'entreprendre  une  nouvelle  campagne  contre  la 
Grande-Bretagne.  Le  port  d'Ictius  avait  été  désigné  pour 
le  rassemblement  de  cette  flotte.  A  son  arrivée ,  César  y 
trouva  600  vaisseaux  de  transport  et  28  galères. 

Cependant  avant  de  tenter  de  nouveau  la  conquête  de 
la  Grande-Bretagne ,  il  crut  devoir  calmer  par  sa  présence 
l'esprit  de  sédition  qui  se  manifestait  chez  les  Tréviriens. 
Ce  peuple  était  alors  divisé  en  deux  lactions  et  commandé 

(1)  (^ui  (Morini),  quum  propter  sicciiates  paludum,  quo  se  reciperent  non 
haherenl  [quo  perfugio  superiore  anno  f aérant  usi)  ,  omnes  ferè  in  potesia- 
tem  Labieni  i>enerunf.  (Cses. ,  1.  IV,  c.  28). 

(2)  Af  Q.  Titurius  et  L.  Cotta  leaati,  qui  in  Menapiorum  fines  legiones 
duxerant,  omnibus  eorum  agris  vasiatis,  frumentis  succisis,  osdificiis  incen- 
sis ,  quod  Menapii  se  omnes  in  densissimas  silvas  abdiderant,  se  ad  Cœsa- 
rem  receperunt.  (Caes.,  I.oc.  cit.). 


—  384  — 

par  deux  chefs,  Cingetorix,  partisan  des  Romains,  et  Indu- 
ciomare  qui  brûlait  d'affranchir  sa  patrie  de  la  domination 
étrangère.  Il  s'était  me'nage'  des  intelligences  chez  les  Ger- 
mains et  les  peuples  voisins ,  il  avait  rassemblé  des  troupes 
et  il  allait  lever  l'étendard  de  la  révolte ,  lorsque  César , 
instruit  de  son  complot  par  Cingetorix ,  se  présenta  sur  les 
frontières  des  Tréviriens,  et  par  cette  brusque  apparition, 
obligea  Induciomare  a  remettre  rexéculion  de  son  projet 
à  une  occasion  plus  opportune.  Ce  dernier  se  rendit  au 
camp  de  César,  protesta  de  son  innocence  et  de  son  dévoue- 
ment. César  feignant  de  croire  a  la  sincérité  de  ses  paroles, 
ne  voulut  toutefois  s'éloigner  que  lorsque  le  trévirien  lui 
eut  livré  deux  cents  otages  parmi  lesquels  se  trouvaient 
son  fils  et  ses  plus  proches  parens. 

S'étant  de  cette  manière  assuré  la  soumission  des  Tré- 
viriens ,  César  retourna  au  port  Ictius  où  la  défection  de 
Dumnorix  ,  chef  des  Éduens,  l'obligea  encore  a  retarder  de 
quelques  jours  son  expédition  contre  la  Grande-Bretagne. 
Le  rebelle  puni ,  et  aucun  obstacle  n'arrêtant  plus  le  dé- 
part de  la  flotte,  il  s'embarqua  avec  cinq  légions  et  deux 
mille  chevaux.  Il  laissa  sur  le  continent  Labienus  avec 
trois  légions  et  deux  mille  chevaux  pour  garder  le  port 
d'Ictius ,  rassembler  les  vivres  dans  les  quartiers  d'hiver 
qu'il  destinait  à  ses  troupes  a  leur  retour  de  l'expédition , 
observer  et  contenir  les  peuples   nouvellement  domptés. 

Quoique  César  entreprît  cette  seconde  campagne  contre 
les  peuples  de  la  Grande-Bretagne  avec  des  forces  triples 
de  celles  dont  il  se  servit  dans  la  première ,  il  n'obtint 
point  des  succès  plus  décisifs ,  et  après  quelques  combats 
livrés  aux  peuplades  de  la  côte ,  l'approche  de  l'hiver  l'obli- 
gea a  retourner  de  nouveau  sur  le  continent. 

Ayant  ainsi  terminé  sa  cinquième  campagne  dans  les 
Gaules  ,  César  répartit  ses  légions  de  la  manière  suivante  : 


—  385  — 

une  légion  commandée  par  C.  Fabius  fui  place'e  dans  le 
pays  des  Morins ,  au  port  d'Ictius  sans  doute  ;  une  autre 
le'gion  commandée  par  Q.  Cicëron,  campa  sur  le  territoire 
des  Ner^iens  ;  la  troisième ,  sous  le  commandement  de 
L.  Roscius,  fut  établie  dans  le  pays  des  Essuens,  peuplade 
inconnue  et  voisine  de  TArmorique;  Labienus  qui  était  à  la 
tête  de  la  quatrième  légion  ,  prit  position  dans  le  pays  des 
Remois,  aux  confins  de  celui  desTréviriens.  Trois  légions 
occupèrent  la  contrée  connue  sous  le  nom  de  Beïgiiim^  qu  il 
ne  faut  pas  confondre  avec  la  Belgique ,  dont  elle  faisait 
partie  (1).  Enfin  une  légion  et  cinq  cohortes,  commandées 
par  Q.  Titurius  Sabinus  et  L.  Aurunculeius  Cotta,  furent 
placées  dans  le  pays  des  Eburons.  Toute  Farmée  romaine 
se  trouva  ainsi  concentrée  de  manière  à  ne  laisser  qu'une  dis- 
lance de  cent  milles  (33  lieues)  d'un  camp  a  l'autre.  Quoi- 
que César  crut  ces  mesures  suffisantes  pour  ôter  aux  Belges 
tout  moyen  de  soulèvement  ou  du  moins  pour  réprimer 
promptement  toute  tentative  de  révolte ,  il  ne  jugea  pas 
prudent  toutefois  de  sortir  des  Gaules  et  même  de  s'éloigner 
beaucoup  des  peuples  dont  la  rébellion  récente  prouvait 
qu'ils  étaient  plutôt  vaincus  que  soumis.  Il  fixa  donc  son 
séjouràSamarobriva,bourgadeetchef-lieudesAmienois(2). 
Toutes  ces  mesures  n'avaient  point  été  prises  en  vain. 

(1)  Le  Belgîum  renfermait  les  diocèses  actuels  deBeauvais,  d'Amiens  et 
d'Arras,  et  probablement  aussi  une  partie  de  lIle-de-France  et  de  la  Nor- 
mandie a  droite  de  la  Seine  (Voir  Raoux,  Disserl.  hist.  sur  l'origine  du 
nom  des  Belges.  Nouv.  Mém.  de  lAcad.  de  Brux.,  t.  3,  p.  413.  De  Fortia, 
d  Urban  ,  Tableau  historique  et  geogr.  du  monde ,  tom.  4,  p.  273). 

(2)  Dans  l'Itinéraire  d'Antonin ,  Samarobriva  est  la  même  que  la  ville 
d'Amiens.  L'auteur  anonyme]  du  mémoire  précité  sur  les  campagnes  de 
César,  soutient  néanmoins  que  Samarobriva  est  la  ville  de  Cambrai ,  parce 
que  Ptolémée  ne  connaît  que  Samarobriva  et  passe  sous  silence  la  ville  de 
Camaracum.  Cependant  la  carte  de  Peutinger  distingue  parfaitement  Sama- 
robriva de  Camaracum.  L'auteur  du  mémoire  sur  les  campagnes  de  César, 
ne  veut  point  reconnaître  cetle  distinction  et  accuse  la  table  de  Peutinger 

Tome  L  25 


—  386  — 

Déjà  pendant  la  dernière  expédition  de  César  contre  la 
Grande-Bretagne,  Induciomare ,  qui,  malgré  ses  pro- 
testations de  dévouement  et  les  otages  qu  il  avait  livrés 
comme  garants  de  sa  conduite ,  brûlait  toujours  du  désir 
d'afFranchir  sa  patrie  de  la  domination  étrangère ,  n'avait 
cessé  d'exciter  en  secret  ses  compatriotes  et  les  peuples 
voisins  à  le  seconder  dans  sa  glorieuse  entreprise.  En- 
flammés par  ses  discours,  les  Tréviriens  jurèrent  de  renon- 
cer à  jamais  à  Falliance  qu'ils  avaient  été  des  premiers  à 
contracter  avec  César,  et  de  ne  remettre  l'épée  dans  le  four- 
reau que  lorsqu'ils  auraient  purgé  leur  territoire  de  la 
présence  des  étrangers.  Cette  conspiration  s'était  tramée 
dans  l'ombre  et  César  ne  paraît  en  avoir  eu  aucune  connais- 
sance après  son  retour  de  la  Grande-Bretagne.  Sa  présence 
en  arrêta  l'explosion  ;  mais  dès  qu'à  l'approche  de  l'hiver  il 
se  fut  éloigné  des  frontières  de  la  Belgique,  Induciomare 
se  pressa  de  mettre  son  projet  à  exécution.  Néanmoins  ce 
ne  furent  pas  les  Tréviriens  qui  prirent  l'initiative,  mais 
les  Eburons  qu'Induciomare  avait  gagnés  à  son  parti. 

Ambiorix  et  Cativulcus  rois  des  Eburons ,  après  avoir 
reçu  Sabinus  et  Cotta  aux  frontières  de  leur  territoire,  les 
avaient  conduits  à  un  endroit  nommé  Atuatuca  (1),  que  ces 
généraux  avaient  choisi  pour  établir  leurs  quartiers  d'hiver, 

d'erreur,  sans  appuyer  cette  assertion  d'aucune  preuve  plausible.  Ce  qui 
prouve  l'erreur  où  est  tombé  lui-même  l'auteur  du  mémoire  sur  les  cam- 
pagnes de  César,  c'est  que  tous  les  anciens  conviennent  de  placer  Samaro- 
hriva  dans  le  pays  des  Amiénois  et  Cameracum  dans  celui  des  Nerviens.  Si 
Ptolémée  n'a  point  mentionné  cette  dernière  ville,  c'est  qu'elle  n'était  en- 
core de  son  temps  qu'un  lieu  fort  obscur,  qui  ne  s'éleva  à  la  dignité  de 
chef-lieu  des  Nerviens  qu'après  la  destruction  de  Bagacum  (Bavai),  la  capi- 
tale de  ce  peuple  a  l'époque  où  écrivait  ce  géographe. 

Voir  De  C Samarobriva  ou  examen  d'une  question  de  géographie  an- 
cienne, Amiens  1832. 

(î)  Nous  examinerons  dans  le  chapitre  X,  quelle  était  la  position  de  ce 
lieu. 


-  387  — 

et ,  obéissant  ponctuellement  à  Tordre  de  César,  ils  avaient 
pourvu  ce  lieu  des  vivres  nécessaires  a  la  subsistance  de  la 
garnison.  Rien  donc  ne  donnait  lieu  aux  Romains  de  con- 
cevoir des  soupçons  sur  la  conduite  des  Eburons.  Cepen- 
dant il  y  avait  à  peine  quinze  jours  que  les  légions  étaient 
dans  leurs  quartiers  d'hiver ,  lorsque  tout  a  coup  les  Ebu- 
rons jettent  le  masque  et,  conduits  par  Ambiorix,  viennent 
assaillir  et  tentent  de  surprendre  a  Timproviste  le  camp  de 
Cotta  et  de  Sabinus.  Toutefois  le  camp  romain  était  trop 
bien  gardé  et  les  Eburons  trop  ignorans  dans  la  tactique 
militaire ,  pour  c]u  ils  pussent  emporter  de  vive  force  une 
place  fortifiée  selon  les  règles  de  Fart.  Ayant  donc  éclioué 
dans  cette  tentative,  Ambiorix  tâcha  d'atteindre  son  but  par 
la  ruse.  Dans  une  entrevue  qu'il  eut  avec  deux  officiers  ro- 
mains que  Sabinus  et  Cotta  lui  avaient  envoyés  sur  sa  de- 
mande, il  feignit  de  n'avoir,  en  venant  attaquer  les  Romains, 
obéi  qu'à  regret  à  la  volonté  de  ses  concitoyens  qui  eux- 
mêmes  ne  suivaient  cjue  l'impulsion  de  leurs  confédérés  ;  il 
dit  que  les  Eburons  avaient  été  forcés  d'entrer  dans  la  cons- 
piration, tramée  par  tous  les  peuples  de  la  Gaule,  cjui  avaient 
résolu  de  secouer  le  joug  des  Romains,  en  attaquant  tous 
leurs  camps  a  la  fois;  cju'une  puissante  armée  de  Germains 
venait  de  passer  le  Rhin  et  devait  seconder  le  projet  des 
Gaulois;  que  la  reconnaissance  que  lui  Ambiorix  devait  à 
César,  pour  avoir  affranchi  les  Eburons  du  tribut  qu'ils 
payaient  annuellement  aux  Aquatiques  ,  et  pour  lui  avoir 
rendu  son  fils  que  ces  derniers  tenaient  en  otage  ,  lui 
faisait  un  devoir  d'avertir  Sabinus  et  Cotta  du  danger 
imminent  où  ils  se  trouvaient  et  de  sauver  les  Romains 
campés  sur  le  territoire  des  Eburons;  cjue  le  seul  moyen 
de  salut  c[ui  leur  restait  était  d'abandonner  prompte- 
ment  leur  camp  et  de  réunir  sans  délai  leurs  forces  à 
celles  des  autres  garnisons  romaines  dispersées  dans  les 


—  388  — 

Gaules;  que  le  camp  de  Cicëron  n'étant  qua  cinquante 
milles  de  distance  du  leur ,  c'était  la  quils  devaient  diriger 
leur  marche  ;  que  les  Eburons  non-seulement  les  laisseraient 
passer  librement  a  travers  leur  territoire  ,  mais  qu'ils  leur 
procureraient  encore  tous  les  secours  possibles. 

Ces  paroles  ayant  été  rapportées  aux  deux  généraux  ro- 
mains ,  ils  assemblèrent  aussitôt  un  conseil  de  guerre  pour 
examiner  quelle  serait  la  conduite  a  tenir  dans  des  circon- 
stances aussi  graves.  Cotta  fut  d'avis  d'instruire  César  de 
la  position  critique  où  se  trouvaient  les  troupes  commandées 
par  lui  et  par  Sabinus,  et,  en  attendant  ses  ordres,  de  ne  point 
abandonner  le  camp  et  de  s'y  tenir  sur  la  défensive.  Sabi- 
nus au  contraire,  croyant  a  la  sincérité  des  promesses 
d'Ambiorix ,  opina  de  suivre  les  conseils  que  ce  roi  venait 
de  donner  aux  délégués  romains,  qui  s'étaient  abouchés 
avec  lui.  La  délibération  dura  jusqu'à  minuit;  à  la  fin  l'avis 
de  Sabinus  prévalut ,  non  sans  avoir  éprouvé  une  très-forte 
opposition.  Il  fut  donc  résolu  que  le  lendemain,  à  la  pointe 
du  jour,  tout  le  monde  se  trouverait  sur  pied  et  se  mettrait 
en  marche. 

Cependant  les  Eburons,  instruits  de  cette  résolution, 
s'étaient  mis  en  embuscade  dans  un  défilé  couvert  de  bois  , 
par  lequel  les  Romains  devaient  nécessairement  passer  pour 
se  rendre  au  camp  de  Q.  Cicéron.  Parvenus  à  deux  milles 
pas  du  camp  d'Atuatuca ,  Sabinus  et  Cotta  furent  attaqués 
soudain.  L'avant- garde,  commandée  par  Sabinus ,  après 
une  courte  résistance ,  eut  la  lâcheté  de  s'avouer  vaincue  et 
de  demander  quartier  a  un  ennemi  dont  elle  ne  reconnais- 
sait maintenant  que  trop  la  perfidie.  Les  Eburons  promi- 
rent de  lui  laisser  la  vie  sauve ,  lorsqu'il  aurait  déposé  les 
armes;  mais  à  peine  les  Romains  furent-ils  désarmés ,  que , 
tombant  sur  eux,  ils  les  massacrent  jusqu'au  dernier.  Sabinus 
expira  lui-même  sous  les  coups  des  ennemis.  L'arrière  garde, 


-  389  - 

conduite  par  Cotta ,  se  défendit  avec  plus  de  courage  ;  mais 
après  avoir  combattu  vaillamment  pendant  plus  de  huit 
heures ,  elle  succomba  également  et  fut  taillée  en  pièces. 
Cotta  subit  le  sort  de  Sabinus.  Ceux  cjui  échappèrent  au 
massacre ,  regagnèrent  le  camp  d'Atuatuca.  Ils  y  furent  de 
nouveau  attaqués ,  et  ne  voyant  aucun  moyen  de  salut ,  ils 
se  donnèrent  mutuellement  la  mort.  Quelques-uns  qui 
étaient  parvenus  à  se  cacher  dans  les  bois,  portèrent  au 
camp  de  Labienus  la  triste  nouvelle  de  ce  désastre. 

Enorgueilli  par  cette  victoire ,  qui  coûta  la  vie  a  7000 
Romains,  Ambiorix  à  la  tête  de  sa  cavalerie  suivie  de 
l'infanterie ,  pénètre  sur  le  territoire  des  Atuatiques  et  des 
Nerviens,  soulève  ces  peuples ,  expédie  des  émissaires  pour 
exciter  à  la  révolte  les  Centrons ,  les  Grudiens ,  les  Leva- 
ciens,  les  Pleumosiens  et  les  Gorduniens,  et  ayant  grossi  son 
armée  des  renforts  que  lui  fournirent  ces  peuples  ,  il  vint 
attaquer  le  camp  de  Cicéron ,  avant  que  la  nouvelle  de  la 
défaite  de  Sabinus  et  de  Cotta  n'y  eut  transpirée  (1).  Sur- 
pris a  l'improviste ,  Cicéron  fut  sur  le  point  de  succomber 
à  Tassant  que  lui  livrèrent  les  Belges  au  moment  même 
qu'ils  s'approchèrent  de  son  camp.  Son  habilité  et  son  sang- 
froid  ,  finirent  cependant  par  triompher  de  tous  les  efiforts 
que  tentèrent  les  ennemis  et  le  préservèrent  du  sort  funeste 


(1)  Les  auteurs  modernes  ne  sont  point  d'accord  sur  la  position  du  camp 
de  Cicéron  •  Schriekius  le  place  à  Veltsig  ou  Velsig,  entre  Gand,  Alost  et 
Audenaerde  ;  Wendelin  à  AVaudrez  entre  Mous  et  Binche;  Cousin  a  Tour- 
nai ;  De  Bast  à  Tervueren  :  Desroches  à  Assche  ;  l'auteur  du  mémoire  sur  les 
campagnes  de  César  a  Castres,  village  entre  Bruxelles  et  Enghien,  au  nord- 
ouest  de  Hal  ;  enfin  M.  Dewez  le  fixe  a  Mons  dont  l'emplacement  portait 
encore  au  7®  siècle  le  nom  de  Castrilocns.  De  toutes  ces  conjectures  la  der- 
nière nous  paraît  la  plus  heureuse.  Elle  est  d'ailleurs  appuyée  de  l'autorité 
d'un  écrivain  du  10^  siècle,  l'auteur  d'une  ancienne  légende  de  Saint-Eloî. 
(Voir  le  mémoire  de  M.  Dewez,  Sur  les  endroits  de  Vanc.  Belgique  dont  il 
est  parlé  dans  César). 


~  3S0  — 

que  venaient  de  subir  Sabinus  et  Cotta.  Cice'ron  employa 
]a  nuit  qui  suivit  ce  combat  a  ajouter  de  nouveaux  ouvrages 
de  défense  a  son  camp.  Le  lendemain  les  Belges  lui  livrè- 
rent un  second  assaut,  mais  n'ayant  pas  obtenu  plus  de 
succès  que  la  veille  ,  ils  demandèrent  à  entrer  en  pourpar- 
1er  avec  le  gênerai  romain.  Dans  cette  entrevue,  ils  ten- 
tèrent de  séduire  Cicèron ,  qui  s'y  était  rendu  en  personne, 
par  le  récit  mensonger  qui  leur  avait  si  bien  réussi  auprès 
de  Sabinus  et  de  Cotta  ;  mais  cette  ruse  échoua  devant  le 
caractère  ferme  et  décidé  du  général  romain.  Ils  virent 
donc  qu  il  ne  leur  restait  d'autre  moyen  de  s'emparer  du 
camp  romain,  qu'en  l'assiégeant  dans  les  formes.  Les  guerres 
que  les  Belges  avaient  soutenues  dans  les  années  précédentes 
contre  les  Romains  et  les  prisonniers  qu'ils  avaient  faits  en 
différentes  occasions  ,  les  avaient  instruits  dans  la  tactique 
militaire  et  leur  avaient  appris  a  connaître  l'usage  des  in- 
strumens  de  guerre  dont  les  Romains  se  servaient  aux  sièges 
des  places  fortes.  Ils  commencèrent  par  renfermer  le  mur 
du  camp  ennemi  d'un  rempart  de  terre  de  onze  pieds  de 
hauteur ,  de  dix  mille  pieds  de  circuit  et  bordé  d'un  fossé 
de  quinze  pieds  de  largeur  ;  et  quoiqu'ils  manquassent  des 
outils  nécessaires  pour  effectuer  un  ouvrage  aussi  considé- 
rable, jusque  la  qu'ils  furent  obligés  de  creuser  la  terre 
avec  leurs  épées  et  de  l'enlever  avec  leurs  mains ,  faute  de 
pelles  et  de  pioches,  ils  l'achevèrent  en  moins  de  trois  heures 
de  temps.  Ils  bloquaient  ainsi  complètement  la  garnison 
romaine ,  en  même  temps  qu'ils  rempêchaient  de  faire  des 
sorties.  Ils  élevèrent  ensuite  un  grand  nombre  de  tours  qui 
dominaient  les  retranchemens  du  camp ,  et  confection- 
nèrent des  tortues  ,  des  béliers  et  autres  machines  de 
guerre  connues  à  cette  époque. 

Le  septième  jour  du  siège  ,  les  Belges  profitant  d'un  vent 
qui  soufflait  avec  violence,  jetèrent  une  grande  quantité 


--  391  — 

de  madères  enflamme'es  dans  le  camp  romain  pour  incendier 
îescliaumières,c]ui  servaient  d'abri  aux  soldats.  Ces  cabanes 
construites  en  matières  combustibles,  furent  promptement 
en  feu  et  les  flammes  se  propagèrent  dans  toute  Fë tendue 
du  camp.  Profitant  de  la  consternation  et  du  desordre  que 
ce  désastre  mettait  parmi  les  Romains,  ils  s'approchèrent 
des  remparts  ennemis ,  firent  jouer  toutes  leurs  machines 
de  guerre  et  tentèrent  l'escalade.  Après  un  combat  long  et 
opiniâtre ,  tous  les  efforts  des  assiëgeans  échouèrent  encore 
une  fois  devant  la  bravoure  et  le  sang-froid  des  Romains. 

Cependant  Cicëron  convaincu  c|u  avec  les  faibles  forces 
qu'il  commandait,  dëcimëes  de  jour  en  jour  par  les  com- 
bats ,  les  privations  et  les  travaux,  il  lui  serait  impossible 
de  se  soutenir ,  s'il  n'ëtait  promptement  secouru,  envoya 
courriers  sur  courriers  a  César  pour  l'informer  de  la  posi- 
tion critique  où  il  ëtait  rëduit  ;  mais  tous  ces  envoyés ,  sur- 
pris par  l'ennemi ,  périssaient  dans  d'affreux  supplices  a  la 
vue  des  Romains.  A  la  fin  ,  un  Nervien,  nommé  Yertuco , 
qui  avait  passé  aux  Romains  dès  le  commencement  du  siège, 
parvint  à  tromper  la  vigilance  des  assiëgeans  et  fit  parvenir 
à  (]ësar  les  lettres  de  son  lieutenant.  Aussitôt  César  manda 
à  M.  Crassus ,  à  C.  Fabius  et  a  Labienus  de  le  joindre  avec 
toutes  leurs  forces.  Il  fit  aussi  venir  des  camps  les  plus  voi- 
sins, six  cents  cavaliers.  Il  laissa  a  Crassus  la  garde  des 
bagages  de  l'armée  ,  des  otages  ennemis,  des  archives  et  des 
vivres  cju'il  avait  réunis  à  Samarobriva.  Labienus  instruit 
de  la  défaite  de  Sabinus  et  de  Cotta ,  au  lieu  de  se  rendre  au- 
près de  César,  lui  donna  connaissance  de  cette  catastrophe, 
et  lui  fit  sentir  combien  il  lui  serait  dangereux  d'abandon- 
ner la  position  avantageuse  qu'il  occupait ,  lorsque  l'ar- 
mée des  ïrëviriens,  enflammée  parles  succès  d'Ambiorix, 
ne  se  trouvait  qu'à  la  distance  de  trois  milles  de  son  camp. 
César  approuvant  la  conduite  de  ce  général ,  se  hâta  de  voler 


—  392  — 

au  secours  de  Cice'ron,  quoiqu'il  n'eut  que  deux  légions  a 
opposer  a  l'armée  belge ,  forte  de  plus  de  60,000  combat- 
tans. 

Dès  que  les  Belges  furent  informés  de  sa  marche ,  ils  le- 
vèrent promptement  le  siège  du  camp  de  Cicéron,  et  allè- 
rent se  porter  avec  toutes  leurs  forces  à  environ  quatre 
milles  de  ce  dernier.  A  la  vue  de  cette  multitude  de  bar- 
bares ,  César  sentit  combien  il  y  aurait  de  la  témérité  a  les 
combattre  en  bataille  rangée  avec  le  faible  corps  qu'il  com- 
mandait. Il  jugea  donc  prudent  d'user  de  stratagème.  Il 
s'arrêta  au  haut  d'une  colline  et  fit  camper  ses  troupes  dans 
un  espace  fort  resserré ,  afin  que  les  ennemis  croyant  son 
armée  encore  moins  nombreuse  qu'elle  n'était ,  et  s'aban- 
donnant  a  la  présomption  et  à  l'orgueil  naturels  aux  bar- 
bares, négligeassent  de  conserver  l'excellente  position  qu'ils 
occupaient,  et  qu'attirés  dans  le  piège  qu'il  méditait  de  leur 
tendre,  il  put  les  vaincre  et  les  tailler  en  pièces  sans  exposer 
ses  propres  troupes  à  essuyer  des  pertes  considérables.  Après 
s'être  entouré  de  fortsretranchemens,  il  fit  sortir  sa  cavalerie 
avec  ordre  de  lâcher  le  pied  et  de  s'enfuir  vers  le  camp  dès 
qu'elle  se  verrait  attaquée  par  les  Belges.  Ce  stratagème 
eut  un  succès  complet.  Les  Belges  après  avoir  poursuivi  la 
cavalerie  romaine  jusqu'aux  pieds  de  ses  remparts,  voyant 
que  les  troupes  renfermées  dans  le  camp ,  loin  de  venir  au 
secours  de  leurs  compagnons ,   n'osaient  elles-mêmes  se 
montrer  au  haut  de  leurs  retranchemens,  crurent  que  la 
prise  du  camp  de  César  ne  leur  coûterait  pas  plus  de  peine 
que  celle  du  camp  de  Sabinus  et  de  Cotta.  Dans  cette  pré- 
somption, ils  firent  publier  à  sonde  trompe,  que  tout  Gaulois 
et  Romain  qui  se  rendrait  à  eux  avant  la  neuvième  heure  du 
jour  (onze  heures  du  matin)  ,  aurait  la  vie  sauve.  Ce  terme 
expiré  et  aucun  transfuge  ne  s'était  présenté,  ils  se  déci- 
dèrent a  livrer  l'assaut  :  ils  travaillèrent  a  combler  les  fossés 


^  393  — 

du  camp  et  appliquant  les  échelles  aux  retrancliemens ,  ils 
tentèrent  de  s'en  rendre  maître  par  escalade.  C'est  la  que 
les  attendait  Cësar.  A  un  signal  donné ,  toutes  les  portes  du 
camp  s'ouvrent;  la  cavalerie  et  l'infanterie  romaine  fon- 
dent sur  les  assie'geansqui,  ne  s'attendant  pas  a  cette  attaque 
soudaine  et  impe'tueuse,  sont  saisis  d'une  terreur  panique, 
se  dispersent  et  s'enfuient  avec  précipitation.  Les  Romains 
poursuivent  les  ennemis  l'épée  dans  les  reins  et  en  font  un 
horrible  massacre.  Peu  d'entr'eux  auraient  ëchappe's  a  la 
mort ,  si  Cësar ,  craignant  que  son  armëe  ne  s'ëgarât  et  ne 
se  perdit  dans  les  vastes  forets  et  les  marécages  de  la  Belgi- 
que ,  n'eut  jugé  prudent  de  donner  le  signal  de  la  re- 
traite (1). 

Après  avoir  remporté  cette  victoire ,  César  s'empressa 
de  se  rendre  au  camp  de  Cicéron.  Il  vit  avec  admiration 
les  travaux  des  assiégeans  et  ne  put  concevoir  qu'ils  fussent 
l'œuvre  de  peuples  barbares,  qui ,  naguère  encore,  igno- 
raient jusqu'aux  moindres  élémens  de  la  tactique  militaire. 
Puis  passant  en  revue  la  légion  qui  avait  soutenu  le  siège, 
et  voyant  que  la  dixième  partie  en  avait  péri  ou  avait  été 
mise  hors  d'état  de  combattre  ,  il  combla  d'éloges  ces 
braves  et  leur  général.  Cependant  la  joie  qu'il  éprouvait  de 
sa  victoire  récente  fut  atténuée  par  la  nouvelle  qu'il  reçut 
alors  de  la  défaite  de  Sabinus  et  de  Cotta.  Dans  sa  colère , 
il  jura  de  ne  se  laisser  couper  la  barbe  et  les  cheveux,  que 
lorsqu'il  aurait  vengé  cet  afifront  par  l'extermination  de 
la  nation  entière  des  Eburons,  projet  qu'il  mit  à  exécution 
dès  la  campagne  suivante. 

(1)  Desroclies  fixe  le  théâtre  de  cette  action  au  village  de  Wambeek ,  et 
M.  Kicx  à  Castre.  Cependant  si  le  camp  de  Cicéron  était  placé  à  Mons ,  ce 
dut  être  dans  les  environs  de  cette  ville  que  se  livra  cette  bataille,  et  a» 
midi  de  Mons  sur  la  route  d'Amiens  (Samarobriva),  puisque  ce  fut  de  ce 
dernier  endroit  que  César  dirigea  sa  marche  vers  les  frontières  des  Nerviens. 


—  394  — 

La  nouvelle  cle  la  victoire  de  Cësar  sur  les  confédérés 
élait  parvenue  en  quelques  heures  au  camp  de  Labié- 
nus  ,  quoiqu'il  fut  éloigné  de  près  de  soixante  milles  de 
celui  de  Cicéron.  Les  cris  d'allégresse  qui  s'en  élevèrent 
et  les  feux  de  joie  quon  y  alluma,  pour  célébrer  ce 
grand  événement,  en  instruisirent  également  les  Trévi- 
riens.  Liduciomare  qui  s'était  proposé  d'attaquer  le  lende- 
main le  camp  de  Labienus,  se  hâta  aussitôt  de  ramener  ses 
troupes  dans  l'intérieur  du  territoire  trévirien.  La  rigueur 
de  la  saison  empêchant  César  de  poursuivre  ses  succès , 
ce  général  renvoya  Fabius  dans  ses  quartiers  d'hiver  et  il 
se  retira  lui-même ,  avec  trois  légions ,  a  Sam»arobriva  ,  où 
il  résolut  de  passer  l'hiver ,  sur  la  nouvelle  que  les  Gaulois 
dont  la  victoire  récente  des  Eburons  avaient  relevé  le  cou- 
rage ,  tenaient  des  conciliabules  nocturnes ,  oii  l'on  se  con- 
certait sur  les  moyens  de  faire  une  nouvelle  levée  de  bou- 
cliers contre  les  Romains.  César  déclare  lui-même  qu'il  n'y 
avait  alors  que  les  Remois  et  les  Éduens,  sur  la  fidélité  des- 
quels il  osât  compter. 

Les  Tréviriens,  malgré  le  revers  que  venait  d'essuyer  la 
dernière  ligue  ,  ne  se  découragèrent  point.  Induciomare  , 
toujours  l'ennemi  le  plus  implacable  du  nom  romain,  ne 
cessa  de  tramer  de  nouveaux  complots,  de  susciter  des  nou- 
veaux obstacles  à  César.  Il  chercha  d'abord  à  gagner  les 
Germains  d'Outre-Rhin;  mais  la  défaite  d'Arioviste,  des 
Tenchtres  et  des  Usipètes ,  les  avait  frappés  d'une  telle  ter- 
reur qu'aucune  peuplade  teutonique  n'osa  reprendre  les 
armes.  Voyant  que  ses  sollicitations  ne  lui  procuraient  point 
des  partisans  de  ce  côté  ,  il  se  tourna  de  nouveau  vers  les 
peuples  belges.  L'impatience  avec  laquelle  ces  derniers  sup- 
portaient la  perte  de  leur  indépendance  ,  leur  faisant  saisir 
avec  empressement  tout  espoir  de  briser  leurs  chaînes, 
Induciomare  se  trouva  en  peu  de  temps  le  chef  d'une  ligue 


~  395  -~ 

plus  formidable  encore  que  celle  qui  venait  d'être  rompue 
par  les  dernières  victoires  de  César.  Ayant  donc  prompte- 
ment  re'uni  des  forces  considérables ,  il  commença  les  hos- 
tilités par  le  siège  du  camp  de  Labienus.  De  son  côté  Labie- 
nus,  informé  par  CingetorJx,  de  tout  ce  qui  se  tramait 
dans  les  conciliabules  des  confédérés ,  résolut  d'essayer  la 
même  ruse  c|ui  avait  si  bien  réussi  a  César.  Il  envoya  chez 
les  peuples  voisins,  cjui  n'avaient  point  participé  a  la  ré- 
volte ,  demander  un  renfort  nombreux  de  cavalerie.  En  at- 
tendant ce  secours ,  il  tint  ses  troupes  renfermées  dans  le 
camp.  Induciomare  que  la  victoire  récente  de  César  aurait 
dû  corriger  de  sa  présomption ,  attribuant  cette  conduite  a 
la  peur  et  à  la  faiblesse ,  venait  à  tout  moment  se  présen- 
ter à  la  tête  de  sa  cavalerie  au  pied  même  des  remparts 
du  camp ,  pour  provocjuer  et  insulter  les  Romains.  Cepen- 
dant ces  bravades  eurent  une  courte  durée  et  devinrent 
bien  funestes  à  Tagresseur.  Le  siège  avait  déjà  duré  plu- 
sieurs jours  ,  lorsque  Labienus  apprit  cjue  les  troupes  cju  il 
avait  demandées  aux  peuples  voisins,  étaient  en  route  pour 
se  joindre  a  lui  ;  il  les  fit  entrer  secrètement  dans  son  camp 
pendant  la  nuit  et  sans  cjue  les  ennemis  en  eussent  conçu 
le  moindre  soupçon.  Le  lendemain,  Induciomare  se  pré- 
senta devant  le  camp  avec  son  arrogance  accoutumée.  La- 
bienus le  laissa  faire  pendant  toute  la  journée,  mais  lors- 
que vers  le  soir  il  se  retira  en  désordre  et  sans  daigner 
prendre  aucune  précaution  contre  un  ennemi  qu'il  croyait 
être  si  peu  a  craindre ,  tout  à  coup  deux  portes  du  camp 
s'ouvrent  et  vomissent  toute  la  cavalerie  romaine  ,  qui 
comme  un  torrent,  se  précipite  avec  impétuosité  sur  les 
Tréviriens  ,  les  met  en  fuite  et  les  taille  en  pièce.  Elle  s'a- 
charne surtout  a  la  poursuite  d'Induciomare,  suivant  l'ordre 
qu'elle  en  avait  reçu  de  Labienus  et  pour  mériter  la  récom- 
pense que  ce  général  avait  promise  a  celui  qui  lui  livrerait  le 


—  396  — 

chef  trévirien ,  mort  ou  vif.  Induciomare  ,  atteint  au  pas- 
sage de  la  Meuse,  qu'il  tentait  dépasser  a  gué,  tomba  sous 
les  coups  des  ennemis.  Sa  tête  leur  servit  de  trophée  et  fut 
de'posée  aux  pieds  de  Labienus.  A  la  nouvelle  de  cette  ca- 
tastrophe ,  les  Eburons  et  les  Nerviens  qui  avaient  re'uni 
toutes  leurs  forces,  pour  seconder  les  ope'rations  militaires 
des  Trë viriens  ,  se  séparèrent  et  se  re'tirèrent  sur  leur  ter- 
ritoire respectif. 

Toutefois  la  perte  de  son  chef  n'avait  point  dissipé  la  ligue; 
elle  ne  fit  qu'ajourner  pour  un  court  espace  de  temps  l'exé- 
cution de  ses  projets.  César  que  l'expérience  des  campagnes 
précédentes  avait  éclairé  et  qui  ne  se  laissait  point  aveugler 
sur  les  intentions  de  ses  ennemis,  se  hâta  de  remplir  les  ca- 
dres de  son  armée  affaiblie  par  la  défaite  de  Sabinus  et  de 
Cotta  et  par  les  combats  sanglans  soutenus  les  années  pré- 
cédentes; il  l'augmenta  en  outre  de  trois  légions  nouvelles 
qu'il  fit  venir  de  l'Italie.  Il  eut  bientôt  lieu  de  se  convaincre 
combien  cette  prévoyance  avait  été  sage  et  urgente.  Depuis 
la  mort  d'Induciomare ,  les  parens  de  ce  roi  avaient  renou- 
velé auprès  des  Germains  les  sollicitations  qu'il  avait  en 
vain  employées  l'année  précédente.  Leurs  tentatives  n'eu- 
rent ,  il  est  vrai ,  pas  plus  de  succès  que  celles  de  ce  roi 
auprès  des  peuples  germains  les  plus  voisins  du  Rhin ,  ef- 
frayés encore  de  l'expédition  récente  de  César  dans  la  Ger- 
manie; mais  ils  parvinrent  à  gagner  quelques  peuplades 
plus  éloignées.  Ambiorix  entra  aussi  dans  cette  nouvelle 
ligue  qui  fut  alors  composée  principalement  des  Trévi- 
riens ,  des  Nerviens,  des  Eburons  ,  des  Atuatiques ,  des  Mé- 
napiens  et  de  toutes  les  petites  peuplades  des  Germains 
Cis-Rhenans  (1).  César  apprit  aussi  qu'une  seconde  ligue 
se  formait  dans  les  Gaules ,  composée  de  peuples  gaulois 

(I)....  JScrvioSf  Atauticos,  3îetiapios,  adjunctis  cis-rhenatiis  omnibus  Ger- 
mants. (Caes.,  1.  VI,  c.  2). 


-  397  - 

à  la  lête  desquels  étaient  les  Senonois  et  les  Carnutes. 
Dans  un  danger  si  imminent,  Cësar  sentit  qu'il  fallait  frap- 
per un  grand  coup,  agir  avec  vigueur  et  promptitude  pour 
déconcerter  ses  ennemis  et  pre' venir  Forage  prêt  a  éclater. 
Sans  attendre  la  fin  de  Fhiver ,  il  se  mit  à  la  tête  de  son 
armée,  quitta  son  camp  de  Samarobriva  et  envahit  le  terri- 
toire des  Nerviens,  toujours  les  premiers  et  les  plus  obstinés 
à  reprendre  les  armes ,  parce  que  de  tous  les  peuples  belges 
ils  étaient  celui  qui  regrettait  le  plus  amèrement  la  perte  de 
sa  liberté  et  de  son  indépendance.  Après  avoir  mis  leur  pays 
à  feu  et  a  sang ,  et  fait  un  riche  butin,  consistant  en  trou- 
peaux et  captifs  qu'il  réduisit  en  esclavage ,  selon  la  cou- 
tume barbare  de  ces  temps,  il  crut  devoir  borner  là  son  expé- 
dition parce  que  la  saison  n'était  pas  assez  avancée  pour 
qu'il  osât  pénétrer  dans  les  contrées  hérissées  de  forets  et 
couvertes  de  marais  du  nord  de  la  Belgique  et  parce  que 
l'époque  s'approchait  qu'il  avait  fixée  pour  la  convocation 
d'une  assemblée  générale ,  composée  des  députés  de  tous 
les  peuples  de  la  Gaule.  C'était  le  moyen  qu'il  avait  imaginé 
pour  connaître  quels  étaient  les  peuples  qui  lui  restaient 
fidèles  et  ceux  qui  avaient  formé  le  dessein  de  secouer  le 
joug.  La  ville  de  Paris  fut  désignée  pour  la  tenue  de  ce  con- 
grès. Les  Senonois ,  les  Carnutes  et  les  Tréviriens  ne  s'y 
étant  point  présentés,  leur  absence  fut  regardée  comme 
une  déclaration  de  guerre.  Sans  différer  ,  César  marcha 
contre  les  Senonois,  c[ui  ne  s'at tendant  point  à  une  attaque 
si  prompte ,  n'avaient  pas  eu  le  temps  de  se  mettre  en  dé- 
fense ;  ils  furent  donc  contraints  d'implorer  sa  clémence.  Il 
leur  pardonna  à  l'intercession  des  Eduens.  César  se  pré- 
senta ensuite  à  la  frontière  des  Carnutes  ,  qui,  se  trouvant 
également  pris  au  dépourvu,  suivirent  l'exemple  des  Se- 
nonois et  eurent  recours  aux  Remois  pour  fléchir  le  courroux 
du  vainqueur. 


—  398  — 

La  ligue  des  peuples  gaulois  étant  dissoute  par  la  réduc- 
tion des  Senonois  et  des  Carnutes,  il  restait  a  dissiper 
celle  des  Germano-Belges,  par  la  ruine  des  Tréviriens  et 
des  Éburons,  qui,  depuis  la  sanglante  défaite  desNerviens, 
s'étaient  constamment  montrés  les  moteurs  principaux  de 
toutes  les  révoltes.  Rien  n'avait  autant  contribué  à  retrem- 
per le  courage  et  l'esprit  national  des  Belges,  que  la  destruc- 
tion de  la  légion  commandée  par  Sabinus  et  Cotta.  Cette 
victoire ,  si  c'en  fut  une ,  leur  donna  la  conviction  que  les 
Romains  n'étaient  point  invincibles.  Le  souvenir  de  cet 
événement  sans  cesse  présent  a  leur  esprit,  dissipait  leurs 
craintes  et  nourrissait  leurs  espérances.  César  crut  que  pour 
dissiper  ce  prestige  et  comprimer  l'ardeur  des  ennemis  , 
il  devait  appeler  la  terreur  à  son  aide  et  user  d'un  de  ces 
moyens  extrêmes  dont  il  s'était  servi  naguère  avec  tant  de 
succès  ;  en  un  mot,  il  se  persuada  qu'en  détruisant  le  peu- 
ple éburon,  la  ligue  belge  se  dissoudrait  avec  autant  de 
promptitude  que  s'était  dissipée  la  ligue  armoricaine  par 
l'anéantissement  des  Yenétes.  De  plus  ,  il  lui  importait 
d'empêcher  que  des  catastrophes  pareilles  à  celle  cjui  avait 
frappé  Sabinus  et  Cotta  ne  se  renouvelassent  plus  désor- 
mais ,  en  faisant  voir  aux  ennemis  que  s'il  savait  pardonner 
aux  vaincus  qui  imploraient  sa  clémence ,  le  sang  romain 
versé  par  la  trahison  et  la  perfidie  exigeait  une  vengeance 
éclatante  et  terrible.  César  résolut  donc  d'anéantir  le  peu- 
ple éburon  et  de  faire  disparaître  son  nom  même  du  sol 
de  la  Belgique.  Mais  pour  atteindre  complètement  ce  but , 
il  fallait  commencer  par  isoler  les  Eburons,  leur  couper 
toute  communication  avec  les  peuples  voisins  et  leur  ôter 
ainsi  tout  moyen  de  retraite.  Déjà  ce  but  était  en  partie 
rempli  par  l'occupation  du  territoire  des  Nerviens  c[ui  bor- 
dait au  midi  celui  des  Eburons.  Pour  le  rendre  complet  il 
fallait  encore  vaincre  les  Germains  ,  les  Tréviriens  et  sur- 


—  399  — 

tout  les  Menapiens,  qui  jusqu'alors  avaient  conservé  leur  en- 
tière indépendance,  et  chez  lesquels  les  Éburons  s  étaient 
ménages  des  intelligences  secrètes. 

César  ouvrit  la  campagne  par  la  conquête  du  territoire 
de  ce  peuple.  Il  confia  la  garde  de  ses  bagages  à  Labienus, 
campe  avec  deux  légions ,  dans  le  Trévirois ,  et  divisant  son 
armée,  forte  de  cincj  légions,  en  trois  corps,  commandés,  le 
premier  par  César  en  personne,  le  second  par  C .  Fabius  et  le 
troisième  par  M.  Crassus,  il  pénétra  par  trois  endroits  diffé- 
rens  dans  le  pays  des  Menapiens.  Césarditcju  ason  approche, 
les  Menapiens  se  réfugièrent  dans  les  bois,  comme  dans  les 
campagnes  précédentes.  Quelques  lignes  plus  loin  il  rapporte 
qu'après  avoir  envahi  leur  territoire  au  moyen  des  ponts 
qu'il  jeta  sur  les  rivières  et  les  marais,  et  qu'après  avoir  in- 
cendié leurs  villages ,  pris  une  grande  quantité  de  bétail 
et  fait  un  grand  nombre  de  prisonniers ,  il  obligea  les  Me- 
napiens à  lui  demander  la  paix.  Toutefois  nous  avons  lieu 
de  croire  que  ceci  ne  doit  s'entendre  que  des  Menapiens 
voisins  des  Nerviens  et  des  Eburons ,  et  que  ceux  cpi  habi- 
taient la  cote  et  l'intérieur  de  la  Flandre  conservèrent  leur 
indépendance,  comme  nous  tâcherons  de  le  démontrer  dans 
un  chapitre  suivant. 

César,  après  avoir  reçu  les  otages  des  Menapiens ,  laissa 
dans  leur  pays  un  corps  de  cavalerie  commandé  par  Comius 
roi  des  Atrebates  et  se  dirigea  avec  son  armée  vers  le  terri- 
toire des  Tréviriens.  L'a  il  n'eut  aucun  combat  a  soutenir 
et  aucun  obstacle  n'arrêta  sa  marche.  Pendant  qu'il  atta- 
quait les  Menapiens,  Labienus  avait  attiré  les  Tréviriens 
dans  un  piège,  leur  avait  livré  bataille,  les  avait  défait  com- 
plètement et  s'était  rendu  maître  de  tout  leur  territoh^e. 
Les  Suèves,  qui  venaient  au  secours  des  Tréviriens,  dès  qu'ils 
eurent  reçu  la  nouvelle  de  la  victoire  de  Labienus ,  s'é- 
taient hâtés  de  regagner  la  rive  droite  du  Rhin.  César  ré- 


-^  400  — 

solut  néanmoins  de  passer  une  seconde  fois  ce  fleuve  pour 
punir  les  Germains  d'avoir  embrassé  le  parti  de  ses  enne- 
mis et  pour  6 ter  à  Ambiorix  tout  moyen  de  retraite  en 
intimidant  les  peuples  voisins  du  Rhin;  il  fit  donc  construire 
sur  ce  fleuve  un  pont  à  peu  de  distance  de  celui  qu'il 
avait  fait  bâtir  dans  sa  première  expédition  en  Ger- 
manie. Après  avoir  passé  le  Rhin  avec  son  armée  ,  il  se 
rendit  dans  le  pays  des  Ubiens  où  il  se  prépara  a  pousser 
vivement  la  guerre  contre  les  Suèves.  Mais  ayant  appris 
que  ceux-ci  s'étaient  réfugiés  dans  les  bois  et  les  marais  à 
l'extrémité  de  leur  territoire ,  content  de  leur  avoir  inspiré 
la  terreur,  il  jugea  prudent  de  repasser  le  Rhin,  parce- 
qu'il  commençait  à  manquer  de  vivres ,  que  la  saison  était 
déjà  avancée ,  et  qu'il  voulait  couronner  cette  campagne 
par  la  dévastation  du  pays  des  Eburons.  Pour  tenir  les  Ger- 
mains en  respect ,  il  conserva  la  moitié  du  pont  qu'il  avait 
fait  jeter  sur  le  Rhin  et  y  bâtit  un  fort  dont  il  confia  la 
garde  a  C.  Volcatius  Tulius. 

Ayant  ainsi  dompté  les  Ménapiens  et  les  Tréviriens, 
intimidé  les  Germains  et  coupé  toute  retraite  aux  Eburons, 
il  procéda  incontinent  à  l'extermination  de  ce  peuple  in- 
fortuné. Il  se  fit  précéder  par  L.  Minucius  Basilus ,  qui  ,  à 
la  tête  de  la  cavalerie  romaine,  s'avança  rapidement  jus- 
qu'au centre  du  pays  ennemi  oîi  il  fit  un  grand  nombre  de 
prisonniers.  Il  pénétra  jusc[u'a  la  demeure  d' Ambiorix  située 
au  centre  d'une  épaisse  foret.  Ce  chef  lui-même  allait  tom- 
ber entre  les  mains  de  ses  implacables  ennemis ,  si  le  dé- 
vouement de  ses  leudes  et  l'épaisseur  des  bois  ne  l'eussent 
dérobé  a  leur  poursuite.  Dès  qu'il  se  vit  en  sûreté ,  il  expé- 
dia des  émissaires  dans  toutes  les  parties  de  son  royaume 
pour  avertir  ses  compatriotes  de  pourvoir  promptement  à 
leur  salut.  Les  uns  se  cachèrent  dans  les  parties  les  plus 
inaccessibles  de  la  forêt  des  Ardennes  et  dans  les  îles  formées 


—  401  — 

par  les  débordemens  de  la  mer  ;  les  autres  sortirent  du  pays 
et  cherchèrent  un  asyle  chez  les  peuples  voisins.  Cativulcus, 
qui  partageait  le  gouYernement  de  l'Eburonie  avec  Ambio- 
rix  ,  se  voyant  dans  Timpossibilité  de  se  défendre  à  main 
arme'e  contre  les  Romains ,  ou  de  leur  échapper  par  la  fuite 
à  cause  de  ses  infirmités,  s'empoisonna  avec  le  suc  de  l'if, 
arbre  alors  très-abondant  dans  les  Gaules  et  la  Germa- 
nie (1),  en  maudissant  son  collègue  comme  l'auteur  de 
tous  les  maux  qui  allaient  entraîner  la  ruine  entière  de  sa 
patrie. 

Pendant  que  ceci  se  passait  et  que  Ce'sar  se  pre'parait  a 
marcher  en  personne  contre  les  Eburons,  les  Segniens  et  les 
Condrusiens,  qui  habitaient  entre  les  Eburons  et  les  Trë- 
viriens,  lui  envoyèrent  une  dëputation  pour  lui  représenter 
qu'ils  n'avaient  en  aucune  manière  trempe'  dans  le  complot 
des  Eburons  et  que  les  peuples  germains  qui  habitaient 
en  deçà  du  Rhin  (dont  ils  faisaient  partie  )  ne  devaient 
pas  être  considérés  tous  indistinctement  comme  enneniis 
des  Romains.  César  s'étant  convaincu ,  en  interrogeant  les 
prisonniers  eburons ,  de  la  véracité  de  leur  rapport ,  pro- 
mit de  les  laisser  en  paix  ,  pourvu  qu'ils  lui  livrassent  tous 
les  Eburons  qui  se  réfugieraient  sur  leur  territoire. 

César  après  avoir  déposé  le  gros  bagage  de  l'armée  au  camp 
d'Atuatuca  qui  avait  été  témoin  du  désastre  de  Sabinus  et 
de  Cotta,  divisa  ses  troupes  en  trois  corps.  T.  Labienus,  à 
la  tète  de  trois  légions ,  fut  chargé  d'entamer  le  territoire 
des  Eburons  dans  la  partie  qui  s'étendait  vers  l'Océan 
et  touchait  aux  frontières  desMénapiens.  Il  envoya  C.  Tre- 
bonius  avec  un  pareil  nombre  de  troupes ,  pour  ravager  la 
partie  du  pays  des  Eburons  qui  était  bornée  par  celui  des 
Atuatiques.  Il  se  dirigea  lui-même  vers  l'embouchure  de 

(1)  Cses.,  I.  VI,  c.  31.  —  Desroches  prétend  qu'il  se  pendit. 

Tome  I.  26 


—  402  — 

l'Escaut  (1)  et  rextréinité  de  la  forél  des  Ardennes  où  l'on 
pre' tendait  qu'Ambiorix  s'était  sauvé  avec  quelques  cava- 
liers. Ce'sar  fixa  au  septième  jour  son  retour  au  camp 
d'Atuatuca,  dont  il  avait  confié  la  garde  à  la  dixième  légion 
commandée  par  Q.  Cicéron ,  et  il  enjoignit  à  Labienus  et 
Trebonius  de  s'y  trouver  également  ce  jour,  si  les  intérêts 
de  la  république  le  comportaient ,  afin  de  s'y  concerter  en 
commun  sur  les  moyens  de  terminer  cette  campagne  le 
plus  promptement  possible. 

Les  trois  divisions  de  l'armée  romaine  envahirent  a  la 
fois  le  territoire  des  Eburons  sur  trois  points  différens. 
Leur  marche  fut  signalée  par  la  dévastation  et  l'incendie. 
Les  malheureux  Eburons  n'ayant  ni  villes  ni  forts  pour  se 
mettre  à  l'abri  de  la  poursuite  de  l'ennemi ,  cherchèrent 
un  asile  dans  les  marais  et  les  forets.  César,  craignant 
d'exposer  ses  troupes  dans  ces  retraites  inconnues ,  invita 
tous  les  peuples  voisins  à  contribuer  à  l'exécution  de  son 
projet  barbare  et  inhumain.  Deux  milles  Sicambres, 
attirés  par  l'appât  du  pillage,  répondirent  à  son  appel, 
et ,  sans  respect  pour  les  liens  du  sang  et  l'origine  com- 
mune qui  les  unissaient  aux  Eburons ,  passèrent  le  Rhin 
pour  compléter  la  ruine  de  ce  peuple.  Ni  la  profon- 
deur des  marais,  ni  l'épaisseur  des  bois  n'arrêtèrent  ces 
barbares  habitués  a  guerroyer  dans  des  lieux  de  cette  na- 
ture (2). 

Après  avoir  porté  le  fer  et  la  flamme  dans  toute  1  étendue 
du  pays  des  Eburons ,  les  Sicambres  se  préparaient  à  repas- 
ser le  Rhin,  traînant  a  leur  suite  un  grand  nombre  de  captifs 
et  une  immense  quantité  de  bétail ,  lorsqu'un  de  leurs  prison- 


(1)  ....  Ad  flumen  scaldis  ,  quod  inftuit  in  Blosam  (  1.  VI^  c.  33). 

(2)  ISon    hos  palus ,  in  hello  latwciniisque  naios ,    non  silvœ  morantiir 
(Cœs. ,  1.  VI,  c.  35). 


—  403  — 

niers  leur  observant  cju  ils  ëtaientbien  simples  de  se  donner 
tant  de  peines  pour  ne  recueillir  qu'un  butin  de  si  mince 
valeur  ;  qu'au  lieu  de  poursuivre  par  les  bois  et  les  marais , 
à  travers  mille  dangers,  les  faibles  débris  d'une  peuplade 
pauvre  et  réduite  à  ne  pouvoir  subvenir  aux  premiers  be- 
soins de  la  nature,  ils  agiraient  plus  sagement  en  attaquant 
le  camp  d'Atuatuca  ,  ou  les  Piomains  avaient  entasse  d'im- 
menses trésors ,  qui  n'étant  gardés  c[ue  par  un  petit 
nombre ,  de  soldats  deviendraient  bientôt  leur  proie.  Prê- 
tant Toreille  à  cet  avis,  les  barbares  dirigèrent  aussitôt  leur 
marche  vers  le  camp  de  Gicéron,  dont  ils  n'étaient  éloignés 
c|ue  d'environ  trois  lieues.  G  était  le  septième  jour  après  les 
départ  de  Gésar,  et  le  hasard  voulut  que  Gicéron,  qui,  d'après 
l'ordre  formel  de  son  chef,  n'avait  point  permis  jusc[u'alors 
qu'un  seul  de  ses  soldats  sortit  du  camp,  ayant  appris  le  succès 
de  César,  et  croyant  ne  plus  avoir  rien  à  craindre  de  l'ennemi, 
avaitenvoyé  cinq  cohortes  a  trois  milles  du  camp  pour  fourra- 
ger et  couper  les  blés.  Trois  cents  soldats  convalescens  avaient 
aussi  obtenu  la  permission  de  sortir  du  camp  pour  aller  respi- 
rer un  air  plus  libre  et  se  livrer  au  plaisir  de  la  promenade. 
Ce  fut  dans  ce  moment  que  les  Germains  apparurent  tout  à 
coup  devant  le  camp  de  Gicéron  qui  ne  renfermait  plus  qu'un 
petit  nombre  de  Romains ,  la  plupart  malades  et  hors  d'état 
de  combattre.  A  la  vue  des  barbares,  les  Romains  frappés 
d'une  terreur  panique ,  se  crurent  menacés  du  sort  qu'avait 
subi  naguère  dans  ce  lieu  funeste  la  légion  commandée  par 
Sabinus  et  Cotta.  De  leur  côté ,  les  Sicambres ,  informés  du 
désordre  qui  régnait  parmi  la  garnison  romaine,  assaillirent 
incontinent  les  remparts  ennemis.  Cependant  P.  Sextius 
Baculus,  premier  centurion  du  corps  de  réserve,  tout 
malade  qu'il  était ,  et  cjuoique  depuis  cinq  jours  il  n'eut 
pris  aucune  nourriture ,  se  leva  de  son  lit ,  prit  les  armes  et 
rallia  les  cohortes  cjui  déjà  n'opposaient  plus  qu'une  faible 


—  404  — 

résistance  à  rennemi.  Il  parvint  à  les  ramener  au  combat 
et  repoussa  vaillamment  les  barbares.  Pendant  ce  temps  les 
troupes  envoyées  au  fourrage,  étaient  retournées  au  camp. 
Les  Germains  voyant  de  loin  des  troupes  romaines,  crurent 
d'abord  avoir  sur  le  bras  Tarmée  entière  de  César  et  ces- 
sèrent aussitôt  l'attaque  du  camp  pour  se  mettre  en  dé- 
fense. Mais  lorsqu'ils  s'aperçurent  qu'ils  n'avaient  en  face 
qu'une  poignée  d'hommes,  ils  tombèrent  sur  eux  avec  im- 
pétuosité. Les  vétérans,  conduits  par  C.  Trebonius,  cheva- 
lier romain ,  suivis  par  les  valets  de  l'armée  et  par  la  cava- 
lerie ,  parvinrent  à  percer  l'armée  ennemie  et  rentrèrent 
au  camp.  Les  autres  cohortes,  qui  s'étaient  obstinées  a  se 
tenir  sur  la  défensive  au  haut  d'une  colline ,  furent  culbu- 
tées et,  en  grande  partie,  taillées  en  pièces.  Cependant  les 
barbares  voyant  la  garnison  du  camp  revenue  de  sa  ter- 
reur et  en  état  de  leur  opposer  une  vigoureuse  résistance 
par  les  nouveaux  renforts  qu  elle  venait  de  recevoir ,  ne  ju- 
gèrent pas  à  propos  de  s'arrêter  davantage  et  passèrent  le 
Rhin  avec  le  butin  qu'ils  avaient  fait  sur  les  Eburons. 

Pendant  que  ceci  se  passait ,  César  ne  cessait  de  pour- 
suivre ses  projets  de  vengeance  contre  ces  derniers ,  œuvre 
de  destruction  dans  lequel  l'aidèrent  puissamment  tous  les 
peuples  voisins,  qui  ne  cessaient  d'accourir  en  foule,  attirés 
par  l'appât  du  pillage.  Enfin,  César  ne  mit  un  terme  a  l'exter- 
mination des  Eburons  et  a  la  dévastation  la  plus  complète 
de  leur  pays,  qu'après  s'être  rassuré  que  rien  n'avait 
échappé  a  sa  rage.  <f  De  sorte  ,  dit-il  lui-même ,  qu'il  paraît 
certain  que  si  quelques  ennemis  parvinrent  a  se  dérober  à 
la  mort  en  se  cachant ,  la  faim  et  la  misère  durent  bientôt 
les  faire  périr  dans  leurs  retraites  (l).))Ambiorix  néanmoins 


(1)  Ut,  si  qui  etiam  i7i  prœsentiâ  se  occultassent,  tamen,  lis,  deduclo  exer- 
cittij  rerum  omnium  inojyia  pereundum  vidtatur.  (Cœs.,  1.  VI,  c.  43). 


—  405  ^ 

parvint  a  lui  échapper  et  passa  le  Rhin  accompagne  seu- 
lement de  quatre  cavaliers. 

Ainsi  pe'rit  un  des  quatre  peuples  principaux  delà  Belgique 
actuelle,  cinquante-trois  ans  avant  l'ère  vulgaire,  et  dès  ce 
moment  le  nom  des  Eburons  disparaît  dans  l'histoire,  pour 
faire  place  bientôt  à  celui  d'un  autre  peuple  d'origine  ger- 
manique ,  les  Tongrois. 

Les  Segniens  et  les  Condrusiens ,  peuplades  voisines  des 
Eburons,  ne  partagèrent  point  leur  infortune,  parce  qu'ils 
n'avaient  point  participé  à  leur  révolte ,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit  plus  haut.  Les  Cérésiens  et  les  Pemaniens,  au- 
tres peuplades  limitrophes  ,  furent-ils  enveloppés  dans  la 
catastrophe  qui  anéantit  les  Eburons?  le  silence  de  César, 
nous  donnerait  lieu  à  le  supposer;  car  s'il  en  avait  été 
autrement,  n'aurait-il  pas  du  faire  a  l'égard  de  ces  peuples, 
alliés  des  Eburons ,  l'observation  qu'il  a  faite  par  rapport 
aux  Sesfniens  et  aux  Condrusiens  ?  Le  silence  des  monumens 
historiques  postérieurs  a  César,  dans  lesquels  les  Cérésiens 
et  les  Pemaniens  ne  sont  plus  nommés  une  seule  fois 
comme  peuples  existant ,  paraissent  également  venir  à 
l'appui  de  cette  conjecture. 

Après  avoir  terminé  son  expédition  contre  les  Eburons 
et  sa  sixième  campagne  dans  les  Gaules ,  César  ramena  son 
armée  saine  et  sauve,  a  l'exception  de  deux  cohortes ,  qui 
avaient  péri  au  siège  du  camp  d'Atuatuca ,  par  les  Sicam- 
bres.  Puis,  après  avoir  convoqué  une  assemblée  générale  de 
tous  les  peuples  gaulois  dans  Voppidum  principal  des 
Remois  (Reims),  pour  y  informer  contre  les  auteurs  de  la 
révolte  des  Senonois  et  des  Carnutes ,  dont  le  principal  in- 
stigateur ,  Accon ,  fut  condamné  au  dernier  supplice  et  les 
autres  a  l'exil ,  il  mit  ses  troupes  en  quartiers  d'hiver ,  sur 
les  confins  des  Tréviriens  et  dans  le  pays  des  Lingones 
(Langres)et  des  Senonois;  ensuite  il  parût  pour  l'Italie. 


—  406  — 

Cësar  avait  cru  que  la  terrible  vengeance  par  laquelle 
il  avait  puni  la  déloyauté  des  Eburons ,  aurait  intimidé  les 
Gaulois  et  produirait  sur  tous  les  peuples  de  la  Celtique  le 
même  effet  qu'avait  produit  naguère  sur  la  ligue  armori- 
caine lextermination  des  Venètes.  En  un  mot ,  il  croyait  la 
paix  raffermie  pour  longtemps  dans  les  Gaules  et  les  peu- 
ples de  cette  contrée  résignés  a  supporter  avec  patience  le 
joug  quil  leur  avait  imposé.  Quel  fut  donc  son  étonne- 
ment,  lorsqu'à  peine  arrivé  à  Rome  ,  il  apprit  tout  a  coup, 
que  lextermination  des  Eburons  et  le  supplice  d'Accon, 
loin  de  répondre  au  but  qu'il  attendait  de  ces  actes  de  vi- 
gueur, n'avaient  fait  cju'irriter  davantage  les  Gaulois,  et 
que  la  révolte  venait  d'éclater,  non  plus  sur  quelques  points 
isolés  des  Gaules ,  mais  dans  presque  toute  l'étendue  de 
cette  vaste  région;  que  la  rébellion  avait  commencé  parles 
Carnutes,  qui  s'étant  emparés  de  vive  force  de  Genabum,  y 
avaient  exterminé  tous  les  Romains  qu'ils  trouvèrent  dans 
ce  lieu;  que  la  nouvelle  de  cette  victoire  étant  prompte- 
ment  parvenue  auprès  des  peuples  voisins ,  tous  s'étaient 
soulevés  par  un  mouvement  spontané.  Yincengetorix,  fils  de 
Celtilus,  roi  des  Auvergnats,  s'étant  mis  à  la  léte  de  ses 
dévoués  (clientes)  avait  insurgé  les  Auvergnats,  les  Seno- 
nois ,  les  Parisiens,  les  Pictons  ,  les  Cadurces ,  les  Tourains , 
les  Aulerces,  les  Lemovices,  les  Andegaves  et  tous  les  peu- 
ples de  l'Armorique.  Son  courage,  sa  prudence  et  sa  fer- 
meté lui  acquirent  bientôt  une  telle  renommée  et  une 
telle  popularité  dans  toute  l'étendue  des  Gaules,  que  les  con- 
fédérés, d'une  voix  unanime ,  lui  déférèrent  le  commande- 
ment suprême  de  l'armée  et  la  direction  de  cette  guerre , 
avec  des  pouvoirs  illimités.  Il  rassembla  promptement  une 
armée  nombreuse,  employant  l'arme  de  la  terreur  contre 
les  peuples  et  les  hommes  qui  montraient  de  la  lenteur  à 
obéir  a  ses  ordres  et  à  seconder  ses  projets.  Il  envoya  Luc- 


—  407  — 

terius  Cadurcus,  homme  d'une  bravoure  éprouvée,  contre 
les  Rutènes  et  marcha  en  personne  contre  les  Bituriges , 
restes  fidèles  aux  Romains.  Ce  peuple,  hors  d'ëtat  de  ré- 
sister à  un  ennemi  aussi  puissant ,  implora  en  vain  le 
secours  des  Eduens.  Abandonnes  a  leurs  propres  forces,  les 
Bituriges  se  virent  obliges  de  se  joindre  aux  Auvergnats. 
Lucterius  Cadurcus  ayant ,  de  son  coté,  soumis  les  Rutènes, 
les  Nitiobriges  et  les  Gabales  (ceux  de  Cavaillon) ,  se  pré- 
para à  faire  une  irruption  dans  la  Narbonnaise. 

Cependant  la  nouvelle  de  ces  grands  événemens  étant 
parvenue  a  César^,  qui  se  trouvait  alors  a  Rome,  il  se  hâta 
de  passer  dans  les  Gaules  pour  arrêter  les  succès  des  enne- 
mis. Il  commença  d'abord  par  pourvoir  à  la  défense  de  la 
Narbonnaise  et  des  provinces  voisines.  La  plupart  des  évé- 
nemens de  cette  guerre  s'étant  passés  loin  de  la  Belgique , 
nous  n'entrerons  pas  dans  de  longs  détails  sur  ce  sujet;  il 
nous  suffira  de  dire  qu'après  avoir  repoussé  Lucterius,  César, 
s  étant  mis  à  la  tête  des  forces  considérables  qu'il  avait  ras- 
semblées dans  l'Helvétie  et  à  Vienne  (en  Dauphiné),  aux- 
quelles il  joignitles  garnisons  dispersées  dans  différentes  par- 
ties des  Gaules,  s'empara  des  places  les  plus  fortes  des  con- 
fédérés ,  sortit  victorieux  de  plusieurs  combats ,  où  il  paya 
bravement  de  sa  personne  et  où  il  courut  les  plus  grands 
dangers,  et  reconquit  la  plupart  des  provinces  qui  avaient 
secoué  le  joug»  Cependant  la  fortune  sembla  l'abandonner 
un  instant ,  lorscjue  les  Gaulois ,  après  avoir  soutenu  dans  la 
ville  de  Bourges,  un  des  sièges  les  plus  terribles  dont  il  soit 
fait  mention  dans  l'histoire,  obligèrent  César  à  se  retirer 
avec  une  perte  considérable.  Cette  victoire  des  confédérés 
fut  suivie  de  la  défection  des  Éduens,  qui,  jusqu'alors, 
étaient  restés  les  alliés  les  plus  fidèles  des  Romains.  Ils  se 
rendirent  maîtres  de  Nevers  où  les  Romains  avaient  déposé 
la  plupart  de  leurs  provisions ,  de  leurs  trésors  et  des  otages 


—  40S  ~ 

levés  sur  les  peuples  gaulois  qu'ils  venaient  de  soumettre. 
Mais  l'armëe  romaine ,  retirée  dans  le  pays  des  Lingons , 
ayant  reçu  des  renforts  considérables,  ne  tarda  pas  a  re- 
prendre TofFensive.  César  remporta  une  victoire  complète 
sur  Vincengetorix  dans  le  pays  des  Sequanois  et  Tobligea 
à  se  renfermer  avec  toute  l'armée  des  confédérés ,  forte  de 
80,000  combattans,  dans  Alise ,  situé  au  sommet  du  Mont- 
Auxois ,  en  Bourgogne ,  et  suivant  Diodore  de  Sicile ,  la  mé- 
tropole de  toute  la  Celtique  (1).  Les  confédérés,  convaincus 
que  la  prise  de  cette  place,  le  dernier  et  le  plus  formidable 
boulevard  de  la  liberté  gauloise ,  compléterait  leur  ruine 
entière ,  convoquèrent  une  assemblée  générale  pour  aviser 
au  moyen  de  se  tirer  de  l'extrémité  oii  ils  étaient  réduits. 
Vincengetorix  avait  demandé  que  la  nation  gauloise  se  levât 
tout  entière  et  marchât  en  masse  contre  l'ennemi  ;  l'assem- 
blée ne  crut  pas  devoir  adopter  cette  proposition,  et  décida 
que  pour  éviter  la  confusion  et  le  manque  de  vivres  que 
ferait  naître  le  trop  gi-and  nombre  de  combattans ,  il  suf- 
fisait d'appeler  a  la  défense  de  la  patrie  la  moitié  de  la  po- 
pulation mâle  en  état  de  porter  les  armes.  Elle  se  contenta, 
en  conséquence ,  d'imposer  à  chaque  peuplade  un  contin- 
gent de  troupes  proportionné  à  l'état  de  sa  population  (2). 
De  tous  les  peuples  de  la  Belgique  actuelle ,  les  Nerviens 
furent  les  seuls  qui  contribuèrent  à  former  le  cadre  de 
cette  armée  ;  mais  ce  peuple  ,  jadis  le  plus  puissant  de  la 
Belgique,  et  qui,  dans  la  première  campagne  de  César  contre 
les  Belges,  mit  sur  pied  jusqu'à  50,000  combattans,  affaibli 
par  tant  de  désastres  récens ,  n'en  put  cette  fois  fournir  au 

(1)  DIod.  Sic,  I.  IV. 

(2)  JSon  omnes  qui  arma  ferre  ■passent  convocandos  statuimt,  sed  certum 
numerum  cuique  civitati  imper andum ,  ne,  tanta  mulliludine  confiisa ,  nec 
moderari,  nec  discernere  suos,  nec  friimentandi  rationem  habere  passent. 
(Cœs.,  1.  VII,  C.75}. 


^.  409  — 

delà  de  5000 ,  nombre  égal  à  celui  que  produisirent  les 
Amienois  dont  les  forces  ne  s'élevaient  qu'à  un  cinquième 
de  celles  des  Nerviens  ,  lorsque  ces  derniers  en  vinrent  la 
première  fois  aux  mains  avec  les  Romains.  Il  n'est  plus 
question  ici  des  Eburons  ni  des  Atualiques.  Les  premiers 
avaient  totalement  disparu  du  sol  de  la  Belgique  (1).  Les 
seconds ,  dont  déjà  les  trois  quarts  de  la  population  avaient 
përi  ou  avaient  e'té  réduits  en  esclavage  dans  la  première 
campagne  de  Cësar  en  Belgique ,  auront  tellement  souffert 
dans  la  re'volte  des  Eburons  ,  que  les  faibles  débris  de  cette 
peuplade  cimbrique ,  n'auront  pas  été  en  état  de  prendre 
une  part  active  au  soulèvement  général  des  Gaules.  Il  en 
aura  été  de  même  des  Ménapiens ,  qui  déjà  si  peu  nombreux 
avant  l'invasion  des  Romains,  avaient  encore  vu  diminuer 
leur  population  par  l'irruption  des  Tenchtres  et  des  Usipètes 
et  par  les  tentatives  réitérées  de  César  pour  s'emparer  de 
leur  territoire.  Il  est  possible  encore  que  les  Ménapiens  se 
soient  abstenus  de  prendre  part  à  cette  guerre  ,  parceque 
l'expérience  des  campagnes  précédentes  leur  avait  appris 
qu'ils  déjoueraient  plus  aisément  les  efforts  que  les  Romains 
pourraient  encore  tenter  contre  leur  indépendance ,  en  se 
cachant  dans  leurs  marais  et  leurs  forets ,  qu'en  combat- 
tant l'ennemi  les  armes  à  la  main. 

Les  forces  totales  des  confédérés  montèrent  à  240,000 
hommes  de  pied  et  8000  cavaliers.  Le  commandement  de 
cette  armée  ,  qui  s'assembla  dans  le  pays  des  Eduens ,  fut 

(1)M.  Raepsaet  a  encore  été  induit  en  erreur  lorsqu'il  prétend  que  les  Ebu- 
rons fournirent  leur  contingent  de  troupes  h  l'armée  des  confédérés ,  ce  qu'il 
attribue  toujours  à  un  prétendu  repeuplement  de  leur  pays  par  des  colons  gau- 
lois. Cet  auteur  a  confondu  les  Eburons  de  la  Belgique,  avec  les  Aulerci 
Eburones  ou  Ehurovices ,  peuple  du  diocèse  d'Evreux  en  Normandie  (  Cses., 
l.III,  c.  17.  1.  VII,  c.  75). 

Les  Amhivaretes ,  qui  sont  désignés  dans  la  liste  des  peuples  qui  prirent 
part  au  soulèvement  général  des  Gaules ,  sont  aussi  un  peuple  di lièrent  des 
Ambivarites  de  la  Beî^jique. 


—  410  — 

confié  a  quatre  généraux,  Commius,  roi  des  Atrebates, 
Virdumarus,  Eporedorix  ,  tous  deux  Eduens,  et  Vergasil- 
launus,  parent  de  Vincengetorix,  auxquels  on  adjoignit  un 
conseil  composé  des  délégués  des  difFérens  peuples  qui 
contribuèrent  à  la  formation  de  cette  armée.  Les  confé- 
dérés ne  doutant  point  qu'avec  un  appareil  de  guerre  aussi 
formidable  ils  ne  dussent  écraser  et  anéantir  larmée  ro- 
maine, si  faible  si  on  la  comparait  a  la  leur,  se  hâtèrent  de 
marcher  au  secours  de  Vincengetorix  et  de  la  ville  d'Alise, 
et  vinrent  asseoir  leur  camp  a  peu  de  distance  de  celui 
de  César.  Cependant  ils  ne  tardèrent  pas  à  éprouver  à  leur 
dépens  que  dans  la  guerre  ce  n'est  point  du  côté  de  l'armée 
la  plus  nombreuse  que  se  range  d'ordinaire  la  victoire , 
mais  du  côté  de  l'armée  la  mieux  disciplinée  et  commandée 
par  le  général  le  plus  habile. 

A  deux  assauts  que  les  confédérés  livrèrent  au  camp  de 
César,  dans  l'intervalle  d'un  jour,  ils  furent  repoussés  cha- 
que fois  avec  une  perte  considérable.  Dans  une  troisième 
et  dernière  action,  César  remporta  une  victoire  complète 
et  décisive.  La  plupart  des  confédérés  tués ,  blessés  ou  faits 
prisonniers ,  la  mort  de  Sedulius ,  roi  des  Lemovices  (ceux 
de  Limoges),  soixante-quatorze  étendards  conquis,  tels 
furent  les  résultats  de  cette  mémorable  journée.  Cette 
bataille,  une  des  plus  sanglantes  que  César  eut  soutenue  dans 
les  Gaules,  termina  en  un  seul  jour  le  soulèvement  général 
de  la  plupart  des  peuples  gaulois,  qui  durait  depuis  deux 
ans.  Vincengetorix  persuadé  qu'en  prolongeant  davantage 
une  défense ,  devenue  inutile  depuis  l'anéantissement  de  la 
grande  armée  gauloise,  il  ne  ferait  qu'irriter  davantage  le 
vainqueur,  persuada  lui-même  aux  défenseurs  d'Alise  d'en- 
trer en  accommodement  avec  César,  ajoutant  que  si  les  Ro- 
mains demandaient  sa  mort ,  il  était  prêt  à  se  dévouer  pour 
le  salut  de  ses  compatriotes.  Les  assiégés  obligés  d'adopter 


—  411  — 

le  seul  moyen  qui  leur  restait  pour  sortir  de  rextrëmitë  où 
ils  étaient  réduits ,  suivirent  le  conseil  de  leur  chef  et  en- 
voyèrent des  dëpute's  à  César,  pour  lui  faire  leur  soumis- 
sion. Il  leur  promit  la  vie  sauve,  a  condition  qu'ils  lui 
livreraient  Vincengetorix,  qui  paya  de  sa  tête  Fhéroïque 
défense  qu'il  avait  prise  de  la  liberté  et  de  Tindépendance 
de  sa  patrie. 

Cësar  employa  le  reste  de  l'année  a  soumettre  les 
Eduens,  les  Auvergnats ,  les  Berruyens,  les  Carnutes,  les 
Bellovaques,  et  parcourut  enfin  en  vainqueur  toutes  les  pro- 
vinces cil  se  manifestait  encore  quelque  esprit  de  révolte. 
Ayant  rétabli  la  paix  dans  toute  l'étendue  des  Gaules  et 
pris  toutes  les  précautions  nécessaires  pour  y  maintenir  la 
tranquillité,  il  partit  pour  l'Italie,  l'an  704  de  la  fondation 
de  Rome ,  sous  le  consulat  de  L.  iEmilius  Paul  us  et  de 
G.  Glaudius  Marcellus.  Il  avait  ainsi  consacré  neuf  ans  à  la 
conquête  entière  des  Gaules  (1). 

(1)  Gallîa  atque  Britannia  novem  annorum  Julii  Cœsuris  lahor  fuere  et 
frihutariœ  demiim  factœ  (  Messala  Corvinus,  de  progenie  Augusli.  Eutrop., 
\.  VI,  c.  14,  Sueton,  in  Cœs.). 


—  412  — 


CHAPITRE  II. 


Repeuplement  de  la  Belgique  par  de  nouvelles   colonies   germaniques. 

Par  les  guerres  de  la  conquête  le  pays  des  Eburons ,  celui 
des  Atuatiques  et  la  partie  de  celui  des  Me'napiens  sur  les 
deux  bords  du  Rhin  et  dans  le  Brabant  septentrional,  c'est-à- 
dire  tout  l'espace  compris  entre  l'Escaut,  le  Wahal,  le  Rhin 
et  l'Arh ,  avaient  été  réduits  en  un  vaste  désert.  Les  deux 
Flandres  et  la  Flandre  française ,  peuplées  de  moins  de 
36,000  Ménapiens,  et  ravagées  à  différentes  reprises  par  les 
armées  de  César ,  n'offraient  guère  un  aspect  plus  animé. 
Il  en  était  de  même  du  territoire  des  Nerviens,  (jui  avait 
non  moins  souffert  de  l'invasion  romaine. 

Après  le  départ  de  César ,  les  dissentions  civiles  nées  de 
la  rivalité  entre  ce  dictateur  et  Pompée ,  entre  Octave  et 
Antoine,  ne  laissèrent  pas  aux  Romains  le  loisir  de  s'occuper 
de  leurs  nouvelles  conquêtes  (1).  Mais  lorsqu'après  plus 
de  vingt  ans  de  guerres  et  d'anarchie,  le  triomphe  d'Octave 
sur  Antoine  eut  mis  un  terme  aux  déchiremens  de  la  ré- 
publique, une  des  premières  pensées  d'Octave,  devenu 
empereur  sous  le  nom  d'Auguste,  fut  de  consolider  la  do- 
mination romaine  dans  les  Gaules  et  de  pourvoir  à  la  sûreté 
des  frontières  de  l'empire.  Par  ses  ordres ,  Drusus  éleva  le 
long  du  Rhin  et  de  la  Meuse  un  grand  nombre  de  forts,  et 


(l)Les  paroles  de  Tacite  :  Mox  hella  civilia  et  in  rempuhlicam  versa prin- 
cipum  arma  ac  îonga  ohlivio  Briianniœ  (Vita  Agric),  peuvent  s'appliquer 
à  l'état  des  Gaules,  comme  a  celui  de  la  Grande-Bretagne,  pendant  les  guerres 
civiles. 


^  413  — 

Agrippa,  nomme  au  gouvernement  de  la  Belgique,  construi- 
sit à  travers  les  forêts  et  les  marais  de  cette  contrée  ,  plu- 
sieurs voies  militaires.  Auguste  s'occupa  aussi  à  peupler  la 
vaste  étendue  de  pays  comprise  entre  le  Rhin  et  lextrémite 
du  territoire  des  Nerviens.  Il  crut  atteindre  ce  but  en  y 
transférant  un  grand  nombre  de  prisonniers  de  guerre ,  que 
Drusus  et  Tibère  avaient  faits  sur  les  Germains. 

En  agissant  ainsi ,  Auguste  s'écarta  entièrement  de  la  po- 
litique de  Ce'sar ,  qui ,  comme  nous  l'avons  vu ,  ne  souffrit 
jamais  que  de  nouvelles  hordes  de  Germains,  vinssent  s^éta- 
blir  dans  les  Gaules ,  dans  la  crainte  qu'elles  ne  finissent 
par  s'en  rendre  maîtres  absolus,  et  qu'ensuite  elles  ne  ten- 
tassent d'envahir  l'Italie  même  (1).  Les  ëve'nemens  pos- 
térieurs prouvèrent  combien  étaient  fondées  les  craintes 
de  ce  grand  homme. 

La  première  colonie  de  Germains  établie  dans  les 
Gaules  sous  le  règne  d'Auguste ,  fut  celle  des  Ubiens.  Ce 
peuple  qui  habitait  la  rive  droite  du  Rhin ,  ne  pouvant  ré- 
sister plus  longtemps  aux  vexations  que  leurs  faisaient 
éprouver  les  Suèves,  sans  doute  à  cause  de  l'alliance  que 
les  Ubiens  avaient  contractée  avec  César  ,  supplièrent 
Agrippa  de  leur  accorder  un  établissement  sur  le  terri- 
toire romain.  Agrippa  se  rendit  à  ce  vœu  et  leur  désigna 
pour  demeure  la  partie  du  pays  des  Eburons  entre  le  Rhin 
et  la  Meuse ,  borné  au  midi  par  l'Ahr  et  au  nord  par  une 
ligne  parallèle  aux  villes  actuelles  d'Ordingen  et  de  Ven- 
loo.  Les  Ubiens  y  vécurent,  non  en  qualité  de  sujets,  mais 


(1)  Paulatim  autem  Germanos  consuescere  Rlienum  transire  et  in  Gal- 
liam  TYiagnam  eortium  muUihidinem  veîtire,  populo  Romano  periculosiim 
vidclat.  JSeque  sihi  hommes  feros  ac  harharos  temperaturos  existimabat , 
quin  cum  omnem  Galliam  occupassent ,  ut  anlea  Cimbri  Teutonique  fecis- 
sentf  in  provinciam  exissent  atque  inile  in  Italiam  contenderent  (Cœs.,  i.  I, 
c.  33  ). 


—  414  — 

comme  peuplelibreet  alliés  des  Romains  (1).  Cette  transla- 
tion eut  lieu  vers  Tan  XXXV ,  avant  Fère-vulgaire  (2). 

La  seconde  colonisation  du  nord  des  Gaules,  par  des 
Germains  ,  date  de  l'an  746  de  Rome  et  la  huitième  année 
avant  Tère-vulgaire.  Tibère  ayant ,  a  cette  époque,  remporte' 
plusieurs  avantages  sur  les  Suèves  et  les  Sicambres  et  fait 
sur  ces  peuples  un  grand  nombre  de  prisonniers  de  guerre, 
en  transfera  40,000  à  gauche  du  Rhin  (3). 

Si ,  comme  le  dit  Tacite  ,  les  Suèves  se  distinguaient  des 
autres  peuples  de  la  Germanie,  en  ce  qu'ils  avaient  coutume 
de  relever  leur  épaisse  chevelure  sur  le  haut  de  la  tête  en 
forme  de  nœud,  il  y  aurait  lieu  de  croire  que  les  Sicambres 
étaient  aussi  de  race  suève ,  parce  que  Martial  leur  attri- 

(1)  Transgressi  olîm  et  experimenfo  fidei  suprà  ipsam  Rheni  rîpam  collo- 
cati,  utarcerentf  nonut  custodirentur  ÇTrc,  M.  6?.,  c.2S),€ivitas  uhiorum 
SQcia  nobis  (id.,  Annal,  1.  XIlï,  c.  57.  Strabo,  l.  IV). 

(2)  Sj^enev  ,  IVotitia  Germ.  Antiq.,  1.  VI,  c.  5,  §  2. 

(3)  Suevos  et  Sicamhros,  dedentes  se,  traduxit  in  Galîiam  atque  inproxi- 
mis  RJieno  agris  collocavit  (Sueton.  in  Aug.,  c.  21). 

Ce  passage  de  Suétone  semblerait  désigner  que  la  nation  entière  des 
Sicambres  fut  transférée  à  gauche  du  Rhin;  chose  qui  n'eut  point  lieu,  puisqu'au 
IV®  siècle  de  notre  ère,  les  Sicambres  transrhenans,  constituaient  avec  les 
Saliens,  les  peuples  principaux  de  la  ligue  franque  (  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  31. 
Frodoard. ,  1. 1,  c.  21.  Claudian. ,  m  Eulrop.,  1.  I.  Sidon.  ApoI.,c.  13).  D'ail- 
leurs Strabon  dit  positivement  qu'il  n'y  eut  qu'une  partie  des  Sicambres 
qui  s'établit  en  deçà  du  Rhin  ,  et  que  le  reste  occupait  encore  de  son  temps 
son  ancien  territoire  :  Prima  Germaniœ  regio  est  ad  Rhenum  à  fontïbus  ejus 
usque  ad  ostia  :  atque  hic  fluminis  tractus  latus  est  Germaniœ  occiduum. 
Hujus  partis  populos  Romani  partim  in  Galliam  traduxerunt;  reliqui  mi- 
graverunt  in  penitiores  Germaniœ  partes,  ut  Marsi^  sed  et  Sicamhrorum 
exigua  restât  portio  (Strab.,  1.  VII). 

Casaubon  et  Gruter,  lisent  Vhios,  au  lieu  de  Suevos  dans  le  texte  de 
Suétone;  mais  ces  savans  commettent  évidemment  une  erreur,  puisque  la 
translation  des  TJbiens  précéda  de  plusieurs  années  celle  des  Suèves. 

Germanico  (bello)  quadraginta  millia  dedîtiorum  trajecit  in  Galliam 
juxtaque  ripam  Rheni,  sedibus  assignatis,  collocavit  (Suet.  in  Tiberio  c.  19). 

Eutrope  porte  le  nombre  des  captifs  germains  transférés  par  Tibère  dans 
i«s  Gaules,  a  400,000  :  y 2<o   bello   CCCC  millia  captivorum  ex   Germania»^ 


—  415  — 

bue  le  même  usage  (1).  En  effet  Stral>on  donne  la  déno- 
mination de  Suèves  a  toutes  les  peuplades  qui  bordaient  la 
rive  droite  du  Rhin  (2)  ;  et  l'on  sait  que  la  liabilèrent  les 
Sicambres  avant  leur  ëmigralion  dans  les  Gaules. 

Une  partie  des  prisonniers  sicambres  fut  placée  dans  le 
territoire  occupé  par  les  Ménapiens  à  gauche  du  Rhin , 
avant  leur  expulsion  de  ces  lieux  par  les  Tenchtres  et  les 
Usipètes,  c'est-à-dire,  la  Gueldre  prussienne ,  ou,  suivant 
Wastelain ,  l'espace  compris  entre  Ruremonde  et  Cuyk  , 
entre  Ordinghen  et  l'endroit  ou  le  Rhin  se  divise  en  deux 
branches  (3).  Ils  y  changèrent  leur  nom  de  Sicambres,  en 
celui  de  Gugernes  (4),  dont  est  provenue  dans  la  suite  la 
dénomination  du  duché  de  Gueldre.  Ce  nom  de  Gugerni 
était  peut-être  celui  d'une  des  tribus  les  plus  puissantes  des 
Sicambres ,  lecpel  sera  devenu  la  dénomination  générique 
de  tous  les  Sicambres  transférés  sur  la  rive  gauche  du 
Rhin. 

Ceux  des  Suèves  et  des  Sicambres  qui  ne  se  fixèrent  point 
dans  la  Gueldre  ,  obtinrent  la  partie  du  territoire  des  an- 
ciens Eburons  qui  n'avait  pas  été  occupé  par  les  Ubiens  ^ 
à  droite  et  à  gauche  de  la  Meuse ,  et  la  majeure  partie  de  la 


transïavit  et  sîiprà  ripam  Rheni  in  Galîiâ  collocavit  (Eutrop.  hreviar.  hisf. 
rom.  1.  VII).  Nous  préférons  ici  l'autorité  de  Suétone,  auteur  beaucoup  plus 
ancien  qu'Eutrope. 

(1)  Insigne  gentis  obliquare  crinem  nodoque  suhstringere  ;  sic  Suevi  à  cé- 
leris Germanis  separantur  (Tac. ,  31.  6r.,  c.  38  )^ 

Crinihua  in  nodum  torti^  venere  Sicamhri. 

(Martial ,  1.  I,  épigr. 3). 

Clefel  explique  le  terme  Obliquare  crinem ,  par  friser  les  cheveux. 

(2)  Suprà  toiam  hancripam  (Rheni  )  degunt  Suevi  (Strab.  1.  IV).  3Iaxima 
est  siievorum  natio  ;  nam  et  à  RJieno  ad  Albim  usque  pertingit  et  irans 
Alhim  habitat  pars  eorum,  ut  Hermunduri  et  Longobardi  (Id.,  1.  Vlï). 

(3)  Wastelain,  Description  de  la  Gaule  Belg.,  sect.  V,  art.  2„ 

(4)  Tacit.,  M.  G.  et  Hist.,  l  IV.  Plin.,  1.  IV,  c.  17. 


—  416  — 

contrée  posse'dee  naguère  par  les  Atuatiques.  Ces  nouveaux 
habitans ,  réunis  aux  petites  peuplades  des  Ambivarites , 
des  Condrusiens  et  des  Segniens ,  prirent  pour  nom  col- 
lectif celui  de  Tongrois ,  de  la  principale  tribu  des  Suèves , 
sans  doute  ,  qui  e'migrèrent  dans  les  Gaules. 

Ce  qui  prouve  que  ce  nomi  de  Tongrois  ne  commença  a 
être  connu  en  Belgique  que  sous  le  règne  d'Auguste,  c'est 
le  silence  que  Ce'sar  a  gardé  sur  ce  peuple  ;  ensuite  le 
passage  de  l'ouvrage  de  Tacite  sur  les  mœurs  des  Germains, 
que  nous  avons  rapporté  à  la  page  31  de  ce  volume  ^  dans 
lequel  cet  auteur  avance  que  le  nom  des  Tongrois  n'était 
connu  en  Belgique  que  depuis  peu  de  temps.  Mais  ce  qui 
l'atteste  encore  plus  formellement,  ce  sont  les  paroles 
suivantes  de  l'historien  grec  Procope  :  «  A  l'orient  des 
Armoriques ,  dit  cet  écrivain ,  habitaient  les  Tongrois , 
peuble  barbare ,  dans  la  contrée  que  leur  concéda  l'empe- 
reur Auguste  (1).  »  Comme  l'histoire  ne  parle  que  de  deux 
colonies  de  Germains  introduites  dans  la  Belgique  sous  le 
règne  d'Auguste,  celle  des  Ubiens  et  celle  des  Suèves  et  des 
Sicambres,  il  nous  paraît  hors  de  doute  que  les  Tongrois  ne 
dussent  appartenir  à  la  ligue  suève ,  composée  d'un  grand 
nombre  de  peuples  germains.  Quant  aux  lieux  que  les 
Tongrois  occupaient  dans  la  Germanie  avant  leur  transla- 
tion ,  c'est  une  question  controversée  et  qui  malgré  les  con- 
jectures des  savans  restera  toujours  problématique  (2). 


(1)  Secundum  quos  (Arborichos)  ad  orientem  Tungri  harbari  concessam 
sihi  ah  Augusto  imperatorum  primo  regîonem  incolehantiVrcco^. ^  Bell.  Goth. 
1. 1,  c.  12). — Procope  écrit  Arhorichi  pour  Armorici.  Nous  expliquerons  plus 
loin  la  cause  de  cette  erreur. 

(2)  liCS  anciens  auteurs  écrivent  Tungri  et  Thoringi.l/ ahhé  Dnbos  fait  déri- 
ver ce  nom  de  celui  du  dieuThor.  Il  croit  les  Tongrois  originaires  delà  Thu- 
ringe  (Dubos,  Hist.  de  Vétahliss.  de  la  monarchie  franc.,  1.  VI ,  c.  4).  Plu- 
sieurs auteurs  allemands  sont  du  même  avis.  Cependant  les  Tliuringiens  ne 


-^  417  — 

Les  Suniques  (1)  et  les  Bethasiens ,  petites  peuplades 
\oisines  des  Tongrois  et  ne  commençant  à  être  connues 
dans  l'histoire  qu  a  l'époque  ou  le  furent  ces  derniers , 
doivent  avoir  appartenu  de  même  à  la  ligue  des  Suèves. 

A  l'occident  des  Tongrois  Pline  place  un  peuple  nommé 
Taxandres  ou  Toxandres,  divisé  en  plusieurs  tribus  qui 
toutes  avaient  des  noms  différens.  Il  les  fixe  a  Yextérieur 
de  l'Escaut,  à  Scaldi  extera  (2).  Par  le  terme  eœtera  on 
entend  communément  la  cote  de  la  Flandre  et  la  Zélande. 
Toutefois  dans  Ammien  Marcellin  et  dans  les  monumens 
du  moyen  âge,  c'est  la  Campine  qui  est  toujours  désignée 
comme  territoire  des  Toxandres.  C'est  la  aussi  que  nous 
fixons  la  position  de  ce  peuple ,  qui  habitant  une  partie  du 
territoire  des  Eburons  et  des  Ménapiens,  doit  avoir  fait 
également  partie  de  la  ligue  suève  (3). 


sont  connus  dans  l'histoire  que  depuis  le  5°  siècle  (Sidon.  Apol.,  Paneg.  Avitî). 
Mone  fait  dériver  le  nom  des  Tongrois  du  teuton  Twingera,  en  allemand  mo- 
derne, Zwinger,  vainqueur. 

(1)  Pline  et  Tacite,  sont  les  premiers  auteurs  qui  aient  mentionné  les 
Suniques.  Les  manuscrits  de  l'ouvrage  du  premier  de  ces  écrivains  varient 
sur  le  nom  de  ce  peuple  :  les  uns  lui  donnent  la  dénomination  de  Runuci, 
les  autres  celle  de  Sunuci  et  Sinuci  (Spener,  lib.  VI.  c.  5). 

(2)  A  Scaldiincolunt extera  Toxandripluribus  nominibus  (Plin.  lib. IV,  c. 1 7). 

(3)  En  parlant  de  la  désertion  d'un  corps  d'Usipètes  qui  faisait  partie  de  l'ar- 
mée d'Agricola,  lorsque  ce  général  romain  conquit  la  Grande-Bretagne, Tacite 
dit  que  ces  déserteurs  abordèrent  d'abord  chez  les  Suèves,  puis  en  longeant 
la  côte  du  continent,  chez  les  Frisons:  Circumvecti  Britanniam  ^  amissis  per 
inscitiam  regendi  navihus ,  pro  prœdonihus  habitip  primùmà  Suevîs,  mox  a 
Frisiis  intercepti  sunt  (Tac,  Vita  Agric,  c.  28). 

En  quittant  les  côtes  de  la  Grande-Bretagne,  il  semble  naturel  que  les 
transfuges  durent  aborder  premièrement ,  non  au  nord  des  Frisons ,  mais  au 
midi  de  ces  derniers ,  c'est-à-dire  à  l'île  des  Bataves ,  à  la  Zélande  ou  à  la 
côte  de  la  Flandre  et  ce  serait  là  qu'on  devrait  chercher  ces  Suèves,  qui  les 
accueillirent  si  mal.  Quoiqu'il  en  soit,  s'il  faut  en  croire  l'ancien  auteur  de 
la  légende  de  Saint-Eloi,  il  y  avait  en  Flandre,  au  7""  siècle  ,  une  multitude 
de  Suèves,  que  ce  saint  convertit  au  culte  catholique  :  Multum prœtereâ  in 
Flandris  laboravit,  jugi  instantia  Andoverpis  pugnavii,  multosgue  enoneos 
Tome  L  27 


—  418  — 

Depuis  la  translation  des  Suèves  et  des  Sicambres  en 
Belgique ,  il  n'est  plus  question  dans  l'histoire  romaine  de 
quelque  autre  colonie  de  Germains  qui  se  soit  établie  dans 
cette  contrée  avant  le  milieu  du  troisième  siècle.  On  pré- 
tend qu  a  cette  époque  un  grand  nombre  de  Saxons  vint  se 
fixer  sur  la  cote  de  la  Flandre.  Nous  nous  réservons  de  par- 
ler plus  au  long  de  ces  colonies  saxonnes  dans  un  chapitre 
suivant. 

Vers  Fan  277  l'empereur  Probus  transféra  une  multi- 
tude de  Francs ,  prisonniers  de  guerre ,  dans  les  Gaules  (1). 
Quatorze  ans  après,  Maximien  donna  a  une  autre  colonie 
de  Francs  une  partie  des  terres  incultes  des  Tréviriens  et 
des  Nerviens  (2).  Constance  Chlore,  à  l'exemple  de  Probus 

Suevos  convertit  (Vita  s.  Eligii,  1.  lî,  c.  3  efc  8).  Dans  le  9^  siècle,  ces  Suèves 
de  la  Flandre  furent  presque  entièrement  exterminés  par  les  Normands  : 
Menapios  et  Suevos  usque  ad  internecionem  deleverunt ,  quia  valdè  illis  in- 
festi  eraw^(Normanni).  [Gesta  Norman,  ab  incerto  auctoread  ann.  880  apud 
Duchesne  script  res.  franc).  Ils  occupaient,  suivant  M.  Raepsaet,  tout  l'es- 
pace compris  entre  Courtrai  et  la  mer  et  toute  la  côte  de  la  Zélande  et  de  la 
Flandre  jusque  près  d'Anvers,  Le  nom  de  plusieurs  villages  de  cette  contrée 
semblent  en  effet  rappeler  celui  des  Suèves  ;  tels  sont  :  Siveveghem ,  Sweve- 
sele ,  etc.  M,  Raepsaet  pense  que  ces  Suèves  pouvaient  être  les  descendans 
de  ceux  qui  furent  transférés  dans  les  Gaules  par  Tibère,  et  qui,  établis 
d'abord  dans  le  pays  des  Eburons,  auront  pu  s'étendre  librement  et  à  leur 
gré  dans  la  Flandre,  dont  une  grande  partie  était  encore  inculte,  inhabitée 
et  indépendante  des  Romains. 

(1)  Arantur  Gallicana  rura  hohus  barharis ,  écrivait  Probus  au  sénat,  en 
parlant  de  cet  événement ,  et  juga  germanica  captiva  prœheni  nostris  colla 
cultorihus  ;  pasciintur  ad  nostrum  alimonium  gentium  pecora  diversarum 
(Vopisc,  in  Probo,  c.  1 5). 

(2)  Tuo,  Maximiane  Auguste,  nutii,  Nerviorum  et  Trevirorum  arva  jacentia 
lœtus postliminio receptus  Francus excoluit  {Enxnen^ paneg.  Constantio  dictus). 

Les  termes  post  liminio  receptus ,  feraient  supposer  que  les  Francs  occu- 
paient déjk  ces  lieux  antérieurement  a  Maximien. 

Un  autre  panégyriste  s'exprime  sur  cet  événement  dans  les  fermes  sui- 
vans  :  Multaille  (Maximianus)  i^rawcorwm  millia  gui  Bataviam  aliarqus  cis 
Rhenum  terras  invaserant,  interfecit,  depulit,  c^pit,  ahduxit  (Incerti /Jane//. 
Maxim.). 


_  419  — 

et  de  Maximien ,  transféra  de  même  un  grand  nombre  de 
Cauques  et  de  Frisons  sur  le  territoire  de  l'empire,  après  avoir 
reconquis  la  Batayie  quils  avaient  envahie  (1).  Quoique 
l'Amienois ,  le  Beauvoisis  et  le  pays  des  Tricasses  (Troyes) 
soient  désigne's  comme  les  lieux  qui  reçurent  cette  colonie, 
il  est  ne'anmoins  probable  que  les  déserts  de  la  Belgique 
furent  aussi  peuplés  d'une  partie  de  ces  barbares. 

Bientôt  les  Germains ,  profitant  de  la  décadence  de  l'em- 
pire et  des  guerres  civiles  qui ,  depuis  le  règne  de  Gallien  , 
ne  cessaient  de  le  dépeupler  et  de  précipiter  sa  ruine,  ne 
daignèrent  plus  demander  le  consentement  des  empereurs 
pour  obtenir  quelque  coin  désert  des  Gaules  ,  faveur  qu'ils 
payaient  jadis  en  consacrant  leurs  bras  a  la  défense  de  l'em- 
pire. D'un  autre  côté ,  depuis  que  les  Romains ,  énervés  par 
toutes  les  jouissances  que  procurent  le  luxe  et  les  richesses, 
avaient  perdu  ce  mâle  courage  et  cet  esprit  guerrier  qui  les 
avaient  rendus  maîtres  de  la  plus  belle  partie  de  la  terre  con- 
nue ,  la  garde  de  leurs  frontières  était  confiée  à  des  troupes 
mercenaires ,  composées  la  plupart  de  guerriers  germains  ; 
ces  barbares  secondant  plutôt  qu'ils  ne  combattaient  les  ten- 
tatives de  leurs  compatriotes  d'Outre-Rhin,  leur  laissèrent 
dévaster  impunément  la  partie  septentrionale  des  Gaules 
et  s'emparer  selon  leur  bon  plaisir  (prœlicenter)  des  terres 
à  leur  convenance.  C'est  ainsi  que  l'empereur  Julien  trouva, 
au  4®  siècle,  les  Francs  Saliens  établis  dans  une  partie  de  la 
Toxandrie  d'oii  ils  avaient  chassé  les  regnicoîes,  tout  sujets 

(i)  Arat  ergo  nunc  mihi  Caucus  et  Frisius ,  et  ille  vagus ,  ille  pnedaior , 
exercitio  s qualidus  o-peratur  et  fréquentât  nundinas  meas  pécore  venaîi,   et 

cuîtor  harbarus  laxat  annonam quid  îoquar  rursùs  intimas  Franciœ  lia- 

tiones  non  jam  ab  his  locis  quœ  olim  Romani  invaserant,  sed  à  propriis  ex 
origine  suis  sedibus  atque  abuJtimis  oarbariœ  liiioribus  avuîsas^  ut  in  deser- 
tis  Galliœ  regionibus  collocatœ}  pacem  Romani  imperii  cultu  Juvarent ^  arma 
delectu  (  Eumen.,  ^^awe^.  Constantino  Magna  dict.  cap.  C). 


-^  420  — 

des  Romains  qu'étaient  ces  derniers ,  et  ou  ils  vivaient  dans 
une  entière  dépendance  sans  reconnaître  en  aucune  manière 
la  souveraineté'  et  les  lois  de  l'empire  (1).  Bien  que  Julien 
parvint  par  sa  fermeté  et  sa  sagesse  à  les  y  soumettre ,  cette 
soumission  apparente  ne  dura  guère ,  et  dès  le  commen- 
cement du  5®  siècle ,  la  partie  septentrionale  de  la  Belgique 
était  entièrement  au  pouvoir  des  barbares.  Quelques  années 
plus  tard,  en  439  ou  442,  Clodion,  roi  des  Francs,  qui  fai- 
sait sa  résidence  dans  un  lieu  nommé  Dispargum  ,  que  les 
uns  placent  a  Diest  et  les  autres  à  Duysbourg ,  petite  ville 
près  du  Rhin ,  ou  à  un  village  de  ce  nom  ,  entre  Bruxelles 
et  Louvain  ;  Clodion ,  disons  -  nous ,  traversant  la  partie 
des  Ardennes  connue  alors  sous  le  nom  àç^Sjlva  carhonaria 
(la  foret  charbonnière) ,  conquit  le  midi  de  la  Belgique  et, 
par  la  prise  de  Tournai  et  de  Cambrai ,  mit  fin  à  la  domi- 
nation romaine  dans  cette  contrée. 

Tels  furent  les  moyens  que  les  Romains  employèrent 
pour  repeupler  la  Belgique  réduite  en  un  vaste  désert  par 
la  conquête  de  César. 

Quoi  qu'en  dise  M.  Raepsaet ,  les  documens  historiques 
ne  nous  font  connaître  nulle  part  qu'après  la  conquête  de 

iX)  Petit  (Julianus)  primas  omnium  Francos,  eos  videlicet  quos  consue- 
tudo  Salios  appellavit,  ausos  olim  in  Romano  solo  apud  Toxandriam  locum 
habitacula  sibi  figere  prœlicenter  (  Amm.  Marcel.,  1.  XVII ,  c.  8  ). 

La  manière  dont  Zosime  rapporte  ce  fait  diffère  un  peu  de  la  relation 
d'Ammien  Marcellin  :  Animadversa  Juliani  erga  se  humanitate ,  partim  ex 
insula  (Batavorum)  cum  rege  suo  Romanum  in  solum  trajiciebant.  Omnes 
Cœsari  supplices  facti  sponte  sua  cum  relus  suis  ejus  fdei  permittehant 
(Zosim.,  Hist.  Rom.,  1.  III,  c.  6  ).  Ce  passage  ferait  croire  que  les  Saliens 
vinrent  seulement  dans  la  Toxandrie  sous  le  règne  de  Julien,  tandis  qu'Am- 
mien  Marcellin,  par  le  terme  Olim,  indique  qu'ils  occupaient  cette  contrée 
depuis  un  assez  long  espace  de  temps.  De  la  Mannert  a  conclu  que  Zosime  a 
confondu  deux  événemens  en  un  seul,  l'expulsion  des  Francs  de  l'île  des  Bataves, 
par  Constance,  et  l'expédition  de  Julien  contre  les  Francs  Saliens,  plus  d'un 
demi  siècle  après  (Mannert,  Géographie  der  Griecher  und  Romer,  3"  th.). 


-.  421  — 


la  Belgique  par  les  Romains  et  jusqu'à  leur  expulsion  de 
ce  royaume ,  il  s'y  soit  e'tablie  quelque  colonie  gauloise  : 
partout  il  n'est  question  que  de  Suèves,  de  Sicambres,  de 
Francs  et  de  Saxons  qui  s'y  fixèrent  de  gré  ou  de  force. 


—  422 


CHAPITRE  m. 


I^ÎTision  géographique  et  admimstratàve  de  la  Belgique  sous  la  dommatîon 

romaine. 

Nous  avons  vu  que  des  cinq  peuples  principaux  qui 
habitaient  la  Belgique  avant  la  conquête  de  César ,  trois , 
les  Mënapiens ,  les  Nerviens  et  les  Tréviriens ,  avaient  con- 
tinué à  subsister,  et  que  les  deux  autres,  les  Eburons  et  les 
Atuatiques,  avaient  totalement  disparu  du  sol  de  cette  der- 
nière et  furent  remplacés  par  des  peuples  suèves  et  sicambres 
connus,  en  Belgique ,  sous  le  nom  deTongrois  et  de  Toxan- 
dres  ;  auxquels  il  faut  Joindre  les  Suniqueset  les  Bethasiens, 
petites  peuplades  qui  ne  formaient  probablement  qu'une 
subdivision  de  l'un  ou  l'autre  des  deux  peuples  précédens. 
Ainsi ,  après  comme  avant  l'invasion  romaine ,  la  Belgique 
fut  partagée  entre  cinq  grandes  peuplades  (gentes  majores). 

En  décrivant  la  position  géographique  des  peuples  de 
la  Belgique  a  l'époque  de  la  domination  romaine ,  nous 
allons  suivre  la  méthode  que  nous  avons  adoptée  en  tra- 
çant les  limites  du  territoire  des  Belges  à  l'époque  anté- 
rieure. Nous  nous  occuperons  donc  principalement  de  la 
division  géographique  des  peuples  principaux  ou  des />agw^ 
m q/ore^,  a  laquelle  nous  rattacherons  celle  des  petites  peu- 
plades. Celle-ci  au  reste  ne  nous  arrêtera  pas  longtemps; 
car,  comme  nous  avons  déjà  tenté  dans  le  chapitre  111  de 
la  première  partie  de  ce  livre,  de  fixer  la  position  géogra- 
phique des  neuf  petites  peuplades  connues  qui  occupaient 
une  partie  de  la  Belgique  avant  la  conquête  romaine ,  il 


—  423  — 

serait  inutile  de  revenir  sur  ce  sujet,  d'autant  plus  que  le 
nom  de  ces  peuples  disparaît  entièrement  dans  Thistoire 
après  cet  événement,  quelques-unes  de  ces  triÎ3us  ayant  été 
enveloppées  dans  la  catastrophe  qui  anéantit  plusieurs  des 
peuples  majeurs  dont  elles  dépendaient ,  et  les  autres  ayant 
été  confondues  sous  la  dénomination  des  grandes  tribus  qui 
occupèrent  la  Belgique  après  l'établissement  de  la  domina- 
tion romaine.  Les  Suniques  et  les  Betliasiens ,  les  seules  pe- 
tites peuplades  connues  de  nom  de  celles  qui  vinrent  se  fixer 
en  Belgique  a  cette  époque ,  exigeront  donc  seules  nos  re- 
cherches. Quant  a  cette  multitude  de  Saxons  et  de  Francs  qui 
inondèrent  la  Belgique  dès  le  milieu  du  troisième  siècle ,  il 
serait  impossible  de  fixer  au  juste  la  position  qu'ils  y  occu- 
pèrent, parce  qu'ils  s'étendirent  sur  toute  la  surface  de  la 
Belgique ,  sur  le  territoire  des  Ménapiens ,  des  Tongrois  et 
des  Toxandres,  comme  sur  celui  des  Nerviens  et  des  Trévi- 
riens ,  et  que  confondus  avec  ces  peuples ,  tous  ensemble  ne 
formèrent  bientôt  qu'une  seule  et  même  nation  unie  par 
les  liens  d'une  origine  commune. 

Pour  tracer  les  limites  des  peuples  principaux  de  la  Bel- 
gique sous  la  domination  romaine,  nous  avons  pour  docu- 
mens,  outre  la  division  des  anciens  diocèses,  les  chroniques 
et  chartes  du  moyen  âge ,  c|ui  nous  sont  ici  du  plus  grand 
secours ,  surtout  pour  fixer  les  limites  des  Ménapiens  et  des 
Toxandres;  car  ce  que  les  documens  romains  nous  appren- 
nent sur  ce  sujet  est  très-vague  et  très-obscur.  Au  reste  , 
on  peut  dire  que  pendant ,  comme  avant  la  domination  ro- 
maine ,  le  territoire  de  plusieurs  peuples  belges,  surtout  de 
ceux  qui  habitaient  les  Flandres,  la  Campine  et  la  province 
d'Anvers,  fut  en  majeure  partie  sans  démarcation  cer- 
taine :  ceci  doit  s'entendre  principalement  des  petites 
peuplades.  Les  recherches  auxquelles  plusieurs  écrivains 
modernes    se  sont   livrés  pour  désigner  les  limites    de 


—  424  ^ 

ces  petites  tribus,  n  ont  produit  que  des  conjectures  plus  ou 
moins  probables ,  mais  denue'es  de  preuves  positives.  Aussi 
convenons-nous  volontiers  avec  M.  Raepsaet,  qu'il  est  plus 
curieux  qu'utile  de  rechercher  la  position  précise  de  ces 
peuplades ,  dont  la  plupart  ne  nous  sont  pas  même  con- 
nues de  nom ,  comme  on  peut  conclure  du  passage  de  Pline, 
dans  lequel  il  est  question  des  Toxandres  :  Pluribus  no- 
minibus  Toxandri.  «  Car,  dit  avec  raison  M.  Raepsaet, 
quelque  plausibles  que  puissent  être  les  raisons  que  chaque 
écrivain  allègue  en  faveur  de  son  opinion ,  il  est  peut-être 
impossible  de  l'amener  à  un  degré  de  certitude.  On  ne  se 
forme  d'ailleurs  qu'une  idée  confuse  de  l'ancienne  topogra- 
phie des  Pays-Bas  en  chargeant  sa  mémoire  de  tous  ces  dé- 
tails; il  vaut  mieux  s'en  former  une  idée  claire,  nette  et 
précise  en  n'envisageant  le  pays  que  sous  le  rapport  des 
parties  principales  de  sa  division  (1).  »  Enfin ,  lorsque 
nous  voyons  l'espace  compris  entre  le  Demer,  la  Meuse  ,  le 
Wahal  et  l'Escaut  occupé  tour  à  tour  par  des  Ménapiens, 
des  Usipètes ,  des  Tenchtres ,  des  Ambivarites ,  des  Ebu- 
rons ,  des  Tongrois ,  des  Toxandres  ,  par  des  Francs  et  une 
multitude  d'autres  peuplades  moins  connues,  nous  sommes 
tentés  d'appliquer  aux  parties  septentrionales  de  la  Belgique 
pendant  les  cinq  premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire ,  ce  que 
Tacite  disait  de  la  Germanie  :  que  c'était  une  terre  sans 
limites  ni  possessions  circonscrites ,  que  les  différentes  peu- 
plades occupaient  ou  abandonnaient  à  leur  gré. 

Aucun  document  ancien  ne  prouvant  que  les  limites  des 
Nerviens  et  des  Tréviriens  fussent  sous  la  domination  ro- 
maine ,  différentes  de  celles  qui  séparaient  ces  peuples  des 
nations  voisines  avant  cette  époque,  nous  n'ajouterons  rien  à 
ce  que  nous  avons  dit  à  cet  égard  ,  en  décrivant  la  position 

(1)  Raepsaet,  tom.  1  et  3. 


—  425  — 


géographique  des  Nerviens  et  des  Trëviriens,  lors  de  la  con- 
quête de  Cësar. 

Les  Mënapiens  continuèrent  a  occuper  pendant  les  cinq 
premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire,  Fespace  où  ils  furent  res- 
serres après  leur  expulsion  des  bords  du  Rhin  et  de  la  Hol- 
lande septentrionale  par  les  Tenchtres  et  les  Usipètes.  On 
peut  leur  assigner  les  bornes  suivantes  :  au  nord ,  FEscaut 
et  la  Meuse  les  se'paraient  des  Bataves  (1)  ;  a  l'est ,  l'Escaut 
formait  leur  démarcation  du  côte'  des  Nerviens  et  des 
Toxandres  ;  a  l'ouest ,  ils  avaient  pour  limites  TOcëan  et  le 
pays  des  Morins  ;  au  midi,  la  Scarpe ,  laDeule,  la  Lys  et  la 
Marne  paraissent  leur  avoir  servi  de  limites  du  côte  des 
Morins  et  des  Attrebates  ;  c'est  jusque-la  au  moins  que  s'ëten- 
dait,au  moyen  âge,  le  pagiis  Mempiscus ou  Menapiscus^  qui 
occupait  la  majeure  partie  du  territoire  des  Mënapiens  (2), 

Tous  les  géographes  et  historiens  modernes  qui  se  sont 
occupes  de  la  topographie  des  Gaules  ont  ëtendu  les  limites 
des  Morins  jusqu'à  Ypres  et  Nieuport,  c'est-a-dire,  bien  avant 
ddinsV  ancien  p  agus  Mempi  s  eus.  Ils  ont  en  particulier  attri- 
bue à  ce  peuple  la  ville  de  Cassel  à  laquelle  ils  ont  donne  le 
nom  de  Castellum  Morinorum  ;  quoique  dans  un  document 
aussi  ancien  et  aussi  authentique  que  l'est  la  carte  romaine 
appelëe  vulgairement  la  Table  de  Peutinger,  ce  lieu  soit  dé- 
signé positivement  sous  le  nom  de  Castellum  Menapiorum, 

(1)  Britannîa  àmeridie  Gallias  habet,  cujus  proximum  littus  transmean- 
tibus  civitas  apperit  quœ  dicitur  Rhutubi  Portus ,  undè  haud  procul  à  Mori- 
nis  in  austro  positos  Menapios  Batavosque  prospectât  (Orosius,  Hût.  rom, , 
1.  I,c.21). 

Ce  passage  atteste  qu'aux  Mënapiens  succédaient  immédiatement  les 
Bataves,  et,  par  conséquent,  que  le  territoire  des  Toxandres  ne  s'étendait 
pas  entre  ces  deux  peuples  en  se  prolongeant  jusqu'en  Zélande,  comme  le 
prétendent  la  plupart  des  auteurs  modernes. 

(2)  On  lit  dans  une  charte  de  Charles-le-Chauve,  de  l'an  847 ,  donnée  en 
faveur  de  l'abbaye  de  Saint-Bavon  :  in  territorio  Menapiorum  quod  mine 
Mempiscum  appellant. 


~  426  — 

et  bien  que  d'autres  documens  d'une  e'poque  reculée  attes- 
tent de  même  que  ce  Castellum  était  placé  sur  le  terri- 
toire des  Ménapiens  (1). 

Tout  cela  semble  prouver  que  c'est  a  tort  que  les  géo- 
graphes modernes  ont  étendu  le  territoire  des  Morins  jusque 
dans  une  partie  de  la  Belgique  actuelle  et  qu'il  faut  reculer 
les  limites  de  ce  peuple  aux  trois  rivières  précitées  qui 
formaient  les  bornes  méridionales  du  pagus  Menapiscus 
ou  du  pays  des  Ménapiens. 

Il  est  vrai  qu'anciennement  les  villes  de  Cassel , 
d'Ypres  et  de  Nieuport  faisaient  partie  du  diocèse  de 
Terouenne  ,  chef-lieu  des  Morins  ;  et  c'est  la  le  motif 
qui  a  porté  les  auteurs  modernes  à  attribuer  le  territoire 
de  ces  villes  aux  Morins ,  malgré  l'autorité  de  la  Table  de 
Peutinger  et  d'une  foule  d'autres  documens  anciens ,  parce 
que  dans  l'empire  romain  la  circonscription  des  diocèses 
avait  été  tracée  sur  celle  des  gouvernemens  civils ,  c'est-a- 
dire  que  la  topographie  ecclésiastique  était  presqu'en  tout 
point  conforme  à  la  topographie  civile  et  administrative , 
de  sorte  que  le  chef-lieu  d'une  province  était  en  même 
temps  le  siège  d'un  archevêché ,  et  une  simple  ville  celui 
d'un  évêché.  Cependant,  si  tel  fut  l'ordre  établi  dans  les 
différentes  provinces  de  l'empire  romain  depuis  le  règne 
de  Constantin,  et  si  une  ville  avec  son  ressort  constituait 
alors  ordinairement  un  diocèse ,  dans  les  contrées  faible- 


(l)  L'ancien  auteur  qui  a  décrit  les  miracles  de  Saint-Bertin,  appelle  la 
ville  de  Cassel,  locutn  famosum,  Castellum  Menafiorum  (Miracula  S.  Ber- 
tini,  1.  1). 

Plusieurs  chartes,  une  entre  autres  en  faveur  de  Téglise  de  Saint-Pierre 
à  Cassel ,  datée  de  Tan  1085 ,  désignent  Cassel  comme  faisant  partie  du 
pagus  Menapiscus.  Nous  verrons  plus  loin  combien  est  grande  Terreur  de 
ceux  qui  fixent  la  position  du  Castellum  Menapiorum  au  village  de  Kessel , 
sur  la  Meuse,  près  de  Ruremonde. 


ment  soumises,  la  délimitation  des  districts  ne  pouvant 
être  faite  que  d'une  manière  vague  et  incertaine,  il 
dut  en  être  de  même  de  celle  des  diocèses.  Tel  dut  être 
en  particulier  l'état  des  choses  dans  le  nord  de  la  Belgi- 
que encore  en  partie  désert  et  inhabitable  aux  4e  et  5^ 
siècles  ,  ou  en  partie  habité  par  des  peuplades  incivilisées 
et  presque  indépendantes.  D'ailleurs  la  plupart  des  Belges 
ne  se  convertirent  au  christianisme  et  ne  se  soumirent  h 
l'autorité  spirituelle  des  évêques  qu'au  1^  et  au  8^  siècle, 
c'est-à-dire  plusieurs  siècles  après  la  destruction  de  Fem- 
pire  romain  et  à  une  époque  oii  l'on  cessa  de  fixer  la  déli- 
mitation des  diocèses  suivant  la  division  politique.  Ainsi  la 
ville  d'Anvers  faisait  partie  du  diocèse  de  Cambrai ,  ancien 
chef-lieu  des  Ner viens ,  quoique  suivant  l'organisation  de 
l'empire  romain  elle  eut  dû  appartenir  plutôt  au  diocèse 
de  Tongres.De  même  les  quatre  offices  (de  vier  ambachten) 
et  la  Flandre  hollandaise  (  aujourd'hui  partie  de  la  pro- 
vince de  Zélande)  qui ,  appartenant  au  territoire  des  Mé- 
napiens,  auraient  du  ressortir  de  l'évêque  de  Tournai,  chef- 
lieu  des  Ménapiens  sous  l'empire ,  obéissaient  néanmoins  a 
celui  d'Utrecht  dans  le  pays  des  Bataves.  Or,  si  l'extrémité 
septentrionale  du  pays  des  Ménapiens  dépendait  d'un  dio- 
cèse étranger ,  pourquoi  la  partie  qui  comprenait  le  terri- 
toire des  villes  actuelles  d'Ypres,  de  Furnes,  de  Nieuport , 
de  Cassel ,  etc.,  n'aurait-elle  pas  pu  également  appartenir  à 
un  autre  diocèse  étranger  ,  celui  de  Terouenne ,  chef-lieu 
des  Morins,  au  lieu  de  ressortir  de  celui  de  Tournai,  chef- 
lieu  des  Ménapiens  (1). 

(1)  Après  la  conquête  des  Gaules  par  les  Francs ,  un  cvéque  qui  conver- 
tissait au  christianisme  une  peuplade  idolâtre,  la  soumettait  à  sa  juri- 
diction spirituelle  et  la  réunissait  a  son  diocèse,  sans  qu'alors  on  eut  encore 
égard  a  la  circonscription  établie  dans  l'oji'dre  civil;  de  là  provient  la  grande 
différence  qui    existait    entre  la  délimitation  des  diocèses   de   la  Belgique 


—  428  — 

On  pourrait  objecter  que  bien  que  la  partie  septentrio- 
nale du  pays  des  Me'napiens  ait  pu  n'être  que  faiblement 
soumise  aux  Romains  et  que  la  délimitation  des  diflfe'rentes 
parties  de  la  Belgique  actuelle  tracée  par  ces  derniers ,  ne 
se  soit  peut-être  point  étendue  jusque-là ,  au  moins  cette 
délimitation  dut-elle  comprendre  le  territoire  de  Cassel , 
parce  que  ce  prétendu  Castelîum  Morinorum  étant  sous 
l'empire  une  position  militaire  d  une  assez  grande  impor- 
tance, semble  avoir  dû  faire  partie  d'un  district  romain  et, 
par  conséquent ,  avoir  été  compris  dans  la  circonscription 
d'un  diocèse.  Mais  quand  il  en  eut  été  ainsi ,  ce  dont  nous 
doutons  pour  plusieurs  raisons ,  serait-ce  une  preuve  que 
ce  Castelîum  fut  situé  sur  le  territoire  des  Morins ,  parce 
que  plusieurs  siècles  après  l'expulsion  des  Romains  par  les 
Francs  (événement  qui  lui-même  changea  entièrement 
l'ordre  établi  par  les  Romains  ) ,  cette  place  dépendait  au 
spirituel  de  l'évêché  de  Terouenne ,  chef-lieu  des  Morins. 
Alors  il  faudrait  dire  que  le  Brabant  septentrional  tout  en- 
tier appartenait  au  pays  des  Bataves  parce  qu'au  moyen 
âge  cette  province  actuelle  faisait  partie  du  diocèse  d'Utrecht; 
que  les  Toxandres  n'étaient  qu'un  même  peuple  avec  les 
Tongrois,  parce  que  dès  le  7®  siècle  la  Toxandrie  était  com- 
prise dans  le  diocèse  de  Tongres  (ou  de  Maestricht),  et  que 
l'emplacement  d'Anvers  était  occupé  par  les  Nerviens, 

avant  la  création  des  nouveaux  évêchés  par  Philippe  11,  d'avec  la  division 
géographique  et  administrative  de  la  Belgique  établie  par  les  Romains.  C'est 
ainsi  que  le  territoire  des  anciens  Ménapiens  dépendait  à  la  fois  de  trois 
sièges  épiscopaux  ;  qu'une  partie  de  celui  des  Nerviens  appartint  pour  le  spi- 
rituel à  celui  des  Tongrois  ,  parce  que  les  hahitans  de  ces  lieux  avaient  été 
convertis  par  Saint-Lambert ,  évêque  de  Tongres  et  de  Maestricht  ;  que  le 
Brabant  septentrional  fit  partie  du  diocèse  d'Utrecht,  parce  que  Saint- Wille- 
brord, premier  évêque  de  cette  ville,  prêcha  la  foi  dans  cette  province;  quele^ 
territoire  d'Anvers  obéit  a  l'évêque  de  Cambrai ,  parceque  les  hahitans  de  cette 
province  abjurèrent  le  culte  des  idoles  sous  l'apostolat  de  Saint-Lievin .  évê- 
que de  Cambrai  et  des  Nerviens ,  et  reçurent  le  baptême  des  mains  de  ce  prélat. 


—  429  — 

parce  qu'avant  le  milieu  du  16^  siècle ,  cette  ville  recon- 
naissait l'autorité'  spirituelle  de  l'évéque  de  Cambrai. 

La  preuve  qu'on  a  allëgue'e  pour  e'tendre  les  limites  des 
Morins  jusqu'à  Nieuport  et  Furnes  est  donc  de  nulle  valeur 
et  ne  peut  en  aucune  manière  balancer  l'autorité  de  la  Table 
de  Peutinger  et  d'autres  documens  anciens  qui  attestent  que 
les  limites  du  territoire  des  Me'napiens  s'étendaient  jusqu'à 
laDeule,  la  Lys  et  la  Scarpe.  Les  Morins  doivent  par  consé- 
quent disparaître  de  la  carte  ancienne  de  la  Belgique  actuelle, 
elles  habitans  de  Nieuport,  de  Furnes,  de  Dixmude,d'Ypres 
et  de  Cassel  ne  descendront  pas  d'un  peuple  celte,  mais  tire- 
ront leur  origine  d'un  peuple  germain ,  les  Ménapiens. 

Toutefois  la  Flandre  actuelle  ne  fut  point,  sousl'empire,  oc- 
cupée exclusivement  par  des  Ménapiens;  elle  le  fut  aussi  par 
plusieurs  colonies  de  Suèves,  comme  nous  l'avons  dit  au  cha- 
pitre précédent.  Les  historiens  romains  des  3e  et  4«  siècles  de 
l'ère  vulgaire  nous  apprennent  aussi  que  les  Saxons,  ou  plutôt 
les  peuplades  germaniques  qui  composaient  la  ligue  saxonne, 
avaient  formé  plusieurs  établissemens  sur  la  côte  de  la  Flan- 
dre qui  de  là  reçut  suivant  M.  Raepsaet,  le  nom  deZittus 
Saxonicum  (1).  «  Ces  colonies  saxones ,  dit  cet  auteur,  s'é- 

(1)  Saxones  gentem  in  Oceani  Uttoribus  et paîadibus  siiam  (Paul.  Dioc. , 
Hist.  Longob.]  1.  II.  Gros.,  Hist.  rom.,  1.  VII). 

Le  littus  saxonicum  ne  s'étendait  pas  seulement  sur  la  côte  des  Morins 
et  des  Ménapiens  ,  mais  jusqu'à  la  Seine,  suivant  Melis  Stocke,  chroniqueur 
hollandais  du  13«  siècle,  et  même  au-delà,  d'après  des  documens  beaucoup 
plus  anciens.  On  lit  dans  la  notice  de  lEmpire  :  Trihunus  cohortis  primœ 
novœ  armoricœ,  granonâ  in  littore  saxonico.  Grégoire  de  Tours  parle  des 
Saxons  établis  dans  le  diocèse  de  Bayeux,  Saxones  baiocassiones  (Greg. 
Tur.,  Hist.  Franc,  1.  V,  c  27). 

Les  Saxons  du  littus  saxonicum  étaient  appelés  Bas-Saxons  pour  les  dis- 
tinguer des  Saxons  de  l'Allemagne  :  Melis  Stocke  dit  ; 

Oude  hoeken  lioer  ic  geivagen 
Dat  al  'tland  beneden  Nymagen 
Willen  Nedersassen  hiet 
Also  aïs  de  strotn  verschiet 
Van  der  Masen  en  van  den  Rhino 
De  Scelt  was  dat  west  en  de  Sine 
Aho  al  s  die  valt  in  de  zee. 

(Melis  Stocke,  Rym-Chromjck). 


—  430  — 

talent  établies  sur  nos  côtes  maritimes  avant  la  conquête  des 
Romains  ;  c'est  une  vérité  reconnue  par  Meyerus  et  Sande- 
rus(l).»  Cependant,  quoi  qu  en  dise  un  savant  aussi  respecta- 
ble que  M.  Raepsaet,  nous  croyons  que  l'assertion  de  Meyer, 
adopte'e  par  Sanderus,  ne  repose,  quant  a  l'établissement  des 
Saxons  dans  la  Flandre,  que  sur  les  récits  fabuleux  des  chro- 
niqueurs du  moyen  âge  (2).  En  effet,  comment  croire  que  les 
Saxons  et  les  Cimbres  ne  constituassent  qu'un  seul  et  même 
peuple  qui ,  environ  un  siècle  avant  notre  ère ,  vint  habi- 
ter la  Flandre,  appelée  anciennement,  suivant  Meyer, 
Ruthenia  ou  Ruthilia;  que,  contraints  par  le  déluge  cimbri- 
que  d'abandonner  ces  lieux ,  ces  mêmes  Cimbres  et  Saxons 
aient  envahi  les  Gaules  et  pénétré  en  Italie  où  ils  auraient 
été  défaits  par  Marins  ;  et  enfin  ,  qu'au  rapport  d'un  pré- 
tendu historien  écossais ,  nommé  Hector ,  les  Saxons  et  les 
Cimbres  de  la  Flandre  aient  formé  avec  les  Morins,  les 
Madiaques  et  Guldérius ,  prétendu  roi  de  la  Grande-Bre- 
tagne ,  une  ligue  contre  César ,  lorsque  ce  conquérant  enva- 


(1)  Analyse,  etc.,  tom.  I,  p.  92. 

(2)  De  prœfecturâ  autem  hâc  littoris  Belgici  prœcipuè  in  lihris  de  magis- 
tratihus  Romanorum  illustris  fit  mentio,  quod  quidem  et  à  crehris  Saxonum 
incursionibus  Saxonicum  littus ,  ut  Beatus  Rhenanus  tradit,  dici  cœpit, 
quemadmodum  et  Ruthenia  etiam  nunc  à  nautis  nostris  appelatur  ab  Ru~ 
tJienis  [puto]  Saxonum  aut  Cymbrorum  natione ,  à  quihiis  et  memoriam  esse 
invenio  Flandriam  antiquitiïs  Rutheniam  seu  Ruthiliam  fuisse  dictant. 
Cymbri  autem  per  longam  œtatem  eadem  loca  tenuisse  memorantur ,  qui 
etiam  cum  Guiderio  rege  Brifanniœ  ut  refert  Hector  Scotorum  historiens 
contra  Cœsarem  Britanniam  invadentem  unà  cum  Morinis  et  Madiacis  conju- 
raverunt.  Claudianus  poeta  Rhenum  per  duo  ostia  accipi  tradit  à  mari  Cym- 
hrico  :  de  Victoria  Alarici  ;«  Te  cymbrica  Thetis  divisum  bifido  consumit  Rheni 
tneatu.yt  JSaraanno  ante  naialem  christianum  plàs  minus  centesimo ,  egressi 
ab  extremis  Germaniœ  littoribus,  ubi  nunc  Dania  est,  sedes  fixerunt  in  ora 
Belgicœ-Galliœ  maritima  cultorïbus  tum  propè  vacua,  undetamen  brevi post, 
inundatione  oceani  magna  ex  parte  extrusi ,  in  Italiam  transcenderunt ,  de- 
victi  tandem  ihi  ab  C.  Mario  (  Meyer.  Annal.  Fland,,  l.  I,  ad  ana.,  445  ). 


^  431  — 

hit  cette  dernière.  Tout  critique  judicieux  rejetera  ces 
fables  et  avouera  qu  il  est  impossible  de  découvrir  par 
des  documens  authentiques ,  l'apparition  des  Saxons  sur 
nos  cotes  avant  le  troisième  siècle. 

Les  Tongrois ,  occupant  le  territoire  des  Atuatiques  et  la 
partie  de  celui  des  Eburons  qui  n'avait  point  e'të  cëdee  aux 
Ubiens  (1),  eurent  pour  bornes ,  au  sud-ouest ,  la  Dyle.  Au 
sudest  ils  s'étendaient  jusque  vers  l'emplacement  des  villes 
actuelles  de  Charleroi,  Beaumont  et  Chimai.  A  l'est  leurs 
limites  furent  formées  par  une  ligne  prolongée  par  Basto- 
gne,  Stavelot,  Aix-la-Chapelle,  Gelkirken,  Glabach  et 
Venlo.  De  ce  coté  ils  avaient  pour  voisins  les  Tréviriens  et 
les  Ubiens.  Au  nord  les  Tongrois  étaient  séparés  des  Gu- 
gernes  par  la  rivière  la  Semoy.  A  l'est  ils  confinaient  à  la 
Toxandrie  et  s'étendaient  jusqu'au  confluent  de  la  Dyle  et 
de  la  Senne.  Leurs  limites  du  côté  des  Toxandres  ne  peu- 
vent être  désignées  que  par  celles  qu'avait  le  j!;«^i^5  iïfe- 
napiscus  au  moyen  âge  (2). 

La  position  des  Suniques  et  des  Betliasiens  est  fixée  par 
le  P.  Hardouin  et  par  d'autres  savans  entre  la  Meuse  et  le 
Rhin.  Wastelain  les  place  entre  l'extrémité  septentrio- 
nale et  orientale  du  Limbourg  et  la  Rhoer,  et  M.  Raepsaet, 
avec  beaucoup  plus  de  fondement ,  sur  la  rive  gauche  de  la 

(î)  L'auteur  d'une  histoire  abrégée  de  la  ville  de  Spa  pense  que  le  pajs 
des  Eburons  était  divisé  en  Cismosane  et  en  Transmosane  ;  qu'après  la  des- 
truction des  Eburons  la  Transmosane  échut  en  partage  aux  Condrusiens,  et  que 
la  Cismosane,  restée  inhabitée  jusqu'au  règne  d'Auguste,  fut  alors  concédée 
par  ce  dernier  aux  Eburons  [Aire gé  de  l'histoire  de  Spa,  par  J.  B.  L.,  p.  93). 
Il  n'est  pas  besoin  d'observei"  que  ce  n'est  là  qu'une  conjecture  dénuée  de 
toute  preuve  historique. 

(2)  Sousl'épiscopatdeSaint-Piemi,  évêquede  Reims,  le  diocèse  de  Tongres 
touchait  a  celui  de  Reims,  comme  le  prouve  la  lettre  par  laquelle  Saint- 
Remi  reproche  à  Falcon ,  évéque  de  Tongres,  d'avoir  empiété  sur  l'autorité 
des  évêques  de  Reims  en  établissant  des  prêtres  h  Mousson  et  en  se  faisant 
rendre  compte  des  revenus  de  cette  église,  placée  au-delà  des  limites  du  dio- 
cèse de  Tongres.  Cette  lettre  est  de  l'an  497  ou  524. 


—  432  — 

Meuse,  entre  Namur  et  la  Gueldre  (1).  La  diversité  de  ces 
opinions  prouve  assez  combien  est  grande  l'incertitude  et 
rignorance  où  nous  sommes  sur  la  ve'ritable  position  des 
petites  peuplades  de  lancienne  Belgique  et  combien  il  faut 
être  circonspect  en  traçant  les  limites  de  ces  pagus  ou  gén- 
ies minores  (2). 

Tout  ce  que  nous  pouvons  dire  avec  certitude ,  c'est  que 
les  Tongrois ,  d'après  les  limites  que  nous  leur  avons  assi- 
gnées ,  et  les  petites  peuplades  enclavées  dans  ces  limites , 
s'étendaient  dans  la  province  actuelle  de  Namur,  dans  celle 


(1)  Clavier  a  commis  une  erreur  grave  en  confondant  les  Bethasiens 
avec  les  Atuatiques.  Un  passage  de  Tacite  {Hist.,  1.  IV,  c.  66), semble  prou- 
ver que  les  Suniques  habitaient  aux  environs  deMaestricht.  Pèlerin  les  place 
dans  les  districts  de  Fauquemont,  de  Maestricht,  de  Daelhem  et  deRolduc, 
et  leur  donne  pour  voisins  :  au  midi,  les  Bethasiens  ;  au  nord,  les  Ménapiens  5 
à  Test,  les  Ubiens,  et  à  l'ouest,  les  Tongrois.  «  En  suivant,  dit-il,  l'ordre 
géographique  de  Pline,  qui  nomme  les  Tongrois,  ensuite  les  Suniques  et 
puis  les  Bethasiens ,  ce  peuple  devrait  être  placé  sur  la  rive  droite  de  la 
Meuse  au  midi  des  Suniciens.  En  leur  supposant  aussi  des  possessions  sur  la 
rive  gauche  de  cette  rivière ,  on  peut  concilier  l'ordre  géographique  de  Pline 
avec  les  circonstances  du  récit  de  Tacite.  «  (  Pellerin,  Descript  du  dépar- 
tement de  la  Meuse  inférieure,  p.  36  et  44  ). 

(2)  Pline  place  entre  les  Suniques  et  les  Bethasiens  une  peuplade  à  la- 
quelle il  donne  le  nom  de  Frisiahones  ;  il  est  propable  que  cet  auteur  aura 
confondu  cette  peuplade  avec  les  Frisiabones  qui,  suivant  Wersebe,  habi- 
taient la  Zélande.  Nous  en  parlerons  ailleurs  (  Wersebe ,  iiher  die  Deutschen 
und  Deutschen  Voïkstames)  Menso  Alting  met  cette  erreur  sur  le  compte  des 
anciens  copistes  de  l'ouvrage  de  Pline  :  Apud  Plinium  quidem  in  Ehuroni- 
bus  recurrit  vocabuluni  Frisiahones  ;  sed  manifesta  lihrarii  errore,  de  quo 
nemo  ambigit.  Frisiabones  enim  œtate  Plinii  secùs  Mosam  novas  sedes  tenuisse 
tantum  àbest,  ut  cum  Batavis  sociis  tune  ultra  ipsum  Rhenum  fuerînt  re- 
jecti  (Tacit.j  Hist.  V,  c.  23  ).  ISum  Plinius  ab  oppido  Frypont  hodiè  in 
Eburonibus  noto,  simile  quoddam  nomen  formaverit  vel  ab  alio  non  abhor- 
rente  f  in  medio  relinquo.  Certe  ro  Frisiabones  huic  positurœ  nequagnam 
convenit  (Menso  Alting,  Descript.    Germ.  inf,  pars  1»   in  voce  Frisiabones. 

C'est  aussi  à  tort  que  M.  Raepsaet  place  dans  l'ancien  diocèse  de  Ton- 
gres,  un  peuple  gaulois  que  Pline  appelle  Leuci.  Ce  sont  évidemment  les 
habitans  du  diocèse  de  Toul  en  Lorraine ,  Tullo  Leucorum. 


--  433  — 

de  Licge,  dans  une  partie  du  Limbourg,  dans  une  petite 
portion  du  Luxembourg  ,  dans  la  partie  du  Brabant  méri- 
dional située  a  droite  de  la  Dyle  et,  hors  de  la  Belgique,  sur 
une  fraction  du  duché  de  Juliers. 

Les  Toxandres ,  ou  les  diverses  peuplades  comprises  sous 
ce  nom  commun ,  ne  se  trouvent  mentionnes  par  aucun  au- 
teur romain  autre  que  Pline  et  Ammien  Marcellin.  Le  pre- 
mier les  place  à  droite  de  TEscaut  {Extera  scaldis)  ;  de  là  on 
a  conclu  qu'ils  habitaient  la  Zélande;  fait  très-douteux,  parce 
qu'aucun  auteur  ancien  n'a  jamais  connu  des  Toxandres 
dans  cette  province  (1) ,  outre  que  le  terme  extera  scaldis 
dont  se  sert  Pline,  peut  s'entendre  aussi  bien  du  Brabant 
septentrional ,  où  toutes  les  chartes  du  moyen  âge  placent  la 
Toxandrie,  que  de  la  Zëlande.  Ammien  Marcellin  dit  que  les 
Francs-Saliens  vinrent  au  4^  siècle,  se  fixer  dans  un  endroit 
de  la  Belgique  appelé  Toxandrie  (rt/9?^<i  Toxandriam  locum), 

(1)  Bruining  prétend  que  les  Éburons  qui  échappèrent  au  désastre  qui 
accabla  leur  nation,  se  retirèrent  dans  les  îles  de  la  Zélande;  que  là  ils 
furent  d'abord  confondus  avec  les  Morins,  jusqu'à  ce  que  les  Romains,  lorsqu'ils 
commencèrent  à  mieux  connaître  ces  contrées  ,  leur  donnèrent  le  nom  de 
Toxandres,  à  cause  de  leur  adresse  à  manier  l'arc  :  Blediœ  inter  hœc  œstua- 
ria  et  scaldis  ostium  orientale  insulœ  antiquitiis  sub  ditione  erant  Romano- 
rum  per  Flandriam  Artesiœque  mantuca  effusorum.  In  easdem  vero  iiisulas 
confugere  magno  numéro  Ehurones ,  antiquiorihus  à  Ccssare  penitùs  exuti 
sedihus,  et  quo  persequentes  Romanos  meliùs  laterent,  gentile  nomen  ahdi- 
eantes ,  variisque  pro  insularum  varietate  insigniti  nominihus.  Hi  vulgo 
Morinis  adnumerati  fuère  ,  donec  gentem  à  génie  discernere  edocti  Romani  y 
quos  tum  magnoperè  grœcissasse  notum  est,  Eburoîium  illis  reliquiis  nomen 
Toxandrorum  imponerent;  quod  sagittarios  indicans ,  posthac  ad  ûnitimos 
quosque  Bracbantiœ  boréales  incolas,  arcu  œquè  valentes  et  venationi  deditos 
propagatum  \fuit;  ni  malis  ipsam  Eburonum  posteritatem  Zeelandicam  sese 
tandem  in  Brabantiam  effudisse.  (Bruining-,  Res  Belgicœ,  Bafavicœ ,  etc.). 

Ce  ne  sont  là  que  des  conjectures  dénuées  de  toute  vraisemblance;  de  plus 
les  Morins  ne  s'étendirent  jamais  jusqu'à  la  Zélande  et  ne  purent  par  con- 
séquent se  confondre  avec  les  Toxandres. 

Desroches,  dans  son  Hist.  ancienne  des  Pays-Bas  Juirich.,  place,  comme 
nous,  les  Toxandres  entre  la  Meuse  et  l'Escaut. 

Tome  I.  28 


^  434  — 

quon  tient  communément  pour  Tessenderloo,  a  deux  lieues 
de  Diest.  Nous  croyons  plutôt  avec  Wersebe,  quAmmien 
Marcellin  a  voulu  comprendre  sous  cette  dénomination,  non 
pas  quelqu'endroit  particulier,  mais  la  Toxandrie  en  géné- 
ral; d'ailleurs  dans  Tessenderloo,  village  dont  lexistence  est 
postérieure  a  Ammien  Marcellin  ,  la  syllabe  loo  ne  dérive 
point  du  latin  locus^  mais  est  un  vieux  mot  flamand,  qui  dé- 
signait ?me  hauteur  boisée.  Comme  ni  Pline  ni  Ammien  Mar- 
cellin ne  marquent  point  la  position  précise  et  les  limites  des 
Toxandres ,  c'est  aux  monumens  du  moyen  âge  que  nous 
devons  avoir  recours  pour  connaître  la  vraie  demeure  de 
ce  peuple.  Le  pagus  Toxandriœ  des  7^  et  8^  siècles  pa- 
raît retracer  assez  bien  le  pays  des  anciens  Toxandres. 
Au  nord  le  pagus  Toxandriœ  était  borné  par  le  Wahal  ;  à 
l'occident  par  le  pagus  Masgau  qui  le  séparait  de  la 
Meuse  (1);  au  midi  par  le  Demer  et  le  Rupel,  et  à  Torient 
par  FEscaut  (2).  La  Toxandrie  s'étendait  donc  sur  le  Bra- 
bant  septentrional,  le  Limbourg,  la  province  d'Anvers  et 
une  petite  portion  du  Brabant  méridional  (a  gauche  du 
Demer  ). 

Au  reste  tout  cet  espace  était  rempli  de  déserts,  de  ma- 
rais et  de  forets.  C'était  la  que  se  trouvaient  ces  déserts 
belges  (^avia  Belgarum^  où  Tacite  dit  que  Labeon  chercha 
à  se  soustraire  à  la  poursuite  de  Civilis.  Un  ancien  légendaire 
de  Saint-Lambert  appelle  la  Toxandrie  une  région  rem- 
plie de  vastes  marais  (^e^^o  vastis  et  fere  continuis paludibus 
obsita)  (3). 

(1)  Un  ancien  hagiographe  de  Saint-Lambert  dit  que  la  Toxandrie  com- 
mençait a  trois  milles  de  Maestricht. 

(2)  Voyez  Desroches.  Mémoire  sur  les  pagus  du  moyen  âge,  dans  les  an- 
ciens mémoires  de  l'Acad.,  et  Imbert  de  pagis  cisrhenanis,  àans  les  annales 
(icaclem.  Lovaniens. 

(3)  Dans  le  livre  I  de  son  Histoire  de  la  guerre  des  Goths ,  Procope 
place  a  Toccident  des  Tongrois  un  peuple  qu'il  nomme  Arhorichi.   De  là 


—  435  ~- 

Telles  sont  les  limites  des  difFérens  peuples  de  la  Bel- 
gique à  1  époque  romaine,  pour  autant  que  les  monu- 
mens  du  temps  et  ceux  du  moyen  âge  nous  les  font  con- 
naître. Quant  à  la  division  de  la  Belgique  dans  le  système 
ge'ne'ral  de  la  classification  romaine  des  provinces  de  la 
Gaule,  il  suffira  de  dire  qu'Auguste  divisa  toutes  les  contrées 
comprises  sous  le  nom  de  Belgique ,  en  Belgique  propre- 
ment dite  et  en  Germanie  supérieure  et  inférieure  :  celle-là 
comprenait  en  partie  les  Belges  d'origine  gauloise,  et  celle-ci 
exclusivement  ceux  d'extraction  germanique.  Des  diffe'- 
rentes  parties  de  la  Belgicjue  actuelle ,  la  provincia  helgica 
d'Auguste  contenait  le  Luxembourg,  le  pays  des  Ner- 
viens  et  celui  des  Me'napiens  ;  la  Tongrie  et  la  Toxandrie 
faisaient  partie  de  la  Germanie  inférieure  {germanicainfe' 
rior). 

Sous  le  règne  de  Constantin  ,  la  Belgique  romaine  subit 
une  nouvelle  délimitation;  on  divisa  alors  la  province  de 
la  Belgique  créée  par  Auguste ,  en  première  et  seconde 
Belgique ,  et  les  provinces  de  la  Germanique  supérieure  et 
inférieure,  en  première  et  seconde  Germanique.  Les  Ner- 
viens  et  les  Ménapiens  firent  partie  de  la  seconde  Belgique, 
dont  la  métropole  ou  le  chef-lieu  était  Reims  ;  le  Luxem- 
bourg appartint  à  la  première  Belgique ,  sous  la  métro- 
pole de  Trêves;  les  Tongrois  et  les  Toxandres  se  trouvè- 
rent dans  la  seconde  Germanique  ,  ayant  pour  métropole 
la  ville  de  Cologne. 

M.  Le  Page  de  la  Laighe  a  conclu,  dans  un  mémoire  publié  à  Gand.  en 
1770,  sous  le  titre  de  Mémoire  sur  Véiahlissement  des  Francs  dans  la  Bel- 
gique et  sur  l'existence  des  Arhoriches  dans  la  Toxandrie ,  que  ces  Arbo- 
riches  étaient  une  peuplade  de  la  Toxandrie.  Mais  tout  ce  que  l'auteur  al- 
lègue à  l'appui  de  $on  opinion  ne  prouve  absolument  rien.  Du  Bos, 
Wastelain  et  d'autres  savans  ont  démontré  à  l'évidence  qu'il  faut  lire 
Armorici  diVL  lieu  à'Jlrborichi ,  et  que  Procope  n'a  voulu  désigner  que  les 
peuples  de  la  côte  des  Gaules  connus  sous  le  nom  commun   d'Armoricains. 


436 


CHAPITRE  IV. 


Condition  politique  et  état  administratif  de  la  Belgique  sous  la  donunation 
romaine.  Annales  des  Francs  jusqu'au  VI°  siècle. 

Presque  tous  les  auteurs  modernes  n'ont  fait  aucune  dis- 
tinction entre  l'état  politique  des  Germano  Belges  et  celui  du 
reste  des  Gaulois,  et  ont  cru  que,  comme  ces  derniers,  les 
Belges  furent  régis  par  les  lois  romaines  et  obéirent  à  des 
officiers  civils  et  militaires  envoyés  de  Rome.  Nous  pen- 
sons que  c'est  la  une  erreur  et  que  les  Belges,  tout  en  recon- 
naissant la  domination  romaine  ,  n'étaient ,  à  l'égard  des 
Romains ,  que  comme  des  vassaux  a  l'égard  d'un  suzerain  ; 
que  plusieurs  peuples  belges  furent  même  traités  comme 
amis  et  alliés  du  peuple  romain,  et  enfin  ,  que  tous  les  Ger- 
mano-Belges obtinrent  le  privilège  de  se  gouverner  parleurs 
propres  lois  et  de  se  choisir  des  chefs  nationaux. 

César  en  marchant  a  la  conquête  des  Gaules ,  jugea ,  en 
habile  politique  ,  que  pour  rendre  aux  Gaulois  la  perte  de 
leur  indépendance  moins  amère  et  les  habituer  a  subir  plus 
patiemment  la  domination  étrangère,  il  fallait  d'abord  leur 
laisser  une  ombre  de  liberté  et  ne  leur  imposer  qu'insensi- 
blement le  gouvernement  et  les  lois  de  Rome.  En  permet- 
tant aux  différens  peuples  de  la  Celtique  de  n'obéir  qu'à 
leurs  chefs  nationaux ,  il  se  faisait  des  créatures  de  ces  der- 
niers ;  les  Romains  ayant  pour  maxime  ,  comme  dit  Tacite, 
de  faire  servir  les  rois  étrangers  d'instrumens  à  la  servitude 
des  peuples  (1).  Dès  son  arrivée  dans  les  Gaules,  César  pro- 

(1)  Vetere  ac  jam  pridem  recepta  populi  romani  consueiudine ,  ut  haberet 
instrumenta  servitutis  et  reges  (Tacit, ,  Vita  Agric,  c.  14). 


--^  437  — 

clama  donc  que  rintention  du  sénat  était  de  maintenir  tous 
les  peuples  de  cette  région  dans  leur  antique  liberté  et  de 
leur  conserver  leurs  lois  et  leur  gouvernement  national  (1), 

Ce  principe ,  il  Tadopta  surtout  à  Fégard  des  peuples  de 
la  Belgique  :  il  maintînt  les  rois  des  Atrebates  dans  leurs 
anciens  pouvoirs  (2)  ;  les  Nerviens  et  les  Tréviriens  re- 
çurent le  titre  de  peuples  libres.  Il  en  eut  agi  de  même 
envers  les  Atuatiques  et  les  Eburons  ,  si  par  leur  conduite 
hostile  et  en  enfreignant  les  traités,  ces  peuples  ne  l'eus- 
sent contraint  a  déployer  a  leur  égard  une  déplorable  sé- 
vérité. Quant  aux  Ménapiens ,  grâce  aux  obstacles  natu- 
rels que  présentait  le  sol  de  leur  pays ,  la  plupart  conser- 
vèrent une  entière  indépendance  ,  retranchés  dans  leurs 
marais  et  leurs  forets  où.  ils  bravèrent  impunément  tous  les 
efforts  du  conquérant  romain. 

Ainsi  lorsque  César  quitta  les  Gaules,  pour  ne  plus  y  re- 
venir, tous  les  peuples  de  la  Belgique  actuelle,  hormis 
les  Atuatiques  et  les  Eburons  qui  avaient  cessé  d'exister, 
conservaient  leurs  chefs  nationaux  et  leurs  antiques  con- 
stitutions ,  tout  en  reconnaissant  (a  l'exception  d'une  partie 
des  Ménapiens  )  les  Romains  pour  leurs  maîtres  et  souve- 
rains (3). 

Cependant  malgré  les  palliatifs  dont  usa  César  pour  dis- 
simuler aux  Gaulois  la  perte  de  leur  indépendance ,  ceux-ci 


(1)  Si  judicium  senatus  observari  oporteretf  liheram  dehere  esse  Galliam 
(Cœs.,  1.  I,  c.  45). 

(2)  Civitatem  ejus ,  dit  César,  en  parlant  de  Comius,  roi  des  Atrebates , 
immunem  esse  j'usserat ,  jura  legesque  reddiderat  (Caes.,  1.  VII.  c.  76). 

(3)  Ai  enim  quœdam  fœdera  extant,  ut  Germanorum,  Insubrium ,  Helve- 
tiorum ,  Japidum,  nonnullorum  item  ex  Galliâ  barbarorum .  etc.  (  Cicéro 
pro  Balbo ,  c.  14). 

Le  terme  barbarorum  s'applique  plus  particulièrement  aux  Belges  et  aux 
Bataves. 


—  433  — 

n'en  soupiraient  pas  moins  avec  impatience  après  le  moment 
propice  de  s'affranchir  de  la  domination  étrangère  :  en  un 
mot ,  les  Gaulois  étaient  vaincus ,  mais  non  soumis  (1).  La 
présence  seule  de  César  et  lepuisement  où  les  avaient 
réduits  les  guerres  désastreuses  de  la  conquête,  les  for- 
cèrent momentanément  à  se  tenir  en  repos.  Mais  dès 
que  la  guerre  civile  eut  embrasé  toute  la  république ,  et 
que  les  Gaulois  ne  craignirent  plus  le  retour  de  César, 
occupé  à  disputer  à  Pompée  l'empire  du  monde,  ils  ne  tar- 
dèrent pas  à  lever  de  nouveau  l'étendard  de  la  révolte ,  et 
plusieurs  peuplades,  entr  autres  les  Morins,  secouèrent  en- 
tièrement le  joug.  Les  dissentions  civiles,  qui,  après  la  mort 
de  César,  continuèrent  à  déchirer  la  république,  ne  permi- 
rent aux  Romains  de  travailler  à  rétablir  leur  autorité  dans 
les  provinces  nouvellement  conquises ,  que  lorsque  la  ba- 
taille d'Actium  et  le  triomphe  d'Auguste  eurent  mis  enfin 
un  terme  à  l'anarchie.  Alors  Auguste  ne  négligea  rien  pour 
réduire  les  peuples  gaulois  qui  s'étaient  soustraits  à  la  do- 
mination romaine  et  pour  consolider  cette  dernière  dans 
toute  l'étendue  des  Gaules.  Il  se  rendit  en  personne  dans 
cette  région  pour  y  établir  une  nouvelle  division  adminis- 
trative et  y  organiser  un  gouvernement  conforme  à  celui 
des  autres  provinces  de  l'Empire  (2). 

Mais  tout  en  changeant  l'ancien  ordre  des  choses,  Auguste 
conserva  à  plusieurs  peuples  des  Gaules,  les  prérogatives 
que  leur  avait  accordées  César  ;  aux  unes  comme  récom- 
pense de  leur  fidélité  et  de  leur  dévouement ,  aux  autres 


(1)  Domitœ  sunt  à  Cœsare  maximœ  natîones ,  sed  nondum  legihtis ,  non- 
dxtm  certo  imperio,  nondum  satis  firma  pace  devinctœ  (Cicéro,  de  prov. 
consul.). 

(2)  Et  qiwd  Galliœ  res,  cum,  illa  vix  suhacta,  statim  hella  civilia  suhse- 
ciita  fuissent,  nondum  satis  erant  composites,  igitur  Gallos  in  censum  redegit, 
vitamque  eorum  etrempuhlicam  formavif  (Dio.  Cass.,  1.  III). 


—  439  - 

par  nécessité  politique  et  comme  Tunique  moyen  de  les 
maintenir  dans  l'obéissance  (1). 

Les  peuples  de  la  Belgique  dans  sa  plus  grande  étendue , 
qui  se  trouvèrent  dans  le  premier  cas,  furent  les  Remois  et 
les  Lingones  (le  diocèse  de  Langres).  Ceux  de  la  Belgique 
actuelle  auxquels  Auguste  fut  contraint  par  la  force  des 
choses  à  accorder  ou  à  conserver  le  titre  de  peuples  libres, 
sont  les  Nerviens  (2)  et  lesTréviriens,  et  probablement  aussi 

(1)  i(  Les  peuples  que  leur  peu  de  résistance  a  la  conquête  et  la  servilité 
de  leur  soumission ,  quelquefois  la  force  et  Tindépendance  sauvarje  de  leurs 
mœurs,  recommandaient  aux  ménagemens  du  vainqueur,  recevaient  le  titre 
de  peuples  libres  ou  de  cités  fédérées  ;  en  cette  qualité  ils  conservaient  leurs 
anciennes  lois  et  payaient  seulement  des  redevances  en  terres ,  en  argent  et 
en  hommes.  »  (Thierry,  Hist.  des  Gaulois,  tom.  2,  p.  188). 

Augustus  inter  subditos ,  provincias  ex  moribus  Romanorum  ordinavît;  fœ- 
deralos  contra,  patriis  sewper  legihus  suis  guhernari  jussit  (Dio.  Cass.,  1.  IV). 
—  Sunt  et  liherœ  civitates  ,  aliœ  ah  initio  oh  amicitiam  ,  aliœ  honoris  gratia 
lihertate  donatœ  (  Strab.  1.  XVII). 

Le  titre  de  peuple  libre  s'interprétait  de  diverses  manières  :  1"  un  peuple 
était  censé  libre,  lorsqu'il  n'était  dans  la  dépendance  d'aucun  autre  peuple; 
2°  lorsqu'il  avait  contracté  une  alliance  étroite  avec  un  autre  peuple,  en  jouis- 
sant de  droits  égaux  avec  ce  dernier;  3°  il  était  censé  libre  encore,  lors- 
qu'il reconnaissait  un  autre  peuple  pour  son  souverain ,  tout  en  conservant  ses 
lois  et  ses  institutions  nationales  :  liber  autem  poptilus  est  is  qui  nullius  aU 
terius  populi  potestati  est  subjecius ,  sive  is  fœderatvs  est,  item  sive  œquo 
fœdere  in  amiciliam  venit,  sive  fœdere  compreliensum  est  ut  is  populus  alte- 
rins  populi  majestatem  comiter  conservaret.  Hocce  enim  adjicitur ,  ut  intelli- 
gatur  alterumpopulum  superiorem  esse,  non  ut  intelligatur  alterum  non  esse 
liberum  (  Lex.  VII  Digest.,  de  captiv.  et  posttim  ). 

Voir  sur  la  condition  des  peuples  auxquels  les  Romains  accordèrent  le  titre 
de  peuples  libres  :  Loys  de  Bochat,  Mém.  sur  VHist.  anc.  de  la  Suisse  y 
tom.  2,  mém.  7.  Maffei,  Ferona  illustrata,  1.  III. 

(2)  Nervii  liberi.  Plin.,  1.  IV,  c.  17.  Çuod  etiam  Plinius  Nervios  liheros 
adpellat,  dit  Spener, i?owia7îO$  suspexisse  insignem  eorum  virtutem  et  liher- 
tatem  generosœ  genti,  quantàmvis  victœ,  non  invidisse,  fîdes  e5^(Spener, 
Notit  Germ.  antiq.,  1. 1 ,  c.  5,  §  33). 

Guillaume  le  Breton,  poëte  du  12^  siècle,  dit  des  Nerviens  : 

Nervius  omnipotens 

Quem  nunquam  sibi  prœvaluit  romana  protestât 
Suhjiccre  omnino  certisve  licjaro  trihutis. 

(Guillelm,  Brito,  Philippaid.,  1.  IX.  . 


—  440  — 

les  petites  peuplades  qui  vivaient  sous  leur  protection.  Les 
uns  et  les  autres  continuèrent  donc  d'obéir  a  leurs  chefs  na- 
tionaux et  a  se  régir  par  leurs  anciennes  lois  et  constitu- 
tions ,  à  la  seule  condition  de  veiller  a  la  défense  de  la  fron- 
tière septentrionale  de  TEmpire  et  a  servir  dans  les  armées 
romaines,  comme  troupes  auxiliaires.  C'est  en  cette  qua- 
lité cjue  les  Ner viens ,  les  Tré virions  et  d'autres  peuples 
germains,  combattirent  dans  l'armée  de  César,  a  la  bataille 
de  Pharsale.  Les  Nerviens  se  distinguèrent  aussi ,  comme 
corps  auxiliaire  ,  commandé  par  ses  chefs  nationaux  ,  dans 
lexpédition  de  Drusus  ,  contre  les  Germains  d'Outre- 
Rhin  (1) ,  et ,  vers  l'an  398 ,  dans  la  guerre  contre  Gildon  ^ 
en  Afrique  (2).  La  haute  renommée  que  les  Nerviens  avaient 
acquise  auprès  des  Romains,  par  la  valeur  qu'ils  avaient 
déployée  dans  la  guerre  de  la  conquête ,  leur  valut  même 
la  brillante  distinction  d'être  appelés ,  avec  d'autres  peu- 
ples germains ,  à  l'honneur  de  former  la  garde  intime  des 
empereurs,  connue  sous  le  nom  de  garde  germanique  (3). 


(1)  In  quo  (bello)  inter primores piignaverunt  Senectius  et  Anectius  iribimi 
vivitatis  IVerviorum  (  Epitome  T.  Livii,  1.  CXXXIX  ). 

(2)  (jlaudian.  de  bello  Gildon,  1.  1. 

(3)  On  a  découvert  à  Rome  plusieurs  pierres  tumulaires  de  Nerviens  qui 
faisaient  partie  de  cette  garde.  Une  de  ces  épitaphes,  transcrite  par  Gruter 
et  par  D.  Bouquet,  porte  : 

Cirata  Julia  Annœi 
F.  natione  Nervia. 

Cette  Cirata  Julia,  fille  du  Nervien  Annaeus,  était  probablement  la  fille  d'un 
soldat  de  la  garde  germanique,  dont  les  Romains  avaient  latinisé  le  nom, 
comme  ils  avaient  coutume  de  faire  à  l'égard  de  tous  les  barbares  qui  ser- 
vaient dans  leurs  armées.  Dans  une  autre  épitaphe  il  est  question  d'un  Marcus 
Liberius  Victor,  citoyen  nervien.  Les  termes  de  natio  nervia ,  de  cives  ner- 
i"tM5  qu'on  lit  sur  ces  pierres  tumulaires,  indiquent  évidemment  un  peuple 
libre.  C'est  ainsi  que  Tacite  en  parlant  des  Bataves,  bonorés  par  les  Romains 
du  titre  de  peuple  libre,  d'alliés  et  d'amis  du  peuple  romain,  les  qualifie 
eonstamment  de  gens  haiava  ,  civitas  Batavorum  (Tacit.,  Hist.  1.  IV).  Dans 
une  inscription  tumulairc,  découverte  à  Teiano,  près  de  Rome,  il  est  ques- 


^  441  — 

Nous  voyons  dans  Tacite,  que  lors  de  la  révolte  des 
Bataves ,  sous  le  règne  de  Vespasien ,  les  Tréviriens  conti- 
nuaient toujours  a  être  régis  par  leurs  chefs  nationaux  et 
par  des  centeniers  (les  seniores  du  6^  et  du  7®  siècle) 
auxquels  cet  historien  donne  le  nom  de  sénateurs.  Pline 
appelle  les  Tréviriens  un  peuple  ci-devant  libre  (  Treviri 
liberi  antea  (1)  )  ,  ce  qui  donne  lieu  de  croire  que  les  Ro- 
mains leur  otèrent  le  titre  et  les  prérogatives  de  peuple 
libre ,  lorsqu'ils  furent  parvenus  a  mettre  un  terme  au  sou- 
lèvement des  Bataves ,  événement  auquel  les  Tréviriens 
prirent  une  part  fort  active  (2). 

Auguste,  en  transférant  dans  les  déserts  de  la  Belgique  , 
les  Tongrois,  les  Toxandres,  les  Bethasiens  et  les  Suniciens, 
leur  octroya  les  mêmes  privilèges  qu'aux  Nerviens  et  aux 
Tréviriens ,  en  leur  imposant  les  mêmes  obligations  et  de- 
voirs (3).  Nous    voyons   les  Tongrois   servir  en  qualité 

tîon  d'un  soldat  de  la  garde  germanique  de  Néron,  nommé  Hillarius,  de  la 
nation  frisone  :  Hilarius  JSeronis  Cœsaris  corpore  custos ,  natione  Friso.  On 
sait  que  les  Frisons  constituèrent  toujours  un  peuple  libre  et  ne  furent  que 
pendant  un  petit  nombre  d'années  tributaires  des  Romains,  sans  être  comptés 
au  nombre  des  peuples  soumis  directement  à  leur  empire. 

(1)  Pline,  1.  IV,  e.  17. 

(2)  L'évéque  de  Hontheim  est  cependant  d'un  avis  contraire  et  prétend, 
malgré  l'assertion  de  Pline,  que  les  Tréviriens  conservèrent  la  dignité  de 
peuple  libre  pendant  toute  la  durée  de  la  domination  romaine ,  parce  que 
Tacite  leur  donne  le  titre  d'alliés,  socios  {Hist,  1.  I,  c.  63  ) ,  et  Vopiscus ,  au 
3®  siècle,  celui  de  peuple  libre  :  ut  estis  liberi,  etc.  (Vopisc,  in  Floriano 
adann.,  275). — Voir  J.  N.  a&  Hontheim,  Prodromus  Hist  Trevir.  diplom. 
et  pr  a  g  mat,  tom.  1. 

(3)  «  A  l'orient  des  Arboricbes,  dit  Procope,  habitent  les  Tongrois, peuple 
barbare,  dans  une  contrée  qui  leur  fut  concédée  par  Auguste,  le  premier 
des  empereurs  romains.  .  .  .  ils  y  vécurent  (  a6  an%Mo)  sous  les  lois 
de  leur  patrie  primitive  (  outoi  aurovo/xoi  az'ovT£ç)y>  (Procop.,  helî.  Goth.,  1. 1, 
c.  12). 

Procope,  dans  ce  passage,  donne  aux  Tongrois  le  nom  de  ùvpvajoi  (  Thu- 
rusgi).  Ce  nom  de  Tongrois ,  ainsi  défiguré  par  les  copistes,  ou  par  l'auteur 
greclui-mémej  qui  pouvait  fort  bien  ignorer  la  véritable  dénomination  d'un 


—  442  — 

d'auxiliaires  dans  1  armée  de  Vitelius ,  et  dans  celle  d'Agi'i- 
cola.  En  366,  un  corps  de  Tongrois  était  campé  à  Chàlons- 

penple  barbare  placé  à  une  si  grande  distance  de  Constantinople,  a  fait  croire 
à  M.  Racpsaet,  que  ces  Thurusgiens  de  Procope  ne  sont  point  les  Tongrois  , 
mais  une  colonie  de  Thnringiens,  établie  dans  la  Gneldre.  Cependant,  outre 
que  dans  aucun  document  ancien  il  n'est  fait  nulle  mention  d'une  émigration 
de  Tburingiens  dans  la  Gueldre,  et  qu'aucun  géographe  ou  historien  ancien 
n'y  connaît  un  peuple  de  ce  nom,  la  manière  dont  Procope  indique  la  posi- 
tion des  Thurisgiens,  ne  semble  laisser  aucun  doute  que  ce  peuple  ne  soit  le 
même  que  les  Tongrois  :  à  l'ouest  des  Thurisgiens  Procope  place  les  Arbo- 
riques  qui  sont  les  Armoricains  delà  côte  de  la  Flandre  ;  au  midi,  les  Bour- 
guignons, qui,  à  l'époque  où  écrivait  Procope,  occupaient  déjà  la  Bourgogne 
actuelle;  au  nord  et  a  l'est  il  met  les  Allemands  et  les  Suèves,  qui  habitaient 
frlors  la  rive  gauche  du  Rhin. 

Quant  à  la  dénomination  fautive  de  Thurisgiens  pour  celle  de  Tongrois ,  elle 
ne  doit  point  étonner  dans  un  Grec  :  rien  de  plus  ordinaire  dans  les  auteurs 
anciens  que  des  erreurs  de  ce  genre:  c'est  ainsi  que  Procope,  dans  le  passage 
où  il  est  question  des  Tongrois,  appelle  les  Bourguignons,  Bourgouzions  :  il 
n'est  d'ailleurs  point  de  nom  de  peuple ,  qui  dans  les  anciens  documens  varie 
autant  que  celui  des  Tongrois.  Tacite  écrit  Turingi  et  Tungri  {liist.,  1. 11,  c.M); 
presque  tous  les  auteurs  du  moyen  âge,  antérieurs  au  12"  siècle,  donnent 
aux  Tongrois  le  nom  de  Thuringi^  entr'autres  Grégoire  de  Tours,  Hariger  et 
Gilles  d'Orval.  Les  deux  derniers  qualifient  la  ville  de  Tongres  de  métro- 
pole des  Thuringiens,  Twefî'opoZi*  Thuringorum. 

C'est  encore  ce  nom  de  Thuringi ,  au  lieu  de  Tungri,  dans  l'histoire  des 
Francs  par  Grégoire  de  Tours,  qui  a  fait  croire  à  M.  Raepsaet,  que  le  châ- 
teau de  Dîspargwm ,  première  résidence  de  Clodion,  était  situé  sur  la  rive 
droite  du  Rhin ,  malgré  les  preuves  du  contraire  alléguées  par  Wendelin  , 
Ghesquière ,  Mannert  et  d'autres  savans.Mais  le  passage  suivant,  dans  Gré- 
goire de  Tours,  démontre  suffisamment  que  par  le  mot  Thurihgia  cet  auteur 
n'a  voulu  désigner  que  la  Tongrie ,  en  Belgique  :  Tradunt  mulli  Francos  de 
Pannoniâ  fuisse  digressos ,  et  primùm  quidem  litlora  Rheni  amnis  inco- 
laisss  ;  dehinc,  iransacto  RJieno ,  Thoringiam  transmeasse  (Hist.  Francor., 
1.  I  ).  Il  est  évident  qu'il  est  question  ici  du  pays  des  Tongrois  et  non  pas  de 
la  Thuringe,  car  s'il  s'était  agi  de  cette  dernière,  Grégoire  de  Tours  eut  dit 
que  pour  aborder  cette  contrée  en  venant  de  la  Pannonie  (  la  Hongrie),  il 
faut  traverser,  non  le  Rhin,  mais  le  Danube.  De  plus,  Morel ,  éditeur  de 
la  seconde  édition  de  l'histoire  des  Francs  par  Grégoire  de  Tours  (en  1561), 
dit  avoir  vu  un  manuscrit  de  cet  ouvrage,  dans  lequel  on  lisait  :  Bispargum 
quod  est  in  confinio  Thuringorum  site  Tungrorum.  Cette  leçon  indique  à 
l'évidence  que  Dispargum  était  placé  aux  C()nlins  du  pays  des  Tongrois  h 
gauche  du  Rhin. 


—  443  — 

sur-Marne  (1).  La  Notice  de  l'Empire  place  une  garnison 
tongroise  a  Douvres  (2)  et  plusieurs  autres  corps  de  Ton- 
grois,  de  Nerviens  et  de  Mënapiens,  dans  divers  endroits 
de  la  Grande  Bretagne - 

Une  autre  preuve  de  la  liberté'  et  des  pre'rogatives  dont 
les  Tongrois  jouirent  sous  la  domination  romaine,  c'est  que 
comme  les  Nerviens,  les  Bataves  et  d'autres  peuples  ger- 
mains ,  ils  faisaient  partie  de  la  garde  germanique  des  em- 
pereurs (3).  Un  passage  de  Tacite  atteste  aussi,  que  de 
son  temps  les  Tongrois  obéissaient  encore  a  leurs  chefs 
nationaux  (4). 

Quoicju'aucun  document  ancien  ne  constate  positivement 
que  les  Toxandres  aient  possédé  les  mêmes  prérogatives 


Nous  avons  vu,  longtemps  après  avoir  discuté  ce  point,  que  M.  Dewez 
était  entièrement  de  notre  avis  sur  celte  question  (  Noiiv.  mém.  de  VAcad. 
de  Brux. ,  tom.  3 ,  p.  362  ). 

(1)  Amm.  Marcel.,  1.  XXVII,  c  1. 

(2)  Per  litlus  Saxonicum  prœpositus  militum  Tungricanorum  Duhris. 

(3)  Ce  fut  un  garde  tongrois  qui  assassina  l'empereur  Pertinax ,  dans  la 
conspiration  des  Prétoriens  contre  ce  prince  :  Sed  cum  Tausius  quidam 
unus  ex  Tungris ,  in  iram  et  timorem  milites  loquendo  adduxisset,  hastam 
in  pectus  Pertinacis  ohjecit  (Capitolinus  in  Pertin.,  c.  Il  ). 

11  existe  a  Rome  plusieurs  pierres  tumulaires  de  Tongrois  de  la  garde 
germanique  :  une  de  ces  épitaphes  est  ainsi  conçue  : 

D.  31. 
M.  JJlpi  Felicis  Mirmillonis 
Veteranif  Vixit  ann.  XXXXV 
JSaiione  Tunger. 

(4)  En  parlant  de  l'allocution  que  Civilis  adressa  aux  Tongrois  pour  les 
engager  a  son  parti,  Tacite  dit  :  Movehatiir  viilgus,  condebantque  gladios , 
cum  Campanus  etJuvenalis,  ex  primoribus  Tungrorum,  universamei  gentem 
dedidere  {Tadt,  HisU  1.  IV,  c.  66). 

Ce  passage  en  rappelle  un  autre  du  même  auteur,  qui  concerne  les  chefs 
nationaux  des  Bataves,  qualifiés  d'amis  et  de  frères  du  peuple  romain  : 
Transmissis  illic  cohortibus  (hatavis)  quas,  vetere  institiito.nobilissimipopu- 
larium  regebant ,  (I.  IV,  c.  12). 


—  444  ^ 

que  les  Nerviens,  les  Tréviriens  et  les  Tongrois,  nous  ne 
doutons  pas  que  la  condition  politique  de  ce  peuple  ne  fut 
la  même  sous  la  domination  romaine  ,  les  Toxandres  ayant 
partagé  le  sort  des  Tongrois  et  ayant  été  transfères  par 
Auguste  sur  le  sol  de  la  Belgique  en  même  temps  que  ces 
derniers. 

Suivant  l'opinion  de  plusieurs  savans  distingue's,  tels 
que  Vredius  et  Raepsaet ,  les  Me'napiens  auraient  joui 
d  une  liberté  plus  étendue  encore  que  celle  que  les  Ro- 
mains avaient  accordée  aux  autres  peuples  de  la  Belgi- 
que. Ces  auteurs  prétendent  même  que  les  Ménapiens  ne 
reconnurent  jamais  la  domination  romaine  et  qu'ils  conser- 
vèrent leur  indépendance  pendant  toute  la  durée  de  l'Em- 
pire. Saluste,  Ammien  Marcellin  et  Publius  Victor  nous 
apprennent  en  effet,  que  César  tenta  en  vain  de  pénétrer 
dans  les  lieux  inaccessibles  où  ce  peuple  avait  cherché  un 
refuge  à  Tapproche  des  armées  romaines  (1)  :  «  Ceux  qui 
sont  un  peu  versés  dans  l'histoire  romaine ,  dit  Poutrain , 
savent  que  César  n'a  jamais  pu  subjuguer  les  Ménapiens  à 
cause  de  ces  bois ,  de  ces  marais  et  de  ces  îles ,  cjui  lui  ren- 
dirent leur  pays  inaccessible.  Auguste ,  son  successeur ,  qui 
fit  de  nouveaux  efforts  pour  y  pénétrer,  n'y  réussit  pas  mieux, 
et  il  jugea  enfin  à  propos  de  traiter  avec  eux.  Ils  furent 
déclarés  libres  et  amis  du  peuple  romain ,  et  seulement 
tenus  a  lui  fournir  un  contingent  de  troupes  auxiliaires  en 
temps  de  guerre  (2).  » 

(1)  Omnes  Gaîlias  nisi  qua  iialudihus  inviœ  fuere,  ut  Salusiio  docetur 
auciore,  post  decefinalis  helli  mutuas  clades  suhegit  Cœsar  societaîique  nos- 
trœ  fœderïbus  junxit  œternis  (Amm.  Marcell.,  1.  XV,  c.  Î2  ).  Pk.es  romana 
plurimum  imperio  valuit,  Sex.  Sulpicio  et  M.  Marcello  coss.,  omnia  Gallia 
cis  Rhenum  inter  mare  nostrum  atque  oceanum,  nisi  quœ  à  paludibus  invia 
fuit,  perdomita  (Pub.  Vict.,  Breviar  roman.). 

(2)  Poutrain,  Hist.  de  Tournai.,  tom.  1,  p.  14. 

Ce  que  Poutrain  dit  de  la  prétendue  alliance  des  Ménapiens  avec  les  Ro- 


-^  445  ^ 

«  Auguste,  dit  le  même  auteur,  tint  l'empire  romain 
cinquante  ans  avec  beaucoup  de  gloire.  Ce  fut  sous  lui 
que  Rome  acheva  de  devenir  la  maîtresse  du  monde  :  Elle 
ne  le  devint  cependant  pas  d'un  petit  coin  du  globe,  qu'ha- 
bitaient les  Morins  (1)  et  les  Ménapiens ,  depuis  le  port 
Gessoriacum  (Boulogne),  entre  la  Lys  ,  l'Escaut  et  TOcean, 
jusqu'à  l'embouchure  de  cette  dernière  rivière.  Auguste, 
qui  avait  pensé  être  plus  heureux  que  Cësar  a  les  dompter, 
n'y  re'ussit  point,  et  après  avoir  fait  de  grands  efforts  inu- 
tilement ,  dësespe'rant  de  les  vaincre ,  il  conclut  avec  eux 
un  traité  dont  il  ne  se  peut  rien  imaginer  de  plus  appro- 
chant à  l'alliance  que  l'on  voit  entre  les  treize  cantons 
suisses  et  la  France  ;  ils  furent  déclarés  amis  et  alliés  du 
peuple  romain  et  compères  en  quelque  sorte  des  empereurs, 

comme  les  Suisses  le  sont  des  rois  de  France Ils  firent 

partie  de  la  garde  prétorienne  qui  approchait  le  plus  près 
de  la  personne  des  empereurs ,  comme  les  cent  Suisses  de 
garde  et  de  la  cour  de  France,  et  la  rivière  de  Lys,  fut  pres- 
crite pour  borne  qui  les  séparait  de  l'Empire  (2).» 

Poutrain  n'a  fait  que  suivre  l'opinion  de  Vredius,  qui , 
un  siècle  auparavant ,  s'était  exprimé  de  la  même  manière 
sur  l'état  politique  des  Ménapiens  a  l'époque  de  la  domina- 
tion romaine  en  Belgique  :  «  César,  dit  C€  savant ,  renonça 


mains  n'est  appuyé  par  aucun  document  historique.  Il  est  vrai  que  la  notice 
de  l'Empire  fait  mention  de  troupes  auxiliaires  fournies  par  les  Ménapiens  ; 
mais  ces  corps  ne  doivent  avoir  été  composés  que  des  Ménapiens  voisins  des 
Morins  et  des  Eburons,  qui  seuls  reconnurent  la  domination  romaine;  ou  si 
les  Ménapiens  de  l'intérieur  de  la  Flandre  y  fournirent  leur  contingent,  ce 
fut  comme  soldats  mercenaires,  a  l'exemple  de  plusieurs  peuples  germains 
d'Outre-Rhin,  entièrement  indépendans  des  Romains. 

(1)  Poutrain  se  trompe  ici  sur  la  position  géographique  des  Morins. 

(2)  Poutrain ,  tom.  I. — Les  Romains  s'étendirent  cependant  un  peu  au-delà 
de  la  Lys,  puisqu'ils  placèrent  garnison  au  Custellum  Menapioriim ,  situé  sur 
l'emplacement  de  Cassel. 


^  446  — 

à  la  conquête  du  pays  des  Mënapiens,  des  Grudiens,  des 
Pleumosiens,  desCenlrons,  des  Gorduniens  et  des  Leva- 
ciens  (1)  et  à  celle  des  iles  voisines  de  la  Flandre,  parce 
qu'il  regarda  comme  chose  impossible  de  pénétrer  avec  son 
arme'e  dans  ces  contrées.  Ces  peuples  purent  donc  vivre 
indépendans  et  libres  sur  le  sol  même  de  lempire  romain 
(dans  lequel  étaient  comprises  les  Gaules  toutes  entières  ) 
et  continuèrent  à  jouir  en  paix  de  la  possession  pleine  et 
entière  de  leur  ancien  territoire  ,  comme  l'attestent  les  an- 
ciens Panégyristes  et  Ammien-Marcellin.  C'est  pour  des 
causes  semblables  que  Caton  et  d'autres  généraux  romains 
déclarèrent  libres  et  indépendans  les  peuples  qu'ils  n'avaient 
pu  dompter.  Lorsque  la  Lycie  et  la  Palestine  tentèrent  de 
secouer  le  joug  des  Romains,  Adrien  abandonna  tout  ce  que 
les  armées  romaines  avaient  conquis  au-delà  de  l'Euphrate 
et  du  Tiger,  a  l'exemple,  disait-il,  de  Caton  qui  proclama 
l'indépendance  des  Macédoniens ,  parce  qu'il  ne  les  put 
soumettre  (2).  » 


(1)  Vredius  a  confondu  le  sort  des  cinq  dernières  peuplades  avec  celui 
des  Ménapiens  ,  parce  qu'il  n'a  pas  su  éviter  l'erreur  commune  a  tous  les 
auteurs  du  16^  et  du  17^  siècle,  qui  plaçaient  ces  peuples  à  gauche  de  TEscaut 
dans  la  Flandre  actuelle.  Vredius  n'a  prétendu  soutenir  toutefois,  sinon  que 
cette  dernière  contrée,  habitée  par  les  Ménapiens,  fut  seule  indépendante  des 
Romains. 

(2)  Relicii  à  Cœsare  quod  inacessihiles  crederentur  Jïïetiapii,  Grudii, 
Pleumosii,  Centronics,  Gorduni,  Levaci  et  insularum  incolœ,  ac  permissi  in 
solo  romano  {quo  nomine  Galliam  universam  vocabant)  habitacula  sihi  figere 
prϔicenter,  in  propriis  ah  origine  sedibus  atque  in  sinu  sua  indigence  et  quies- 
centes ,  tamquam  suis,  ut  passim  loquuntur  panegyristœ  et  Ammianus  Mar- 
celîinus.  Sic  olim  Cato  et  alii  imperatores  quos  devincere  non  potuere , 
liheros  reliquerunt,  imô  et  pronuntiarunt  (OElius  Spartian,  in  Adriano).  Lycia 
et  Palestina  rebelles  animos  efferebant ,  quare  omnia  trans  Euphratem  ae 
Tygrim  reliquit  (Adrianus),  exemplo,  ut  dicebat,  Catonis  qui  Macedones 
liheros  pronunciavit  quia  teneri  non  poteranf. 

Plus  loin  encore  Vredius  dit  :  Menapios,  Pleumosios,  Cenfrones,  Levacos, 
Toxandros   in  avila  libsrlate  et  propriis  ah  origine  sedibus  mliquit ,  termi- 


-^  447  — 

Cette  opinion  de  Vredius  et  de  Poutrain  a  été  aussi 
adoptée  et  développée  par  M.  Raepsaet.  Appuyée,  sinon  par 
des  documens  anciens  positifs  et  d'une  authenticité  con- 
statée ,  au  moins  par  des  probabilités  et  des  raisonnemens 
tellement  plausibles  qu'ils  peuvent  en  quelque  sorte  en 
tenir  lieu  ,  cette  hypothèse  prouverait  que  tandis  que  les 
peuples  les  plus  puissans  et  les  pi  us  bellicjueux  de  la  Gaule  su- 
bissaient le  joug  des  Romains,  la  faible  peuplade  desMéna- 
piens  défia  avec  succès  tous  les  efforts  du  plus  grand  homme 
de  guerre  de  lantiquité,  et  qu'après  la  mort  de  César,  les 
empereurs  romains,  maîtres  de  la  plus  belle  partie  du 
globe  connu ,  ne  songèrent  point  à  renouveler  ses  tenta- 
tives infructueuses  et  s'incjuiétèrent  peu  d'agrandir  leur 
immense  empire  d'un  coin  de  terre  couvert  de  marais  et 
de  forets ,  telle  qu'était  la  Flandre  à  cette  époque;  qu'ils  y 
laissèrent  vivre  libres  et  indépendans ,  ses  pauvres  et  sau- 
vages habitans,  se  contentant  de  lever  a  l'extrémité  de  leur 
pays,  quelques  forts  pour  les  tenir  en  respect  et  leur  barrer 
le  passage  si  l'appât  du  butin  leur  suggérait  de  faire  quel- 
qu'incursion  sur  le  territoire  romain.  Ce  qui  fortifie  encore 
davantage  cette  opinion,  c'est  le  peu  de  détails  que  nous 
trouvons  dans  les  documens  historicfues  et  géographiques 
des  cinq  premiers  siècles  de  Tère  vulgaire,  sur  la  Flandre 
actuelle,  dont  ces  écrits  ne  s'occupent  pas  davantage  que  si 
c'eut  été  une  de  ces  contrées  que  les  géographes  anciens  ne 
désignent  que  par  les  mots  de  terra  incognita  :  dans  aucun 
monument  des  cinq  premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire ,  il 
n'est  fait  mention  d'une  seule  ville  ou  bourgade  de  la 
Flandre;  le  Castellum  Menapiorum  (Cassel)  et  Tournai, 
sont  les  seuls  endroits  du  pays  des  Ménapiens,  connus  des 
auteurs  romains  ou  mentionnés  dans  les  itinéraires  et 

nosque  imperii  romani conslUuit  ad  frelumBritannicum,  Bonoiiiam  (Vredius, 
Flandr.  elhnica  ). 


~  448  — 

sur  les  caries  romaines;  la  Notice  de  l'Empire  n'indique 
aucun  poste  militaire  dans  les  deux  Flandres  actuelles , 
comme  elle  le  fait  dans  les  autres  parties  des  Gaules  ;  la 
Notice  des  Gaules  ne  connaît  ni  ville  ni  bourg  dans  ces 
deux  provinces ,  aujourd'hui  les  plus  riches  et  les  plus  peu- 
ple'es  de  la  Belgique,  et  dont  dëja  Philippe  II  disait  qu'elles 
ne  formaient  qu'une  ville  continue  et  d'une  immense 
e' tendue. 

C'est  a  tort  que  des  auteurs  modernes  ont  prétendu  que 
les  Romains  eurent  des  établissemens  fixes  dans  l'inte'rieur 
de  la  Flandre ,  par  cela  seul  qu'on  y  a  découvert  en  plu- 
sieurs endroits  des  armes ,  des  monnaies,  des  anneaux ,  des 
figurines  et  autres  objets  antiques  de  cette  nature.  Ces  de- 
couvertes  ne  suffisent  nullement  pour  constater  le  séjour 
des  Romains  dans  ces  lieux,  parce  que  des  objets  semblables 
ont  e'te'  trouves  jusqu'au  centre  et  dans  les  parties  les  plus 
reculées  de  la  Germanie ,  dans  des  contrées  enfin  où  les  ar- 
mées romaines  ne  pénétrèrent  jamais  (1)  et  où  ces  monnaies 
et  autres  antiques  doivent  avoir  été  nécessairement  trans- 
portés par  les  barbares  eux-mêmes ,  soit  qu'ils  les  eussent 
enlevés  dans  leurs  fréquentes  incursions  sur  le  territoire  de 
l'Empire  ,  soit  qu'ils  les  eussent  reçus  a  titre  de  présens 
ou  comme  solde  militaire  (2).  Les  auteurs  anciens  attestent 

(1)  Patethinc,  dit  le  judicieux  Cleffel ,  quantum  falluntur  ii  qui  ex 
numis  in  terra  repertis  certum  argumentum  invenisse  credunt  Romanos  ad 
ea  locapervenisse,  atque  suhjugatis  gentibus  stativa  sibiibi  habuisse.  Etenim 
Romanorum  aliarumque  nationum  numi  in  iis  sœpius  locis  inveniuntur  qiiœ 
Romanis  ne  visa  imo  ne  audita  quidem.  Septuaginta  ferè  numos  propè  Rens- 
burgum  Holsatiœ  effossos,  olim  vidi.  In  Fionia  et  aliis  insulis  maris  baltici 
repertos  collegit  civis  othoniensis  nnnc  defunctus.  Antonini  PU  duos  numos 
pariter  in  Holsatiâ  repertos  mihi  monstravit  amicus,  pluresque  alii  in  sep- 
tentrione  repertos  colle gerunt.  Sed  eo  arma  Romanorum  pénétrasse  nemo 
unquam profitebitur  (Germanos)  (Cleffel,  Germ.  antiq.,  c.  10,  §9). 

(l)  Est  videre  apud  illos  argentea  vasa,  legatis  et  princibus  eorum  muneri 
data,  non  in  aUa  vililate  quam  quœ  humo  fingunfur,  quamquam  proximi 


--  449  — 

€11  elTel  que  les  barbares  étaient  très-avides  de  l'argent 
romain  et  que  les  Romains  leur  payaient  annuellement  de 
Tortes  sommes,  soit  a  titre  de  solde  pour  les  corps  de  troupes 
auxiliaires  qu'ils  fournissaient  aux  armées  romaines ,  soit 
à  titre  de  tribut  que  les  empereurs  e'taient  contraints  de 
leur  payer ,  à  1  époque  de  la  de'cadence  deTEmpire  (1).  Ne 
pourrait-on  pas  attribuer  a  des  causes  semblables ,  la  dé- 
couverte d'antiquités  romaines  dans  les  parties  les  plus  reti- 
rées du  pays  des  Ménapiens  ?  Le  commerce  considérable  de 
salaisons  et  de  volaille  que  les  Morins  et  les  Ménapiens  fai- 
saient avec  les  Romains  ,  non  moins  que  la  piraterie  exer- 
cée sur  les  côtes  de  l'Empire  par  les  Saxons,  aux  ^^  et 
5®  siècles ,  peuvent  avoir  également  contribué  à  l'introduc- 
tion dans  la  Ménapie  de  la  monnaie  romaine ,  d'armes , 
d'objets  de  parure  et  d'ustensiles  de  ménage. 

Les  différentes  colonies  de  Germains  introduites  dans 
les  parties  les  plus  désertes  de  la  Belgique  par  Probus  ,  par 
Constance  et  par  Maximien ,  obtinrent  toutes  la  préroga- 
tive d'être  commandées  par  des  chefs  nationaux  et  de  vivre 
suivant  leurs  coutumes  et  lois  nationales  (2).  Les  Saliens , 

oh  usum  commercionim ,  aurum  et  argentum    in  prelio  hahent,  formasqua 

quasdam  nostrœ  pecuniœ   apnoscunt  atque  eligunt ,  pecuniam  probant 

veterem  et  diù  notam ,  seiratos  higatosque  ;  argentum  quoque  magis  quam 
aurum  sequuntur ,  nullâ  affectione  animi,  sed  quia  numerus  argenteorum 
facilior  usui  est  promiscua  ac  viîia  mercantihus  (  Tac.  M.  G.,  c.  5), 

(1)  Sunt  enim  Germani  pecuniœ  itnprimis  avidi^  nunquamque  non  auro 
pacem  Romanis  compotiunt  (  Herodian.,  Hist.  Rom.  ). 

Illi  terrihilea  quibus  otia  vendere  semper 
Mos  erat ,  et  fœda  requiem,  mercede  pacisci, 

(Claudian). 

(2)  IJt  in  deseriis  Galliœ  regionibus  collocatœ,  etiam  pacem  rotnani  imperii 
•euîlu  juvarent  et  arma  delectu  (  Eumen.,  pajieg.   Const.  ). 

C'est  ainsi  que  l'empereur  Honorius  permit  aux  Visigoths  de  s'établir  sur 
les  bords  du  Rbône ,  avec  la  liberté  d'y  vivre  libres  et  indépendans,  à  la  seule 
condition  d'aider  les  Romains  dans  leurs  entreprises  militaires  (Dubos, 
Hist.  crit.  de  Vètahliss.  de  la  monarchie  franc.,  1.  IV,  c.  4). 

Dubos  prétend  à  tort  que  ce  peuple  barbare  fut  le  premier  qui  obtint  des 
empereurs  le  droit  de  constituer  une  nation  Indépendante  sur  le  sol  de 
Tome  I.  29 


—  450  — 

les  Saxons  et  autres  peuplades  qui ,  depuis  le  3^  siècle,  vin- 
rent occuper  de  vive  force  une  partie  de  la  Belgique,  ne 
daignèrent  même  pas  reconnaître  les  Romains  pour  leurs 
suzerains.  La  ligue  saxone ,  qui  dès  le  4®  siècle  paraît  s'être 
mise  en  possession  d'une  grande  partie  des  côtes  de  la  Flan- 
dre ,  osa  faire  une  guerre  ouverte  aux  Romains ,  piller  jus- 
qu'aux cotes  de  la  Sicile  et  de  l'Afrique  (1)  et  venir  faire  le 
partage  des  fruits  de  leurs  rapines  dans  le  sein  même  de 
l'Empire.  11  est  vrai  que  l'on  voit  ces  mêmes  Saxons  faire 
partie  de  l'armée  d'Aétius,  a  la  fameuse  bataille  c|ue  ce  géné- 
ral romain  livra  a  Attila  près  de  Chàlons-sur-Marne,  l'an  451  ; 
mais  ce  n  était  point  en  qualité  de  sujets  ou  tributaires  des 
Romains  que  les  Saxons  servaient  alors  dans  l'armée  de  ces 
derniers  :  comme  tant  d'autres  peuples  francs  et  allemands, 
ils  prirent  parti  pour  les  Romains,  non  pour  soutenir  leur 
empire  chancelant,  mais  pour  résister  en  commun  a  Attila, 
ce  terrible  roi  des  Huns,  ennemi  non  moins  redoutable  aux 
peuples  indépendans  de  la  Germanie,  qu'aux  Romains  (2). 

lEmpire;  les  Germains  qui  se  fixèrent  en  Belgique  dès  le  règne  d'Auguste, 
jouirent  de  la  même  prérogative. 

(1)  Gallicanos  vero  tractiis  Franci  et  Saxones  iisdem  confines,  quo  quisque 
erumpere  potuit,  terra  vel  mari,  prœdiis  acerbis  incendiisque  violahanl 
{  Amm.  Marcell.,  l.  XXVll,  c.  8,  l.  XXX,  c.  7). 

Çuin  et  armoricvs  piratam  Saxona  tractu» 
Spernhat  ;  cui  pelle  salum  sulcare  hritanniim 
Ludus  ,  et  asuto  jî aucum  mare  findere  leviho 

(Sidon.  t^YtOl.,  paneg.  Avilie. 

«  Toute  cette  côte  du  pays  des  Ménapiens  et  des  Morins,  dit  M.  Raepsact. 
occupée  par  les  colonies  de  Germains  connus  sous  le  nom  général  de  Saxons 
depuis  Boulop'ne  jusqu'en  Zélande  en  avait  pris  le  nom  de  litiiis  Saxonicum. 
Ces  Saxons  étalent  venus  s'établir  successivement  dans  la  Belgique,  comme 
tous  les  Germains;  c'est-a-dire ,  de  gré  ou  de  force,  occupant  les  cantons 
qui  leur  convenaient,  et  avaient  continué  à  faire  des  génies  ou  peuplades  à 
part Chacune  de  ces  gentes  delà  nation  saxone  y  vivait  sous  le  comman- 
dement de  son  chef,  princeps,  comme  elles  vivaient  au-delà  du  Rhin,  suivant 
le  témoignage  de  Tacite.  Les  Romains  ayant  conquis  la  Belgique  y  ont 
établi  les  tractus  ^  et  entre  autres,  celui  d'^rmoncawt  Uttoris,  qui  comprenait 
ce  littus  Saxonicum.  »  (Raepsaet,  Analyse ,  etc.,  tom.  l,p.  85). 

(2)  m  enim  adfuère  auxiliares  :  Franci,  Saxones,  Riparioli  (Jornandes , 


—  45Î  — 

Cest  une  chose  digne  de  remarque  que  non -seule- 
ment la  côle  de  la  Flandre ,  mais  encore  prescjue  toute 
la  cote  occidentale  de  la  France ,  connue  sous  la  de'- 
nomination  à'Armorique ,  est  la  partie  des  Gaules  où  Ion 
observe  le  moins  de  traces  du  séjour  et  de  la  domina- 
tion des  Romains,  et,  pour  cette  raison,  celle  encore  qui 
de  nos  jours  conserve  le  plus  de  vestiges  de  la  langue  ,  des 
mœurs ,  des  usages  et  des  superstitions  des  Celtes,  Ces  tra- 
ces se  retrouvent  surtout  dans  la  Bretagne  et  existaient  pro- 
bablement de  même  dans  la  Normandie  avant  que  cett« 
ancienne  province  ne  fut  envahie  par  les  Normands.  Tandis 
que  le  midi,  Test  et  la  partie  centrale  des  Gaules,  e'taient 
traverse's  en  tous  sens  par  un  grand  nombre  de  routes  ro- 
maines ,  la  Table  de  Peutinger  ne  connaît  que  deux  de  ces 
voies  militaires  dans  toute  l'étendue  de  la  Bretagne  ,  lune 
longeant  la  cote,  et  Tautre  conduisant  de  Nantes  a  Brest; 
et  dans  le  long  espace  qui  sépare  ces  deux  villes,  on  ne  trou- 
vait que  de  simples  stations  de  poste  el  pas  une  seule  ville; 
au  moins  la  Table  de  Peutinger  n  ajoute-t-elle  a  aucun  des 
endroits  quelle  indique  sur  cette  route,  la  marque  par 
laquelle  elle  a  coutume  de  distinguer  les  villes  des  lieux 
moins  importans.  Il  est  a  croire  que  dès  la  fin  du  quatrième 
siècle,  les  Romains  avaient  déjà  abandonné  une  grande 
partie  du  peu  d'établissemens  cjuils  occupaient  dans  la 
Bretagne,  et  même  tous  ceux  situés  a  l'ouest  de  Rennes, 
parce  que  l'itinéraire  d'Antonin ,  composé  à  cette  époque , 
ne  mentionne  plus  quelques  voies  militaires  de  la  Bretagne 


de  reb.  get.,  c.  36).  Fuere  intereà  Romanis  auxilio  Franci ,  Saxones ,  Ripa- 
rioli,  Armoritiani f  Liticiani,  etc.  (Paul.  Diac,  de  gest  Roman.,  lib.  XV). 

Les  Riparioli  ou  Ripuarii  sont  une  division  des  Ftancs,  ainsi  surnommée 
parce  qu'elle  s'établit  au  quatrième  siècle  sur  la  rive  gauche  du  Rhin,  de- 
puis Cologne  jusqu'à  Nimègue. 

Les  Liticiani ,   sont  les  Lctos .  dont  nous  parlons  ailleurs. 


—  452  — 

décrites  par  la  Table  de  Peutinger  au  second  siècle,  et  garde 
un  silence  absolu  sur  tout  ce  qui  est  à  l'ouest  de  Rennes  (1). 

A  l'appui  de  ce  que  nous  avons  avancé  sur  la  condition 
politique  des  Belges  sous  la  domination  romaine ,  et  sur  les 
prérogatives  que  les  Piomains  accordèrent  à  plusieurs  peu- 
ples des  Gaules,  nous  rapporterons  encore  l'opinion  énoncée 
sur  la  même  question  par  un  des  plus  savans  jurisconsultes 
de  la  France  :        ^ 

«  C'est ,  dit  Taillandier,  une  des  questions  les  plus  épi- 
neuses que  peut  faire  naître  l'étude  de  ces  temps  enfouis 
dans  les  ténèbres ,  que  celle  de  savoir  si  les  Romains ,  en 
appliquant  aux  provinces  gauloises  soumises  par  leurs 
armes,  la  forme  extérieure  de  leur  administration  provin- 
ciale ,  leur  imposèrent  aussi  l'obligation  d'adopter  leur  lé- 
gislation ;  mais  il  ne  faudrait  pas  croire  que  la  puissance 
romaine  eut  été  consolidée  au  même  degré  dans  la  vaste 
étendue  des  Gaules  ;  les  provinces  de  la  Gaule  septentrio- 
nale surtout  ne  subirent  qu'a  regret  le  joug  de  la  conquête, 
et  tandis  que  les  méridionaux  n'avaient  montré  que  peu  de 
résistance  et  adoptaient  avec  une  résignation  servile  les 
moeurs,  les  usages,  le  langage  du  peuple  vainqueur,  ceux 
du  nord,  au  contraire,  déployaient  une  haine  énergique 

(1)  Voir  Mannert,  Géographie  der  GriecJien  und  Romern  ,  2'  th.  1^'  band. 

La  Bretagne  fut  aussi  de  toutes  les  parties  de  la  Gaule,  si  l'on  en  excepte 
peut-être  la  Belgique,  celle  qui  secoua  la  première  le  joug  des  Romains.  Cette 
contrée  dut,  suivant  M.  Daru ,  son  affranchissement  a  une  colonie  venue  de 
la  Grande-Bretagne,  la  troisième  qui  se  serait  fixée  dans  l'Armorique,  vers 
la  fin  du  troisième  siècle,  et  se  serait  rendue  maîtresse  de  la  Bretagne  entière  : 
«le  résultat  de  cette  conquête,  dit  cet  auteur,  fut  la  destruction  de  la  puis- 
sance romaine  dans  le  pays.  L'Armorique  changea  de  maîtres  ,  et ,  en  rece- 
vant un  roi  étranger,  les  Armoricains  devinrent  une  nation  indépendante. 
C'est  par  cette  révolution,  qui  amena  un  ordre  de  choses  tout  a  fait  imprévu, 
que  commence  l'histoire  de  la  Bretagne  »  (Daru,  Uist.  de  Bretagne.)  — La 
Bretagne,  suivant  M.  Daru,  fut  gouvernée  par  ses  propres  souverains  jusqu'au 
10°  S'ècle. 


«-  453  — 

contre  le  nom  romain  et  repoussaient  avec  orgueil  tout  ce 
que  l'e'tranger  voulait  leur  imposer, 

«  Aussi  Pline  le  naturaliste ,  dans  la  description  qu'il 
a  laissée  de  la  Gaule  septentrionale,  dit-il,  que  presque  tous 
les  peuples  se  gouvernaient  suis  Jegibus  ^  a  titre  d'alliance 
et  même  de  liberté  (Hist.  nat.,  lib.  IV).  Avec  une  disposi- 
tion aussi  prononcée  à  voir  en  horreur  le  joug  des  Romains, 
il  serait  difficile  de  croire  que  les  Gaulois  septentrionaux 
eussent  jamais  consenti  à  l'adoption  de  la  législation  ro- 
maine  Une  considération  nous  parait  prédominer  sur 

toutes  celles  que  l'on  peut  invoejuer  pour  ou  contre  l'opi- 
nion relative  à  la  législation  civile  de  la  Gaule  septentrio- 
nale sous  la  domination  romaine  :  Cette  domination  a 
duré  cinq  siècles.  Or  il  est  fort  probable  que  si,  pendant 
un  aussi  long  espace  de  temps,  les  peuples  de  cette  partie 
des  Gaules  eussent  été  obligés  d'abandonner  leurs  vieilles 
coutumes;  si  la  communauté  entre  époux  eut  fait  place  au 
régime  dotal  des  Romains ,  par  exemple,  ils  auraient  perdu 
la  mémoire  de  cet  usage  de  leurs  ancêtres,  et  les  généra- 
tions qui  se  sont  succédées  pendant  la  domination  romaine 
ayant  adopté  une  nouvelle  législation  ,  n'auraient  pas  pi  us 
tard,  et  lorsque  la  puissance  du  vainqueur  était  anéantie, 
songé  à  retourner  a  des  coutumes  qui  n'étaient  conservées 
dans  aucun  livre  et  dont  la  tradition  avait  dû  nécessaire- 
ment s'effacer. 

«  Ce  spectacle,  en  effet ,  a  eu  lieu  dans  la  Gaule  méridio- 
nale. La  tous  les  monumens  l'attestent;  le  joug  romain  fut 
supporté  avec  moins  d'impatience,  les  habitudes  se  façonnè- 
rent a  celles  du  vainqueur;  et  quel  en  fut  le  résultat?  c'est 
qu'après  la  retraite  des  Romains  leur  législation  continua 
de  subsister,  et  qu'encore  aujourd'hui,  après  tant  de  siècles 
écoulés ,  après  l'accumulation  d'un  si  grand  nombre  de 
générations,  cette  législation  est  encore  toute  vivante  et  ne 


454  -- 


ploie  qu'à  regret  devant  le  code  célèbre  appelé  a  régir  dé- 
sormais les  destinées  de  tous  les  Français.  » 

«  Sous  la  domination  romaine,  dit  enfin  le  même  auteur, 
les  habitans  des  Gaules  septentrionales,  quoique  assujétis 
aux  formes  extérieures  de  ladministration  provinciale  du 
peuple  conquérant,  n'adoptèrent  point  son  droit  civil  et  par- 
vinrent à  consulter  leurs  anciennes  coutumes  locales  (1)» 
Cependant,  si  tout  paraît  attester  que  sous  l'Empire  ro- 
main, les  peuples  de  la  Belgique  conservèrent  leurs  lois 
et  leur  gouvernement  national;  quoique  Pline  et  Tacite 
donnent  aux  Nerviens  et  aux  Tréviriens  le  titre  de  peuples 
libres,  et  Procope  aux  Tongrois ,  celui  de  peuple  autonome  ; 
quoique  toutes  les  colonies  de  Germains  introduites  dans  la 
Belgique  pendant  les  quatre  siècles  de  la  domination  ro- 
maine aient  joui  des  mêmes  prérogatives,  et  que  des  preuves 
authentiques  et  multipliées  paraissent  attester  que  la 
majeure  partie  des  Ménapiens  resta  indépendante  et  sut 
se  soustraire  constamment  a  la  domination  romaine,  il  n'est 
pas  moins  certain  que ,  bien  que  chaque  peuplade  de  la 
Belgique  conservât  son  gouvernement  national,  cette  frac- 
tion des  Gaules  fut ,  comme  les  autres  parties  de  l'empire , 
soumise  a  la  circonscription  territoriale  et  administrative 
établie  par  Auguste  et  ses  successeurs  ,  c'est-à-dire,  qu'elle 
fut  divisée  en  provinces  régies  par  des  gouverneurs  romains, 
dont,  du  reste ,  les  fonctions  se  bornaient  probablement 
chez  les  Belges  libres,  à  convoquer  les  assemblées  nationales 
dans  les  circonstances  oii  Texigeaient  les  intérêts  de  Feni- 
pire  (comme  lorsque  les  Belges  devaient  fournir  une  levée 
extraordinaire  de  troupes  auxiliaires),  à  veiller  au  maintien 
de  l'ordre  et  du  repos  publics ,  à  réprimer  les  invasions  des 

(1)  Taillandier,  Mémoire  sur  l'état  de  la  législation  française  sous  la 
première  race,  dans  les  Mémoires  de  la  société  des  antiquaires  de  France, 
(orne  9. 


—  455 


barbares ,  a  décider  des  diUerens  qui  s'élevaient  entre  les 
Romains  ou  entre  les  Romains  et  les  regnicoles,  à  recueil- 
lir les  impôts  et  revenus  du  domaine,  etc.  (1).  Tels  furent 
aussi  les  devoirs  et  fonctions  des  magistrats  romains  qui 
commandaient  dans  le  pays  des  Bataves ,  peuple  dont  la 
condition  politique  fut,  sous  la  domination  romaine,  a  peu 
près  la  même  que  celle  des  Belges. 

Aussi  longtemps  que  subsista  la  première  délimitation 
des  Gaules  ordonnée  par  Tempereur  Auguste,  la  Belgique 
actuelle  dépendit  des  gouverneurs  de  la  province  de  Belgi- 
que et  de  celle  de  la  Germanique.  Ces  magistrats  réunissaient 
le  pouvoir  civil  et  militaire.  Mais  en  changeant  les  limites 
des  provinces  des  Gaules,  Constantin  voulant  prévenir  le& 
abus  qui  naissaient  de  ce  conflit  de  pouvoirs,  ôta  aux  gou- 
verneurs le  commandement  militaire  et  ne  leur  laissa  que 


(I)  Les  jTouverneurs  des  provinces  étaient  chargées  de  la  perception  des 
impôts,  de  la  direction  des  domaines  publics  et  de  la  poste  impériale,  du 
recrutement  et  de  l'administration  des  armées  et  de  celle  de  la  justice.  Toute 
juridiction  civile  et  criminelle  leur  appartenait,  excepté  dans  les  villes  qui 
jouissaient  du  droit  italique  [jus  italicum)  ^  où  les  magistrats  municipaux 
exerçaient,  sauf  appel,  une  véritable  juridiction. 

Depuis  le  milieu  du  4^  siècle,  il  y  eut  dans  toutes  les  villes  un  magistrat 
portant  le  titre  de  défenseur,  élu  par  la  curie  et  le  peuple  en  corps  et  chargé 
de  défendre  les  intérêts  de  la  cité.  Il  jugeait  en  première  instance  les  pro- 
cédures en  matière  civile  et  certaines  causes  de  police  correctionnelle.  Ces 
deux  cas  exceptés,  les  gouverneurs  jugeaient  seuls  tous  les  procès.  Sous 
Alexandre  Sévère,  les  gouverneurs  de  province  recevaient  pour  traitement 
annuel  vingt  livres  d'argent  et  cent  pièces  d'or,  six  cruches  (pJiialas)  de 
vin,  deux  mulets  et  deux  chevaux,  deux  habits  de  parade  (vestes  foreuses) 
un  habit  simple  (  vestes  domesticas  )  ,  une  baignoire,  un  cuisinier,  un 
muletier  et,  s'ils  étaient  célibataires,  une  concubine  iquod  sine  liis  esse  non 
passent. 

En  sortant  de  charge,  ils  rendaient  les  mulets,  les  chevaux,  le  muletier  et 
le  cuisinier.  Si  Tempereur  était  content  de  leur  administration,  ils  gar- 
daient le  reste,  sinon  ils  devaient  le  restituer  au  quadruple.  Sous  Théodose  II, 
les  gouverneurs  cessèrent  de  recevoir  un  traitement  en  naturo  (  Lamprid  , 
t.  42).  Voir  Guizot,  Cours  d'hùf.  1829,  p.  50. 


Tautorite  civile.  Des  quatre  preTets  du  prétoire  quil  cre'a 
pour  tout  Tempir  e ,  il  en  établit  un  sur  les  Gaules,  l'Espagne 
et  la  Grande-Bretagne.  Ce  préfet  avait  sous  lui  trois  vicaires 
qui  régissaient  chacun  un  de  ces  trois  pays.  Le  vicaire  des 
Gaules  avait  dans  son  déparlement  dix-sept  gouverneurs 
(redores)  pour  les  dix-sept  provinces  des  Gaules.  Onze  de 
ces  gouverneurs  portaient  le  titre  de  présidens  (prœsldes)  ^ 
et  les  six  autres  celui  de  consulaires  (consulares) ,  litre  plus 
relevé  que  ce  dernier.  La  première  et  la  seconde  Bel- 
gique et  la  seconde  Germanique,  dans  les  limites  desquelles 
était  comprise  la  Belgique  actuelle  ,  depuis  la  nouvelle  dé- 
limitation établie  par  Constantin ,  étaient  gouvernées  par 
des  consulaires.  Le  iractus  Arinoricanus  et  Nervicanus ,  la 
seconde  Belgique  et  la  première  Germanique  avaient  clia  • 
cune  pour  chef  militaire  un  général  appelé  duc  {dux)  (1). 
On  ne  peut  douter  que  le  petit  nombre  de  villes  de  la 
Belgique ,  fondées  et  habitées  par  des  Romains ,  les  indi- 
gènes continuant  la  plupart  à  vivre  dispersés,  suivant  la 
coutume  des  Germains ,  ne  fussent  sous  le  commandement 
direct  des  gouverneurs ,  qui  faisaient  leur  résidence  dans 
les  chefs  lieux  des  provinces.  Ces  villes  étaient  des  muni- 
cipes,  c est-a-dire  quelles  nommaient  leurs  propres  magis- 
trats, et,  qu outre  le  droit  romain,  elles  avaient  encore 
leurs  lois  locales  (2).  Elles  étaient  régies  par  un  conseil 
appelé  curie  et  composé  de  décurions ,  ainsi  nommés  parce 
qu'ils  étaient  au  nombre  de  dix.  Ils  étaient  choisis  parmi 
les  habitans  les  plus  opulens  de  la  cité  et  devaient  posséder 
chacun  vingt-cinq  arpens  de  terre.  Les  fils  des  décurions 
succédaient  a  leur  père.  Le  fils  de  famille  sous  la  puissance 
paternelle  pouvait  être  décurion,  mais  sous  la  responsabilité 

(1)  IVotUia  dignitatum  impetii 

(2)  Municipes  propriè  sunt  cives  romani  e.r  mufiictpiis  suo  Jure  cl  hgihu» 
iittnU'S  (Aulugeil..  lib.  16,  c.  13}. 


—  457  — 

et  avec  le  consentement  de  son  père.  On  tirait  du  corps  des 
dëcurions  tous  les  autres  officiers  de  la  ville ,  tels  que  les 
édiles,  charge's  de  l'entretien  et  de  Tinspection  des  édifices 
publics ,  des  rues,  des  marchés  ,  etc.,  les  greffiers  de  la  ville, 
appele's  dictateurs  (du  mot  dictare),  les  censeurs,  charge's 
de  tenir  un  registre  exact  du  nom  et  de  la  fortune  des  ha- 
bitans ,  afin  que  les  charges  publiques  et  les  impôts  fussent 
proportionnés  aux  moyens  pécuniaires  de  chaque  contri- 
buable ,  et  que  personne  ne  fut  admis  parmi  les  décurions 
sans  en  avoir  la  capacité  requise. 

Les  questeurs ,  les  gymnastes  et  les  officiers  de  la  police 
étaient  également  tirés  du  corps  des  décurions.  Les  décu- 
rions nommaient  leurs  présidons,  les  triumvirs  et  les  défen- 
seurs de  la  cité.  Aucun  notaire  ni  officier  public  qui  ré- 
digeait des  testamens  ou  autres  actes  solennels ,  enfin  tout 
fonctionnaire  cjui  avait  une  grande  responsabilité  a  remplir, 
ne  pouvait  exercer  son  état  sans  y  être  autorisé  par  un 
décret  des  décurions. 

Le  président  des  décurions  jouissait  de  cjuelques  pré- 
rogatives ,  de  même  que  les  décurions  qui  étaient  exempts 
des  impots  extraordinaires  levés  sur  le  peuple  dans  des  cas 
urgens.  Après  avoir  été  décurion ,  on  ne  pouvait  être  con- 
traint à  remplir  une  charge  inférieure.  Si  Ton  était  rappelé 
à  un  nouveau  terme,  le  premier  comptait  pour  le  rang 
d'ancienneté  et  de  préséance  ;  caries  décurions  dirigeaient 
les  affaires  intérieures  de  la  cité,  non  à  tour  de  rôle ,  mais 
suivant  leur  fortune  et  leur  mérite  personnel ,  et  on  ne 
pouvait  parvenir  aux  premiers  rangs  de  la  magistrature 
sans  avoir  rempli  les  charges  inférieures.  Dans  le  temps  de 
la  république  et  sous  les  premiers  empereurs ,  on  laissa  aux 
décurions,  dans  les  provinces  ,  la  faculté  accordée  autrefois 
aux  chevaliers  romains ,  de  prendre ,  comme  abondante  en 
bénéfices ,  la  ferme  des  revenus  publics.  «  Rien  n'était  plus 


—  458  — 

contraire  aux  intérêts  généraux,  dit  Toulotte.  Theodosc 
lapprit  par  de  rëvolians  abus  et  de  graves  extorsions.  Il 
supprima  un  mode  qui  enrichissait  par  la  ruine  de  la  masse 
du  peuple  ,  cpielques  dëcurions  privile'gies  (1).  On  mit  de- 
puis lors  aux  enchères  toutes  les  branches  du  revenu  public, 
on  ne  les  adjugeait  qu  au  dernier  et  plus  offrant  enché- 
risseur. 

»  Par  des  raisons  à  peu  près  semblables,  on  empêcha  les 
décurions  de  prendre  la  ferme  des  domaines  de  Tétat.  La 
même  défense  s'étendit  aux  receveurs  généraux  qui  tou- 
chaient un  traitement  fixe  du  public,  pour  lever  des  taxes 
et  des  impots  sur  les  habitans  des  villes  (2).  Les  différentes 
charges  a  rétribution,  comme  lemploi  d'inspecteur  et  de 
régulateur  de  Fimpot  foncier,  enfin  tous  les  autres  offices 
semblables  étaient  confiés  dans  les  provinces  aux  primats. 
On  voulait  récompenser  en  même  temps  ces  décurions  des 
services  qu  ils  avaient  rendus,  et  s'assurer  par  ces  choix  que 
Tordre  régnerait  dans  cette  partie  de  l'administration  ;  on 
supposait  qu'étant  élevés  au  rang  des  primats,  ces  décu- 
rions seraient  au-dessus  d'une  infinité  de  séductions  aux- 
quelles sont  nécessairement  exposées  les  personnes  revêtues 
de  pareilles  charges.  C'est  dans  cette  classe  que  les  citoyens 
d'un  rang  inférieur ,  et  que  Ton  appelait  plébéiens  ,  pou- 
vaient se  choisir  des  patrons,  \vant  l'institution  des  défen- 
seurs, ces  patrons  leur  en  tenaient  lieu.  Ils  devaient  du 
moins  protéger  leurs  personnes  et  leurs  propriétés,  leur 
servir  aussi  d'avocat  et  de  conseil  ;  cela  se  fit,  plus  ou  moins 
bien ,  tout  le  temps  que  la  profession  d'avocat  ne  fut  point 
vénale  (3).  » 

Si  les  décurions  jouissaient  de  certains  privilèges,  ces  fa- 

(1)  Cod.  Theod.,  Xll,  1,97. 

(2)  Cod.  Theod.,  XI,  tlt.  48. 

(3)  Toulotte.  Hist.  de  la  barbarie  et  des  lois  au  rnoijenoge.  torn.  I,  p.  29. 


—  459  — 

veursn'atënuaient  guère  les  charges  onéreuses  que  les  décu- 
rions devaient  supporter  et  qui  rendaient  ledëcurionat  une 
dignité  peu  enviée.  x4ucun  cmial ,  destiné  par  sa  naissance 
a  être  décurion ,  ne  pouvait  vendre  ses  biens  immeubles 
sans  y  être  autorisé  par  le  juge,  ni  quitter  la  ville,  sous  peine 
de  séquestration  et  de  confiscation  ;  s'il  s'était  soustrait  par 
la  fuite  et  qu'on  parvenait  à  s'emparer  de  sa  personne,  il 
était  contraint  a  servir  un  terme  double. 

Quelquefois  les  décurions  devaient  se  procurer  des  pro- 
visions et  les  vendre  aux  citoyens  à  un  prix  juste  et  déter- 
miné. Ailleurs  c'étaient  les  plus  riches  des  plébéiens  qui 
approvisionnaient  les  villes  de  blé  et  d'autres  comestibles- 
Les  fils  des  vétérans  que  des  infirmités  empêchaient  de  re- 
joindre l'armée,  ne  pouvaient  se  dispenser  de  faire  partie 
du  sénat  de  l'une  des  villes  de  la  province  où  étaient  situés 
les  biens  assignés  à  leur  père  (1). 

La  justice  était  rendue  dans  les  villes  par  les  défenseurs  de 
la  cité  {defensores  civitatis)^  qui,  depuis  le  règne  de  Constan- 
tin, furent  a  la  nomination  des  évêques,  du  clergé  et  des  no- 
tables de  la  ville.  Ils  jugeaient  des  causes  sommaires  jusqu'à 
la  valeur  de  50  sols,  et  dans  la  suite  jusqu'à  celle  de300sols, 
sauf  appel.  Les  autres  causes  étaient  de  la  compétence  du 
gouverneur  de  la  province  ou  du  juge  nommé  d'ofHce  par 
lui.  Le  premier  devoir  du  défenseur  de  la  cité  était  de  veil- 
ler aux  intérêts  de  cette  dernière ,  et  de  s'opposer  à  tout 
acte  arbitraire  ou  préjudiciable  à  la  ville  et  à  ses  habitans. 
Il  arrêtait  les  coupables,  et  après  leur  avoir  fait  subir  un 
interrogatoire ,  les  envoyait  devant  le  juge  compétent. 

Depuis  la  nouvelle  organisation  administrative  ordonnée 
par  Constantin ,  le  commandement  des  villes  fut  confié  à 
un  tribun  militaire. 

(1)    Corl.    Theoil,  XK  I,  18. 


—  460  — 

Ces  légers  détails  sur  la  condition  politique  des  villes  des 
Gaules  et  delà  Belgique,  sous  la  domination  romaine,  suf- 
firont pour  donner  une  idée  sommaire  de  leur  régime  mu- 
nicipal. Pour  des  détails  plus  amples,  on  peut  consulter 
Dubos,  Raepsaet,  Guizot,  De  Buat  et  Toulotte  (1). 

ANNALES  DES  FRANCS,  DEPUIS  LE  IIP  JUSQU'AU  VP  SIÈCLE. 

Nous  avons  dit  précédemment  que  César  avait  pour 
principe  politique,  de  ne  permettre  qu'aucune  nouvelle 
émigration  de  Germains  eut  lieu  dans  les  Gaules,  et  qu'Au- 
guste s'écartant  entièrement  de  ce  principe,  non-seulement 
accorda  aux  émigrans  de  la  Germanie  des  terres  sur  le  ter- 
ritoire de  l'Empire ,  mais ,  pour  repeupler  la  Belgique  , 
ordonna  même  d'y  transférer  un  grand  nombre  de  prison- 
niers germains.  Ainsi ,  au  lieu  de  chercher,  comme  César , 
à  éteindre  dans  les  Belges  cet  esprit  national,  cet  esprit 
germanique  si  porté  a  la  guerre ,  si  ennemi  de  toute  do- 
mination ,  il  entretint  et  stimula  ces  passions,  en  fondant 
dans  la  Belgique  de  nombreuses  colonies  de  Germains  : 
Auguste  ne  se  doutait  pas  que  par  cette  conduite  il  pré- 
parait la  ruine  de  l'empire  romain.  Ses  successeurs,  en 
suivant  ses  traces,  ne  firent  qu'accélérer  cette  grande  ca- 
tastrophe. 

Ainsi  nous  avons  vu  au  chapitre  précédent ,  qu'une  mul- 
titude de  Germains  se  fixèrent  en  Belgique  pendant  les 
trois  premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire ,  et  que  dès  le  qua- 
trième siècle  ces  peuples  respectaient  si  peu  l'autorité  ro- 
maine ,  qu'ils  venaient  en  foule  s'établir  sur  les  terres  de 

(1)  Diihos ,  Hist.  dit.  de  Véiahliss.  de  la  monarchie  française,  tom  I. 
Raepsaet,  Analyse ,  etc.,  tom.  I,  p.  166  et  suiv.  Guizot,  Cours  d'histoire. 
1829.  De  Buat,  les  origiyies ,  tom.  2.  Toulotte,  Histoire  de  la  harharie, 
tome  I. 


—  461  — 

l'Empire  a  main  armée  et  sans  en  avoir  obtenu  îe  consen- 
tement des  empereurs  (1).  Les  Belges  décime's  et  réduits  a 
l'impuissance  par  les  guerres  de  la  conquête ,  virent  leurs 
forces  accroître  insensiblement  par  l'arrivée  de  cette  foule 
d'émigrans  germains  de  même  origine  et  de  même  race 
qu  eux  ;  de  sorte  qu'ils  furent  bientôt  en  état  de  réaliser 
l'espoir  qui  ne  les  avait  jamais  abandonné,  de  reconquérir 
leur  ancienne  indépendance ,  et  de  s'affranchir  entièrement 
de  toute  domination  étrangère. 

Vredius  et  Raepsaet  prétendent  que  cette  réaction  com- 
mença par  les  Ménapiens  et  les  Saxons  de  la  Flandre. 
Nous  préférons  de  croire  qu'elle  se  manifesta  en  même 
temps  chez  tous  les  peuples  germains  du  nord  de  la  Bel- 
gique ,  qui  entrèrent  dans  la  grande  ligue  des  Francs  (2). 

Il  serait  trop  long  d'entrer  ici  dans  des  détails  circon- 
stanciés sur  tous  les  efforts  tentés  par  ces  Francs  ,  réunis 
aux  Belges,  pour  expulser  les  Romains  des  Gaules.  Un 
abrégé  chronologique  des  annales  des  Francs  jusqu'à  la  fin 
du  règne  de  Clovis,  que  nous  allons  donner  comme  appen- 
dice de  ce  chapitre ,  fera  connaître  cette  longue  suite  de 
combats  et  d'invasions  par  lesquels  les  confédérés  ger- 
mains parvinrent  enfin,  après  bien  des  échecs  et  des  vic- 
toires, à  atteindre  leur  but,  et  à  se  rendre  maîtres  absolus 
de  la  majeure  partie  des  Gaules. 


(1)  «  On  n^'avait  donné  d'abord  des  terres  a  ces  peuplades,  indépendantes 
des  officiers  civils  et  qui  faisaient  un  état  dans  un  autre  état,  que  dans  les 
provinces  de  l'empire  qui  étaient  frontières.  Bientôt  on  fut  obligé  de  souf- 
frir qu'ils  en  prissent  dans  l'intérieur  des  Gaules  et  même  dans  l'Italie.  On 
fut  obligé  pour  sauver  une  partie  des  Gaules ,  d'en  laisser  une  partie  aux 
Bourguignons  et  aux  autres  peuples  barbares  qui  s'en  emparèrent  par  force 
et  qui,  malgré  l'Empire,  se  firent  ses  troupes  auxiliaires.  »  {Dnhos ,  Hist. 
criL,  etc.f  liv.  I,  c.  10). 

(2)  Voir  l'excellente  Dissertation  sur  Vorigine  des  Francs  Saliens  et  de  la 
loi  Salique ,  par  M.  Peppe  (Brux.,  1828). 


—  462  — 

Lorsqu  après  quatre  cent  soixante-sept  ans  de  domina- 
tion, les  Piomains  eurent  été  entièrement  expulsés  de  toutes 
les  parties  de  la  Belgique  actuelle,  celle-ci  ne  fut  point 
d'abord  englobée  dans  Tempire  franc;  ses  différentes  peu- 
plades continuèrent  jusqu'au  règne  de  Clovis  a  former  de 
petits  €tats  indépendans,  mais  unis  entr'eux  et  à  celui  de 
Fempire  des  Francs  par  le  lien  fédératif.  Seulement  à  la 
piace  des  gouverneurs  romains,  les  Francs  établirent  sur  la 
Belgique  entière  un  gouverneur  de  leur  nation ,  portant 
le  titre  de  comte.  €lovis,  en  faisant  périr  Ciiararic  et 
Ragnacaire  ,  rois  ou  chefs  des  Ubiens  et  des  Nerviens , 
réunit  les  états  de  ces  princes  au  sien.  Peu  de  temps  après, 
favorisé  par  le  sort  des  armes,  il  se  rendit  également 
maître  du  pays  des  Tongrois  (1).  Dompta-t-il  aussi  les  Mé- 
napiens  ,  et ,  plus  heureux  que.  César,  parvint-il  a  conqué- 
rir la  Flandre  ;  ce  sont  la  des  faits  sur  lesquels  les  documens 
historiques  de  cette  époque  gardent  un  silence  absolu.  On 
a  cependant  lieu  de  croire tjue  la  Belgique  entière  fit  partie 
des  états  de  ce  prince. 

Les  opinions  varient  infiniment,  tant  sur  Tétymologie  du 
nom  des  Francs ,  que  sur  Torigine  des  Francs  eux-mêmes. 
Suivant  le  sophiste  Libanius ,  le  nom  des  Francs  dérive  du 
grec  fpaxrci,  fortifiés.  Doni  et  Fauteur  de  la  chronique  de 
Moissac ,  qui  fleurirent  tous  deux  au  9^  siècle ,  déduisent 
ce  nom  d'un  mot  grec  qui  signifie  féroce ,  et  prétendent 
que  les  Francs  reçurent  ce  nom  de  l'empereur  Valentinien , 
après  une  victoire  éclatante  remportée  par  cet  empereur  sur 
les  Alains  qui  avaient  envahi  leur  territoire  (2),  D'autres 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  42. 

Decimo  regni  sui  anno  Thoringis  hélium  intidit  (Chlodovœus  ) ,  eosdem- 
que  suis  ditionibus  suhj'ugavit {Idem.,  1.  Il,  c.  27). 

(2)  Plusieurs  autres  chroniqueurs  du  moyen  âge  ont  été  du  même  avis. 
Voir:ls!dor.  W^spe^.,  origines,  1.  IX,  c,  2.  Aimoin.,  Chron.,  l,  I.  Monach.  Ercs- 
ford,.  Robert.  Abbas  de  Monte,  Append.  ad  sigeb.  Gemhl. 


—  463  — 

le  font  dériver,  avec  moins  de  probabilité  encore ,  du  nom 
d'un  prétendu  roi  des  Francs,  Francion  (1).  Wendelin  lui 
donne  pour  racine  le  mot  allemand  wrancjhe^  qui  signifie 
aussi  sévère ,  farouche.  M.  Mone  prétend  que  la  dénomi- 
nation de  Franc  doit  se  traduire  par  les  épithètes,  brillant, 
magnifique.  Léo  et  Fister  le  font  dériver  du  mot  [ramée  , 
nom  de  l'arme  ordinaire  du  Germain  (2).  Nous  passerons 
sous  silence  plusieurs  autres  étymologies  du  nom  des 
Francs,  lesquelles  ne  reposent  pas  sur  des  preuves  moins 
hasardées  (3). 

La  plupart  des  opinions  émises  sur  l'origine  des  Francs 
reposent  sur  des  preuves  également  arbitraires.  Un  grand 
nombre  d'auteurs  du  moyen  âge  font  descendre  les  Francs 
des  Troyens.  Grégoire  de  Tours  et  ses  copistes  leur  assi- 
gnent pour  première  demeure,  la  Pannonie.  L'anonyme 
de  Ravenne  place  la  patrie  primitive  des  Francs  au  nord 
de  l'Elbe ,  dans  mie  contrée  à  laquelle  il  donne  le  nom  de 
Mauringenia^  cjue  Leibnitz  cherche  sur  le  Belt,  entre 
l'Eider  et  la  Pœne  (4).  Cependant  ii  est  d'avis  qu'il  faut 

(1)  Isid.  Hispal.,  loc.  cit.,  Aimoin.,  1.  VII,  c.  1-3. 

(2)  Mone,  Geschichte  des  Heidentums ,  etc. ,2^  th.,  s.  124.  Léo,  Uber 
Oihins  verehrung  f  s.  87. 

(3)  lien  est  de  même  de  rétymolog"ie  du  nom  des  Saliens ,  une  des  divi- 
sions principales  de  la  ligue  franque.  Les  uns  font  dériver  ce  nom  de  celui  de 
la  rivière  ITssel.  dans  îa  province  de  TOveryssel ,  d'autres,  avec  plus  de 
vraisemblance,  du  nom  de  la  Sale  rivière  de  la  Franconie.  Mais  rien  n'est  plus 
ridicule  que  de  déduire  le  nom  des  Saliens  de  la  légèreté  de  leurs  sauts, 
Salii quasi  salientes ,  comme  le  fait  Isidore  de  Séville,  ou  de  la  dénomina- 
tion des  prêtres  Saliens  chez  les  Romains.  Le  célèbre  pensionnaire  de  Hol- 
lande, Van  Den  Spiegel,  le  dérive  du  mot  flamand  ^ee  (  mer  ),  et  fixe  la 
demeure  primitive  des  Saliens  dans  la  Zélande  (Van  Den  Spiegel,  Verlian- 
deling  over  den  oorsprong  en  de  historié  van  de  vaderlandsche  rechten  ,  bl.  14). 

(4)  De  cette  manière  les  Danois  et  les  Saxons  faisaient  partie  des  Francs. 
Elmoldus  Nigellus,  poëte  du  règne  de  Louis  le  Débonaire,  dit  en  effet,  mais 
à  tort  sans  doute,  que  les  Danois  et  leur  roi  Harald,  qui  reçurent  le  baptême 
à  la  cour  de  cet  empereur,  descendaient  des  Francs. 


^  464  ^ 

assigner  aux  Francs ,  avant  qu'ils  ne  se  fussent  établis  dans 
les  Gaules ,  trois  positions  différentes  suivant  la  différence 
des  temps ,  la  première  entre  l'Elbe  et  le  Belt ,  la  seconde 
entre  l'Elbe  et  le  Weser ,  la  troisième  entre  le  Weser  et  le 
Rhin. 

L'opinion  la  plus  gëne'ralement  adoptée  et  qui  est  celle 
des  meilleurs  critiques,  est  cjue  parle  nom  de  Francs  il  faut 
entendre  ,  non  pas  un  seul  peuple ,  mais  une  ligue  formée 
par  la  plupart  des  Germains  qui  bordaient  la  rive  droite 
du  Rhin  depuis  l'embouchure  de  ce  fleuve  jusqu'au  Mein 
et  au  Nècre,  confédération  qui  eut  pour  but  d'opposer  une 
barrière  aux  efforts  tentés  par  les  Romains  pour  anéantir 
la  liberté  germanique ,  et  qui ,  composée  de  Tenchtres , 
d'Usipètes,  de  Sicambres,  de  Suèves  ,  de  Frisons  et  de  plu- 
sieurs autres  peuples ,  prit  pour  nom  générique  celui  de 
Franken  (francs  et  libres)  (1). 

Cette  ligue  paraît  s'être  formée  vers  le  milieu  du  3e  siè- 
cle de  l'ère  vulgaire  ;  du  moins,  ce  n'est  que  de  cette  époque 
que  l'existence  des  Francs  est  constatée  par  les  monumens 
de  l'histoire.  C'est  sous  le  règne  de  l'empereur  Aurelien ,  a 
l'année  253  de  l'ère  vulgaire ,  qu'il  est  question  pour  la 
première  fois  des  Francs,  dans  l'histoire  romaine. 

Vopiscus  rapporte  que  cette  année ,  Aurelien ,  alors  tri- 
bun militaire  de  la  sixième  légion  gallicane,  défit  les  Francs 
près  de  Mayence,  leur  tua  sept  cents  hommes  et  fit  trois 
cents  prisonniers  qu'il  vendit  a  l'encan  (2). 


Gundling  croit  que  la  Mauringenie  comprenait  toute  la  côte  du  Belt,  et 
que  non-seulement  la  Pomeranie,  mais  encore  l'Oost-Frise  (le  pays  des 
Cauques),  en  faisait  aussi  partie,  quoique  la  Mauringenie  pr«»prement  dite 
ne  s'étendît  que  sur  le  territoire  de  la  ville  de  Brème  (  Gundlmgiana ,  t.  1  ). 

(1)  Peppe,  Dissert,  sur  Vorigine  des  Francs  Saliens,  p.  17.  De  Buat,  le-i 
Origines,  etc.,  tom.  I,  liv.  I,  chap.  I. 

(2)  Yopisc,  in  Aurel. 


-^  465  -. 

Depuis  cet  e'vénement  jusqua  la  fin  de  Tempire  d'occi- 
dent, il  ne  se  passe  presque  point  d'année  qu'il  ne  soit  ques- 
tion dans  les  auteurs  anciens  de  quelqu'invasion  des  Francs, 
que  les  historiens  romains  terminent  ordinairement  par  la 
défaite  complète  des  barbares  ;  ce  qui  n'empêcha  point  ces 
derniers  de  prendre  pied  dans  les  Gaules  et  d'y  étendre  in- 
sensiblement leur  domination.  Dans  les  annales  suivantes 
nous  avons  rassemblé  en  peu  de  mots  et  le  plus  brièvement 
possible ,  tout  ce  que  les  documens  anciens  nous  appren- 
nent sur  les  Francs  depuis  leur  apparition  jusqu'à  la  mort 
de  Clovis  ,  époque  de  l'entière  expulsion  des  Romains  et  de 
la  consolidation  de  la  domination  franque  dans  les  Gaules. 

En  259 ,  l'empereur  Gallien  combat  les  Francs  sur  le 
Rhin  (1). 

En  262 ,  Posthume  qui  avait  usurpé  l'empire  dans  les 
Gaules,  met  les  Francs  de  son  parti  (2). 

En  264 ,  on  voit  les  Francs  parmi  plusieurs  autres  peu- 
ples barbares,  orner  l'entrée  triomphante  de  Gallien  à 
Rome  (3). 

En  265  ,  les  Francs  pillent  les  cotes  de  la  Gaule  et  de 
l'Espagne  et  saccagent  Tarragone  (4). 

En  273,  on  voit  figurer  des  captifs  francs  au  triomphe 
d'Aurelien  (5). 

En  274 ,  les  Francs  sont  défaits  par  Probus  (6). 

En  277,  cet  empereur  remporte  une  seconde  victoire 
sur  les  Francs  (7). 

(1)  Annal.  Francor. 

(2)  Treb.  Pollio,  in  Gallieno. 

(3)  Idem,  ibid. 

(4)  Nazarii  Paneg.  Constant.  Aurel.  Vict.,  in  Gallieno. 

(5)  Vopisc,  in  Aurel. 

(6)  Testes  franci  invii  paludibus  (Vopisc. ,  in  Probo  ).  Ces  marais  sont  La 
Flandre  actuelle  et  la  Hollande. 

(7)  Zosim.,  Hist.  Rom.,  lib.  2. 

TonB  I.  ao 


—  466  — 

En  280 ,  des  Francs ,  faits  prisonniers  par  Probus  et 
transférés  par  ordre  de  cet  empereur  sur  les  bords  du  Pont- 
Euxin ,  pillent  les  côtes  de  l'Asie-Mineure ,  de  l'Afrique  et 
de  la  Sicile  et  saccagent  la  ville  de  Syracuse  (1). 

A  la  même  époque ,  Tempereur  Probus  défait  le  tyran 
Proculus ,  trahi  et  abandonné  par  les  Francs,  entre  les  bras 
desquels  ce  dernier  s'était  j  été  et  dont  il  se  pré  tendait  issu  (2). 

En  287,  Maximien  confie  au  Ménapien  Carausius,  le  com- 
mandement d'une  flotte  équipée  a  Boulogne  (Gesoriacum) 
et  destinée  a  réprimer  la  piraterie  des  Francs  et  des  Saxons. 
L'empereur  ayant  conçu  des  soupçons  sur  Carausius  , 
ordonne  de  le  tuer ,  mais  il  se  sauYC  dans  la  Grande-Bre- 
tagne, s'y  fait  proclamer  empereur,  et  reste  pendant  sept 
ans  maître  de  cette  île  (3). 

En  288,  Atech,  roi  des  Francs,  demande  la  paix  a  Maxi- 
mien,  qui  confirme,  la  même  année,  Genobaude,  autre  roi 
franc,  dans  cette  dernière  dignité.  Les  Francs  promettent 
solennellement  de  cesser  leurs  brigandages  sur  mer  (4). 

En  293,  Constant  chasse  les  Francs  de  la  Batavie  ,  dont 
ils  s'étaient  rendus  maîtres,  et  transfère  un  grand  nombre 
de  prisonniers  francs  dans  les  déserts  de  la  Gaule  (5). 

En  296,  l'armée  du  tyran  Tetricus ,  qui  avait  défait  Ca- 
rausius, et  quiétaiten  majeure  partie  composée  de  Francs, 
est  surprise  et  taillée  en  pièces  par  les  Romains ,  près  de 
Londres  (6). 

(1)  Eumeii.,  Pcmeg.  Constant  Cœs.,  Zosim.,  Hîst.  Rom.,  lib.  2. 

(2)  Vopisc,  in  Proculo. 

(3)  Incerti  Paneg.  Maxim,  et  Constant,  j  c.  4.  Eumen.,  Paneg.  Cons- 
tant, c.  5. 

(4)  Mamert. ,  Panèg.  Maxim,,  idem.,   in  Genethl.  Maxim,  et  Dioclet, 
c.  5. 

(5)  Incerti  Paneg.  Maxim,  et  Constant.,  c.  4.  Eumenii  Paneg.  Constant, 
c.  5.  Idem.,  Orat  pro  restaur.  scholis ,  c.  18.  Paneg.   Constant.  Caes.  C.J21. 

(6)  Eumen.,  Paneg.  Constant.  Caes.,  c.  17. 


~  467  — 

En  306,  Constantin  défait  les  Francs  près  du  Rhin, 
ravage  leur  territoire ,  prend  et  livre  aux  bétes  féroces , 
dans  l'amphithéâtre  de  Trêves,  deux  de  leurs  rois  et  un  grand 
nombre  d'autres  prisonniers  (1).  En  mémoire  de  cette 
victoire  signalée  il  institue  des  jeux  publics  appelés  ludi 
francici  ^  qui  se  célébraient  annuellement  pendant  six 
jours  (2). 

En  313 ,  Mellobaude ,  roi  franc  ,  revêtu  de  la  charge  de 
cornes domesticus  a  Rome,  attaque,  par  ordre  de  Gratien, 
les  Lentienses,  peuple  de  la  ligue  allemande,  et  remporte 
la  victoire  (3). 

En  316 ,  Constantin  revient  dans  les  Gaules  et  y  défait 
de  nouveau  les  Francs  (4). 

En  320 ,  le  César  Crispus  réprime  les  incursions  des 
Francs  dans  les  Gaules  (5). 

En  350,  Magnence,  Franc  de  naissance,  aidé  des  Saxons 
et  des  Francs ,  attacjue  les  Romains  et  tue  l'empereur 
Constant  ;  mais  il  est  battu  a  son  tour  par  Constance ,  près 
de  Mursie  en  Espagne ,  en  351  (6). 

En  353 ,  Magnence,  et  son  frère  Décence  sont  contraints 
à  se  donner  la  mort ,  le  premier  près  de  Lyon ,  et  le  second 
près  de  Soissons.  Ammien  Marcellin  nous  apprend  que  lors 
de  la  conjuration  de  Sylvain ,  en  355 ,  il  y  avait  grand 
nombre  de  Francs  dans  la  garde  impériale  que  ce  rebelle 
tâcha  de  mettre  dans  ses  intérêts,  mais  qu'ils  le  trahi- 
rent (7).  Sylvain  revêt  la  pourpre  près  de  Cologne ,  et 
meurt  assassiné,  après  vingt-huit  jours  de  règne. 

(1)  Eumen. ,  Paneg.  Const.^  Caes.,  c.  10-13. 

(2)  Nazarii  Paneg.  Constant.^  c.  18. 

(3)  Amm.  Marcel.,  lib.  3,  c.  10. 

(4)  Incert.  Paneg.  Constant  M.,  c.  21,  24. 

(5)  Nazar.,  Paneg.  Constant.^  c.  17,  37.  P.  Optaliani  Porpliyrii,  Paneg. 

(6)  Juliani  Orat.  in  Constant,  imp,  laiid. 

(7)  Amm.  Marcel.,  lib.  15. 


-^  468  — 

Cette  même  année,  les  Francs  prennent  et  saccagent 
Cologne  (1). 

En  356,  Julien,  créé  César  par  Constance,  marche  con- 
tre les  Francs  et  reprend  la  ville  de  Cologne  (2). 

Pendant  qu'il  est  occupé  à  combattre  les  Allemands ,  les 
Francs  ravagent  les  contrées  voisines  du  Rhin  et  s'empa- 
rent de  deux  châteaux  romains  situés  aux  bords  de  la  Meuse; 
mais  Julien  parvient  à  les  en  chasser  et  les  contraint  a  de- 
mander la  paix  (3). 

En  358,  Julien  force  les  Francs  Salions,  qui  avaient 
envahi  le  territoire  des  Toxandres ,  à  reconnaître  la  supré- 
matie romaine  et  chasse  les  Chamaves  de  la  Bâta  vie,  que  ces 
barbares  avaient  envahie  (4). 

En  360,  Julien,  proclamé  Auguste  a  Paris,  pénètre  dans 
la  Germanie ,  ravage  le  pays  des  Francs  Attuaires ,  cjui 
avaient  infesté  les  contrées  limitrophes  du  Rhin  et  les  con- 
traint à  demander  la  paix  (5). 

En  368 ,  les  Francs  et  les  Saxons ,  enhardis  par  la 
mort  de  Julien,  font  de  nouveau  des  incursions  dans  les 
Gaules  (6). 

En  369  ,  Valentinien  les  oblige  a  se  tenir  en  repos. 

En  370 ,  cet  empereur  défait  les  Saxons  sur  le  territoire 
des  Francs  (7). 

En  374 ,  Macrien ,  roi  des  Allemands  ,  ravage  le  terri- 
toire des  Francs  et  périt  dans  une  embuscade  que  lui 
avait  dressée  le  roi  Mellobaude  (8). 

(1)  Amm.  Marcel.,  lib.  15. 

(2)  Idem.,  lib.  16.  Jullani,   Orat.  ad  Athen. 

(3)  Amm.  Marcel.,  lib.  17. 

(4)  Idem.jibid.  Juliani  Orat.  ad  Athen.  Eunapii  Excerpta  de  legationib. 

(5)  Amm.  Marcel.,  lib.  20. 

(6)  Idem.,  lib.  27. 

(7)  Hieron.,  Chron.  Orosii  Hist  Rom.,  lib.  7,  e.  32. 

(8)  Amm.  Marcel.,  lib.  30. 


-  469  — 

En  377,  Richomer ,  Franc  de  naissance  et  remplissant  a 
la  cour  de  Constantinople  la  charge  de  cornes  domesticus^ 
est  envoyé  contre  les  Gotlis,  qui  ravageaient  la  Thrace  (1). 

En  379,  Gratien  envoyé  au  secours  de  Thëodose,  en 
Macédoine  et  en  Thessalie  ,  Baudo  et  Arbogaste ,  deux 
chefs  francs  entièrement  dévoues  aux  Romains  (2). 

En  382 ,  Priam  est  élu  roi  des  Francs  ,  suivant  la  chro- 
nique de  Prosper. 

En  384 ,  le  Franc  Richomer ,  obtient  la  dignité  de  con- 
sul romain. 

En  385 ,  Baudo ,  autre  chef  franc ,  remplit  la  même 
charge. 

En  388,  les  Francs  et  les  Saxons  servent,  en  qualité 
d'auxiliaires ,  dans  l'armée  de  Maxime,  et  se  réunissent  au 
parti  vainqueur ,  après  la  défaite  et  la  mort  de  cet  usurpa- 
teur, près  d'Aquilée  (3). 

Arbogaste  tue  Victor,  fils  de  Maxime.  A  la  même  époque, 
Genobald,  Marcomir  et  Sunno ,  généraux  francs,  font 
une  irruption  dans  la  seconde  Germanique  et  défont  Hera- 
clius,  tribun  des  Jovinianiens ,  et  Quintus,  qui  avaient 
pénétré  sur  leur  territoire  (4). 

En  389,  les  Francs  dévastent  les  Gaules,  et  contraignent 
Valentinien  à  acheter  la  paix  (5). 

En  392  ,  l'empereur  Valentinien  est  tué  près  de 
Vienne  (en  Dauphiné),  par  Arbogaste,  et  remplacé  par 
Eugène  (6). 

Arbogaste  attaque  ensuite   Sunno  et  Marcomir  ,  rois 


(1)  Amm.  Marcel!.,  lib.  31  ,  c.  70. 

(2)  Zos.,  lib.  4. 

(3)  Ambros.,  Epist.  40,  ad  Theodos. 

(4)  Sulp.  Alex.,  lib.  3,  apud.  Greg.  Turon.,  11b.  2, 

(5)  Sulp.  Alex.,  lib.  4,  apud,  Greg.   Turon.,  lib.  2. 

(6)  Greg.  Tur.,  lib.  2.  Zos.,  lib.  4. 


—  470  — 

francs,  les  défaits  et  les  oblige  à  demander  la  paix  (1). 

En  393,  Eugène  conclut  un  traité  d'alliance  avec  les 
Francs  et  les  Allemands  (2). 

En  394 ,  larmée  d'Eugène ,  composée  de  Gaulois  et  de 
Francs,  est  taillée  en  pièces  par  Théodose  ;  Eugène  périt  dans 
le  combat,  et  Arbogaste  est  contraint  a  se  donner  la  mort  (3). 

En  395  ,  Stilicon  fait  la  paix  avec  les  Francs  (4).  Arca- 
dius,  épouse  Eudoxie,  fille  de  Baudon. 

En  397  ,  Marcomir  ayant  voulu  rompre  la  paix,  est 
exilé  en  Etrurie  (5). 

En  399  ,  Claudien  dépeint  les  Romains  en  terreur  aux 
Francs  (6). 

En 408,  les  \lains,  les  Suèves  et  les  Vandales  passent  sur 
le  corps  aux  Francs,  traversent  le  Rhin ,  et  envahissent  les 
Gaules  (7). 

En  407,  l'armée  du  tyran  Constantin ,  commandée  par 
Justinien  et  par  le  franc  Kevigaste ,  défait  les  barbares  qui 
ravageaient  les  Gaules  (8). 

En  408 ,  les  Francs  remportent  une  victoire  complète 
sur  les  Allemands  (9).  Larus  envoyé  par  Stilicon  contre  le 
tyran  Constantin ,  défait  et  tue  Justin  et  fait  périr  par 
trahison  Névigaste.  Constantin  leur  substitue  le  Franc  Edo- 
linchus  et  Gérance,  qui  obligent  Larus  a  se  renfermer 
dans  l'Italie  (10). 

(1)  Greg.  Tur..  lib.  2.  Paulin. .  Vita  s.  Amhrosii. 

(2)  Greg.  Tur.,  lib.  2. 

(3)  Oros.,  lib.  7.  Claudian.,  de  tertio  consul.  Honorii. 

(4)  Claudian.,  in  quartum  consul.  Honorii.  Idem. ,  lib.  1,  de  Laudih.  Sli- 
îiconis. 

(5)  Claudian..  f/e  Laud.  Stilic,  lib.  1. 

(6)  Cland.,  in  Eutrop.,  lib.  1. 

(7)  Oros.,  lib.  7,  c.  40. 

(8)  Zos.,  lib.  6. 

(9)  Greg.  Tur.,  lib.  2,  c.  9. 

(10)  Zos.,  lib.  6. 


—  471  — 

En  409 ,  les  Francs  pillent  et  brûlent  la  ville  de  Trêves 
pour  la  seconde  fois  (1). 

En  410,  on  voit  servir  des  Francs,  en  qualité'  d'auxi- 
liaires, dans  l'armëe  de  Constant,  fils  de  Constantin  (2).  On 
trouve  aussi  à  cette  date,  que  le  Franc  Gaison  remplit  a 
la  cour  impériale  la  charge  de  cornes  sacraruni  largitio- 
num ,  ensuite  celles  de  Magister  officinorum  et  de  Mdgis- 
ter  militum  (3). 

En  411,  Edobic,  maître  de  la  milice  {Magister  militum) 
de  Constantin,  vient  au  secours  de  son  maître,  mais,  vaincu 
par  Constant ,  il  périt  victime  de  la  perfidie  d'un  de  ses 
amis  nommé  Edic  (4). 

Vers  le  même  temps,  Jovien  usurpe  lempire  et  marche 
contre  Honorius  avec  une  armée  composée  en  partie  de 
Bourguignons ,  d'Allemands,  de  Francs  et  d'Alains  (5). 

En  413,  Trêves  est  saccagée  par  les  Fi*ancs  pour  la  troi- 
sième fois  (6). 

En  415,  périrent  Théodomer,  roi  des  Francs  et  Asciîa 
sa  mère  (7). 

Les  Francs  pillent  la  ville  de  Trêves ,  pour  la  quatrième 
fois  (8). 

En  420 ,  Pharamond  commande  aux  Francs ,  suivant  la 
chronique  de  Prosper. 

En  428,  Aëtius,  préfet  des  Gaules,  rend  a  lempire  la 
partie  des  Gaules  voisine  du  Rhin ,  que  les  Francs  avaient 
envahie  (9). 

(1)  Greg.  Tur.,  lib.  2,  c.  9. 

(2)  Idem.,  Ibid. 

(3)  Cod.  Theod.,  lib.  7  et  9. 

(4)  Sozom.,  lib.  9,  c.  14. 

(5)  Greg.  Tur.,  lib.  2,   c.  9. 

(6)  Idem.,  Ibid. 

(7)  Ibid. 

(8)  Salvian.jlib.  6,  c.  8,  13,  15. 

(9)  Prosp.,  Cliron.  ilieron,,   Chron. 


—  472  — 

En  431 ,  le  même  général  défait  les  Francs  et  les  force  a 
demander  la  paix  (1). 

En  437,  Chlodion  traverse  la  foret  charbonnière  et  s'em- 
pare de  Tournai ,  de  Cambrai  et  de  tout  le  pays  au  nord 
de  la  Somme  (2). 

En  445,  Aëtius  et  Majorin  combattent  les  Francs  ,  qui 
avaient  envahi  le  territoire  des  Atrebates  (3) . 

En  448,  Merovée  succède  à  Chlodion. 

En  451 ,  Attila  est  vaincu  près  de  Châlons -sur-Marne  , 
par  Aè'tius,  aidé  des  Goths,  des  Francs,  des  Saxons,  des 
Armoricains  et  de  plusieurs  autres  peuples  gaulois  et 
germains  (4). 

En  455,  les  Francs  font  une  invasion  dans  les  deux 
Germaniques  (5). 

En  458,  Childeric  succède  a  Merovée,  mais  il  est  bientôt 
détrôné  à  cause  de  son  immoralité.  Les  Francs  lui  substi- 
tuent Egidius ,  maître  de  la  milice  romaine. 

En  464 ,  Childeric  est  rétabli  sur  le  trône  par  les  soins 
id'Egidius. 

En  477 ,  Childeric  combat  les  Romains  a  Orléans ,  et 
s'empare  d'Angers.  Les  Francs  chassent  les  Saxons  des  îles 
voisines  des  côtes  de  la  Bretagne.  Childeric  réuni  a 
Odoacre ,  roi  des  Herules ,  subjugue  les  Allemands. 

En  481,  Clovis  succède  a  Childeric. 

En  486 ,  il  défait  Siagrius. 

En  491,  il  soumet  les  Tongrois. 

En  496 ,  il  dompte  les  Allemands ,  et  se  fait  baptiser 
avec  300  guerriers  de  son  armée. 

(1)  Idatii  Chron. 

(2)  Greg.  Tur.,  lib.  2,  c.  9. 

(3)  Sidon.  Apol.,  Paneg.  Majoriam. 

i    (4)  Greg.  Tur.,  lib.  2,c.  9.  Jornand.,  de  Reh.  Get,  c.  36  et  41.  Sidon. 
Apol.,  Paneg.  Aetii. 

(5)  Sidon.  Apol.,  Paneg.  Aviti. 


—  473  — 

En  499,  Clovis,  joint  à  Godegesile,  roi  des  Bourguignons, 
défait  Gondebaud,  frère  de  Godegesile  et  se  rend  maître  de 
la  partie  des  Gaules  occupe'e  par  les  Bourguignons. 

En  502,  Clovis  défait  les  Armoricains. 

En  507,  il  bat ,  près  de  Poitiers,  Alaric,  roi  des  Visigoths, 
et,  par  cette  victoire,  étend  ses  e'tats  jusqu'aux  Pyrénées, 

En  508,  il  prend  Angouléme  et  Toulouse,  reçoit  de 
Fempereur  Justinien  le  titre  d'Auguste  et  de  consul,  et 
e'tablit  sa  re'sidence  à  Paris. 

En  509 ,  il  tue  de  sa  propre  main  Chararic  ,  roi  de 
Cologne,  et  réunit  ses  états  aux  siens. 

En  510  ,  il  fait  pe'rir  Ragnachaire  et  s'empare  de  son 
royaume  de  Cambrai. 

En  511,  Clovis  meurt  après  un  règne  de  quarante  ans, 
pendant  lequel  il  expulsa  les  Romains  de  toute  1  étendue 
des  Gaules  et  y  consolida  la  domination  des  Francs, 


474 


CHAPITRE  V. 


Recherches  sur  la  population  de  la  Belgique  durant  la  domination  romaine. 
Population  et  état  des  Gaules  à  la  même  époque. 

Nous  avons  vu  que  la  conquête  de  la  Belgique  par  les 
Romains ,  n'anéantit  pas  seulement  Tindëpendance  des 
Belges,  mais  enleva  encore  une  grande  partie  de  leur  po- 
pulation déjà  si  peu  nombreuse  avant  cet  événement. 

Lorsque  Tépuisement  total  de  leurs  forces ,  causé  par 
neuf  années  de  guerres  sanglantes  et  continuelles,  eut  con- 
traint les  Belges  a  accepter  la  loi  du  vainqueur ,  le  calme 
qui  succéda  momentanément  à  une  si  longue  tempête  ne 
fut  point  le  calme  d'une  paix  heureuse ,  mais  celui  de  la 
désolation  et  de  la  solitude,  silence  des  tombeaux,  couvrant 
d'un  voile  funèbre  le  sol  de  ce  malheureux  pays,  trempé  du 
sang  de  ses  généreux  et  héroïques  défenseurs.  Aussi  lorsque 
Strabon  dit  que  la  Belgique  (dans  le  sens  le  plus  étendu), 
pouvait  mettre  en  campagne  jusqu'à  300,000  combattans , 
il  a  soin  d'indiquer  que  tel  était  jadis  (quondam)  le  nom- 
bre d'hommes  en  état  de  porter  les  armes  chez  les  Belges , 
mais  que  de  son  temps  leur  population  mâle  et  pubère  était 
loin  de  s'élever  à  ce  chiffre. 

Par  la  conquête  de  César ,  la  population  de  l'Helvétie  (y 
comprise  celle  des  alliés  des  Helvétiens  ) ,  fut  réduite  de 
368,000  âmes  à  110,000,  c'est-à-dire,  à  un  tiers  de  ce 
qu'elle  était  avant  cet  événement;  et  cependant  la  résis- 
tance que  les  Helvétiens  opposèrent  à  César ,  ne  fut  que 
très-faible,  si  on  la  compare  aux  efforts  désespérés  que 
tentèrent  les  Belges  pendant  plus  de  neuf  années  et  qui 


-  475  — 

entraînèrent  la  ruine  totale  des  Eburons  ,  des  Atualiques 
et  de  plusieurs  autres  peuplades  moins  considérables ,  et  la 
mort  de  presque  tous  les  hommes  en  état  de  porter  les 
armes  chez  les  Nerviens  (1).  On  serait  donc  fonde'  a  croire 
que  la  diminution  de  la  population  belge  dut  être  encore 
plus  conside'rable  que  celle  de  la  population  helvétienne. 
Mais  comme  Ce'sar  ne  nous  fournit  point  sur  les  pertes  des 
Belges  des  données  aussi  positives  que  sur  celles  des  Hel- 
vétiens,  nous  n  évaluerons  les  premières  qu'à  un  tiers  de 
la  population  belge,  qui,  après  ces  désastres,  se  serait  par 
conséquent  encore  élevée  à  environ  160,000  âmes  (2). 

(1)  Propè  ad  intemicionem  gente  ac  nomine  Nerviorum  redacto. 

Ce  qui  atteste  combien  les  Nerviens,  le  peuple  le  plus  puissant  et  le  plus 
nombreux  de  la  Belgique,  avaient  souffert  dans  les  premières  campagnes  de 
César,  c'est  que  non-seulement  ils  ne  purent  fournir  qu'un  très-faible  con- 
tingent à  l'armée  de  la  confédération  gauloise,  lors  du  soulèvement  général 
des  Gaules ,  contre  César ,  mais  que  dans  la  révolte  des  Bataves ,  sous  le 
règne  de  Vespasien ,  à  laquelle  ils  prirent  une  part  active,  ils  furent  faci- 
lement réduits  par  Fabius,  qui  commandait  h  une  seule  légion.  «  Rentrés 
sous  le  joug,  dit  Desroches ,  et  voulant  effacer  la  tache  de  leur  défection,  ils 
tentèrent  une  diversion  en  faveur  de  leurs  maîtres  (les  Romains),  et  sur  le 
champ  on  les  voit  encore  dispersés  et  battus  par  les  seuls  Caninefates,  habi- 
tans  de  la  Hollande  :  on  ne  reconnaît  plus  là  les  Nerviens  de  César ,  et  il  faut 
convenir  que  les  Bataves.  les  Francs  et  les  autres  Germains  font  une  toute 
autre  figure  dans  Thistoire.  »  (  Histoire  ancienne  des  Pays-Bas  aufrich., 
p.  138  ). 

(2)  Suivant  Appien,  César,  dans  les  guerres  de  la  conquête  des  Gaules, 
fit  mordre  la  poussière  a  un  million  d'ennemis  et  en  réduisit  un  nombre 
pareil  en  esclavage  :  Inira  decennium  enim  quo  is  imferator  fuit,  quadragies 
centena  millia  ferocium  hostium  universum  de  hellata  sunt.  Ex  his  decies 
centena  millia  virorum  in  acie  capta  sunt,  et  cœsa  totidem.  (Appian.,</e 
bello  Civ.). 

Que  cette  supputation  s'écarte  ou  non  de  la  vérité,  toujours  est-il  que  le 
conquérant,  qui  se  montra  si  cruel  à  l'égard  des  Venétes ,  des  Helvétiensi 
des  Atuatiques  et  des  Eburons, ^ne  mérite  pas  plus  le  titre  de  Clément ^  que 
ses  partisans  lui  ont  décerné,  que  celui  de  Bon  ne  convient  a  Philippe  II  , 
duc  de  Bourgogne.  Suétone  accuse  César  d'avoir  dévasté  les  Gaules ,  dans 
Tunique  but  de  satisfaire  son  avarice:  In  Gulliâ  fana  fetnplaque  deum  donis 


^  476  — 

Les  quarante  miile  Suèves  et  Sicambres  qu  Auguste 
transféra  sur  le  territoire  des  Éburons  et  des  Atuatiques,  ne 
suffisaient  point  pour  remplir  le  vide  laisse'  par  la  dispa- 
rition de  ces  peuples ,  dont  la  population ,  exterminée  par 
César,  quoique  bien  faible  encore,  eu  égard  à  l'étendue  de 
pays  qu'elle  occupait,  était  néanmoins  plus  que  double  de 
celle  des  nouvelles  colonies  de  Germains  introduites  par 
Auguste.  Aussi  Tacite  et  les  écrivains  du  4^  et  du  5^  siècle 
dépeignent-ils  la  Belgique  comme  une  contrée  en  partie 
déserte  et  inculte,  couverte  de  bois  et  de  marais.  Tel  même 
est  encore  le  tableau  qu'en  trace  Procope  au  6^  siècle,  et  les 
monumens  des  trois  siècles  suivans  (1),  malgré  les  nom- 
breuses colonies  de  Francs  et  de  Saxons  qui  s'étaient  fixées 
en  Belgique,  soit  de  force,  soit  du  consentement  des  empe- 
reurs Probus,  Maximien,  Constance  et  Julien,  pendant 
les  3^  et  4<^  siècles. 

Cependant  si  la  Belgique  avait  été  soumise  à  une  puis- 
sance éclairée  et  jalouse  de  s'attacher  les  provinces  nouvel- 
lement conquises  en  les  dotant  de  tous  les  bienfaits  de  la 
civilisation,  en  encourageant  l'agriculture ,  l'industrie  et  les 
artsj  en  un  mot,  en  travaillant  au  développement  de  tous 
les  élémens  de  la  prospérité  publique ,  cette  partie  des 
Gaules  aurait  pu  en  peu  d'années  se  remettre  de  l'état  de 

referta  expilavit  ;  urhes  diruitf  sœpius  oh  prœdam  quant  oh  deîictum  (Suet., 
in  Cœs.  ). 

Orose  compare  les  Gaules  après  la  conquête  de  César,  a  un  malade,  pâle, 
décharné ,  défiguré  par  une  fièvre  brûlante,  qui  a  tari  son  sang  et  épuisé  ses 
forces  (Gros.,  lib.  VI,c.  12). 

Si  le  relevé  de  la  population  des  Gaules  fait  par  ordre  d'Auguste  était 
parvenu  jusqu'à  nous,  nous  verrions  probablement  que  cette  dernière  ne  s'éle- 
vait pas  alors  à  2,500,000  ou  3,000,000  d'ames. 

(1)  Tania  vero  earum  gentium  (Anglorum,  Frisonura  etBrittonum)  est 
tnultitudo ,  ut  singulis  annis  indè  homines  magno  numéro  cum  uxorihui  et 
liheris  ad  Francos  emigrent,  qui  eos  in  agrorum  suorum  partem  accipiunt 
quœ  maxime  videtur  déserta  (  Procop.,  hel.  Goth.,  lib.  IV). 


—  477  - 

misère  et  de  dépopulation  où  elle  avait  e'të  réduite  par  les 
guerres  de  César.  Mais ,  quoi  qu'en  disent  certains  auteurs 
modernes ,  des  Yues  aussi  grandes  et  une  conduite  aussi 
généreuse  étaient  incompatibles  avec  le  gouvernement 
romain,  le  plus  tyrannique  et  le  plus  mauvais  des  gouverne- 
mens  possibles,  pire  cent  fois  que  celui  des  barbares  qui,  au 
cinquième  siècle,  se  rendirent  maîtres  des  Gaules. 

La  plupart  des  auteurs  modernes  attribuent  1  état  inculte 
et  désert  où  les  monumens  anciens  nous  montrent  la  Bel- 
gique, aux  5%  6%  7%  8e  et  9e  siècles  et  postérieurement 
encore ,  à  l'invasion  de  cette  contrée  par  les  hordes  germa- 
niques et  a  l'expulsion  des  Romains;  mais  si  ces  écrivains 
ne  s'étaient  pas  laissé  aveugler  par  un  enthousiasme  incon- 
sidéré pour  ces  derniers,  ils  se  seraient  convaincus  que 
cette  dépopulation  existait  depuis  un  temps  immémorial  ; 
que  la  conquête  de  César  l'accrut  de  beaucoup,  et  que  les 
Romains,  maîtres  des  Gaules,  loin  d'y  mettre  un  terme, 
la  complétèrent  parleur  despotisme  et  leur  affreuse  tyran- 
nie; que  les  Germains  qui,  au  5«  siècle,  chassèrent  les 
Romains  de  la  Belgique,  en  accrurent  plutôt  la  population 
qu'ils  ne  la  diminuèrent  (1) ,  et  c]u  ils  furent  accueillis  par 

(l)  On  a  étrangement  exagéré  les  maux  que  causèrent  a  la  partie  septen- 
trionale des  Gaules,  les  fréquentes  invasions  des  Francs,  pendant  le  3s,le4«  et 
le  5"  siècle.  Voici  comme  M.  Guizot  s'exprime  à  ce  sujet  :«  L'invasion  ou  pour 
mieux  dire, les  invasions,  dit  ce  célèbre  historien,  étaient  des  événemens  essen- 
tiellement partiels,  locaux,  momentanés:  une  bande  arrivait,  en  général,  trop 
peu  nombreuse.  Les  plus  puissantes,  celles  quj  ont  fondé  des  royaumes,  la  banda 
deClovispar  exemple,  n'étaient  guère  que  de  cinq  a  six  mille  hommes;  la  na- 
tion entière  des  Bourguignons,  ne  dépassait  pas  six  mille  hommes.  Elle  par- 
courait rapidement  un  territoire  étroit,  ravageait  un  district,  attaquait  une 
ville,  et  tantôt  se  retirait,  emmenant  son  butin;  tantôt  s'établissait  quelque 
part,  soigneuse  de  ne  pas  trop  se  disperser.  Nous  savons  avec  quelle  facilité, 
quelle  promptitude  de  pareils  événemens  s'accomplissent  et  disparaissent. 
Des  maisons  sont  brûlées,  des  champs  dévastés,  des  récoltes  enlevées,  des 
hommes  tués  ou  emmenés  captifs  :  tout  ce  mal  fait,  au  bout  de  quelques, 


—  478  — 

les  Belges ,  non  en  ennemis  ,  mais  comme  des  libérateurs  et 
des  compalriotes  qui  venaient  les  rendre  a  leur  ancienne 
indépendance  et  les  délivrer  d'un  joug  devenu  insuppor- 
table (1)  ;  car  le  titre  de  peuples  libres  et  d'aiUës  que  les 
Romains  avaient  accorde  aux  Belges ,  n'était  devenu,  depuis 
que  la  domination  romaine  s  était  raffermie  dans  la  Bel- 
gique ,  qu'un  titre  illusoire ,  une  vraie  de'rision  ;  et  ces 
pre'tendues  prérogatives  n'empêchèrent  par  les  Romains 
de  faire  éprouver  aux  Belges  les  effets  de  cette  haine 
et  de  ce  mépris  qu'ils  vouaient  a  tous  les  peuples  étran- 
gers. 

Nous  le  répétons,  les  titres  de  liheri,  âiaurovofjioi^  ne  préser- 
vaient pas  davantage  les  Belges  du  despotisme  et  de  la 
tyrannie  romaine,  que  les  autres  peuples  sujets  des  Romains, 
qui  ne  jouissaient  point  de  ces  prérogatives.  Les  peuples  de 
la  Grande  Bretagne,  alliés  et  non  sujets  des  Romains,  avant 
l'expédition  d'Agricola,  lesEduens  et  les  Bataves,  qualifiés  du 
titre  d'amis  et  de  frères  du  peuple  romain ,  n'éprouvèrent 
que  trop  combien  ce  titre  était  trompeur  et  combien  cette 
prétendue  alliance  et  cette  confraternité  pesaient  aux  peuples 

jours  les  flots  se  referment,  le  sillon  s'efface,  les  souffrances  individuelles 
sont  oubliées  ;  la  société  rentre ,  en  apparence  du  moins ,  dans  son  ancien 
état.  Ainsi  se  passaient  les  choses  en  Gaule  au  4^  siècle.  »  (  Guizot,  Cours 
d'histoire  moderne  (1829),  p.  205  à  216). 

(1)  «  Que  penser,  dit  M.  Raepsaet,  de  ces  autres  (auteurs),  qui  font  venir  les 
Francs  dans  la  Belgique,  s'emparer  de  toutes  les  possessions  des  Belges,  et 
s'y  conduire  en  conquérans  et  en  maîtres?  c'est  qu  ils  ignorent  que  les  Belges 
étaient  plus  forts  que  les  Francs,  que  sans  l'insurrection  des  Belges  et  leur 
confédération  avec  les  Francs ,  aucune  borde  de  Francs  n'eut  jamais  pu  se 
maintenir  dans  la  Belgique ,  et  que  les  Belges  vivaient  déjà  depuis  quatre- 
vingt-dix  ans  en  état  indépendant,  lorsque,  par  un  traité  formel,  ils  vou- 
lurent bien ,  en  496  ,  reconnaître  Clovis  pour  chef  commun  des  deux  nations 
soumises.  »  (Raepsaet,  Analyse ,  etc.,  tom.  2,  p.  272).  Voir  aussi  Dubos, 
Hist  crit.  de  V établissement  de  la  monarchie  franc,  dans  les  Gaules,  Dis- 
cours prélim. ,  tom.  1". 


—  479  — 

qui  avaient  cru  a  la  bonne  foi  et  a  la  générosité  de  ceux 
qui  se  prétendaient  les  maîtres  de  lunivers  entier  (1). 
«  On  nous  livre,  disait  Civilis,  chef  des  Bataves,  en  s'adres- 
sant  à  ses  concitoyens,  on  nous  livre  aux  préfets  et  aux 
Centurions  ,  qui  ,  lorsqu'ils  se  sont  engraissés  de  nos 
dépouilles  et  de  notre  sang  ,  cèdent  la  place  a  de  nou- 
veaux tyrans  plus  avides  et  plus  cruels  encore  que  les  pre- 
miers (2).  » 

Tacite  fait  tenir  le  même  langage  a  Florus ,  chef  des  Tré- 
viriens,  peuple  dont  la  condition  politique  fut ,  sous  la  domi- 
nation romaine,  semblableà  celle  des  Bataves,  et  à  Saccrovir, 
chef  de  Eduens ,  qualifiés  de  frères  du  peuple  romain  (3). 
Mais  rien  ne  dépeint  plus  vivement  l'affreuse  tyrannie  et 
les  exactions  des  gouverneurs  de  province,  que  le  discours 
suivant  que  Tacite  met  dans  la  bouche  d'un  roi  breton  : 
«  Les  spoliateurs  de  l'univers,  dit  ce  prince  ,  s'adressant  à 
ses  compatriotes ,  les  spoliateurs  de  l'univers ,  quand  il  ne 
reste  plusrien  a  dévaster  sur  la  terre ,  vont  jusqu'à  fouiller 
les  abîmes  de  la  mer.  Si  l'ennemi  est  riche  ,  ils  sont  insa- 
tiables ;  s'il  est  pauvre ,  ils  sont  despotes  !  tels  sont  les  bri- 
gands, dont  ni  l'Orient  ni  l'Occident  n'ont  pu  rassasier 
l'infâme  avidité;  les  peuples  pauvres,  comme  les  nations 
opulentes,  tentent  également  leur  ambition  criminelle. 
Piller  et  exterminer  s'appelle  chez  eux  gouverner  ;  réduire 
de  vastes  pays  en  déserts ,  c'est  leur  donner  la  paix.  La  na- 
ture a  voulu  que  nos  enfans  et  nos  proches  fussent  les  objets 


(1)  Populi  romani  conditione  sociis,  foriuna  servis  (Cicéro,  in  Verrem.y 
Action,  lib.  1). 

(2)  Tradi  se  profectis  centurionibusque ,  quos  nhi  spoliis  et  sanguine 
expleverint,  mufari,  exquirique  novos  sinus  et  varia  prœdandi  vocabula 
(  Tacit.,  Hist,  lib.  IV  ). 

[^)  Disserehant  de  continuation e  irihuioruw.  gravilate  fœnoris,  sœvitia  ae 
superbia  prœsidentium  (Id. .  Annal.,  1.  III,  c.  4], 


-~  480  — 

les  plus  chers  à  nos  cœurs;  les  Romains  nous  les  enlèvent 
par  la  conscription  militaire,  pour  les  faire  servir  dans  des 
terres  lointaines  ;  si  nos  e'pouses  et  nos  soeurs  parviennent 
à  e'chapper  à  la  passion  brutale  et  violente  de  l'ennemi , 
ce  n'est  que  pour  être  deshonore'es  par  ceux  qui  se  disent 
nos  amis  et  nos  hôtes  ;  non  contents  de  nous  enlever  tous 
nos  biens,  sous  le  nom  de  tribut,  ils  mettent  encore  en  ré- 
quisition les  fruits  de  nos  terres ,  pour  la  subsistance  de 
leurs  armées  (1).  » 

Tous  les  documens  anciens  s'accordent  à  attester  que  les 
Gaules  furent  re'duites  sous  la  domination  romaine  au  der- 
nier degré  de  misère  et  de  dépopulation  (2)  ,  et  qu'à  cette 


(1)  Raptores  orhis,  postquam  cuncfa  vastantihus  defuere  y  terrœ ,  et  mare 
scrufantur.Silocuples  liostis  est,  avari ;  si pauper,  ambitiosi,  quos  nonoriens 
non  occidens  satiaverit  :  soîi  omnium  opes  atque  inopiam  pari  affectu  con- 
cupiscunt.  Au  ferre,  trucîdare,  rapere ,  falsis  nominibus  itnperium,  atque 
nbisolitudinem  faciunt,pacem  appellant.  Liberos  cuique  ac  propinquos suos 
natura  carissimos  esse  voluit;  hi  per  deîectus  alibi  servituri  auferuntur; 
conjuges  socoresque,  etsi  liosiilem  libidinem  effugiant ,  nomine  amicorum 
atque  hospitum  polluuntur  ;  bona  forîunasque  in  tributum  egerunt,  in  anno- 
nam  frumentum  etc.  (  Id.  Vita  Agric. ,    c.  31  ). 

Yoici  un  exemple  qui  vient  à  l'appui  de  cette  accusation  :  Le  roi  des 
Iceniens ,  peuple  de  la  Grande  Bretagne ,  avait  institué  l'empereur  Domi- 
tienson  héritier,  conjointement  avec  ses  deux  filles,  espérant  qu'en  sacrifiant 
une  partie  de  sa  fortune,  il  échapperait  à  l'afTreuse  tyrannie  de  Domitien  et 
pourrait  terminer  ses  jours  en  paix:  mais  ce  moyen  eut  un  efFet.tout  contraire 
à  celui  qu'il  en  espérait  :  il  vit  ses  biens  envahis,  sa  maison  saccagée,  son 
épouse  maltraitée  et  ses  filles  déshonorées.  Les  Bretons ,  exaspérés  par  tant 
d'atrocités,  tentèrent  de  secouer  le  joug  des  Romains,  mais  trahis  par  la  for- 
tune, leur  sort  devint  plus  déplorable  encore  :  Rex  Icenorum  Prœsugatus , 
îonga  opulentia  clarus,  Cœsarem  hœredem  duasque  filias  scripserat,  tait 
obsequio  ratus  regnumque  et  domum  suam  procul  injuria  fore  :  quod  contra 
vertit,  adeô  utregnumperceniuriones,  domus  per  servos,  v élut  capta,  vasta- 
rentur.  Jamprimumuxor  Boadicea  verberibus  adfecta,  et  filiœ  stupro  violatœ 
sunt.  Prœcipui  quique  Icenorum ,  quasi  cunctam  regionem  muneri  accepis- 
sent,  arctis  bonis ,  exuuntur,  et  propinqui  régis  inter  mancipia  habebaniur 
(  Tacit.,  Annal,  lib.  XIV,  c.  31  ). 

(2)  Wendelin,  un  de  nos  écrivains  les  plus  judicieux  elles  plus  savans, 


-^  481  — 


époque  et  plusieurs  siècles  après,  elles  n offraient  encore 
dans  la  majeure  partie  de  leur  étendue ,  que  le  triste  et 
sombre  aspect  d'immenses  forets,  de  bruyères  et  de  terres 
€n  friche.  Nous  ne  finirions  pas  s'il  fallait  citer  tous  les  mo- 
numens  anciens  et  du  moyen  âge  qui  constatent  cet  état  dé- 
plorable des  Gaules.  Il  nous  suffira  de  rapporter  ici  quelques 


du  17«  siècle,  trace  le  tableau  suivant  de  l'état  misérable  où  furent  réduites 
les  Gaules  pendant  les  quatre  premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire  :  Tributorum 
immanitas  ita  exhauserat  Galliam,  ut  solitudinem  ejus  panegyrici  testentur 
nec  historici  tantum  inculcent  :  super  quâ  Galliarum  extra  Belgicam  sub 
Romanis  egestate  calamitosa  placet  adnotare  paucuîa  :  jam  indè  sub  Tiberio 
Frisiif  transrhenanus  populus,  pacem  exuere ,  romanâ  rnagis  avaritia,  quam 
obsequii  impatientes  (  Tacit).  Sub  Domitiano   Galgacus  ,  Britannus   (  Vita 

Agric),  eadem  œque  atrocia Et  hœc  quidem  extra  Galliam.  Inira  ipsam 

verà  Galliam  quanta  fuerit  vastitas  et  solitudo  sub  imperatoribus  sequenti- 
hus  non  est  hujus  loci  expangere.  Panegyricus.,  { si  mihi  )  dicius  anno  292 , 
epochœ  nostrœ,   satis  eam  prœdicat  per  Nervios  ac  Treviros,   Ambianos , 
Bellovacos,  Tricasses,  Lingones  ;  hoc  estLotharingiam ,  Hannoniam  ,  Cam- 
paniam,  Picardiam ,  Normandiam  agrumque  parisium  :  «  sicuti  pridem  tuo^ 
Diocletiane    Auguste ,   nutu  supplevit  déserta  Thraciœ  ,    translatif  incolis 
Asiœ,  sicut  postea  tuo,  Maximiane  Auguste ,  nutu,  Nerviorumet  Trevirorum 
arva  jacentia  lœtus  postliminio  restiliitus  et  receptus  in  leges  Francus  exca- 
luit,  iià  nunc  post  victorias  tuas,    Constanti   Cœsar  invicte ,   quidquid  tn 
frequens  ambiano  et  bellovaco  et  tricassino  solo  lingonicoqtie  restabat,  bar- 
barus  cultore  revirescif.  Quinetiam  illa  devotissimavobis  civitas  Heduorum 
in  hâc  Britannica  facultate  victoriœ  plurimos  quibus   illœ  provinciœ  redun- 
dabant,  accepit  artifices  :  et  nunc  exstructa  instauratione  consurgit.    Tune 

ergo  videri  fuit  quod  idem  illic provincialihus  (Gallis)  ad obsequîum  dis- 

tributos  omnes  donec  ud  destinatos  sibi  cultus  solitudinum  ducerentur.  »  In 
eumdem  sensum  ac  verba  etiam  aller  panegyricus  (  facerem  )  :  «  quid  loquar 
(  ait) ,  rursus  intimas  Francorum  nationes ,  non  jam  ab  his  locis  quœ  invase- 
rant  (  Bataviam  scilicet ,  Menapiam  ,  Taxandriam  ),  sed  à  propriis  ex  origine 
suis  sedibus  Sicambris  iransrhenanis ,  atque  ab  ultimis  barbaries  littoribus 
uvulsaSf  ut  in  desertis  Galliœ  regionibus  collocatœ ,  etiam  pacem  romani 
imperii  cultu  juvarent  et  arva  delectu?  »  Non  potuit  explicatius  ob  oculos 
poni  squalor  Galliarum  et  solitudo,  ad  quam  removendam ,  opus  fuit  ex 
iransrhenanis  oris  acire  ultra  etiam  hostes  Letos  et  Francos ,  qui  arva  jacen- 
iia  colerent ,  Iributa  penderent ,  delectïbus  responderent;  hreviter  ex  vastitate 
facerent  cuUuram  (Wendelin.,  de  lege  Sal,  c  5). 

Tome  I.  31 


~  482  - 

faits  généraux  relatifs  seulement  aux  parties  des  Gaules  en 
dehors  de  la  Belgique  actuelle. 

Dans  aucune  partie  des  Gaules  on  ne  trouvait  autant 
d'établissemens  romains  et  aussi  rapprochés  que  sur  la  rive 
gauche  du  Rhin.  Cependant  celle-ci  et  les  bords  de  la 
Moselle  présentaient  encore  de  vastes  espaces  incultes  et 
couverts  de  bois  au  quatrième  siècle  de  l'ère  vulgaire, 
alors  même  que  la  ville  de  Trêves  était  devenue  la  rési- 
dence temporaire  des  empereurs  (1). 

Le  canton  voisin  du  Rhin ,  qui  porte  aujourd'hui  le  nom 
de  Hundsruck ,  fut ,  jusqu'au  5^  siècle  ,  une  contrée  déserte 
dans  laquelle  l'empereur  Valentinien  établit  une  colonie 
de  Huns.  Ce  ne  fut  qu'au  10^  siècle ,  que  l'on  commença  a 
abattre  la  vaste  foret  de  Vieil  (  Vila  ) ,  qui  couvrait  tous  les 
environs  de  la  ville  romaine  de  Cologne.  Le  Rhingau,  si 
célèbre  de  nos  jours  par  la  cjualité  supérieure  de  ses  vins  , 
ne  fut  défriché  que  depuis  le  8^  siècle  :  ce  furent  les 
moines  de  l'abbaye  de  Lorch,  qui  entreprirent  ce  tra- 
vail, et  qui,  les  premiers,  y  introduisirent  la  culture  de 
la  vigne.  L'emplacement  de  Creveld  et  le  territoire  de 
cette  ville ,  une  des  plus  jolies  et  des  plus  industrieuses 
de  l'Allemagne,  n'offrirent ,  jusqu'au  17^  siècle,  qu'une  aride 
bruyère  qui  fut  réduite  en  culture  par  des  émigrés  fran- 
çais^ expatriés  par  suite  de  la  révocation  de  ledit  de 
Nantes  ,  en  1685.  Dans  le  court  espace  qui  sépare  le  bourg 
de  Goch  de  la  ville  de  Clèves,  on  a  défriché  au  siècle  der- 
nier au-delà  de  3300  bonniers  de  bruyère  (2). 

Avant  la  fondation  d'Aix-la-Chapelle  par  Charlemagne , 
l'emplacement  de  cette  ville  et  les  lieux  environnans  étaient 
occupés  par  une  foret ,  que  cet  empereur  appelle  dans  un 

(1)  Iter  ingrediens  nemorosa  per  avia  solum 
Et  nvlkt  humani  spectanê  vestigia  cvltus. 

(.  Auson.  Mosella  ). 

(2)  Annales  Belgique  s  j  tom.  7.  p.  33. 


—  483  — 

diplôme,  daté  de  l'an  804,  fbrestum  nostriim  dquisgra- 
num  (1).  Le  bourg  de  Borcette,  a  peu  de  dislance  d'Aix- 
la-Chapelle,  aurait  reçu  le  nom  de  Porcetum ,  de  la  quan- 
tité de  sangliers  qui  peuplaient  autrefois  ce  bois  (2). 

Les  parties  de  la  France  qui  touchent  aux  provinces 
méridionales  de  la  Belgique,  offraient  pendant  les  sept 
premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire  le  même  aspect  que  ceux 
dont  nous  venons  de  faire  mention.  Au  8«  siècle  la  foret  de 
Thierarche  (  Theoracid) ,  s'étendait  depuis  les  sources  de 
la  Sambre  jusqu'aux  limites  de  la  province  actuelle  de 
Namur,  et  couvrait  presque  entièrement  la  ci-devant  pro- 
vince du  Hainaut  français.  Une  autre  forêt ,  appelée  dans 
les  anciens  titres  Aridugamantia  (l'Arouaise),  s'étendait 
également  des  sources  de  la  Sambre ,  jusqu'aux  extrêmes 
frontières  du  Vermandois  et  du  Cambresis;  elle  couvrait 
cette  dernière  province  et  le  diocèse  d'Arras  presque  entier, 
et  au  XP  siècle  elle  servait  encore  de  repaire  à  de  bandes 
nombreuses  de  voleurs  (3).  L'emplacement  et  le  territoire 
des  villes  de  Maubeuge ,  Crepin  ,  Condé  et  Saint- Amand, 
étaient  compris  dans  cette  forêt.  Le  défrichement  de  ces 
lieux  et  l'origine  des  villes  actuelles  sont  dus  à  la  fondation 

(1)  Dans  une  autre  charte  attribuée  à  Chariemagne ,  mais  dont  on  conteste 
l'authenticité,  on  lit  :  nostk  qualiier  ad  locum  qui  Aquis  ah aquarum  cali- 
darum  aptatione  traxit  vocahulum  ;  solito  more  venandi  causa  ingressus , 
sed  perplexione  Silvarum,  eirore  quoque  viarum,  à  sociis  sequestratus  veni, 
thermas  calidaruni  fonfium  et  palalia  inihi  reperi ,  quœ  quondam  Granus 
unus  de  Romanis  principibus,  frater  Neronis  etjégrippinœ,  à  principio  covs- 
irM^em?  (Mirœus  dipl.,  tom.  1,  p.  14). 

(2)  Ilutc  à  porcorum  Syïvestrium  oïim  frequentia  Porcetum  nomen  ohtigit 
(Blondel ,  Thermarum  Aquisgran. ,  cap.  VIII,  p.  49). 

(3)  Hic  itaque  locus  (  monasterium  Aroasiœ),  super  stratam  puhlicam 
constitutus^  in  sylva  quœ  dicitur  Aridugamantia  situs  [quœ  quidem  silva  à 
castra  quod  dicitur  Dusta  ,  usque  ad  fluvium  Samhram  tune  temporis  pro- 
iendehatar) ,  olim  spelunca  Latronum  fuerat  (  Vita  s.  Heldegisi.  Boland. 
Januar.,  tom.  1,  p.  831). 

Dans  la  charte  par  laquelle  Tévêquc  de  Cambrai  confirme,  en  1097.  la 


-^  484  — 

de  monastères  au  1^  et  au  8^  siècle  (1).  Il  en  est  de  même 
du  territoire  du  village  de  Liessies ,  à  trois  lieues  de  Mau- 
beuge ,  qui ,  au  8^  siècle ,  était  un  bois  rempli  d'animaux 
sauvages  (2).  La  partie  de  la  foret  d'Arouaise  qui  couvrait 
au  7^  siècle ,  remplacement  de  la  ville  de  Saint-Amand , 
s'étendait  encore ,  au  12^  siècle ,  sur  celui  oii  fut  alors  fonde 
Tabbaye  de  Vicogne,  à  une  lieue  de  Saint-Amand  (3). 

fondation  de  Tabbaye  d'Arouaise,  située  a  deux  lieues  de  Bapaume,  on  lit  : 
in  Aridugamantia ,  in  parochia  nostra  quœ  dicitur  Rochemieres ,  locum 
vdbis  ad  serviendum  elegistis;  qui  sicut  aliquando  fugiendus  y  velut  spe- 
lunca  latronum  fuit,  factus  est  refugium  et  solaiium  ihi  transeunfium 
(Miraeus,  Diplom.,  tora.  1,  p.  Î67). 

(1)  On  lit  dans  la  vie  de  Saint-Landelin  iBeatus  Landelinus ad  locum 

sylvis  horridutn,  quem  CrispiniumTiuncupani,  sese  suhduxil,  ibique  alterunt 
exstruxit  monasterium. 

On  lit  dans  la  légende  Sainte-Aldegonde ,  fondatrice  de  Tabbaye  de  Mau- 
beuge  :  Jugiensque  noctu  in  locum  nemorosum  qui  vocatur  Meïbodius , 
aliquot  diehus  ihi  latiiit....  qui  locus  adhuc  deserius  erat  Cœpit  sagacissimè 
locum  excolere ,  vepribus  et  arbusiis  radicitus  extirpatis ,  habitacula  cons- 
iruere  (  Boland.  Acta  ss.  Jan.,  tom.  2 ,  p.  1043). 

La  cbartepar  laquelle  Dagobert  fit  don  à  Saint-Amand  de  l'emplacement 
où  ce  Saint  fonda  l'abbaye ,  qui  dans  la  suite  porta  son  nom ,  dit  de  cet  en- 
droit :  locum  situm  inter  duos  fluvios  Scarpe  et  Elnonem  à  nostra  libera- 
litate  sibi  concedi  humiliter  (cum  Amanàus  )  pefierit,  qui  locus  licet  esset 
propter  muliam  silvœ  densitatem  ad  extirpandum  difflcilis,  tam,en  labore 
suo,  imo  post  laborem  suum ,  quieti  et  usibus  deo  militantium  videbatur  op- 
portunus  (Miraei  JDipl.  Belg.,  c.  1). 

(2)  Cum  die  quadam  in  venatibus  aprum  agitaret  (cornes  Wibertus),  con- 
tigit  ut  eum  comprehenderet  super  fluvium  Helpram  in  loco  qui  Lœtitia 
dicebatur  ;  cumque,  luminibus  latè  circumductis ,  loci  situm  et  cotumoditatem 
pervidisset ,  animo  incidit  ut  locum  illum,  qui  prius  fuerat  ferarum,  habita- 
lionemfaceret  hominum,  ac  monasterium  construeret  in  honorem  deiac  sancti 
Lamberti  [Vita  B.  Nildrudis ,  Ap.  Mirœum,  Chron.  Ord.  Bened.,  p.  183 
Vita  S.  Hiltrud.,  Auct.  monacho  valciodurensi  anonymo  saec.  XI^  A^ta 
Bened.  sœc.  3,  p.  2). 

(3)  Tempore  namque  Ludovici  régis  Francorum  hœc  Sylva  (Vicogne)  pri- 
mùm  à  fratribus  nostris  incoli  cœpit,  annis  ab  incarn.  domini  1125  plus 
tninusve  decursis.  Eatenus  locus  isle  spinis  ac  vepribus  cannisque  palustri- 
hus  densus,  latehris  luporum  magis  quam  habitaculis  hominum  videbatur 
idonevs  (Hist.  brevis  cœnobii  viconensis.  d'Achery.  Spiceleg.,  tom.  2). 


^  485  ■- 

Une  épaisse  forêt  >  appelée  tristiacensis  sjlva  et  vastus 
saltiis ,  à  cause  de  son  étendue ,  occupait  pendant  les 
sept  premiers  siècles  de  notre  ère ,  la  majeure  partie  du 
diocèse  de  Terouenne  (1).  Malbrancq  rapporte  qu'ancien- 
nement cette  foret  avait  vingt-neuf  lieues  de  circuit,  mais 
que  de  son  temps ,  au  commencement  du  17^  siècle ,  elle 
n'en  avait  plus  que  sept.  «  L'espace  depuis  Fracfage,  jus- 
qu'à la  petite  rivière  la  Vellule^dit  encore  cet  auteur,  pré- 
sentait l'aspect  d'une  vaste  forêt,  mais  nulle  part  le  bois 
n'était  plus  abondant  que  dans  les  environs  de  la  ville  de 
Boulogne  :  les  Romains  donnèrent  à  la  plus  grande  de  ces 
forêts  le  nom  de  sylviacus  (2).  » 

Si  de  la  partie  des  Gaules  voisine  de  l'Océan ,  nous  nous 
dirigeons  vers  l'est,  nous  n'y  observerons  à  la  même  époque 
ni  une  culture  plus  florissante ,  ni  une  population  plus 
nombreuse.  Le  territoire  de  Charleviîle  en  Lorraine  était 
entièrement  inhabité  au  8^  siècle  (3).  L'Alsace  et  la  chaîne 
des  Vosges ,  de  notre  temps  une  des  parties  les  plus  indus- 
trieuses et  les  plus  riches  de  la  France ,  n'offraient  encore 
au  7^  et  au  8^  siècle,  qu'une  vaste  solitude  {y  as  ta  er émus)  ^ 
peuplée  seulement  par  quelques  anachorètes  et  par  des 
animaux  sauvages ,  tels  que  l'élan ,  l'ours ,  l'urus  et  le  bi-- 


(1)  On  lit  dans  l'ancienne  légende  de  SS.  Luglius  et  Lnglianus,  qivi 
vivaient  vers  l'an  700  :  Ad  valletn  quœ  Scyredala  duitur ,  quatuor  ah  urhe 
Morinorum  Teruanâ  interpositis  miliaribus  ^  cantando  per  dévia  nemora  et 
inculta  loca  pervenerunt. 

(2)  Blagno  nemore  longe  latèque  impedita  regio  à  Fracfagio  ad  Wellulain 
fluviolum  et  ultra.  Nullibi  vero  crehriores  et  copiosiores  sylvœ  quant  m  bono- 
neso  territorio  :  potissima  fuit  à  Romanis  sylviacus  nuncupata  (Malbrancq  , 
de  Morinis  et  Morinorum  rehus ,  lib.  1,  c.  8  ). 

(S)  Veniens  autem  Dei  duciu  in  solitudinem  ad  locum  nomine  Tin  (  Tin 
le  Moustiers ,  près  de  Charleviîle),  sibi  cœlitus  ostensum ,  ibidem  mansil 
heatœque  virgini  basilicam  œdifîcavit  (  Vita  sise  Borlindis.  Acta  Bencd., 
ssec.  111.  pars.  1  ). 


^  486  — 

son  (1).  Le  pays  d'Hagenau,  entre  le  Moter  et  la  Sour,  pré- 
sentait le  même  aspect.  Le  grand  nombre  de  solitaires  qui 
se  retiraient  dans  cette  contre'e  déserte  ,  lui  fit  donner  le 
nom  de  sainte  foret  (2). 

L'Helvëtie  et  la  Rauracie ,  après  la  destruction  presque 
complète  de  leur  faible  population  par  Cësar  et  l'armée  de 
Galba,  ne  présentèrent,  en  majeure  partie  ,  qu'un  vaste 
désert,  dans  lequel  le  voyageur  apercevait  à  peine,  au 
milieu  des  bois  et  a  de  grandes  distances ,  quelques  ché- 
tives  chaumières  et  de  faibles  traces  de  culture. 

Bien  avant  dans  le  moyen  âge,  le  village  de  Montfalcon 


(1)  Monasterîum  virorum  in  eremovnsta^  quœ  vosagus  appelîabûiur ,  in 
pago  alsacensi  (  Dipl.  Theodorici  a"  72B). 

L'auteur  anonyme  de  la  vie  de  Sainte- Agile,  lequel  écrivit  cette  légende  ao 
7*  siècle,  appelle  les  Vosges  :  Vasta  eremi  septa  (ActaBened.,  tom.  1,  ssec.  2). 
Erat  tune  eremus  Vosagus  nomine ,  dit  Jonas ,  auteur  de  la  vie  de  Sijlnt 
Colomban  et  contemporain  de  ce  Saint  (  Fita  S.  Calumbani,  Acta  Bened. 
tom.  1.  saec.  2  ). 

En  parlant  de  l'ancien  état  des  Vosges,  l'illustre  Schœpflin  dit  :  Antiquio- 
ribus  illis  sœculis  tant  horidus  et  incultus  fait,  ut  remotinsimis  terris  ana- 
choretes  alliceret ,  qui  tenehricantem  solitudinem  ejus  densissima  arboreta 
vepra  inhubiiareni.  Rapprochant  ensuite  ce  tableau  de  celui  que  présentaient 
les  Vosges  au  siècle  dernier,  l'auteur  ajoute  :  Veteres  illi  eremitœ  si  redi- 
rent in  vitam,  Vogesum  in  ipso  Vogeso  quœsituri  essent  (S chce^pùirà ,  Alsatia 
illiistrata ,  t.  1  ). 

Grégoire  de  Tours,  Venantius  Fortunatus  et  le  moine  Jonas  parlent  fré- 
quemment des  animaux  sauvages,  tels  que  l'ours,  l'urus,  l'élan  et  des 
loaps,  qui  de  leur  temps  peuplaient  ces  lieux  agrestes  :  Eremum  vastam 
Fosagum  et  aspera  vastœ  solituditiis  scopulosaque  locain  quibus  solœ  ferœ  f 
nrsi ,  bubalif  lupi  fréquentes  videbantur  (Jonas,  Vifa  s.  Columbani).  Ista 
vasta  solitudo,  dit  la  chronique  de  l'abbaye  de  Sens  ,  dans  un  passage  de  la 
vie  de  Saint-Gundelbert,  qui  a  trait  aux  Vosges,  non  iam  hominum  quant  feia- 
runi  sœvarum  liabitatio  habebalur  et  quasi  labyrinthus  ab  hominibus  tune 
temporis  visitabaiiir  (  Chron.  monast.  senon.  ,  lih.  1 ,  c.  2.  Apud  Schœpflin, 
Alsal.  illuslr.  ). 

Plusieurs  autres  écrits  de  cette  époque  s'expriment  de  la  même  manierai 
relativement  aux  Vosges. 

(2)  Wastelain  ,  Descript.  de  la  Gaule  Belg. 


—  487  — 

et  le  château  de  Spiegelberg ,  dans  levéché  de  Baie  (le  pays 
des  Rauraciens),  étaient  les  seuls  endroits  habites  dans 
tout  le  canton  actuel  de  Freyberg,  qui  a  cinc|  lieues  de 
long  sur  trois  de  large  :  le  reste  de  ce  canton  était  couvert 
de  bois.  Ce  fut  en  1384,  qulmmer,  evéque  de  Baie,  entre- 
prit de  défricher  ce  territoire,  aujourd'hui  un  des  mieux 
cultives  et  des  plus  peuples  de  la  Suisse  (1).  La  valle'e  de 
laLinth ,  couverte  d'épaisses  forêts  au  7®  siècle,  fut  donnée 
par  Urso  et  Landulphe ,  deux  nobles  Rhetiens,  aux  moines 
de  Seckingen  ,  qui  la  mirent  en  culture.  La  légende  de  la 
légion  thébaine  nous  apprend  que  le  canton  actuel  de 
Claris  était ,  sous  le  règne  de  Dioclétien,  entièrement  inha- 
bité (2).  Il  en  était  de  même,  du  temps  d'Ammien  Mar- 
cellin,  au  4®  siècle,  du  canton  de  Saint-Gall  et  des  bords  du 
lac  de  Constance  ,  dont  les  premiers  défrichemens  sont  dus 
aux  moines  de  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Gall  (3).  Plu- 
sieurs autres  parties  de  la  Suisse  sont  également  redevables 
aux  monastères  de  leur  culture  et  de  leur  prospérité  ac- 
tuelles; c'est  ainsi  que  les  vallées  de  Moustier-Granval 
(Munsterthal  ) ,  dans  l'évêché  de  Bâle  ,  devinrent  produc- 


(1)  Hentzy,  Promenades  pittoresques  dans  Vèvêché   de  Bâle  ^    tom.  2, 
page  166. 

(2)  Idem.,  tom,  2.  Guilhelm.,  de  reh.  Helvet,  1.  III,  c.  6.  Loys  de  Bochat 
Mém.,  sur  l'Hùt.  anc.  de  la  Suisse. 

(3)  Hentzy,  tom.  2,  c.  4. 

Le  diacre  Hillebolde,  qui  vivait  sous  le  rè^ne  de  Louis  le  Débonnaire, 
fit  à  Saint-Gall  la  peinture  suivante  du  lieu  et  de  l'endroit  où  ce  Saint  vou- 
lait se  construire  une  cellule,  qui  donna  naissance  à  l'abbaye  et  à  la  ville  de 
Saint-Gall  :  ZTœc  ,  ô  paire,  solitudo  aqiiis  est  infusa  frequentibus ,  asperitate 
terribilis ,  montibus  plenaprœcelsis.  anguslis  vallibus  fîuxuosa,  bestiis  pos- 
sessa  sœvissimis  ;  nam  prœter  cervos  et  innocuorum  greg^is  animalium,  ursos 
gignit  plurimos ,  apros  innumerahiles ,  lupos  numerum  excedentes  ,  rabie 
singulares.  Timeo  igitur  ne  si  te  illuc  induxero ,  ab  hujusmodi  hostibus 
devoreris  (  Vita  s.  Galli,  auct.  Walfrido  Strabonc,  Acta  Bnned.y  sœc.  II, 
tom.  1 ,  c.  23). 


-^  488  — 

tives  et  se  couvrirent  d'une  nombreuse  population  sous  îa 
protection  de  labbaye  de  Moustier - Granval ,  fondée  au 
7^  siècle  ;  que  l'abbaye  de  Pfeflfers  livra  a  la  culture  le 
désert  que  traversait  le  torrent  du  Jamina ,  dans  une 
e'tendue  de  huit  lieues  carrées  (1) ,  et  que  le  monastère  de 
Rougemont  fit  défricher  la  belle  vallée  dans  laquelle  cette 
abbaye  est  située,  au  pied  du  mont  Piubli,  vallée  en- 
tièrement inculte  et  déserte  avant  la  fondation  de  cette 
dernière  en  1080  ;  enfin  c'est  à  l'abbaye  d'Ensiedlen ,  que 
la  vallée  de  ce  nom ,  dans  le  canton  de  Schwitz  ,  inhabitée 
et  couverte  de  bois  au  9^  siècle ,  doit  sa  population  et  sa 
culture  :  ce  désert  s'étendait  depuis  les  Alpes  Pennines  Jus- 
qu'aux bords  du  lac  de  Zurich;  ces  derniers ,  couverts  au- 
jourd'hui de  charmantes  habitations,  visités  et  admirés  par 
tous  les  étrangers ,  étaient  eux-mêmes  à  cette  époque  en 
majeure  partie  incultes ,  et  couverts  d'arbres  séculaires , 
de  même  que  les  rives  du  lac  de  Constance  et  ceux  de  la 
Limath  (2). 

Nous  avons  fait  connaître  dans  un  chapitre  précédent , 
l'état  ancien  du  canton  de  Neufchàtel.  Celui  de  Berne ,  au- 
jourd'hui le  canton  le  plus  grand  et  le  plus  riche  de  toute 
la  Suisse  ,  fut,  sous  la  domination  romaine ,  une  des  parties 
de  l'Helvétie  les  moins  connues  et  les  moins  peuplées  :  une 
vaste  foret  couvrait  presque  entièrement  le  sol  de  ce  canton, 
ainsi  que  toute  la  partie  centrale  de  l'Helvétie  oii  les  Ra- 
mains  n'eurent  aucun  établissement  permanent  (3). 

(1)  Simond,  Voyage  en  Suisse. 

(2)  Qttâdam  die  sumsit  secum  (  Meginradus  )  scholasticos  qiios  nutrierat, 
et  prœdichim  lacum  {'Tncimum) ,  transnavigans ,  intravit  eremum,  quâ  ip- 
sius   laci  litor  adjacet  et   usque  ad  Alpes  Penninas  fewr/tY  (  Vita  s.  Galli  ). 

C'est  dans  ce  désert  que  Saint-Meginrade  fonda,  au  9*=  siècle,  l'abbaye 
d'Ensiedlen  [Vila  s.  Meginradi ,  auctore  Bernone  abbate  (XI  seec. ),  -^cta 
Bened.,  sœc.  ÎV,  p.  2). 

(3)  Voir  ci-après  le  chapitre  qui  traite  de  l'origine  dos  villes  de  la  Belgiqtic. 


—  489  — 

Le  centre  des  Gaules  n'offrait  point ,  pendant  les 
six  ou  sept  premiers  siècles  de  1ère  vulgaire,  un  aspect 
plus  riant  que  les  contrées  dont  nous  venons  de  parler. 
Au  cinquième  siècle,  les  environs  de  Paris  ne  pre'sen- 
taient  que  des  marécages  et  des  bois  (1).  De  même  que 
la  vaste  foret  des  Ardennes  couvrait  presque  entièrement 
le  nord  des  Gaules ,  l'immense  foret  d'Orléans  s'étendait 
sur  la  partie  centrale  de  cette  région.  En  1671  cette  foret 
avait  encore  en  surface  121,000  arpens',  et  en  1827,  seu- 
lement 85,000  ;  36,000  arpens  de  moins  qu'à  la  première 
époque  ;  de  sorte  qu'en  ne  portant  les  défrichemens  opérés 
dans  chaque  siècle  précédent  qu'à  la  moitié  de  ceux  qui 
eurent  lieu  de  1671  à  1827,  l'étendue  de  cette  forêt  peut  être 
évaluée,  au  4^  siècle  de  l'ère  vulgaire,  à  plus  de  327,000 
arpens.  Les  bords  de  la  Loire  même,  aujourd'hui  réputés 
une  des  contrées  les  plus  florissantes  et  les  plus  peuplées  de 
la  France ,  étaient  presqu'incultes  et  inhabités  ,  plusieurs 
siècles  après  l'expulsion  des  Romains  de  la  Gaule  (2).  Aux 

Quelques  savans  préfendent  que  les  cantons  forestiers  de  la  Suisse  ne 
furent  point  conquis  par  les  Romains  et  que  leurs  habitans  restèrent  pour 
ainsi  dire  inconnus  à  ces  derniers.  «  Le  petit  peuple  des  Waîdsteten  (les 
cantons  forestiers  d'Uri ,  Schwitz  et  TJnderwald  ) ,  oii  les  Romains  ne  péné- 
trèrent probablement  jamais,  était  tellement  ignoré  au  11*  siècle,  que 
lorsque  l'empereur  Henri  II  accorda  à  l'abbaye  d'Einsiedlen  les  terres  de 
son  voisinage,  il  ne  fut  pas  plus  question  des  indigènes  qu'en  Amérique, 
lorsque  les  rois  de  1  Europe  cédèrent  aux  premiers  aventuriers  les  vastes 
contrées  qu'ils  y  avaient  découvertes.  Il  existait  parmi  eux  une  vieille  tradi- 
tion relativement  à  leurs  ancêtres  qu'ils  croyaient  venus  de  la  Suède,  etc.  » 
(  Simon,  Voyage  en  Suisse ,  tom.  2,  c.  7). 

(1)  Dulaure ,  Hist  de  Paris,  tom.  1". 

(2)  Taliter  autem  ipse  (  s.  Richmirus  )  circuiens  diversa  et  paupercula 
nique  incuîta,  pervenit  ad  uîtimum  super  fluvium  Lid  (  la  Loire),  in  loco 
qui  dicitur  modoturris  dominica^  qui  tune  incuUus  erat  locus  et  densissimis 
fructetis  occupalus ,  sed  aptus  aliundè  propter  convenientiam  nique  piscalio- 
nem  ad  stirpandum,  et  cellulam  inihi  œdificandum.  Demùin  verô  Dei  uufu 
invenit  alierum  locum  non  iam  longe  ah  eodcm,  super  fluvium  qui  vocutnr 
Gundridus ipse  cnim  tune  locus  eremus  erat  einumquam  olim  ihi  hahi- 


—  490  ~ 

environs  de  Dijon  ,  ville  fondée  par  les  Romains  ,  on 
trouvait  une   grande   foret   où  Saint  -  Sequanus    fonda  , 

vers  l'an  580,  un  monastère,  à  cinq  lieues  de  cette 
ville  (l). 

L'argonne ,  contrée  qui  s'étend  entre  la  Meuse ,  la  Marne 
et  l'Aisne  ,  ne  consistait  qu'en  une  immense  forêt,  qui  elle- 
même  n'était  qu'une  fraction  de  celle  d'Orléans  (2).  De 
grands  espaces  incultes  existaient  aussi  dans  le  Poitou  : 
tel  était  entre  autres  l'emplacement  de  la  célèbre  abbaye 
de  Fontenelles  ,  que  la  légende  de  Saint- Wandregisile  ap- 
pelle un  repaire  de  bétes  féroces  (  lustra  ferarum  )  (3). 
L'Oudon,  rivière  qui  coule  près  d'Angers,  traversait  au 
7^  siècle  une  vaste  solitude  (4).  Le  Perche,  ancienne  pro- 

tatio  hominum  f lierai,  sed  ferarum  ei  hestiarum  ;  et  uhi  tune  erat  hahitatio 
ferarum  et  hestiarum ,  modo  est  habitalio  servorum  dei  ac  sanctorum  atque 
Angelonim  convenius  (Vita  s,  Richimiri  ( an"  710),  auctore  fere  œquali 
Bened.,  ssec.  III  ). 

(l)  Erat  autem  silva  longum  nunquam  violata  per  œvum ,  cujus  arborum 
summitas  pêne  nuhes  pulsahat.  Tune  requientibus  illis  quâ  possent  silvam 
penetrare ,  callis  quidam  artuosus  eorum  refuïsit  obtutibus ,  tantum  an- 
gustis  atque  sentuosus ,  ut  difficile  possent  planfœ  uniuscujusque  per  eum 
aequipero  gradu  incedere ,  sed  perlatum  vix pedem  pes  sequebatur  impediente 
densitate  ramorum  (Vita  s.  Sequaiii.  Acta  Bened.,  ssec.  I,  tom.  1,  p.  265  ). 

(2)  Sallum  ingreditur  (  S.  Rodingus  )  Argoennœ  soUtudinis  ;  deside- 
ransque  invenire  locum  suis  votis  commodum ,  et  circuiens  montes  et  colles 
et  concava  vallium,  prœ  nimia  (reor)  vustifate,  quasi  Y astvs  locus  voca- 
tum ,  quem  moderni ,  mutato  no  mine ,  Bellum  tocoai,  ob  puîcherrimum 
situni ,  vocari  maluerunt  :  cujus  amœnitatis  christi  famulus  admodum  delec- 
tatus ,  junctis  sibi  in  labore  fidissimis  sodalibus,  succisis  undique  virguUis 
et  radicibus  arborum  erutis,  diù  quœsifum  construere  cœpit  habitationis  locum 
(  Vita  s.  Rodingl  (  circa  880),  Acta  Bened.,  sœc.  IV,  p.  2  ). 

(3)  Assedit  (Wandregesilus).  y^a-ia  fontem  uberrimum  qui  vocatur  Fonta- 
nella  in  eremo  quidicitur  Gemeticus,  ex  fsco  quem  assumpitregali  munere  : 
ibi  monasterium  fundai'il,  etc.,  (Vita  s.Wandregisili  (circa  667).  Acta  Bened., 
Saec.  II,  tom.  2). 

(4)  Cum  tribus palrib us,  eodemardore  succensis,  summa  agilitate  ad  erenii 
soliludinem  pervofavit[ë.  Albertus)  :  quam  eremi  vastitaiem  fluvius  quidam 
nomme   Olda  (l'Oudon)  impelu  suo  scindebai.  Camque  per  immensam  den- 


—  491  — 

YÎnce  française  aux  confins  de  l'Orléanais,  et  le  Mans,offraient 
au  6®  siècle  le  même  aspect  que  FArgonne ,  ne  formant 
comme  celle-ci  qu'une  foret  continue ,  fraction  de  la  forêt 
d'Orléans ,  peuplée  des  mêmes  animaux  sauvages  que  Ion 
trouvait  dans  les  Ârdennes  et  les  Vosges  :  Fancienne  légende 
de  Saint-Carilet  cite  entre  autres  le  bubale  ou  taureau 
sauvage  (1). 

Dans  le  midi  des  Gaules  même,  quoique  plus  peuplé 
que  les  autres  parties  de  cette  région  ,  parvenu  a  un  plus 
haut  degré  de  civilisation  et  d'industrie  et  occupé  par  de 
nombreuses  colonies  grecques  et  romaines ,  on  trouvait 
pendant  les  quatre  premiers  siècles  de  Fère  vulgaire  une 
grande  étendue  de  terres  en  friche  et  inhabitées.  Nous  lisons 
qu'en  Fan  440,  une  nombreuse  colonie  d'Alains ,  se  fixa  sur 
le  territoire  de  la  ville  de  Valence ,  dont  une  grande  partie 
était  inculte  (2).  Le  territoire  d'Autun  présentait  le  même 

situdinem  siîvarum  hnju$  flumînîs  ripam  offendisseni,  et  cum  hic  illacque 
per  vix  inaccessibilia  loca  grudiendi  facultatem  qnœrerent,  œgre  inveniebant ^ 
presertim  cum  ibidem  nulla  hominum  .  sed  esse  magis  videretur  habitatio 
ferarum  (  Vita  s.  Alberti.  Annal.  Bened.,  saec.  10,  pars.  2^). 

(1)  Vastas  expetunt  (  SS.  Carilefus  et  Avitus  )  Perthesi  saliùs  solitudi- 
nés.  Çuas  peragrantes ,  inter  opaca  quœque  nemorum  et  lustra  abditissima 
ferarum,  obvîum  se  tuliteorumconspectibus  fertilis  locus,  qui  tune  Piciacus 
dictus,  at  nunc  vocabulo  Cellœ  sancti  Aviti  (S.  Avy)  cognosciiur  insignitus, 

S.  Avitus  bâtit  dans  cette  forêt  un  monastère,  et  S.  Cariîefe  se  retira 
avec  deux  compagnons  dans  un  endroit  encore  plus  désert  dans  le  Mans,  ou 
il  fonda  l'abbaye  de  Saint  Calais  :  erat  namque  locus  à  cujuslibet  accessu 

secretus  in  altitudinem  eremi  à  viventium  conversatione  remotus Erat 

nempè ,  utjam  dictum  est ,  locus  securus  totius  externi  tumultus  et  tanturn- 

modo  feris  eremique  familiarissimis  animaniihus  pervius Erat  namque 

spectabile  videre  bubalum  inter  cœtera  animaniia  venicntem  ad  eum.  (  Vita 
s.  Carilefi  (a"  540),  auctore  B.Siviardo,  initio,  saïc.  VÏII.  Acta  Bened.,  saec.  1, 
p.  644  ). 

(2)  lis  (Alanis),  quibus  Sambida  prœerat,  déserta  Valentinœ  urbis  rtira 
tradita  sunt  (Cbron.  Prosperi ,  ad.  ann.  440). 

L'abbé  Dubos  prétend  toutefois  qu'au  lieu  de  Valentinœ ,  il  faut  lire 
Aurelianœ  f  dans  la  chronique  deProsper,  et  que  c'est  au  territoire  d'Orléans 
que  furent  établis  les  Alains, 


—  492  —     , 

aspect ,  bien  que  cette  ville  fut  une  des  plus  considérables 
des  Gaules  (1). 

Tel  e'tait  le  sombre  tableau  que  présentèrent  les  Gaules 
sous  la  domination  rojnaine  et  plusieurs  siècles  après  ;  ce 
qui  du  reste  n'a  rien  d'étrange  si  Ton  réfléchit  a  la 
faible  population  des  Gaules  à  l'époque  de  sa  conquête 
par  César;  population  qui  éprouva  des  pertes  si  consi- 
dérables dans  les  guerres  longues  et  meurtrières,  occa- 
sionnées par  cet  événement ,  et  qui  ne  cessa  de  décroître 
sous  le  gouvernement  tyrannique  des  Romains.  Ce  qui  de- 
vrait paraître  plus  étonnant ,  c'est  que,  malgré  l'état  déplo- 
rable où  les  Gaules  furent  réduites  pendant  les  quatre  pre- 
miers siècles  de  Tère  vulgaire,  elles  ne  laissaient  pas  de 
passer  pour  une  des  parties  les  plus  riches  et  les  plus  floris- 
santes de  l'empire  romain  ,  si  une  foule  de  documens 
anciens  n'étaient  la  pour  attester  que  la  plupart  des  autres 
provinces  romaines  se  présentaient  sous  un  aspect  plus 
triste  encore  que  les  Gaules.  C'est  ce  que  nous  démontre- 
rons dans  le  chapitre  suivant ,  où  nous  passerons  brièvement 
en  revue  les  diflerens  pays  soumis  à  la  domination  romaine, 
et  où  en  décrivant  l'état  politique  de  l'empire  romain , 
nous  découvrirons  les  causes  de  la  misère  et  de  la  dépopu- 
lation qui  se  manifestaient  dans  presque  toute  l'étendue  et 
jusqu'au  centre  de  cet  empire  colossal. 

(1)  u4b  €0  fleœu  è  quo  retrorsum  via  ducit  in  Bel^icam,   vasia  omnia  ^ 
inculta,  squalida,  muta,  ienebrosa  (Eumen.  Paneg.  Constant). 


FfV    DU    TONE    PREMIER. 


TABLE 

DES  CHAPITRES  CONTENUS  DANS  CE  VOLUME. 

LIVRE  PREMIER. 

PREMIERE   PARTIE. 

Xa  Belgique  avant  la  dommation  romaine. 

Pageis. 

CHAPITRE  I.  Recherches   sur  l'étendue  de   la  Celtique,  sur  Tori- 

gine  des  Celtes  et  des  Celto-Belges  et  sur  leurs  émigrations.  1 

CHAPITRE  II.  Expulsion  des  Celto-Belges  par   des  peuples  germa- 
niques et  établissement  de  ces  derniers  dans  la  Belgique.  27 

CHAPITRE  III.  Position  géographique  et  limites  des  peuples  de  la 

Belgique  avant  la  domination  romaine.  43 

CHAPITRE  IV.  Qualités  physiques  et  morales ,  mœurs ,  usages ,  culte 

et  industrie  des  Celto-Belges.  "I 

§        I.     Qualités  physiques  et  morales  des  Celto-Belges,  63 

§       II.     Économie  rurale  et  nourriture  des  Celtes.  75 

§     III.     Habitations  et  oppida  des  Celtes.  89 

§      IV.     Vêtement  des  Celtes.  ^^ 

§      V.     Mariage,  condition  des  femmes.  99 

§     VI.     Chasse  et  pêche  des  Celtes.  108 
§    VII.     Condition    politique,   gouvernement    et    législation   des 

Celtes.  112 

§     VIII.     Culte  des  Celtes.  116 

§       IX.     État  des  lettres,  des  arts  et  de  l'industrie  chez  les  Celtes.  139 

CHAPITRE.  V.  Qualités  physiques  et  morales,  mœurs,  usages,  culte 

et  industrie  des  Germano-Belges.  154 

§        I.     Qualités  physiques  et  morales  des  Germano-Belges.  156 

§       IL     Économie  rurale  et  nourriture  des  Germano-Belges.  166 

§     111.     Habitations  des  peuples  germains.  178 

§     IV.     Vêtement  des  Germains.  183 
§      V.     Lois  et  coutumes  relatives  au  mariage;  condition  des  femmes 

chez  les  Germains.  189 


M  TABLE. 

5     VI.     Armées,  armes  et  tactique  militaire  des  peuples  germains.      204 
§    VII.     Chasse  et  autres  divertissemeus  chez  les  Germains.  218 

§    VIII.     Condition  politique,  gouvernement    et   lois   des   peuples 

germains.  223 

§     IX.     Culte  des  anciens  Germains,  funérailles,  etc.  271 

§      X.     Etat  des  sciences,  des  lettres,  des  arts  et  de  Tindustrie  chez 

les  Germains  ou  les  Germano-Belges,  312 

CHAPITRE  VI.  État  physique  et  aspect  delà  Belgique  avant  la  domi- 
nation romaine.  321 

CHAPITRE  VII.  Recherches  historiques  sur  l'état  de  la  population  de 
la  Belgique  avant  la  domination  romaine  et  sur  la  population  com- 
parée des  temps  anciens  et  modernes.  331 

LIVRE  DEUXIÈME. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

Xa  Belgique  pendant  la  domination  romaine. 

CHAPITRE  I.  Conquête  de  la  Belgique  par  César.  Eclaircissemens 

de  plusieurs  points  obscurs  de  cet  événement.  365 

CHAPITRE  II.  Repeuplement  de  la  Belgique  par  de  nouvelles  colonies 
germaniques.  412 

CHAPITRE  III.  Division  géographique  et  administrative  de  la  Bel- 
gique sous  la  domination  romaine.  422 

CHAPITRE  IV.  Condition  politique  et  état  administratif  de  la  Bel- 
gique sous  la  domination  romaine.  Annales  des  Francs  jusqu'au 
VP  siècle.  436 

CHAPITRE  V.  Recherches  sur  la  population  de  la  Belgique  durant  la 
domination  romaine.  Population  et  état  des  Gaules  a  la  même  époque.     474 


TlTi    DE    Ll    TABLE    DU    TOME    PREMIER. 


ERRATA  DU  TOME  l^^. 


Page.     ligne. 

8,       14  la  tradition,  /wez  .♦  la  tradition  orale. 

24,         6  la  Nerique  ,  la  Rhotie,  lisez  .♦  la  Norique,  la  Rbëlie. 

30,         9  et  d'une  partie  du  nord  de  laFrance,  lisez  .*  et  aune  partie,  ete. 

-31,       10  appelées  anciennement,  /«ez  .*  appelées  de  nos  jours, 

35,         3  (note)  citratrd^  lisez  :  citrâ. 

39,       24  Fauteur,  lisez  :  cet  auteur. 

43,         1  OEduens,  lisez  :  Eduens. 

49,       15  les  Trévirlens  habitaient  aussi ,  /wez  .'  les  Tréviriens  habitaient  ainsi, 
m  et  63, 13-23  Teucbtres,  lisez  :  Tenchtres. 

63,         2  épars,  lisez  :  éparses. 

63,       15  mais  par  la  découverte,  lisez  :  mais  encore  par  la  découverie. 

75,       23  leur  faire  renoncer,  lisez  ,'  les  faire  renoncer. 

77,       14  brace,  lisez  .*  brance. 

83,  4  (note  3)  Cati(^ulus  ,  lisez:  Cativulcus. 

84,  25  souvent  dispersés,  lisez  :  souvent,  dispersés. 
91,       19  des  Bituriges ,  Z«ez  .•  de  Bituriges. 

94,       13  (note  3)  Analyse  de  l'hist.  polit,   etc.,  lisez  :  Analyse  de  l'histoire  des 

droits  civ.  et  polit. ,  etc. 

98,       11  tenus, //sez  tenues. 

103,  31  d'un  égard  moins  guerrier,  /wez  .•  d  un  esprit  moins  guerrier. 

104,  37  insouciant,  Usez  :  insoucians. 

134,  13  mai  sao  ,  lisez  :  min  sao. 

136,       15  la  plus  agréable,  lisez  .'  le  plus  agréable. 

138,         5  (note  3)  une  épée  debout,  lisez  .*  une  épée,  debout. 

135,  3  (note  1)  cum  mortuos etapta  cum  vifentibuSf  lisez  :  cum  mor- 

tuis et  apta  vii^entibus. 

151,         8  (note  3)  tanta  tempestates ,  lisez  :  tantas  tempestates. 

165,  34  Ambrions,  lisez  :  Ambrons. 

3  (note  3  )  obrui  tillos ^  lisez  :  ohruit  illos. 

4  jam  propa  lisez  :  jam  prope. 

166,  3  (note)  le  mot  domos  à  transposer  après  trahunt. 

forte  Vicarius^  lisez  :  sorte  Ficarius  (  Horat.,  1.  III,  od.  24). 

183,       14  et  dans  lesquelles  lisez  :  et  dans  lesquels. 

10  (note  3)  ecpedum,  lisez  .•  CC pedum. 

185,         4  adopté,  lisez  :  adapté. 

187,         3  (note  6)  un  attentat,  etc.,  effacez  cette  phrase. 

193,  (note  5)  tome  31,  lisez  :  tome  3. 

204,  (note  1)  incursuum,  lisez  :  incursum. 

218,  17  ne  fissent  la  guerre,  lisez  :  fissent  la  guerre. 

219,  5  (note  1)  per  alium  ostiurtij  lisez  :  per  aliud  ostiiim. 
234,         2  {no\t\)  coacti  cii^itatis  f  lisez  :  coactiicii^itatis. 
248,         9  (^note  2)  étaient  également,  lisez  :  étaient  aussi. 


rage. 

ligne 

278, 

9 

379, 

4 

287.. 

3 

292, 

6 

296, 

3 

301, 

3 

300, 

18 

310, 

7 

311, 

6 

318, 

14 

320, 

11 

322, 

3 

325, 

14 

326, 

6 

327, 

13 

334, 

9 

345, 

13 

346, 

19 

353, 

5 

367, 

27 

371, 

3-5 

378, 

12 

385, 

10 

388, 

30 

389, 

18 

392, 

33 

393, 

23 

397, 

12 

399, 

29 

399, 

2 

412, 

7 

413, 

17 

19 

431, 

14 

434, 

15 

16 

426, 

7 

434, 

19 

438, 

26 

447, 

17 

461, 

7 

462, 

23 

479, 

1 

480. 

7 

le  dieu  du  soleil^  lisez  :  le  dieu  soleil. 

Frigg.,  lisez  :  Frigga. 

des  conciles,  lisez  :  les  conciles. 

(note  3)  n'avaient  accès,  lisez  :  n'avait  accès. 

(note  4)  Jomandes ,  lisez  :  Jornandes. 

(note  2)  Juxta  ecclesià,  lisez  :  juxtâ  ecclesiam. 

les  plaines  d'Ida  ,  lisez  :  les  plaines  d'Inda. 

(note  3)  ut  et  ipsis  parentes rogati  in  pro  eOf  lisez  :  ut  ipsi  parentes 

rogati  pro  eo. 
(note  1)  tanne',  lisez  .*  tanne'e. 
entrés ,  lisez  ••  entré. 

et  une  partie  des  Gaules,  lisez  :  et  dans  une  partie  des  Gaules, 
du  sud  à  l'ouest ,  lisez  :  du  sud  à  l'est. 

et  les  Vosges  et  autres  forêts ,  lisez  :  les  Vosges  et  autres  forêts, 
verrons,  lisez  :  verons, 
pour  leur  rompre,  lisez  :  pour  rompre. 
que  l'était  les  Celtes,  lisez  :  que  l'étaient  les  Celtes." 
n'était ,  lisez  :  ne  fut. 
plus  de  vingt  fois ,  lisez  :  vingt  fois. 
Pentopole,  lisez  :  Pentapole. 
soit  qu'il  se  voyait,  lisez  .•  soit  qu'il  se  vit. 

(note)  cette  opinion  , /ziez  .♦  cette  dernière  opinion.  L'emplacement  de 
celte  bataille,  lisez  :  l'emplacement  de  ce  ctamp  de  bataille, 
les  moins  puissantes,  lisez  .*  les  moins  considérables, 
(note  2)  tous  les  anciens,  lisez  .*  tous  les  auteurs  anciens, 
lorsqu'il  aurait  déposé,  lisez  :  lorsqu'elle  aurait  déposé, 
transpirée,  lisez  :  transpiré, 
ne  s'était  présenté,  lisez  .•  ne  s'étant  présenté. 

par  la  nouvelle  qu'il  reçut  alors,  lisez  :  par  les  détails  qu'il  reçut  alors, 
et  captifs  ,  lisez:  et  en  captifs, 
les  avait  défait,  lisez  :  les  avait  défaits, 
ménagés ,  lisez  :  ménagé. 
l'Arh,  lisez  .•  l'Ahr. 

ce  peuple  qui  habitait,  lisez  .'.ces  derniers  qui  habitaient, 
leurs  faisaient  éprouver,  lisez  :  leur  faisaient  éprouver, 
borné,  lisez  .•  bornée. 
à  l'est,  lisez  :  à  l'ouest. 
à  l'occident ,  lisez  :  à  l'orient, 
à  l'orient ,  lisez  .*  à  l'occident, 
aux  trois  rivières  ,  lisez  :  aux  quatre  rivières, 
à  gaucbe  du  Demer,  lisez  :  à  droite  du  Demer. 
aux  unes  ,  lisez  :  aux  uns. 
de  lever,  lisez  :  d'élever, 
abandonné  , /«ez  .*  abandonnés. 
Doni,  lisez  :  Adon. 
(note  2)  prqfectis ,  lisez  :  prœJecLis. 
socoj^esque  ,  lisez  :  sororesque. 


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